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7 septembre 2013 6 07 /09 /septembre /2013 16:14

 

 


blogs.mediapart.fr

Retraites : l'alternative cachée

A quelques jours de la grève et des manifestations du 10 septembre 2013 (organisées par les syndicats CGT, FO, FSU et Solidaires), Attac et la Fondation Copernic, initiatrices du collectif Retraites 2013, publient une note pour défendre les retraites contre les attaques annoncées par le gouvernement.

 

 

Cela pourrait prêter à sourire si ce n’était aussi grave. Trois ans après une quatrième réforme des retraites qui se voulait décisive et définitive, menée par un gouvernement de droite dure qui n’avait rien entendu du refus de millions de personnes dans la rue, le gouvernement dit de gauche prépare une autre réforme sans doute aussi calamiteuse pour les travailleurs et pour les retraités actuels et futurs.

Aussi sourd que son prédécesseur, le président François Hollande reprend à son compte le leitmotiv néolibéral selon lequel il faut travailler toujours plus, tandis qu’il s’engage par ailleurs à réduire massivement les dépenses publiques et sociales, adoptant ainsi les thèses de la Commission européenne et du patronat.

Nous faisons donc à nouveau le pari, avec ce petit livre, que les travailleurs, les retraités, et au-delà, les citoyens, hommes et femmes, sont capables de mettre au jour les idées reçues qui sont toujours des idées fausses, et de comprendre les enjeux véritables du débat sur les retraites.

 

Idées reçues, idées fausses, contre-vérités

 

Au chapitre des idées reçues qui sont autant d’erreurs et de mensonges, la liste est longue[1].Elles partent toutes d’un argument usé jusqu’à la corde repris par le président Hollande : « Dès lors que l’on vit plus longtemps, on devra travailler aussi un peu plus longtemps. » Elles sont toutes entachées d’erreurs de raisonnement, le plus souvent commises sciemment pour empêcher un débat politique serein et démocratique.

Première erreur, de diagnostic : les déficits annoncés des caisses de retraite (autour de 14 milliards en 2012, plus de 20 en 2020) n’ont rien à voir avec la démographie, ils sont dus, pour des montants équivalents, à la crise qui bloque l’activité, l’emploi et les cotisations sociales. C’est reconnu, tant par les rapports du Conseil d’orientation des retraites (COR) que par le rapport Moreau[2]. Autrement dit, vouloir diminuer les déficits publics par l’austérité ne peut qu’accroître ces derniers.

Deuxième erreur, de raisonnement : parler du ratio de dépendance des personnes de plus de 65 ans par rapport à celles de 15 à 65 ans (29 % aujourd’hui, 52 % en 2060) n’a aucun sens si on ne le compare pas avec l’évolution de la production et avec celle de la répartition des revenus.

Troisième erreur, historique : allonger la durée de cotisation et retarder l’âge de la retraite équivalent à augmenter le temps de travail, alors que sévit un chômage de masse croissant et que les prévisions du COR sur la hausse de la productivité sont irréalistes. Déjà les réformes précédentes ont augmenté le taux d’emploi des seniors, tout en accroissant leur taux de chômage ainsi que celui des jeunes.

Quatrième erreur, mensongère : sur les trois paramètres pour ramener à l’équilibre le système de retraites, l’augmentation de la durée de cotisation est censée éviter la baisse des pensions, mais comme peu de salariés pourront y satisfaire, leur pension baissera, surtout si elle a été désindexée de l’inflation, comme le propose le rapport Moreau. Selon le COR, à l'horizon 2060, la baisse des pensions relativement aux salaires serait de 15 à 25 % en fonction des scénarios économiques. Quant à la hausse du taux de cotisation patronale, elle est présumée alourdir encore le « coût du travail », donc exclue.

Cinquième erreur, de perspective : la crise du capitalisme et les difficultés de l’économie française ne sont pas dues au coût du travail mais au coût exorbitant que fait subir le capital à la société. En trente ans de néolibéralisme, la part dévolue aux actionnaires aux dépens des salaires et de la protection sociale a augmenté de 5 points de pourcentage[3] de la valeur ajoutée des entreprises. Et le comble est que, malgré une baisse du taux de marge des entreprises en cette période de crise, les dividendes continuent d’augmenter. En 2012, les entreprises ont distribué 230 milliards de profits, ce qui représente un surcoût du capital de 100 milliards par rapport aux normes des années 1970-80. Au détriment de l’investissement, de la recherche et de l’emploi : 80 % des bénéfices nets vont aux actionnaires aujourd’hui contre 30 % dans les années 1980[4].

Sixième erreur, signe que des intérêts sont en jeu : si la hausse du taux de cotisation n’est pas envisagée, ce n’est pas parce que les salariés bénéficient d’une mansuétude nouvelle, c’est pour éviter que l’on pose la question du mode de calcul des cotisations. Or, il suffirait que l’ensemble des revenus financiers distribués soient soumis à cotisation, c’est-à-dire en un sens d’élargir l’assiette des cotisations, pour changer la donne de l’équilibre des retraites. Le COR en fournit indirectement une estimation : 2 points de prélèvement supplémentaire en 2020 sur les revenus d’activité ; dans la mesure où la masse salariale dans les sociétés financières et non financières est en moyenne trois ou quatre fois plus élevée que les revenus du capital distribués, les 2 points sur les salaires évalués par le COR correspondraient à 6 à 8 points prélevés sur les revenus du capital distribués. Danger pour la compétitivité ? Pas du tout, puisqu’on prélèverait des revenus déjà distribués, donc déjà inclus dans les prix. Danger pour le lien entre le travail et les cotisations sociales ? Non, puisque toute la valeur ajoutée dans l’économie provient du travail.

Septième erreur, philosophique : travailler toujours plus. Au lieu de repenser la place du travail dans la société et les finalités de la production à l’ère de la crise sociale et écologique ; au lieu de réduire les inégalités entre groupes sociaux et entre hommes et femmes. Un choc de répartition signifierait tourner le dos à la logique du capital.

 

 

Les enjeux véritables des retraites


Le COR lui-même tient à rappeler que : « La condition de pérennité financière est au coeur du pacte intergénérationnel, sur lequel repose le principe de répartition »[5] On ne pourrait qu’approuver une telle évidence si elle ne contenait pas implicitement un biais très dommageable pour la clarté du débat public. En effet, ce qui est dit d’un système de retraite par répartition est vrai de tout système : l’illusion est de croire qu’un système par capitalisation pourrait s’affranchir de cette règle immuable qui veut que tout transfert part des actifs pour aller vers les inactifs.

 

1) L’économie, l’emploi et les retraites

Une première question, basique en quelque sorte, vient au sujet de la mise en cohérence, d’un côté, des hypothèses d’évolution de l’économie et de l’emploi, et, de l’autre de la possibilité de verser des pensions de retraite de façon pérenne. Vouloir résorber le chômage à long terme en augmentant la durée du travail dans un contexte de faible croissance de l’économie relève de la quadrature du cercle. Faire comme si cette croissance pouvait être élevée dans un monde contraint par la crise écologique relève de l’aveuglement. Se rabattre sur la seule modification de la répartition interne à une masse salariale inchangée globalement pour pensionner des retraités plus nombreux ou bien sur une baisse directe des pensions relève d’un choix politique en faveur du patronat et des privilégiés qui ne dit pas son nom.

 

2) La question du mode de financement des retraites et de la protection sociale en général est d’ordre politique

La plupart des rapports du COR, et les deux derniers ne font pas exception, n’examinent jamais l’hypothèse d’une modification, ne serait-ce que sensible, de la répartition des revenus entre travail et capital, c’est-à-dire entre masse salariale et profits, les deux composantes de la valeur ajoutée. Certes, le COR, notamment dans ses abaques, montre que l’arbitrage se fait toujours entre les variations du taux de cotisation, du taux de remplacement et du ratio de dépendance entre retraités et cotisants, ce dernier ratio pouvant lui-même être modifié par la structure démographique, la durée de cotisation, le taux d’activité et le taux d’emploi de la population en âge de travailler et l’immigration. Mais, à aucun moment, il n’est donné de détails sur le levier du taux de cotisation ou de l’assiette des cotisations. Comme si, implicitement, il était admis qu’il ne pouvait s’agir que de la variation du taux de cotisation dit salarial, et jamais du taux dit patronal.

De son côté, le mouvement social reste partagé. Si beaucoup de syndicats refusent en général de voir la durée du travail s’allonger par le biais de la durée de cotisation ou par celui de l’âge de la retraite, et bien entendu de voir les pensions baisser, il n’existe encore aucun consensus sur les cotisations. Nous examinerons cette question dans le chapitre 4.

 

3) Contre les projets du Medef légitimés par la Cour des comptes et Bercy, et de plus en plus portés par le gouvernement socialiste

La « fatalité » du déséquilibre financier sur le long terme vient de l’hypothèse de blocage des financements des régimes de retraite à leur niveau actuel (13,2 % du PIB en 2011, 13 % en 2060), alors que la proportion de la population âgée s’accroît. Cette hypothèse politique forte est le non-dit des projections du COR : elle signifie la baisse des droits à la retraite. Les réformes précédentes ont absorbé l’essentiel de l’impact démographique : à l’horizon 2060, les besoins de financement sont limités (en général, en dessous de 1 % de PIB, mais cela dépend de la variable économique choisie). Ce qui permet au COR de dire l’essentiel : « le retour à l’équilibre financier, voire à des excédents, à l’horizon 2060 sous les hypothèses économiques les plus favorables se feraient donc au prix d’écarts de niveau de vie accentués entre les retraités et les actifs »[6].

Dès lors, les voix du Medef et du gouvernement se joignent pour annoncer une nouvelle réforme qui, cette fois-ci ne prendra plus de gants pour annoncer la couleur : faire payer les retraités actuels et futurs tout en aggravant les conditions d’accès à la retraite. Le patronat a déjà marqué des points au sujet des retraites complémentaires et a posé ses jalons pour la suite, c’est-à-dire le régime général.

En ce qui concerne les salariés actuellement actifs, le Medef préconise un recul de l’âge de la retraite complémentaire d’un trimestre par an à partir de 2019, pour éviter une hausse des cotisations, avec pour conséquence un recul des droits : « Nous proposons au niveau du MEDEF de passer de quarante-et-un à quarante-trois à l’horizon 2020 – c’est important d’exprimer les horizons – et aussi de passer l’âge légal de départ à la retraite de soixante-deux à soixante-trois à l’horizon 2020, puis à soixante-cinq ans à l’horizon 2040. Je rappelle que l’ensemble des pays européens – Allemagne, Angleterre, Espagne, Pays-Bas – sont déjà à soixante-cinq et parfois soixante-sept ans »[7].

On voit donc qu’il s’agit encore de modifier la répartition des revenus en défaveur du travail. Les marchés financiers seront « rassurés », le gouvernement aussi sans doute, de même que Didier Migaud, dont il faut rappeler sa grande compréhension du problème des retraites, lui qui proposait au moment où éclatait la crise financière : « utiliser les marchés financiers pour financer une partie des retraites » parce que le Fonds de réserve des retraites aurait une « rentabilité supérieure »[8]. Et il préside aujourd’hui la Cour des comptes !

 

4) Derrière les retraites, le choix de société

Le choix de société se définit à travers le mode de développement de l’économie adopté. Nous allons le vérifier en examinant les hypothèses de croissance économique du COR. Ce mode de développement se définit aussi par l’acceptation ou le refus des politiques d’austérité qui font payer la crise capitaliste aux travailleurs et aux retraités. Il se définit enfin par le type de solidarité qui est promu dans la société, notamment par le modèle d’égalité entre femmes et hommes. Dans ce temps où crier haro sur la dette est devenu le refrain néolibéral ou socio-libéral, il faut réaffirmer la légitimité de la transmission d’une sorte de « dette sociale », au bon sens du terme, entre les générations qui nouent un pacte de solidarité. Celui-ci n’a pas vocation à s’éteindre, parce que, à travers lui, c’est la qualité et la continuité du lien social qui se jouent.

 

Notes :

[1] Nous les avions déjà inventoriées dans le livre d’Attac et de la Fondation Copernic, Retraites : l’heure de vérité, Paris, Syllepse, 2010, « Dix contre-vérités », p. 20-24. De façon générale, la problématique de ce livre de 2010 reste entièrement valable. En particulier, on se reportera à la méthodologie exposée dans les quatre chapitres de la troisième partie qui montrent la possibilité de construire un système de retraite solidaire au sein d’une société soutenable écologiquement.

[2] COR, « Retraites : perspectives 2020, 2040 et 2060 », Onzième rapport, 19 décembre 2012, COR, « Retraites : un état des lieux du système français », Douzième rapport, janvier 2013, Yannick Moreau, « Nos retraites demain : équilibre financier et justice », 14 juin 2013.

[3] On parle en point de pourcentage quand on compare deux pourcentages entre eux.

[4] Voir le livre d’Attac-Copernic, En finir avec la compétitivité, Syllepse, 2012 (disponible en pdf) ; le rapport du CLERSE, « Le coût du capital et son surcoût », 2013 ; le dossier d’Alternatives économiques, juin 2013.

[5] COR, Douzième rapport, op. cit., p. 69.

[6] COR, Onzième rapport, op. cit., p. 42.

[7] P. Gattaz, « La situation du pays nécessite des mesures fortes », RMC et BFMTV, 10 juillet 2013.

[8] D. Migaud, « Abonder le fonds de réserve des retraites », Le Monde, 2 avril 2008.

 


 

Ce texte constitue l'introduction de la note que nous venons de publier.

 

Les auteur-e-s :

Jean-Marie Harribey, économiste, membre d’Attac, de la Fondation Copernic et des Économistes atterrés (coordinateur)

Pierre Khalfa, co-président de la Fondation Copernic, membre du Conseil économique, social et environnemental

Marc Mangenot, économiste, membre de la Fondation Copernic

Christiane Marty, ingénieure, membre du conseil scientifique d’Attac et de la Fondation Copernic (coordinatrice)

Rozenn Perrot, membre du conseil scientifique d’Attac

Daniel Rallet, économiste, membre du conseil scientifique d’Attac

Bernard Teper, co-animateur du Réseau éducation populaire (REP)

 

Retraites : l'alternative cachée, Syllepse, 84 pages, septembre 2013.

 

 

Pour prolonger :

 

- le site du collectif Retraites 2013 (où l'appel « Ensemble, défendons nos retraites » peut toujours être signé et où un document d'information de 4 pages est disponible en pdf)

 

- le site des éditions Syllepse

 

- le Petit guide d'autodéfense en temps de réforme des retraites d'Attac

 

- la page de notre site consacrée aux retraites et la note en version pdf

 

- « La gauche radicale tente de mobiliser contre la réforme des retraites » (Lemonde.fr, 4 septembre 2013)

 

 

 

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7 septembre 2013 6 07 /09 /septembre /2013 16:09

 

Médiapart.fr

 

En Egypte, l'armée tisse sa toile à l'abri des regards

|  Par Pierre Puchot

 

 

Coup d’État, refonte de l’exécutif, répression sanglante contre les Frères musulmans et possible interdiction de l'association qui sert de vitrine à la confrérie, censure médiatique… L’ancien régime est-il déjà de retour en Égypte ? Analyse et détail du processus politique en cours au Caire.

En catimini, pendant que la communauté internationale a le regard rivé sur la Syrie, le pouvoir égyptien tente-t-il d’éradiquer le plus ancien et plus important mouvement d’obédience islamique de l’histoire, fondé en 1928, qui avait jusque-là survécu à tous les méandres de la construction de l’Égypte indépendante ? Au Caire, le nouvel exécutif aurait décidé de dissoudre l’association des Frères musulmans, rapporte vendredi 6 septembre le journal officiel égyptien Al-Akhbar. Lundi, la justice égyptienne avait déjà recommandé sa dissolution.

Pourquoi la justice égyptienne s’attaquerait-elle à l’organisation non gouvernementale liée aux « Frères » ? « Les autorités accusent l'association des Frères musulmans de commettre des actions violentes, d'utiliser son siège social pour faire de la politique et d'y stocker des armes pouvant servir à tirer sur les manifestants », affirme Hany Mahana, porte-parole du ministre de la solidarité sociale, cité par Al-Akhbar. « Nous avons donné l'opportunité aux leaders des Frères musulmans de s'expliquer sur ces faits, mais ils ne sont pas venus », ajoute-t-il.  

 

La police égyptienne se déploie sur le site de l'attentat contre le ministre de l'intérieur, au Caire, le 5 septembre. 
La police égyptienne se déploie sur le site de l'attentat contre le ministre de l'intérieur, au Caire, le 5 septembre.© Reuters

Depuis sa dissolution et son passage à la clandestinité en 1954, la confrérie n’a jamais été autorisée, même sous la présidence de Mohamed Morsi, destitué par le coup d’État de l’armée égyptienne le 30 juin dernier. L’association ciblée aujourd’hui par l’État égyptien, qui porte le nom de « Frères musulmans », avait cependant été créée sous sa présidence. « Cette association que l’on parle de dissoudre est une coquille vide, explique Clément Steuer, chercheur associé au Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales (Cedej) du Caire et à l’institut oriental de République tchèque. Elle était là pour créer un vague cadre aux "Frères", sachant que la trésorerie de l’association telle qu’elle a été déclarée ne correspond pas du tout à la réalité des Frères musulmans, qui possèdent des entreprises, et qui reçoivent sans doute, même si on ne détient aucune preuve, de l’argent de l’étranger. En elle-même, la dissolution de l'association n’aurait aucune conséquence sur les "Frères". »

Le pouvoir actuel va-t-il aller encore plus loin, et interdire le parti de la liberté et de la justice des Frères, voire tenter d’éradiquer totalement la confrérie ? « Ce serait étonnant, juge Clément Steuer. Même Nasser n’est pas allé jusque-là. Et cela entraînerait une catastrophe économique et sociale d’ampleur dans le pays, puisque les "Frères" gèrent un certain nombre d’entreprises, mais dispensent surtout des services de santé et d’éducation que l’État n’est pas en capacité de prendre à sa charge. Pour détruire la confrérie, il faudrait donc que le pouvoir initie un véritable tournant social, qui changerait profondément le paysage économique du pays. Je ne crois pas qu’il soit question de cela aujourd’hui. » Sur le papier, il n’existe d'ailleurs aucun parti religieux en Égypte. La constitution (depuis 2007), et avant elle la première loi fixant le cadre des partis (1977), posent qu’un parti égyptien ne peut pas être totalement homogène et constitué de militants uniquement musulmans, chrétiens ou de quelque religion que ce soit.  

Signe supplémentaire de la grande complexité de l'actualité politique égyptienne, une bataille est néanmoins en cours au sein du comité des 50 membres mis en place selon la feuille de route énoncée par le général Sissi après son coup d'État du 30 juin (Lire le détail du processus constitutionnel en cours page 3 de cet article.). Une proposition vise de manière quasi explicite les Frères musulmans, car elle ajouterait à l'article existant dans l'actuelle constitution l’interdiction de créer un parti qui pratiquerait dans le même temps une activité sociale et/ou disposerait d’une organisation secrète, ou d'une branche armée, ou paramilitaire.

« Cet ajout sera mis en débat, mais je pense que l’on se dirige davantage, si jamais tel était au final le choix du pouvoir, vers une interdiction des Frères musulmans pour une question d’ordre public et d’atteinte à la sécurité de l’État, que via une interdiction totale des partis religieux avec un texte plus strict, ce qui aliénerait à la coalition au pouvoir le parti salafiste Noor, dont l'armée a besoin », commente le chercheur Clément Steuer.

L’interdiction du parti de la liberté et de la justice, celui des Frères, serait pour la confrérie autrement plus problématique que la disparition de l'association. Mais ils auraient alors toujours le loisir de se présenter en tant que candidats indépendants aux prochaines élections, comme sous l’ancien régime. Une jurisprudence de 1987 de la cour constitutionnelle égyptienne pose que l’on ne peut pas empêcher un candidat indépendant de se présenter.

1 000 morts, plus de 2 000 arrestations chez les « Frères »

Pour la confrérie, le problème majeur aujourd’hui vient de la répression féroce et de l’acharnement judiciaire qui visent ses cadres et militants, et demeurent facteurs d’une grande désorganisation. Plus de 1 000 personnes, en majorité des militants des Frères musulmans, ont péri depuis la mi-août sous la répression conjointe de la police et de l’armée. Mardi 3 septembre, un tribunal militaire égyptien a condamné un membre des Frères musulmans à la prison à perpétuité, et 51 autres à des peines de réclusion pour l’agression de militaires dans la ville de Suez.

Les militants islamistes jugés mardi étaient accusés d’avoir tiré à la chevrotine et jeté des pierres sur les soldats. Les condamnations prononcées par la justice militaire concernent des violences s’étant produites après la dispersion de partisans du président destitué Mohamed Morsi au Caire le 14 août, au cours de laquelle plusieurs centaines de « Frères » furent tués par les forces l’ordre. Le Guide suprême de la confrérie Mohamed Badie, Mohamed Morsi et plusieurs de ses principaux dirigeants répondent actuellement devant la justice d'« incitation au meurtre » de manifestants.

Dans de telles conditions, les « Frères » auront-ils à nouveau les moyens de mobiliser autour d'eux plusieurs milliers de sympathisants dans les mois à venir pour maintenir la pression sur la coalition gouvernementale et l’armée ? « Les Frères musulmans continuent de publier des communiqués en expliquant que lors des manifestations du 30 août, il y a eu plus de manifestants dans toute l’Égypte que pendant toute la révolution du 25 janvier, rapporte la chercheuse Marie Vannetzel, spécialiste des « Frères ». C’est donc avant tout une guerre de l’image qui est à l’œuvre. Je ne crois pas que la popularité des "Frères" puisse se mesurer dans l’absolu, elle est forcément contextuelle, comme on le voit depuis trois ans. Le pouvoir les a frappés très durement. Nous étions à 2 095 arrestations au 30 août, au niveau des dirigeants, mais aussi des militants de base. Cela a forcément un effet dissuasif sur la mobilisation. »

La confrérie s’apprête-t-elle pour autant à retourner dans la clandestinité comme par le passé ? La chercheuse ne le pense pas : « Leur image est considérablement dégradée, à la fois du fait de l’échec dans leur exercice du pouvoir, de la propagande de l’armée expliquant qu’elle était en "guerre contre le terrorisme", et puis de la violence que les militants des "Frères" ont eux-mêmes pratiquée (lire ici le communiqué d’Amnesty International), rappelle Marie Vannetzel. Même si l’on ne dispose que de peu de données aujourd’hui pour le mesurer, il est évident que tout cela a profondément changé le rapport des "Frères" à la société, et de la société aux "Frères". »

Isolés, les Frères le sont certainement sur le plan médiatique. La justice égyptienne a ordonné mardi la fermeture définitive de quatre télévisions, dont une filiale égyptienne d’Al-Jazeera et la chaîne des Frères musulmans. Outre Al-Jazeera Mubasher Misr et Ahrar 25, le tribunal administratif du Caire a également ordonné la fermeture de deux autres chaînes islamistes, Al-Quds et Al-Yarmouk.

La chaîne satellitaire qatarie Al-Jazira a récemment évoqué une « campagne » menée contre elle, en particulier depuis que ses locaux ont été fouillés dès le 3 juillet, après qu’elle eut diffusé une vidéo dans laquelle Mohamed Morsi se disait le seul président « légitime » d’Égypte. Dimanche 1er septembre, trois journalistes indépendants étrangers travaillant pour la chaîne qatarie en anglais ont par ailleurs été expulsés d’Égypte. Un correspondant d’Al-Jazeera en langue arabe, Abdallah al-Chami, et un caméraman de la station égyptienne de la chaîne satellitaire, Mohamed Badr, ont en outre été détenus pendant plus d’un mois, selon Al-Jazeera. Les autorités et les médias locaux accusaient la chaîne qatarie de couvrir de façon partiale les événements sanglants qui ont suivi la destitution de Mohamed Morsi.  

« Il y a depuis deux mois une guerre des médias, qui est clairement à l’avantage des généraux, car ils ont derrière eux tout l’appareil médiatique d’État, commente Marie Vannetzel. L’impact va être important. La filiale d’Al-Jazeera était regardée par une large partie de la population égyptienne. Pour les "Frères", cela va devenir très compliqué de communiquer. Reste internet, et encore : le site du parti en arabe était inaccessible ces derniers jours… »

Dans ce contexte de guerre médiatique permanente, où la rumeur fait le jeu du pouvoir en place, l’armée continue de bombarder le Sinaï pour lutter contre plusieurs groupes terroristes. Et, jeudi 5 septembre, une attaque a visé le convoi du ministre de l'intérieur égyptien, Mohammed Ibrahim, alors qu'il circulait dans les rues du Caire. L'explosion a frappé le convoi du ministre à proximité de son domicile, dans le quartier de Nasr City. Mohammed Ibrahim est ensuite apparu à la télévision d'État pour dénoncer « une lâche tentative » d'assassinat. Il a affirmé que « quatre voitures » de son escorte avaient été détruites par une « bombe déclenchée à distance » et a évoqué « de nombreux blessés dans le convoi ». « J'avais prévenu avec la dispersion qu'il y aurait une vague de terrorisme (...) Même si je deviens un martyr, un autre ministre de l'intérieur viendra pour continuer la guerre contre le terrorisme », a-t-il ajouté. L'attaque, qui n'a pas encore été revendiquée, a été « condamnée énergiquement » par les Frères musulmans.

Une coalition gouvernementale en place malgré tout

Dans ce climat proche du chaos, où l’économie demeure très affaiblie, comment l’armée est-elle parvenue à bâtir le nouvel exécutif ? La nomination début juillet d’Adly Mansour, ancien président de la cour constitutionnelle, au poste de président de la République par intérim, participait de l’idée de Sissi de s’appuyer sur un corps judiciaire qui s’était illustré par sa résistance à l’administration Morsi, lorsque celui-ci avait tenté de passer en force, notamment sur la mise en place d’une nouvelle loi électorale. Le nouveau premier ministre Beblaoui a ensuite fait consensus autour de son statut d’économiste à la réputation internationale.

Propulsé vice-président en charge des relations internationales, Mohammed El-Baradeï contribuait également à l’équilibre des forces au sein de ce nouvel appareil. Le gouvernement a ensuite été composé pour ménager un équilibre entre tous les courants qui ont appuyé le coup d’État du 30 juin. Le général Sissi et le ministre de l’intérieur Ibrahim, dont les forces de l’ordre ont largement contribué par leur passivité au coup d'État, ont conservé leur poste, ainsi que plusieurs ministres au profil de technocrates nommés aux lendemains de la révolution de janvier 2011.

Un fait marquant : la nomination de l’ancien gouverneur d’Alexandrie, Adel Labib, au poste de ministre du développement local. Ancien cadre du PND d’Hosni Moubarak, Adel Labib était en poste en 2010 à l’époque de la mort du jeune Khaled Saïd, tué par les forces de l’ordre dans un cyber-café. Un meurtre qui a contribué au soulèvement de la population et à la révolution égyptienne. Son intégration au gouvernement a été largement interprétée comme un signe envoyé aux partisans de l’ancien régime par l'armée, qui cependant a vu très large : Parti sociale démocrate, Wafd (l'un des plus anciens partis égyptiens), partis nassériens… C’est au final l’ensemble du spectre libéral égyptien que Sissi est parvenu à capter, dont le fondateur du premier syndicat égyptien indépendant en 2008 (celui des contrôleurs des impôts), à la tête depuis 2011 de la première fédération des syndicats indépendants (3 millions de salariés), Kamal Abou Eita, propulsé ministre du travail et de l’immigration.

La sanglante répression contre les Frères musulmans, et les centaines de manifestants tués par l’armée à partir du 14 août, n’ont pas ébranlé cet édifice savamment construit. En dehors de Mohamed El-Baradeï et du porte-parole du Front national du salut – l’ancienne coalition d’opposition aux Frères qui a par la suite justifié la répression –, aucune figure marquante de la coalition gouvernementale n’a démissionné. En dehors du gouvernement, plusieurs partis ont même soutenu la répression de l’armée, comme le parti communiste, la coalition populaire et socialiste, et le principal parti salafiste, Noor.

Les points de litige entre les différentes organisations se situent davantage dans les décisions constitutionnelles à prendre dans les prochains mois. La feuille de route, qui a valeur de déclaration constitutionnelle, annoncée par Sissi le 30 juin, prévoyait la formation d’un comité d’expert pour amender la constitution et proposer ses amendements à un comité plus large, de 50 membres. Ce comité d’experts a rendu ses travaux à la fin du mois d’août. Les 50 membres ont été nommés et devraient se réunir à compter du 8 septembre. Seuls trois d’entre eux représentent les courants islamistes et sont issus d’un parti salafiste. Dans les débats à venir, plusieurs ne manqueront pas de diviser la coalition gouvernementale bien davantage que ce que ne l'a fait la répression sanglante contre les Frères musulmans.

L’article 2 de l’actuelle constitution, lui-même repris du texte en vigueur sous Moubarak et qui pose la Charia comme source principale de la législation, va demeurer inchangé. Le litige porte en revanche sur l’article 219, ajouté en 2012 par les « Frères », qui précise ce que l’on entend par Charia, et la lie aux quatre écoles juridiques sunnites égyptiennes. Arguant que ces références aux écoles permettaient de faire appel à des jurisprudences et rendraient donc effective la référence à la Charia, dans les faits quasi virtuelle jusque-là, menaceraient le droit des femmes et des minorités ainsi que l’indépendance de la justice civile, le comité d’experts propose de supprimer cet article. Le parti salafiste Noor, qui a accepté de participer au comité de 50 membres, menace à l’opposé de s’en retirer si l’article 219 disparaît du texte constitutionnel.

Autre point de litige : le futur mode de scrutin. Le comité des experts a proposé de revenir au scrutin individuel, quand les précédentes élections se sont déroulées selon les règles d’un scrutin mixte, avec les deux tiers des sièges élus à la proportionnelle. Le comité souhaite en outre que soit supprimé le quota des sièges réservés aux ouvriers et aux paysans. Il s’agirait donc de revenir à l’ancien système des années 2000, en réduisant en outre par deux la taille des circonscriptions, pour n’y élire qu’un député au lieu de deux, dont au moins un attribué aux ouvriers/paysans. Un système qui avantage très clairement les notables locaux, au détriment des nouveaux partis politiques, et favorise donc les partisans de l’ancien régime. La crainte d’un retour à l’ère de Moubarak mobilise tout le champ de l’ancienne opposition, des salafistes à la gauche nassérienne, sans compter le mouvement des jeunes révolutionnaires. Ici, se situera sans doute le combat politique majeur dans les mois à venir.  

Concernant les prochaines élections présidentielles, la feuille de route prévoit que le comité de 50 membres dispose en théorie de deux mois pour rendre ses travaux. Un référendum doit ensuite être organisé dans un délai de deux semaines. Les élections législatives doivent par la suite se dérouler deux mois après le référendum, et la date de l’élection présidentielle doit être annoncée dans le mois qui suit l’élection du parlement. « Tout cela reste cependant au conditionnel, explique le chercheur Clément Steuer, puisque la feuille de route, qui a valeur constitutionnelle, a vocation à être remplacée par la future constitution, approuvée par le référendum. Or il y a de fortes chances pour que la constitution prévoie un nouveau calendrier pour la suite des événements. » 

Y a-t-il un plan Sissi pour rétablir l'ancien régime ?

En tapant fort, en choisissant de réprimer les manifestations dans le sang pour décourager les mobilisations des Frères musulmans, qui ne se mobilisent plus dans la rue par dizaines de milliers comme au plus fort de l’été, le général Sissi n’a-t-il pas, au bout du compte, doublement réussi son « coup », et manœuvré pour favoriser le retour de l’ancien régime, dans une Égypte désormais à l’abri des regards médiatiques ?

« Je ne crois pas que nous observions déjà le retour du régime d’Hosni Moubarak, tempère Yasmine Nagaty, analyste diplômée en sciences politiques et salariée au sein d’une ONG au Caire. Beaucoup d’Égyptiens font ce raisonnement après avoir suivi le procès Moubarak (l’ancien président a été remis en liberté conditionnelle le 21 août 2013). Mais il est important de noter que le fonctionnement des tribunaux est avant tout basé sur des preuves, et que nous n’en avons pas aujourd’hui dans le dossier Moubarak, tel qu’il a été monté. De mon point de vue, nous avons d’ailleurs loupé l’occasion au lendemain de la révolution, quand nous aurions dû monter des tribunaux révolutionnaires ad hoc. »

Voir la période actuelle, du coup d’État à la fermeture des télévisions, comme le plan de Sissi pour rétablir l’ancien régime, ne satisfait pas non plus Clément Steuer : « C’est une grille de lecture limitée, car on oublie un peu vite que le 30 juin, les partisans de l’ancien régime n’étaient pas, loin s’en faut, les seuls à manifester dans la rue, rappelle le chercheur. Ce n’est pas non plus l’armée qui a appelé à manifester. Beaucoup de forces révolutionnaires, y compris celles les plus opposées au pouvoir transitoire actuel, comme les jeunes de 6 avril ou les socialistes révolutionnaires, avaient appelé à descendre dans les rues. Pour tous les révolutionnaires, le 30 juin 2013 constitue la deuxième révolution. La première a permis de se séparer du Parti national démocratique (PND, de Moubarak), la seconde, des Frères musulmans. Les deux voies auxquelles le monde arabe est confronté depuis des décennies. C’est un succès de la révolution, mais aussi, il faut bien le dire, de la contre-révolution, puisque c’est l’armée qui a chassé Morsi, appuyée par la police dont on observe le retour, et par les anciens du PND et les hommes d’affaires, dont certains proches de Gamal Moubarak, et enfin par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (actuellement en discussion pour accorder une aide de deux millards de dollars à l'Égypte). Les "Frères" ont eu tous ces éléments contre eux. »

« Mais dire que la contre-révolution triomphe, cela reste exagéré, poursuit le chercheur. Ne serait-ce que parce que figurent dans le gouvernement des membres de l’opposition progressiste, qui n’avait jamais été dans un gouvernement auparavant. C’était d'ailleurs l’une des revendications des révolutionnaires fin 2011 à l’époque des événements de la rue Mohammed-Mahmoud. La limite, c’est qu’il est vrai aujourd’hui que les réseaux des partis de l’ancien régime se sont reconstitués, et qu’ils essaient de reprendre le contrôle. L’appareil de sécurité et la police ont été restaurés tels qu’ils étaient avant le 25 janvier 2011. Mais, encore une fois, il n’y a pas eu un retour au contrôle du champ politique tel qu’avant 2011, pas de reconstitution du PND. Et le mode de scrutin proposé par le comité a contre lui l’ensemble des forces libérales, révolutionnaires, et les quelques islamistes qui soutiennent le gouvernement. » 

Sur cette réforme du mode scrutin, un compromis devra être trouvé pour que la constitution soit approuvée par les Égyptiens par référendum. Car même dissous, les Frères musulmans bénéficieraient encore de puissants relais au sein de la société, et se mobiliseraient contre le retour au scrutin individuel. L’Égypte a encore plusieurs mois de bataille politique devant elle.

 

 

 

 

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7 septembre 2013 6 07 /09 /septembre /2013 15:22

 

 

marianne.net

Mourir de ne pas enseigner
Samedi 7 Septembre 2013 à 05:00

 

Eric Conan

 

Voilà pourquoi il faut lire la dernière lettre de Pierre Jacque, enseignant de 55 ans au lycée Artaud de Marseille, qui vient de se suicider.

 

Salle de classe du lycée professionnel Marcel Deprez, illustration - DURAND FLORENCE/SIPA
Salle de classe du lycée professionnel Marcel Deprez, illustration - DURAND FLORENCE/SIPA
Cette semaine de rentrée des classes a été marquée par le suicide d’un enseignant de 55 ans, mais, curieusement, la presse, qui est toujours à la recherche de sujets et d’angles pour traiter de cette actualité scolaire aussi prévisible que répétitive s’est peu penchée sur ce geste tragique.

On se dit que c’est peut être un sage réflexe, car on le sait, on le répète, un « suicide-reste-toujours-un-mystère-humain-aux-facteurs-multiples-difficile-à-interpréter ». En l’occurrence ce n’est pas le cas, puisque certains médias nous ont précisé de façon macabre que l’intéressé avait évoqué l’idée de s’immoler devant son établissement ou indiqué qu’il avait laissé une lettre expliquant qu’il ne supportait plus les conditions de son métier, mais sans nous en dire beaucoup plus.  

C’est bien dommage. Car Pierre Jacque (c’est le nom de ce professeur de technologie et d’électronique en STI2G au Lycée Artaud de Marseille) a clairement décidé de son dernier acte et laissé un texte mûrement réfléchi qui constitue un véritable document sur le calvaire de professeurs motivés et conscients de l’état de délabrement de l’institution éducative.

La lecture intégrale de ce long texte kafkaïen vaut beaucoup d’enquêtes et de reportages sur le quotidien des enseignants. En effet, tout y est  du naufrage d’une institution : réformes absurdes, improvisées, contradictoires et inapplicables ; ravages de l’idéologie des pédagogistes fous, qui ne sévissent pas qu’en Français ou en Maths mais en Electronique également ; niveau de plus en plus faible d’élèves de moins en moins maitrisables ; conditions de travail concrètes (salles, matériels) impossibles ; programmes technologiques inadaptés au monde économique et à la fameuse « compétitivité », cynisme de la hiérarchie et des inspections qui savent tout mais font tout pour ne pas voir et ne pas faire savoir ; trucages des examens pour cacher le désastre ; etc… 

Dans son bilan, Pierre Jacque n’épargne pas les syndicats dont il dénonce l’inutilité et les complicités et il faut donc rendre hommage à la section du SNES-Aix-Marseille qui a quand même décidé de mettre en ligne sur son site cette lettre adressée à tous ses collègues enseignants. 

Pierre Jacque ayant fait l’effort de réfléchir à cette lettre et à la rédiger pour « tous ceux que (son) témoignage intéressera », avec peut-être avec un dernier espoir d’être encore un peu utile, la moindre des choses est de la faire lire au maximum.

 

  A ma famille, à mes proches et à tous ceux que mon témoignage intéressera. 
 
Objet : Evolution du métier d'enseignant. 
 
    Je vous fais part de ma décision de ne pas faire la rentrée scolaire 2013. En effet le métier tel qu'il est devenu au moins dans ma spécialité ne m'est plus acceptable en conscience. Pour éclairer ma décision je vous décris succinctement mon parcours personnel. Je suis devenu ingénieur en électronique en 1982 à l'âge de 24 ans. Ma formation initiale et surtout mon parcours professionnel m'ont amené à exercer dans la double compétence "hard" et "soft". Le métier prenant et difficile m'a toujours convenu tant que j'avais le sentiment de faire œuvre utile et d'être légitime dans mon travail. Passé la quarantaine la sollicitation de plus en plus pressente d'évoluer vers des tâches d'encadrement et le sort réservé à mes ainés dans mon entreprise m'ont incité à changer d'activité. En 1999 j'ai passé le concours du Capet externe de Génie électrique et j'ai enseigné en section SSI et STI électronique. Le choc pour moi fut brutal de constater la baisse de niveau des sections techniques en 18 ans passé dans l'industrie notamment pour la spécialité agent technique (niveau BTS ou DUT suivant les cas). Même si le niveau enseigné était bien bas de mon point de vue, ma compétence était au service des élèves et je me sentais à ma place. Une difficulté était quand même le référentiel applicable (le programme) datant des années 80, ambitieux pour l'époque et en total décalage avec le niveau réel des élèves des années 2000. Une réforme semblait souhaitable pour officialiser des objectifs réalistes et orientés en fonction des besoins du marché du travail.  

    Puis vint la réforme de 2010 mise en place par Luc Chatel et applicable à la rentrée 2011. Pour le coup, le terme réforme est faible pour décrire tous les changements mis en place dans une précipitation totale. L'enseignement des métiers est réduit à peu de choses dans le référentiel de 4 spécialités seulement qui constitue des "teintures" sur un tronc commun généraliste d'une section unique appelée STI2D qui rentre bizarrement en concurrence avec la section SSI. L'électronique disparait purement et simplement. En lieu et place il apparait la spécialité "Systèmes Informatiques et Numériques" (SIN). Cela ne me pose pas de problème personnel, je maitrise bien le domaine et je l'enseigne même plus volontiers que les classiques problèmes de courant de diode ou de montages amplificateurs.  

      Je me pose quand même la question de la compétitivité de notre pays dans le domaine industriel avec un pareil abandon de compétence. La mise en place de la réforme est faite à la hussarde dans un état d'affolement que l'inspection a du mal à dissimuler. Entre temps le gouvernement a changé sans que les objectifs soient infléchis le moins du monde ou qu'un moratoire soit décidé, ne serait-ce qu'à cause du coût astronomique de cette réforme. En effet il aura fallu réorganiser l'implantation de tous les ateliers de tous les lycées techniques de France, abattre des cloisons, en remonter d'autres à coté, refaire tous les faux plafonds, les peintures et renouveler les mobiliers. Ceci est fait à l'échelle du pays sans que la réforme ait été testée préalablement dans une académie pilote.  

    Début 2011, l'inspection nous convoque en séminaire pour nous expliquer le sens et les modalités de la réforme ; il apparait la volonté de supprimer toute activité de type cours ce qui est la radicalisation d'une tendance déjà bien marquée. On nous assène en insistant bien que l'élève est acteur de son propre savoir, qu'il en est le moteur. Pour les spécialités, donc la mienne SIN entre autre, cela signifie qu'une partie conséquente de l'activité sera de type projet. A l'époque les chiffres restent vagues, il est question de 50% du temps au moins. La nature des projets, la façon de les conduire, la façon de les évaluer ne sont pas évoquées et les questions que posent les enseignants à ce sujet restent sans réponses, nous serons mis au courant après la rentrée de septembre.  

    En attendant l'inspection nous fait entièrement confiance pour continuer comme d'habitude. Je fais remarquer qu'il ne faudra pas tarder car nous préparons les élèves au bac en deux ans et que la connaissance des modalités d'examens est incontournable rapidement après la rentrée pour un travail efficace, c'est-à-dire sans perte de temps. Lors de la réunion suivante, après la rentrée 2011, l'inspecteur répond un peu agacé à la même question « que notre travail c'est d'enseigner et que l'évaluation verra après » (sic). En attendant le travail devant élève est commencé et moi et mes collègues travaillons à l'estime. Le manque de matériel se fait cruellement sentir dans mon lycée, les travaux nécessaires ne seront faits qu'à l'été 2012. Lors d'une réunion aux alentours de février il nous est demandé pour la prochaine réunion d'exposer l'état d'avancement de la réforme et si possible les projets envisagés ou mieux déjà mis en œuvre.  

   A ce moment je viens juste de recevoir un premier lot de matériel et je ne dispose du logiciel correspondant que depuis novembre. La pression amicale mais réelle pour commencer les projets va aller augmentant. J'ai un groupe de 16 élèves et un autre de 15 dans une salle qui est déjà trop étroite pour recevoir proprement 14 élèves en travaux pratiques et avec un matériel réduit qui ne me permet qu'un choix très restreint de sujets. La phase passée en projet sera cauchemardesque pour l'enseignant et la fraction d'élèves sérieux. Le dernier mois de cette année de première sera passé en activités plus classiques. A la rentrée 2012 les élèves sont maintenant en terminale, j'ai les tables de travail prévues dans une salle provisoire de 80 m2 au lieu des 140 m2 prévus. Il est difficile de bouger, le travail en travaux pratiques reste possible et je couvre ainsi la partie communication réseau de référentiel au moyen d'un logiciel de simulation. Je ne dispose pas du matériel support. On me bricole une salle de 150 m2 à partir de deux salles de cours séparées par un couloir et j'attaque les projets dans ces conditions. Le couloir sera abattu aux vacances de février. 

     Pendant ce temps nous avons appris que la note du bac porterait uniquement sur le projet final est que la note serait constituée de deux parties égales, une attribuée par un jury en fin d'année suite à une soutenance orale avec support informatique, l'autre attribuée par l'enseignant de l'année au vu du travail fourni par les élèves. Les critères d'évaluation portent principalement sur la gestion de projet et la démarche de développement durable. Il est explicitement exclu de juger les élèves sur les performances et la réussite du projet. Ceci appelle deux remarques. La première est que les critères sont inadaptés, les élèves sont incapables de concevoir et même de gérer un projet par eux-mêmes. De plus la démarche de développement durable est une plaisanterie en spécialité SIN où l'obsolescence programmée est la règle.

Comment note-t-on alors les élèves ? A l'estime, en fonction de critères autres, l'inspection le sait mais ne veut surtout pas que la chose soit dite. Du coup cette note relève "du grand n'importe quoi" et ne respecte aucune règle d'équité. Elle est attribuée par un enseignant seul qui connait ses élèves depuis au moins un an et compte coefficient 6 ce qui écrase les autres matières. Cela viole l'esprit du baccalauréat dans les grandes largeurs. Je considère que ceci est une infamie et je me refuse à recommencer. L'ensemble du corps inspectoral est criminel ou lâche ou les deux d'avoir laissé faire une chose pareille. Cette mécanique est conçue dans une idée de concurrence entre les enseignants mais aussi entre les établissements pour créer une dynamique de très bonnes notes à l'examen y compris et surtout si elles n'ont aucun sens. Vous avez l'explication des excellents résultats du millésime 2013 du baccalauréat au moins pour la filière technologique. Cela fait plus d'un an que je me plains à mon syndicat de cet état de fait. Pas un seul compte-rendu ni localement sur Marseille ni à un plus haut niveau n'en fait mention. Je suis tout seul à avoir des problèmes de conscience. Ou alors le syndicat est activement complice de l'état de fait, le responsable local me dis : « Mais non Pierre tu n'es pas tout seul ». En attendant je ne vois aucune réaction et ce chez aucun syndicat. 
 


    Que penser ? Soit nous sommes muselés, soit je suis le dernier idiot dans son coin. De toute façon je n'accepte pas cette situation. Je pense au niveau toujours plus problématique des élèves, autrefois on savait parler et écrire un français très convenable après 5 ans d'étude primaire. Aujourd'hui les élèves bacheliers maitrisent mal la langue ne savent plus estimer des chiffres après 12 ans d'études. Cherchez l'erreur. La réponse de l'institution est : « Oui mais les élèves savent faire d'autres choses ». Je suis bien placé dans ma spécialité pour savoir que cela n'est pas vrai ! Les élèves ne maitrisent rien ou presque des techniques numériques d'aujourd'hui. Tout ce qu'ils savent faire est jouer et surfer sur internet. Cela ne fait pas une compétence professionnelle.  

   Les médias nous rabattent les oreilles sur la perte de compétitivité du pays en laissant entendre que le coût du travail est trop élevé. Cette présentation pèche par une omission grave. La réalité est que le travail en France est trop cher pour ce que les travailleurs sont capables de faire véritablement. Et là la responsabilité de l'Education nationale est écrasante. Qui osera le dire ? J'essaye mais je me sens bien petit. J'essaye de créer un maximum d'émoi sur la question.  

   J'aurais pu m'immoler par le feu au milieu de la cour le jour de la rentrée des élèves, cela aurait eu plus d'allure mais je ne suis pas assez vertueux pour cela. Quand vous lirez ce texte je serai déjà mort. 
 
Pierre Jacque  
Enseignant du lycée Antonin Artaud à Marseille

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7 septembre 2013 6 07 /09 /septembre /2013 12:14

 

networkvisio.com

06/09/2013

 

 

La liberté de manifester bafouée par la police à Strasbourg

 

 

  Une action symbolique de solidarité aux opposants au projet d'aéroport à Notre-Dame des Landes était prévue ce 6 septembre à Strasbourg à l'occasion de la venue de Jean-Marc Ayrault. Cependant, les sept personnes du collectif local de solidarité aux opposants au projet d'aéroport – connues et fichées par les renseignements généraux (DCRI) et la police – ont été empêchées de manifester, et ce, dans la capitale de la justice européenne.
 
L'un des participants donne son récit sur les réseaux sociaux : « alors que nous marchions sans aucun signes distinctifs visibles, sans avoir sortis de tracts, ni de banderoles sur un parking à 500 m du lieu où lePremier Ministre est attendu ce matin pour inaugurer la foire européenne, nous fumes arrêtés par une forte délégation policière (une bonne vingtaine d'hommes) et bien gradée (!) qui nous intima de nous arrêter, de donner nos pièces d'identité, procéda à des fouilles dans nos affaires et palpations et nous laissa le "choix" suivant : rentrer ou sa faire embarquer. tout en précisant qu'on allait être suivi toute la journée ».
 
Plusieurs fourgons de police avaient en effet été mobilisés pour sept ( !) personnes. La majeure partie du groupe a donc décidé de rebrousser chemin, mais fut tout de même encerclée près de France 3 Alsace, emmenée au poste et retenue pendant une heure. Aucune charge judiciaire n'a été retenue contre les participants puisque le but de leur retenue au poste n'était que de les empêcher de faire leur action de protestation ; il n'y a d'ailleurs aucune infraction légalement constituée dans le fait de marcher en petit groupe sans signes distinctifs sur la voie publique. La police a donc effectué une arrestation arbitraire.
 
Rappelons que le 27 juin 2013, le Conseil de l'Europe a épinglé la France pour de nombreuses arrestations arbitraires lors des manifestations monstres contre le projet de loi Taubira et réaffirmé que la participation à une manifestation – même non autorisée par les autorités ou spontanée était un droit fondamental que toute personne peut exercer. A l'époque, aucun grand média français ne s'était fait écho de cette condamnation européenne. Aujourd'hui l'on constate que les mauvaises habitudes policières s'enracinent. On ne comprend guère dans ces conditions l'acharnement du gouvernement français à « punir » la Syrie et à y donner des leçons de Droits de l'Homme si ses propres forces de police les foulent aux pieds sur son territoire.
 

La Préfecture de Strasbourg en porte-à-faux avec le droit européen
 
Il aurait été étonnant que la Préfecture s'accuse d'avoir commis quelque chose d'illégal, mais cependant, nous les avons joint. Pour eux, « Il y a de grands moyens mis en place pour la venue du Premier Ministre, rien de plus normal. Les policiers ont estimé que ces personnes étaient en situation de manifestation sur la voie publique, et constituaient un rassemblement non autorisé, puisqu'elles n'ont pas fait de déclaration, ce qui est contraire à la loi. » Pourtant, s'il y avait bien un groupe de sept personnes sur la voie publique, elles n'avaient alors pas de signes distinctifs (panneaux, signes, autocs…) et ne formulaient pas de revendications, donc deux des trois conditions cumulatives pour définir une manifestation n'étaient pas remplies. Ainsi, les policiers se sont basés sur le simple fait de l'attroupement. Donc n'importe quel groupe de personnes peut ainsi être dispersé.
 
La préfecture poursuit : « Le code pénal prévoit le contrôle d'identité des personnes, ce qui a été fait ». En effet, mais pas leurs fouilles. « Ces personnes se sont dispersées, mais se sont rassemblées ailleurs » près des locaux de FR3 Alsace. « Le code pénal prévoit dans ce cas une vérification approfondie d'identité, donc ils ont été menés au poste puis relâchés. Les forces de police étaient tout à fait dans leur bon droit ». Oui mais… la Cour Européenne des droits de l'Homme, sise à… Strasbourg, justement, rappelle souvent dans sa jurisprudence que le droit de participer à des manifestations même interdites est un droit politique fondamental, et que le pouvoir ne doit pouvoir entraver le droit de réunion. Visiblement, encore une fois, le pouvoir français foule ouvertement aux pieds le droit européen, pour pouvoir épargner à ses ministres la colère du peuple. Même quand il ne s'agit que de sept personnes.

LOUIS-BENOIT GREFFE

 

 

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7 septembre 2013 6 07 /09 /septembre /2013 11:34

 

nondisparitionassociations.net

3 septembre 2013

 

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Appel à une mobilisation commune pour le maintien des financements associatifs et la reconnaissance du rôle des associations dans la société

Pour signer l’appel cliquez ici !—

- See more at: http://syndicatpotentiel.free.fr/yacs/sections/view.php/57/association#sthash.eWxDYNjr.dpuf

Signez et faites signer largement autour de vous cet appel, faites connaître vos difficultés et vos possibilités d’action, en allant sur le site www.nondisparitionassociations.net

Les signataires appellent les associations et les citoyens à signer cet appel par leur signature et à participer à la semaine d’action organisée du 14 au 22 septembre 2013 pour engager un débat public sur l’avenir et le rôle des associations, défendre les financements associatifs, interpeller les pouvoirs publics et les élus, et si possible agir ensemble.

 

Pour signer l’appel cliquez ici !—


  Logo Collectifs Associations Citoyennes

 

 Pourquoi les Associations Citoyennes
se mobilisent

 

 

Les associations sont menacées

 

Les associations sont aujourd’hui menacées dans leur existence même, alors qu’elles constituent l'un des piliers de la vie culturelle, sociale et démocratique. Elles sont aujourd'hui durement frappées par les plans de rigueur successifs :

- Les adhérents ont de moins en moins la possibilité de participer au financement des associations et de leurs actions, et la crise accroît un repli individualiste et corporatiste qui pénalise l’engagement et le soutien des adhérents aux associations.

 - Les interventions de l'État et des collectivités ont régressé en 2013, d’où la multiplication des licenciements et la disparition de nombreuses associations qui jouent un rôle indispensable sur les territoires. 9000 emplois ont été perdus fin 2012 et début 2013, après une perte de 26 000 entre fin 2010 et juin 2011. Le nouveau plan de rigueur pour 2014 et 2015 risque de se traduire par un énorme plan social invisible (plus de 30 000 emplois) alors que le gouvernement affiche sa volonté d’inverser la courbe du chômage

Cela s'ajoute à des politiques publiques qui depuis 15 ans méprisent la vie associative en assimilant les associations à des entreprises commerciales, en les restreignant à un rôle de prestataires ou de sous-traitants, en les obligeant à se regrouper sous la contrainte, alors que la diversité associative est un trésor national, en multipliant les appels d'offres au détriment de relations partenariales. Les subventions ont baissé de 3% par an, tandis que la commande publique a crû de 9% chaque année.

Les associations sont en train de subir le même sort que les services publics depuis quelques années : une remise en cause de leur raison d’être au profit de logiques marchandes. Cela est inacceptable.

C’est pourquoi les associations citoyennes ont constitué une plate forme commune, qui a lancé un appel, signé aujourd’hui par 75 organisations nationales, 150 associations régionales ou départementales, 600 associations locales et plus de 4000 responsables associatifs ou citoyens à titre individuel.

Elles demandent la reconnaissance de leur rôle et de la diversité associative, la préservation de leurs activités à l’écart des logiques de concurrence, le maintien des financements associatifs, l'encouragement de la participation citoyenne et de relations partenariales entre associations et collectivités.

Cette plate-forme commune organise une semaine d'action du 14 au 22 septembre prochain. Ce document explique pourquoi les associations citoyennes se mobilisent.


 

 

La situation s'est fortement dégradée depuis 10 ans

 

La situation des associations s'est fortement dégradée au cours des dernières années avec :

 

- la rupture d'un certain nombre de financements de l'État et des collectivités. Cette baisse a été partiellement compensée par l'accroissement des financements des collectivités jusqu'en 2010, mais aujourd'hui celles-ci subissent à la fois à un accroissement important des besoins, une baisse des dotations de l'État et une réforme fiscale les empêchant d'accroître leurs ressources ;

 

- la transformation néolibérale de l'État : la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) et la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances) organisent le démantèlement de l’Etat. Cela conduit à une banalisation du secteur associatif qui favorise son instrumentalisation, le soumet à une logique commerciale et remet en cause la notion même d’intérêt général ;

 

- les pressions à la concentration des associations. Les pouvoirs publics comme l'Europe n'aiment pas le foisonnement associatif. Dans le secteur médico-social, les établissements sont invités à se regrouper en de grandes entités avec lesquels l'État passe des « appels à projets » visant à réduire les coûts, au détriment de la qualité du travail ;

 

- la multiplication des appels d'offres de la part de l'État et de nombreuses collectivités, reposant le plus souvent sur des critères de coûts. Présentés comme une solution à une soi-disant insécurité juridique née des textes européens, ils mettent en concurrence les associations entre elles et avec des opérateurs lucratifs, au détriment de l’innovation sociale ;

 

- la complexité croissante des procédures, qui devient dissuasive pour les petites et moyennes associations et favorise celles qui disposent d'un service juridique. Il en est de même des règles comptables et des règles fiscales, qui donnent un pouvoir discrétionnaire à l'administration des impôts pour juger de l'intérêt général ;

 

- les plans de rigueur successifs, réponse absurde et inefficace aux exigences des entreprises financières, conduisent à une nouvelle et forte régression des ressources publiques. Le recours aux financements privés (4 % des ressources des associations) n’est pas une solution.


 

Quelques chiffres

 

 

On compte 1,3 million d'associations en France. La très grande majorité (1,1 millions) sont de petites associations locales de bénévoles qui ne comptent aucun salarié. 32% des Français âgés de plus de 18 ans exercent une activité bénévole, soit 16 millions de bénévoles.

Plus de la moitié des 165 000 associations employeuses n’emploient qu’un ou deux salariés à temps plein ou partiel, mais 36 000 associations de plus de 10 salariés concentrent 82 % de l’emploi associatif (1 800 000 personnes, 1 000 000 en équivalents d’emplois à plein temps). Les 7 700 de plus de 50 salariés représentent 50 % de l’emploi total. L’écart ne cesse de s’agrandir entre quelques dizaines de milliers d’associations gestionnaires et l’immense majorité des associations.

Les financements de l’État ont considérablement baissé au cours des 7 dernières années (régression de 30 % en 5 ans). Les subventions se sont concentrées sur des très grosses associations : 758 associations reçoivent 955 millions d’euros, sur un volume total de subventions de 1 270 millions d’euros soit 75 % du total. Mais les 25 % restants correspondent à 20 000 subventions vitales pour un grand nombre d'associations et notamment pour les réseaux nationaux. 42 % des crédits vont à des associations parapubliques (AFPA, Météo, œuvres sociales des ministères, établissements d'enseignement supérieur, fondations politiques, musées, grandes institutions culturelles, Croix-Rouge, etc.).

Les collectivités assurent l'essentiel des financements associatifs. Elles ont compensé le recul de l'État jusqu'en 2010, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui : elles subissent le triple effet des transferts de compétences qui alourdissent leurs tâches obligatoires, des plans de rigueur et de la réforme fiscale de 2010 qui les empêche d'accroître leurs ressources propres.

Conséquence : 11% des associations sont en très grande difficulté, soit 140 000, et 47 % des dirigeants associatifs se disent insatisfaits (enquête 2013).

Les nouvelles mesures programmées pour 2014 et 2015 (nouvelle réduction de la DGF de 1,5 puis 3 milliards d'euros) ne peuvent que se traduire par un abandon des subventions pour les actions ne relevant pas des compétences obligatoires des collectivités, notamment pour ce qui concerne la culture, les sports et la jeunesse, l'environnement, la citoyenneté, la défense des droits, l’économie solidaire, avec des différences très importantes selon les situations locales, les politiques suivies et les secteurs.

Pour celles des associations qui emploient des personnels permanents, ce serait une véritable catastrophe qui se traduirait, sur le territoire national, par un énorme « plan social » plus important encore que ceux qui touchent l'industrie et les services, d’ampleur équivalente à celle des reconversions industrielles des années 1980. Plus de 30 000 à 40 000 emplois seraient supprimés (plus que les 26 000 emplois perdus en 2010-2011)

En outre, l'économie réalisée par l'Etat à cette occasion ne serait qu'illusion : la perte d’un emploi se traduit par des moindres rentrées de cotisations sociales et des allocations chômage, pour un montant parfois près de 2 fois supérieur à l’économie apparente réalisée.

Cette approche purement comptable doit être complétée par la prise en compte des effets indirects de ces mesures. Les suppressions d'emplois induites par ces fausses "économies" budgétaires se traduisent par une multiplication des souffrances sociales et des vies brisées dont les conséquences ne sont pas mesurables.

 


 

 

Quelques exemples de situations associatives

 

Intolérage a été créé par un groupe d'instituteurs et institutrices de Marseille pour éduquer les tout-petits et les jeunes à la citoyenneté et à la tolérance, partant du constat que dès la maternelle des exclusions réciproques tendaient à créer un climat de violence. Pendant 8 ans, Intolérage a développé de nombreuses activités d'éducation à la tolérance et le dialogue, créant une colonie de vacances et de multiples outils pédagogiques destinés aux enfants, aux parents et aux enseignants. Intolerage a disparu en 2010, victime des retards de paiement du Conseil général.

Prévention spécialisée en Seine-Maritime : 74 licenciements sur 140 éducateurs. Le budget du département de Seine Maritime pour l’année 2013, a diminué de 50% sa dotation pour la prévention spécialisée (de 6 874 208 € en 2012 à 3 462 237 €). 74 (sur 140) éducateurs de prévention spécialisée ont été licenciés. Cette mesure à court terme, liée à l'évolution d'une situation non maîtrisée des finances du département, méconnaît le travail de reconstruction du lien social comme une démarche globale qui s'adresse aux familles et contribue au mieux-vivre dans les quartiers populaires.

Accueil Goutte d'Or a accompagné depuis 1997 beaucoup d’allocataires du RMI à la Goutte d’Or qui n’étaient pas suivis dans leur parcours d’insertion. L’action avait été mise en place en s'appuyant sur les liens qui existaient depuis 20 ans avec les familles, des enfants, et l'immersion de l'association dans la vie du quartier. Depuis 2006, les appels d'offres ont remplacé les subventions. Cette année, AGO n’a pas été retenu par le Département de Paris, qui a scindé l'action en lots confiés à des associations différentes, étrangères au quartier, qui agissent à moindre coût.

CProg à Goussainville (Val-d'Oise) s'est trouvé en difficulté en 2012 à la suite d'un refus de co- financement du département et de la région pour des programmes déjà en cours. Ayant terminé l'année 2012 avec un déficit important, elle se voit refuser en 2013 les subventions « Politique de la ville » au prétexte que l'association hérite d'un passif que les pouvoirs publics ont eux-mêmes créé.

Page ouverte, à Nice, est une petite association qui accompagne les populations tziganes de l'agglomération. Leur voix est précieuse, car il n'existe aucun autre opérateur culturel local pour ces populations. Depuis deux ans, le maire de la ville, Christian Estrosi, leur refuse non seulement le bénéfice de subventions, mais aussi l'usage des locaux municipaux et même de la salle du centre d'accueil. Les cours ont lieu dehors, parfois sous la pluie.

A Caen, ARTEC, une association d'insertion,confie depuis longtemps à des ex-détenus des travaux d'imprimerie, et les accompagne dans leur réinsertion. Elle est aujourd'hui en difficulté, non pas à cause de baisse de subvention, mais parce qu'elle ne peut plus obtenir de commandes publiques avec des appels d'offres qui ne prennent pas en compte les autres finalités de ce type d'actions.

Femmes-relais survit tant bien que mal dans le 20e à Paris. L’association s’adresse depuis les années 1990 aux personnes étrangères ou issues des immigrations. Un travail de  qualité reconnu par tous. Depuis 2008, les subventions de l'Etat baissent et arrivent de plus en plus tard. Le renouvellement des contrats aidés est aléatoire, plus restrictif, avec des retards, empêchant toute action construite. L’association est en survie. Si elle disparaît, il faudra la remplacer par de coûteuses prestations privées. Une solution qui ne déplaît pas à tous.

 


 

 

Les associations sont indispensables

pour reconstruire un monde à finalité humaine

 

 

 

Plus la crise globale s'aggrave, plus les associations citoyennes sont indispensables pour résister, inventer des alternatives et construire un monde décent à finalité humaine.

La transition écologique. Chacun a conscience aujourd'hui que la catastrophe écologique rend nécessaire une véritable transition écologique. Celle-ci ne pourra pas réussir sans la transformation en profondeur des modes de vie, d'habitat, de consommation et de transports. Comment faire prendre conscience à l'ensemble des citoyens de cette nécessité sans les associations citoyennes, c'est-à-dire tournées vers le bien commun ?  

L'égalité et le vivre ensemble. De même, une société de l’égalité et du vivre ensemble ne peut pas voir le jour sans l'action des associations qui luttent contre les discriminations, multiplient les actions porteuses de lien social dans les quartiers et dans les territoires, jouent un rôle d'alerte et se battent au quotidien contre l'idéologie dominante qui encourage l'atomisation des individus.

L’éducation populaire constitue le principal levier pour permettre aux citoyens de reconquérir leur propre vie et de devenir citoyens d'un monde solidaire, développer les potentialités de chacun par les activités sociales, culturelles, artistiques, sportives. Elle est le fait de toutes les associations, même celles dont ce n'est pas l'objet principal, et de toute la société.

L'émergence d'une économie solidaire. Les associations ont un rôle principal pour faire émerger une économie solidaire, avec une solidarité interne (en lien avec la démocratie interne, des prises de décision partagées et la réduction des écarts de salaires), la solidarité avec le territoire, avec les bénéficiaires des services, avec l'ensemble de la société et les générations futures. 

Le développement des logiques de coopération et l’apprentissage de la démocratie. La reconstruction d'une société solidaire nécessite le développement de relations de coopération à tous les niveaux. Les associations constituent des écoles de coopération irremplaçables pour l'éducation citoyenne et pour l'apprentissage de la démocratie.

Chacun de ces points fait l'objet d'un chapitre du livre « Des associations citoyennes pour demain »[1] en montrant à travers des exemples comment les associations inventent des solutions et tracent à elles toutes les contours d'une alternative globale.


 

Une autre politique associative est possible

NB. Un document plus détaillé précise les mesures que demandent les associations  citoyennes (voir le lien)

 

 

Pour permettre aux associations de jouer ce rôle, une autre politique est possible, qui s'adresse à toutes les associations, et pas seulement à quelques milliers d'entre elles. La multiplicité des associations est une richesse nationale qu'il faut encourager. Cela se concrétise par huit demandes :

1. Reconnaître dans les faits la diversité associative et la spécificité des associations, notamment les petites et moyennes, et leur rôle dans l'intérêt général comme l'un des piliers de notre vie démocratique, sociale et culturelle et de la participation citoyenne.

2. Maintenir les crédits nécessaires dans le budget de l’État et des collectivités, en revenant sur la diminution de la dotation de l’État aux collectivités (DGF) en 2014 et 2015, en leur permettant de développer leurs ressources propres et en développant le volume de certains programmes budgétaires, notamment pour la Politique de la Ville, le développement rural, les têtes de réseaux.

3. Traduire la reconnaissance légale de la subvention, inscrite dans le projet de loi sur l’Économie sociale et solidaire, dans les pratiques de l’État et des collectivités, en développant les subventions de fonctionnement avec des moyens de financement permanents. Reconnaître que, dans leur très grande majorité, les associations n’ont pas besoin de mandatement pour recevoir un soutien public car celui-ci est inférieur aux seuils européens.

4. Compléter la loi sur l’Économie sociale et solidaire par une loi cadre qui affirme le caractère non économique de certaines actions ayant pour finalité l’intérêt général (et non la fourniture de prestations), et sanctuarise certains services qui nécessitent, par leur nature, d’être réalisés sur une base non lucrative (par exemple, la petite enfance).

5. Lutter contre les politiques délibérées de certaines collectivités et de l’Etat visant à réduire le nombre d’associations, et définir un cadre juridique, comptable et administratif adapté aux petites et moyennes associations (notamment des conventions simplifiées).

6. Reconnaître à travers les politiques publiques le rôle indispensable des associations citoyennes dans l’amorce de la transition écologique, le renforcement du lien social, la participation citoyenne, l’épanouissement des personnes à travers le sport, la défense des droits, la culture, l’éducation populaire, l’économie solidaire.

7 Donner une place centrale à la participation citoyenne dans la deuxième et la troisième  loi de décentralisation, à travers la prise en compte d’amendements au projet de loi favorisant un développement local participatif, durable et solidaire et des relations partenariales entre les associations et les collectivités.

8. Faire du développement associatif un engagement du Premier ministre. En effet, ces enjeux concernent de nombreuses politiques publiques. La consolidation de la vie associative, annoncée par le Président au cours de sa campagne, doit faire l’objet d’un engagement interministériel.

 

En d’autres termes, une autre orientation est nécessaire par rapport à la logique néolibérale qui a prévalu jusqu’ici. La crise dans laquelle la France et l'Europe sont engagées ne sera résolue que par une rupture avec les politiques d’austérité et la domination des règles du « marché ». Il est urgent de reconnaître l’apport décisif des associations à la reconstruction d'une société solidaire, démocratique et écologiquement responsable.



[1] Didier Minot « Des associations citoyennes pour demain »  aux Editions Charles Léopold Mayer, disponible en librairie le 16 septembre 2013

 

 

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7 septembre 2013 6 07 /09 /septembre /2013 11:13

 

 

notavfrance.noblogs.org

 

Erri de Luca: “Il faut saboter le T.A.V”

Post italien


“L’écrivain Erri De Luca, joint au téléphone, commente de manière laconique l’accusation que le procureur Giancarlo Caselli lance envers les intellectuels qui, à gauche, “sous-évaleunt dangereusement l’alarme-terrorisme” dans la vallée de Susa.
Caselli ne donne pas les noms des “connivents” mais dans la liste il est clair que figurent le philosophe Gianni Vattimo et De Luca qui ont manifesté publiquement leur soutien aux activites No Tav emprisonnés pour sabotage. Il y a quelques jours Vattimo a attiré l’attention du parquet de Turin pour ses liens étroits avec les franges les plus dures du mouvement tandis que l’écrivain a signé une intervention très dure dans le volume qui vient de sortir “Nemico pubblico, Oltre il tunnel dei media: una storia No Tav” (‘Ennemi public, Au-delà du tunnel des médias: une histoire No Tav”), ebook consacré à la lutte de la vallée écrit avec la journaliste Chiara Sasso, Wu Ming1 et Ascanio Celestini.
Hier [30 août, ndr] deux autres jeunes appartenant aux No-Tav ont été arrêtés tandis qu’ils transportaient en voiture des molotovs, des masques à gaz, des frondes, des pinces coupantes, des clous à quatre pointes et d’autre matériel destiné, selon les enquêteurs, à endommager les chantiers de la Grande Vitesse. C’est justement ce dernier épisode qui pousse Caselli contre ce qu’on appelle les “méchants maîtres”. De Luca a lu les déclarations du magistrats mais il ne bronche pas. Ce n’est pas un homme loquace. Il répond avec fermeté et sans appel.

Erri de Luca, est-ce que le procureur en chef de Turin a raison quand il met en avant le terrorisme No Tav?
Caselli exagère.
Peut-être qu’il exagère mais dans leur voiture les deux jeunes gens avaient embarqué des molotovs…
(il sourit ironiquement)… Oui du dangereux matériel de quincaillerie. Exactement ce qu’on fournit normalement en dotation aux terroristes. Je m’explique mieux: il faut saboter la TAV. Voilà à quoi servent les pinces coupantes: elles sont utiles pour couper les grillages. Aucun terrorisme.
Donc sabotage et vandalisme sont licites?
Ils sont nécessaires pour faire comprendre que la TAV est une oeuvre nocive et inutile.
Ils sont licites aussi quand ils frappent des entreprises qui travaillent pour la Grande Vitesse comme celle de Bussoleno, fermée pour les dégâts infligés continuellement? Est-ce qu’on ne risque pas un conflit entre les travailleurs et les habitants de la vallée?
La TAV ne se fera pas. C’est très simple.  
Votre position est claire. Mais elle est à l’opposée de celle prise par le gouvernement.
 Ce n’est pas une position politique, mais bien une décision prise par les banques et par ceux qui doivent en tirer profit aux dépens de la vie et de la santé d’une vallée entière. La politique a simplement et servilement donné le feu vert.
De ce pas, affirme Casseli, nous arriverons au terrorisme. Vous en revanche quelle solution proposez-vous?
Je ne sais ce qui va pouvoir se passer. Mais je me permets une prophétie: la TAV ne sera jamais construite. Pour l’heure, la vallée entière est militarisée, l’armée surveille le chantier et les résidents doivent montrer leurs papiers pour aller travailler la vigne. Les tables rondes avec le gouvernement ont échoué, les médiations ont échoué: le sabotage est la seule option.
Politiquement, comment cela se résout-il?
Il arrivera un gouvernement qui prendra acte de l’évidence: la vallée ne veut pas du chantier. Et enfin il donnera l’ordre aux troupes de rentrer à la maison.”

Commentaire personnel de Serge Quadruppani :
“On n’a jamais changé une société en respectant ses règles: c’est pour avoir oublié depuis longtemps cette banalité de base que la gauche historique a depuis longtemps cessé d’exister en Italie comme en France. Heureusement qu’il y a des écrivains comme Erri de Luca ou des activistes comme ces syndicalistes andalous qui viennent de sortir 30 chariots de fournitures scolaires d’un supermarché pour les distribuer aux enfants, pour  rappeler la post-gauche au principe de réalité. Plongée comme elle l’est dans l’hallucination provoquée par la répétition depuis des décennies du mantra de la légalité,  on peut parier qu’elle aura très bientôt un réveil difficile.”

traduit de Leur Presse (Huffington) par Serge Quadruppani

 

 

 

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notavfrance.noblogs.org

 

Communiqué – Eté No Tav 2013

imagesUn nouvel été de lutte et de résistance No Tav vient de s’achever. Un été qui a vu s’exacerber encore et encore les provocations de la justice d’Etat et le niveau de criminalisation du mouvement par les médias vendus au lobby sitav. Les journalistes, de la Stampa à la Repubblica en passant par Panorama, travaillent main dans la main avec les juges afin de désinformer et de construire la peur du No Tav : monstres vêtus de noir, incendiaires, kidnappeurs de chauffeur de camion ou pire terroristes. Mais que s’est-il vraiment passé cet été en Val de Suse?

A la fin du printemps, avec le camping des lycéens, commence le cycle des marches au chantier et des blocages des entreprises du tav. Et l’on voit déjà voler les premiers « fogli di via » (interdiction de territoire) et dénonciations. En juillet, le très fréquenté camping de lutte de Venaus est lancé alors que sur le chantier clôtures et barbelés sont renforcés. La marche nocturne du 19 juillet, le pic des affrontements de cet été, s’est terminée avec 7 arrêtés, 63 blessés graves, et les violences sexistes subies par Marta et donc par toutes les femmes No Tav, sous les yeux des deux procureurs qui persécutent la vallée. Et nous sommes déjà au mois d’août lorsque tombent les accusations de terrorisme et leurs subséquentes perquisitions aux aurores. A peine le temps d’organiser une contre-manifestation, qu’arrive la “taupe”.

La foreuse est introduite par petits bouts, camouflée en transports pas si exceptionnels que ça. Tandis que le camping de lutte déménage à Chiomonte, les No Tav s’organisent pour déranger au maximum les transports de la “taupe” avec des blocages-surprise. Afin de surveiller l’autoroute vers le chantier du tav, un nouveau presidio se crée au Vernetto, c’est-à-dire au rond-point de Chianocco qui a déjà été le lieu de rassemblements et d’affrontements dans le passé. Ce presidio devient très rapidement un nouveau point de convergence pour la lutte. Celle-ci est toujours aussi forte et peuplée ce qui dément les cris de victoire des sitav pour qui le mouvement serait divisé, affaibli et sans plus d’espoir de victoire après le passage du premier bout de la foreuse. Puis rapidement une nouvelle intervention de masse de la police le 6 août alors que nous nous approchions d’un camion sans doute effectivement à destination du chantier: 3 arrestations et 17 garde-à-vue. En parallèle les No Tav organisent et font vivre également un camp dans les bois de la Clarea, près du chantier, dans l’objectif de surveiller l’avancement des travaux de très près. L’opération de surveillance du chantier dérange au plus haut point et la magistrature décide d’arrêter Giobbe, un camarade (assigné à résidence après quelques semaines de prison) en utilisant les accusations les plus incongrues (séquestration de personne) pour des faits remontant à l’année dernière. Comme si les initiatives du mouvement pouvaient dépendre d’un seul individu et prendre fin par une arrestation ! L’été se clôture par les dernières “battitures” et petit-déjeuners/blocages devant l’entrée du Chantier route de l’Avanà et par la semaine d’ “Université des luttes” organisée par les étudiants à Venaus. Et par les dernières perquisitions et obligations de résidences à domicile tombées la semaine dernière pour 7 camarades en lien avec les blocages des camions en direction du chantier, de même que l’arrestation de Davide et Paolo deux étudiants toujours en prison actuellement et d’une voiture composés de trois français et deux russes, dénoncés mais libres.

Malgré le climat pesant, les campings de lutte ont été, cette année à nouveau, un point de référence et de rencontres pour tou.t.e.s celle/ux qui viennent de plus ou moins loin apporter leur solidarité, en prenant des risques judiciaires conséquents. Ces deux derniers mois nous avons rencontré de très nombreuses personnes provenant de tous pays. Toutes et tous prêt.te.s à donner de leur temps pour lutter, découvrir et comprendre le mouvement, discuter de ce qui est imposé à la Vallée de Suse, venus voir de leur propres yeux la dévastation en cours en Val Clarea.
L’autogestion est certes toujours une activité des plus absorbantes, toutefois les campings nous ont laissé le temps de créer des liens et de nous confronter sur nos ‘idées et pratiques, ce qui est l’expérience la plus enrichissante qui soit.
Nous savons créer ce qu’ils veulent détruire : notre capacité à nous rencontrer, à nous connaitre, à discuter et analyser ensemble des thématiques qui nous sont à cœur, à nous unir et lutter ensemble. C’est là est notre arme la plus puissante et la plus crainte.
C’est pour cette raison que nous voulons répéter notre inébranlable et totale solidarité aux camarades étrangers qui ont subi les mesures répressives inventées dans ce laboratoire judiciaire nommé Val de Suse.
Nous sommes bien conscients que le parquet de Turin utilise tous les moyens à sa disposition pour effrayer ceux qui viennent témoigner de leur solidarité Val de Suse sans pour autant vivre en Italie. Globaliser la lutte est une ambition qui fait trembler nos ennemis. Mais nous résistons et nous savons que nous ne serons jamais seuls. Nous exprimons notre gratitude à tou* celle/ux qui ont “sacrifié” leurs vacances et leur temps pour s’unir à la lutte No Tav, car nos raisons sont universelles.
L’expulsion imposée au pacifiste espagnol Enrique, tout comme les dénonciations à l’encontre d’Adrian, Sami et François et des deux camarades russes, n’arrêteront jamais ni la solidarité, ni la circulation des personnes et des idées.

Les No tav n’ont pas de frontière, vous n’arrêterez jamais un mouvement sans confins.

A sarà düra
Comité No Tav Paris
02/09/2013

Pour écrire aux deux camarades  arrêtés : Davide Forgione – Casa circondariale Lorusso- Cotugno, Via Maria Adelaide Aglietta 35 – Torino Italy et Paolo Rossi – Casa circondariale Lorusso- Cotugno, Via Maria Adelaide Aglietta 35 – Torino Italy.

 

 

 

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7 septembre 2013 6 07 /09 /septembre /2013 11:03

 

 Alternatifs.org

 

 

Pour communiquez vos dates, contactez

 

 

 

 

 

 

LES INDIGNE/E/S -  AG mercredi et samedi  à 19h Maison Carrée


Le mardi Repas à l’Assoc Côté Jardins Solidaires 0466845199(9 et 5 euros)


Permanences personnes âgées mercredis 13h30 à 17h30 Association AZUR 0466238606


Mercredi 18h RESF Nîmes au local de l’APTI


Agenda Démosphère Gard-Cévennes http://gard.demosphere.eu

 


Dates

Evènement

Lieu

heure

Samedi 7 septembre

Journée d’étude de rentrée du Front de Gauche sur les élections Municipales 2014 :ateliers, plénière

Prolé d’Alès

9h à 16h30

Samedi 7/9

Forum des Associations /AFPS : 106/

Croco vélo 84

Nîmes Esplanade

 

Dimanche 8/9

Vide grenier Gambetta+ musique Halles

Boul Gambetta

8 à 18h

Lundi 9/9

Film « Grand Central »un ouvrier dans une centrale nucléaire … débat avec le Collectif Halte au nucléaire Nîmes et  P.Péguin

Le Sémaphore

20h30

10 septembre

Journée d’action pour les RETRAITES + Manif

Jardins Fontaine

15h

 Mardi 10 septembre

Atelier de travail du Front de Gauche pour les élections Municipales 2014 : se loger à Nîmes

23 Place Léonard de Vinci.Pissevin

18h

Mardi 10/9

Collectif anti gaz  de schiste Nîmes

Brasserie le « 34 »

18h30

Mardi 10 ou mercredi 11/9

Soirée d’ouverture saison Périscope

Théâtre du Périscope

19h

Mercredi 11 /9

A l’invitation de Gardarem la Terra Présentation officielle des actes du Colloque Robert Lafont « la haute conscience d’une histoire »

Maison du Département

18h30

Jeudi 12/9

Vernissage tableaux D.Moralès

La Petite Fadette

17h

Jeudi 12/9

Atelier réflexion du Front de Gauche : « Pour un autre urbanisme, un autre aménagement de la ville »

Cercle de l’Avenir, rue Nicot

18h

Jeudi 12/9

+13/14 et 15/9

Féria de Nîmes : vernissage de Moho + fanfare « hijos de tuba »« chez Jany »

Rue de l’Etoile

19H

Vendredi 13 et samedi 14/9

Féria de Nîmes : Bodega RESF

La Placette

19h30+++

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6 septembre 2013 5 06 /09 /septembre /2013 17:57

 

 

reporterre.net

 

vendredi 6 septembre 2013

 

 

 

Depuis août, le mouvement lancé par les organisations paysannes en Colombie s’est élargi à d’autres couches de la société. Les paysans protestent contre la politique du gouvernement qui privilégie les intérêts de l’industrie agro-alimentaire et néglige, voire criminalise, l’agriculture paysanne locale.


Le 19 août, les organisations paysannes colombiennes ont lancé une grève nationale massive. Elles ont bloqué les routes, déversé du lait sur les voitures et pratiquement stoppé la production alimentaire à destination des villes. Le problème ? Les moyens d’existence de ces agriculteurs sont radicalement remis en cause par les politiques du gouvernement.

L’État ne fournit presque aucun soutien au secteur de la petite agriculture [1]. Au lieu de cela, l’Etat adhère à un modèle économique et social qui sert les intérêts d’une riche élite minoritaire. Les Accords de libre-échange (ALE) signés récemment avec les États-Unis et l’UE entraînent un dumping par rapport aux producteurs colombiens, qui ne peuvent pas rivaliser avec les importations subventionnées [2].

Le gouvernement colombien a activement favorisé l’accaparement des terres par des grandes entreprises, dont beaucoup sont étrangères (Monica Semillas du Brésil, Merhav d’Israël, Cargill des États-Unis), afin de promouvoir une agro-industrie orientée vers l’exportation au détriment d’une agriculture familiale orientée vers la souveraineté alimentaire.

Mais les manifestants ont fait valoir que le secteur agricole a besoin d’un réel soutien, notamment sous la forme d’un accès à la terre et d’une baisse des coûts de production. Sinon, les cultivateurs colombiens de pommes de terre et de café, les producteurs de produits laitiers et de viande, sans compter les petits pêcheurs, ne seront pas en mesure de suivre. Ils sont en train d’être expulsés et exterminés.

Le dos au mur, les agriculteurs ont engagé un mouvement de mobilisation dans une partie du pays en juin, qui s’est développé et transformé en une action nationale coordonnée durant le mois d’août. La grève des agriculteurs a été rapidement soutenue par d’autres secteurs : les travailleurs de l’industrie pétrolière, les mineurs, les camionneurs, les professionnels du secteur de la santé et d’autres. Le 29 août, une dizaine de jours après le début de la grève, plus de 20 000 étudiants ont rejoint le mouvement et bloqué la capitale, Bogotá.

La réponse du gouvernement a été chaotique et contradictoire. Les forces de police ont violemment réprimé et blessé un grand nombre de manifestants, sans parler des journalistes. Plus de 250 personnes ont été arrêtées, notamment un important dirigeant syndical, Hubert Jesús Ballesteros Gomez, principalement sur de fausses accusations. Un certain nombre de personnes ont perdu la vie dans les deux camps.

À un moment, le gouvernement a reconnu que les griefs des agriculteurs étaient fondés et a proposé quelques concessions. À un autre, il a affirmé que le mouvement était infiltré par les FARC. Le président Santos est même allé affirmer à la télévision que « la grève des paysans n’exist[ait] pas. » Le lendemain, il a été filmé depuis un hélicoptère, inspectant les affrontements et les gaz lacrymogènes qui envahissaient les rues de Bogotá.

La mobilisation a remporté un grand succès en ouvrant un espace de discussion, de conscientisation, de solidarité et de résistance en Colombie. Les étudiants, par exemple, étaient enthousiastes pour soutenir les agriculteurs et appuyer leurs revendications. Ils se sont rassemblés bruyamment contre les OGM et pour la souveraineté alimentaire.

Mais ils ont aussi voulu mettre en avant leurs propres exigences en matière d’éducation publique gratuite, ce qui a permis à la mobilisation d’aller dans le sens d’une vague de pression sociale plus large visant à changer les politiques actuelles de la Colombie, sans se cantonner aux préoccupations paysannes.

La Loi 970

La question des semences est devenue très médiatisée. En application de l’ALE signé avec Washington, ainsi que de celui signé avec Bruxelles, Bogotá a l’obligation d’assurer des droits de monopole légal sur les semences vendues par des sociétés américaines et européennes à titre d’incitation pour leur permettre d’investir en Colombie. Les agriculteurs qui sont pris à vendre des semences de ces variétés conservées à la ferme, ou simplement des semences indigènes qui n’ont pas été officiellement enregistrées, pourraient s’exposer à des amendes ou même à des peines d’emprisonnement. [3]

Comme cela s’est passé dans de nombreux autres pays à travers le monde, cette criminalisation des droits des agriculteurs et des peuples autochtones de conserver, échanger et vendre les semences met en péril la biodiversité du pays et son patrimoine.

Même s’il est vrai que le gouvernement colombien a évolué dans ce sens depuis de nombreuses années, et a accepté des politiques de ce type dans le cadre de son adhésion à la Communauté andine ou à l’Organisation mondiale du commerce, beaucoup font remarquer que ce n’est que depuis la signature des ALE avec les États-Unis et l’UE que le gouvernement cherche sérieusement à les mettre en œuvre.

L’année dernière, les autorités colombiennes ont pris d’assaut les entrepôts et des camions de riziculteurs dans Campoalegre, dans la province de Huila, et ont violemment détruit 70 tonnes de riz qui, selon elles, n’avaient pas été traitées conformément à la loi.

Cette intervention militarisée pour détruire des semences paysannes a choqué de nombreuses personnes, et a amené une jeune militante chilienne, Victoria Solano, à faire un film sur ce sujet. Le film s’appelle « 9.70 » parce que c’est le numéro de la loi adoptée en 2010 qui énonce le droit pour l’État de détruire les semences paysannes si elles ne sont pas conformes. [4]

Aujourd’hui, grâce à la force, la ténacité et la légitimité de la protestation des agriculteurs, des gens de tous les milieux de la société colombienne discutent de ce film, comme on peut le voir dans les médias, les réseaux sociaux et dans les rues, et demandent pourquoi le gouvernement mène ces politiques insensées.

Soutenez le mouvement

Les agriculteurs colombiens peuvent très bien nourrir le pays, de façon à fournir des emplois et assurer leur dignité et un environnement sain, cela ne fait aucun doute. Mais le gouvernement est trop fermement attaché à un modèle économique qui répond à des intérêts de copinage et ne prévoit aucune place pour les petites exploitations agricoles familiales. Nous devons tous soutenir la lutte agraire populaire en Colombie pour renverser ce modèle. Il n’est pas trop tard.

Une petite action concrète est possible : le film documentaire « 9.70 » - que vous pouvez regarder en ligne en espagnol à cette adresse - recherche des fonds pour produire une version sous-titrée en anglais afin que davantage de gens dans le monde puissent comprendre ce à quoi sont confrontés les agriculteurs colombiens et les aider à mettre en échec ces politiques. La plus petite contribution est utile. Allez sur ce lien pour participer. La date limite est le 10 septembre !

Autre action significative, la Coordination latino-américaine de La Via Campesina cherche à lancer des initiatives de solidarité internationale pour soutenir la grève. Allez ici pour en savoir plus. Encore une fois, il est essentiel d’agir rapidement !

Au-delà de la Colombie, la bataille sur des textes de lois similaires sur les semences fait rage en ce moment à un niveau politique très élevé, et à travers la campagne, au Chili ainsi qu’en Argentine. Une des inquiétudes tient au fait que certains des éléments les plus agressifs adoptés par le gouvernement colombien pourraient aussi se frayer un chemin vers d’autres pays d’Amérique latine. La nécessité d’abolir ces lois est donc vraiment urgente !


Notes

[1] Près d’un tiers de la population colombienne vit dans les campagnes et près de 60 % des habitants des zones rurales connaissent, dans une certaine mesure, la faim. Voir Paro Nacional Agrario y Popular, Pliego de Peticiones.

[2] Les effets n’en sont qu’à leurs débuts, mais ils sont bien réels. Les exportations agricoles américaines vers la Colombie ont grimpé de 62 % au cours de la première année de l’Accord, tandis que les exportations agricoles colombiennes vers les États-Unis ont baissé de 15 %. (Voir USTR, et Portafolio)

[3] Pour être enregistrées et certifiées, les semences doivent répondre à des critères d’homogénéité et de stabilité génétique adaptés aux procédés agro-industriels. Cela exclut, par définition, les semences paysannes - ou variétés criollo, comme on les appelle en Colombie - qui ont tendance à être diversifiées, adaptatives et dynamiques. Selon les règles actuelles en vigueur en Colombie, si un agriculteur veut planter des semences criollo, il/elle doit obtenir l’autorisation du gouvernement, ne peut le faire qu’une fois et que sur cinq hectares ou moins, et doit consommer la totalité de la récolte à la maison (il ne peut pas la vendre sur le marché).

[4] Voir la page Facebook du film et sur Twitter : rechercher #NoMas970. Au cours des trois ans d’existence de la loi 970 à ce jour (2010-2012), le gouvernement a rejeté ou détruit près de 4 000 tonnes de semences.


Pour aller plus loin :

• Grupo Semillas, « Colombia : Las leyes que privatizan y controlan el uso de las semillas, criminalizan las semillas criollas », Bogotá, 26 août 2013
« La historia detrás del 970 », Semana, Bogotá, 24 août 2013
• Julia Duranti, « A struggle for survival in Colombia’s countryside », 30 août 2013

Visitez le site bilaterals.org pour une couverture plus complète (en anglais, français et espagnol) sur la grève générale agraire et la lutte contre la loi 970 dans ce cadre.

Pour plus d’informations sur les luttes autour des lois sur les semences en Colombie, veuillez contacter le Grupo Semillas (« Groupe Semences ») à l’adresse semillas@semillas.org.co, ou visitez son site Web.



Source et photos : GRAIN

Lire aussi : La Colombie vit sous un régime de terreur

 

 

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6 septembre 2013 5 06 /09 /septembre /2013 17:09

 

 

 

reporterre.net

 

L’empreinte eau, le nouvel indicateur pour mesurer le gaspillage d’eau douce

Andrea Barolini (Reporterre)

mercredi 4 septembre 2013

 

 

 

Chacun des aliments que nous mangeons, chaque produit que nous utilisons, requièrent de grandes quantités d’eau pour leur production. Un gaspillage invisible se produit ainsi, alors que la disponibilité d’eau douce va devenir un problème de plus en plus crucial. Le concept d’"empreinte eau" permet de mesurer ces consommations.

 


 

Combien d’eau y a-t-il dans nos tee-shirts ?

Si on se pose la question de savoir combien d’eau est nécessaire pour obtenir les produits que nous utilisons, mangeons, consommons, on peut facilement comprendre qu’il en faut des quantités non négligeables pour produire un kilogramme de fruit ou de légumes. Il faut en fait arroser les plantes et les arbres, parfois dans des régions arides. Toutefois, la même réflexion est applicable aux produits qui, apparemment, ne sont pas particulièrement exigeants, mais qu’en réalité sont souvent bien plus « assoiffés ».

Savez-vous, par exemple, quelle quantité d’eau est nécessaire pour produire un steak-haché, un papier, un tee-shirt en coton ? Ou bien pour satisfaire les nécessités d’un individu, d’une usine, d’une communauté, voire d’une nation ?

La réponse est donnée par le concept d’« empreinte eau » (water footprint), c’est-à-dire un indicateur de l’usage direct et indirect de l’eau par le consommateur (ou par le producteur). Elle permet de quantifier une eau qu’on pourrait définir comme « invisible », mais qui existe et dont on devrait tenir compte pour éviter de gaspiller une ressource vulnérable, qui deviendra de plus en plus rare sur la planète.

Chacun de nous, en fait, utilise beaucoup d’eau pour se laver, pour boire, pour arroser les plantes, pour cuisiner. Mais celle-ci n’est que la partie évidente de la consommation, celle qu’on arrive facilement à calculer et qu’on peut aussi économiser.

Au contraire, quand on mange de la viande, il est probablement difficile d’imaginer que la production d’un kilogramme de bœuf a requis 16 000 litres d’eau, que 140 litres sont demandés pour une tasse de café ou que 20 000 litres sont nécessaires pour un tee-shirt en coton.

Aujourd’hui, en fait, la culture et le travail du coton requièrent globalement 256 milliards de mètres cubes d’eau par an. Tandis que pour la production mondiale de viande, l’humanité utilise 2 422 milliards de mètres cubes d’eau par an. 98% de cet usage est lié au fourrage des animaux (principalement pour la culture de l’orge, du foin ou des légumineuses), alors que seulement 1,1% est utilisé pour abreuver le bétail.

 

Une douche durant vingt-quatre heures pour un kilogramme de thé

 

Pour se représenter les volumes d’eau impliqués, imaginons laisser les robinets de la douche complètement ouverts une journée entière. Jour et nuit, 24 heures, sans pause. Si on considère un débit moyen de sept à huit litres par heure, à la fin on aura gaspillé 9 000 litres. Exactement ce qu’il faut pour obtenir un kilogramme de thé, en considérant la culture, la récolte et le travail du produit.

De même, pour un kilo de café on a besoin de 20 000 litre d’eau (c’est-à-dire plus de 2 200 caisses de bouteilles de 1,5 litres chacune). L’empreinte eau d’un steak haché a été calculée à 2 400 litres, tandis que pour une paire de chaussures on atteint les 8 mille litres. Tous ces chiffres sont tirés sur le site internet du Water Footprint Network, présentant un outil permettant de calculer l’empreinte eau de nombreuses marchandises).

Ces calculs ont été effectués pour la première fois en 2007 par Arjen Y. Hoekstra, professeur de Gestion Hydrique à l’université de Twente (Pays-Bas), et Ashok Kumar Chapagain, directeur scientifique du Water Footprint Network, association à but non lucratif néerlandaise qui a pour objectif de sensibiliser les citoyens et les administrateurs sur le problème de la consommation d’eau douce.

 

 

L’intérêt de l’empreinte, a affirmé Hoekstra, « est lié à l’impact humain sur les systèmes d’eau douce. Les problèmes comme le manque d’eau et la pollution peuvent être mieux compris et abordés si on considère la production et l’offre dans l’ensemble ».

C’est pourquoi le problème doit être analysé dans le contexte de la mondialisation économique : « Beaucoup de pays, a expliqué Hoekstra, ont externalisé sensiblement leur empreinte eau par l’importation des marchandises intensives en eau. Ceci met la pression sur les ressources dans les régions exportatrices, régions où il y a souvent un manque de mécanismes de gouvernance sage et de conservation d’eau ».

L’Europe importe de l’eau en catimini

Pour les grandes entreprises, donc, il s’agit d’épargner, grâce à l’importation, des marchandises qui nécessitent de grosses quantités d’eau douce, en profitant des faibles règles imposées dans certains pays sur leurs ressources hydriques. 84% de l’empreinte eau liée à la consommation de coton dans l’Union Européenne, par exemple, est délocalisée loin de chez elle, en particulier en Inde et en Uzbekistan.

C’est une stratégie de maximisation du profit qui néglige le fait que - selon le dernier rapport des Nations Unies Perspectives de la population mondiale : révision de 2012 -, la population actuelle de 7,2 milliards devrait augmenter de près d’un milliard de personnes au cours des douze prochaines années, pour atteindre 8,1 milliards en 2025, 9,6 milliards en 2050 et 10,9 milliards en 2100.

En outre, la progression sera plus rapide dans les 49 pays les moins développés, lesquels verront leur population doubler, en passant de 900 millions aujourd’hui à 1,8 milliard de personnes en 2050. Cela devrait nous obliger à être parcimonieux, parce qu’il y a le risque concret de voir des conflits se déclencher, surtout dans les pays moins riches en eau douce.

« L’empreinte eau actuelle, explique à Reporterre Renzo Rosso, professeur d’hydrologie au Polytechnique de Milan, peut être améliorée en introduisant deux nouveaux critères : le commerce de l’eau et le stress hydrique. On a besoin, en fait, de considérer la commercialisation de l’eau dans les calculs de l’empreinte eau. Si l’on mange de la viande de bœuf qui provient d’Argentine, on aura importé huit mille litres d’eau. C’est pourquoi il s’agite d’un problème strictement lié aussi au concept de ’circuit court’.

En second lieu, il faut comptabiliser le niveau de stress hydrique de la communauté où on calcule l’empreinte eau. On ne peut pas considérer la consommation hydrique dans les régions riches de la même façon que dans celles pauvres d’eau ».

Pour l’instant, en effet, l’empreinte eau a été calculée seulement au niveau quantitatif pour chaque pays. Les résultats des analyses d’Hoekstra indiquent que les Etats-Unis sont la nation présentant l’empreinte eau par tête la plus élevée, suivis par l’Italie et par la France. « Mais on ne doit pas se concentrer seulement sur les données. Il faut se demander aussi quel type d’eau est utilisée, souligne à Reporterre Francesca Greco, chercheuse au King’s College de Londres, auteur avec Marta Antonelli du livre L’acqua che mangiamo (« L’eau qu’on mange »), parce qu’il y a une eau renouvelable, celle des rivières ou des lacs, et une eau qui au contraire est limitée, comme celle des nappes phréatiques ».

La critique principale qui a été faite à l’actuelle empreinte eau est d’être un indicateur seulement quantitatif : « Si on pense que pour un verre de vin, il faut 140 litres d’eau, nous devons tenir compte que dans certaines régions les vignes n’ont pas besoin d’être arrosées artificiellement. Ou que le producteur italien de pâtes Barilla, par exemple, a déplacé la culture du blé d’une région aride des Etats-Unis vers l’Italie et est arrivé à réduire sensiblement la quantité d’eau utilisée », ajoute Antonelli.

Un autre groupe italien, le producteur de sauces Mutti, a décidé de ne pas limiter son engagement à la simple réduction de la consommation d’eau, mais il a calculé - en collaboration avec le WWF - son empreinte eau totale, voire la quantité présente dans chaque produit, celle utilisée pour la culture ou pour l’emballage.

Et donc, pourquoi ne pas imposer la quantification de la consommation hydrique à chaque industrie ? Il faudrait que les institutions s’engagent pour faire de l’empreinte eau un indicateur clé, capable d’orienter les décisions économiques. « J’ai constaté une compréhension du problème au niveau institutionnel international, mais il est crucial que les élus et les gouvernements soient convaincus du fait que l’eau est une ressource qui ne peut pas être traitée comme un business. Sa gestion doit rester publique, parce qu’il s’agit d’un bien commun. Mais aussi parce que chaque fois que le secteur a été privatisé, on a constaté une détérioration de la qualité du service », ajoute Rosso.

D’ailleurs, la superficie de la Terre est couverte à 70% d’eau, et mers, lacs et rivières en contiennent 1,4 milliards de kilomètres cubes. Mais l’eau douce représente seulement 2,5% (35 millions de kilomètres cubes) du total, dont 70% sous forme de neige ou de glace. Pour l’humanité, donc, il ne reste que 0,7% des ressources hydriques terrestres...



Source : Andrea Barolini pour Reporterre

Image : Marcel Green.com

Lire aussi : L’Etat opère un hold-up sur les ressources de la protection de l’eau

 

 

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6 septembre 2013 5 06 /09 /septembre /2013 17:00

 

reporterre.net

 

Josh Fox : "Le gaz de schiste pollue la démocratie"

Hervé Kempf (Reporterre)

vendredi 6 septembre 2013

 

 

 

 

Josh Fox est le réalisateur de Gasland, le film qui a réveillé les consciences sur la réalité du gaz de schiste. Dans un entretien avec Reporterre, il explique que ce qui se joue dans cette bataille écologique, c’est la vitalité de la démocratie face aux grandes compagnies multinationales.

 


 

Josh Fox est le réalisateur du film Gasland, sorti en 2010, et qui a montré l’ampleur des pollutions provoquées par l’exploitation du gaz de schiste. Il a réalisé un nouveau film, Gasland II. Il est en France pour quelques jours. Reporterre l’a rencontré le 5 septembre près de Jouarre, là où une exploration de pétrole de schiste a commencé, et rencontre une vive opposition.

 


La plate-forme de la compagnie Hess à "La Petite Brosse", commune de Jouarre (Seine-et-Marne)


En quoi votre nouveau film est-il différent du précédent ?

Josh Fox - Le premier film décrivait les multiples façons par lesquelles l’exploitation du gaz de schiste génère des pollutions, et les multiples façons dont les gens en sont affectés. Ce film est se concentre sur les nombreuses différentes façons – pas seulement par l’argent ou le lobbying - par lesquelles l’industrie du pétrole et du gaz s’est incrustée au sein même du système démocratique pour l’influencer. Ce que nous avons constaté à de multiples reprises en faisant ce film, c’est que les gens n’ont pas de recours quand ils sont confrontés à l’industrie du pétrole et du gaz.

 

Est-ce un exemple de ce qui arrive en général à la démocratie ou est-ce très spécifique au gaz de schiste ?

Beaucoup de choses sont très spécifiques à cette industrie aux Etats-Unis, mais malheureusement, c’est aussi exemplaire de la façon dont les grandes compagnies agissent en démocratie. Elles veulent circonvenir le peuple. Elles conduisent des négociations directes avec le gouvernement à l’écart du peuple. La seule façon par laquelle les gens peuvent agir est de protester, de s’imposer dans la prise de décisions, comme vous l’avez fait en France, ou comme en Australie ou en Grande-Bretagne.

 

 

Aux Etats-Unis – et je crains que ce soit pareil ailleurs -, notre gouvernement trahit le peuple. C’est très choquant de constater que l’administration Obama cache des documents produits par l’Etat, avant les élections, pour que les gens n’en aient pas connaissance. On montre tout ceci dans le film. Par exemple, on savait que l’EPA [1] enquêtait sur les cas de pollution au Texas, et soudain, ils ont abandonné cette enquête. Même chose dans le Wyoming. On a des documents montrant que l’EPA savait scientifiquement qu’il y avait des migrations de l’eau, et l’a caché. On a des preuves très fortes sur tout ceci.

 

Comment expliquez-vous la position d’Obama, qui est perçu comme de gauche en France ?

Au début de l’administration Obama, en 2009, l’EPA a commencé à enquêter très sérieusement sur les pollutions. Sa directrice, Lisa Jackson, travaillait vraiment dans l’intérêt du peuple. Mais quand la campagne électorale a commencé en 2012, on a constaté un changement du jour au lendemain : l’EPA a abandonné ses recherches, le chef des enquêtes a démissionné, Lisa Jackson a démissionné. Il y a eu des fortes pressions pendant la campagne électorale pour mettre la pédale douce sur ce sujet.

 

Obama et son administration sont-ils connectés aux grandes entreprises de l’industrie et du gaz ?

On sait qu’ils ont rencontré très, très souvent les représentants de l’industrie. En revanche, à de multiples reprises, des lettres ont été envoyées à l’administration pour lui demander de rencontrer les scientifiques qui montrent qu’il y a des problèmes, de rencontrer les gens qui souffraient de l’exploitation du gaz de schiste. La réponse a été : non.

Obama essaye peut-être de faire des petites choses. Mais il ne s’agit pas de faire des petits pas ; il s’agit de développer vigoureusement les énergies renouvelables et de stopper les fossiles. Mais ces gens ne peuvent pas le faire. Ils n’ont pas de leadership.

 

On parle de révolution énergétique, du boom de la richesse en Dakota en Nord, d’indépendance énergétique des Etats-Unis : est-ce exact ?

Il y a beaucoup de pétrole au Dakota du Nord .Mais ce n’est pas une bonne chose : nous devons diminuer la production de pétrole.

 

Pourquoi ?

Parce que selon tous les indicateurs – sur la démocratie, sur la pollution, sur le climat -, les carburants fossiles sont nuisibles. Il ne faut pas en produire plus, mais diminuer leur production.
Vu de l’espace, on observe une grande tache brillante au-dessus de l’agglomération de Chicago ou de celle de Minneaopolis. Mais aussi une au-dessus du Dakota du Nord, où il n’y a pas de grande ville ; mais ils brûlent tellement de gaz qu’on le voit de l’espace.
Nous avons besoin de moins de pétrole et de gaz, pas de plus.

 

Et en ce qui concerne l’indépendance énergétique des Etats-Unis ?

La seule véritable indépendance énergétique est celle des énergies renouvelables. Là, il ne s’agit pas d’indépendance, mais de la la liberté pour les grandes compagnies de faire du profit. BP, Shell, Statoil, qui exploitent gaz et pétrole aux Etats-Unis ne sont pas des compagnies américaines. Ces corporations n’ont pas de pays. Cette histoire d’indépendance est un non-sens.

On ne peut pas avoir une vraie démocratie sans être libérés des combustibles fossiles,sans être libérés de ces compagnies. Elles ont pollué la démocratie. Nous avons besoin de nous exprimer, de développer les énergies renouvelables, c’est notre avenir.

 

Comment expliquez-vous que les grands médias militent pour le gaz de schiste ?

Les compagnies font un très bon travail de communication. Rappelez-vous en 2003, avant la guerre d’Irak. Tous les médias ne cessaient de dire que Saddam Hussein avait des armes de destruction massive. Leurs arguments avaient l’air très raisonnables. Cela s’est révélé faux et ça a conduit à un désastre.
Quand vous examinez attentivement leurs arguments sur le gaz de schiste, ils ne tiennent pas. Mais des millions de dollars en publicité et en communication sont déversés par l’industrie.

 

Quelle est la situation du mouvement d’opposition aux Etats-Unis et ailleurs ?

Il devient de plus en plus fort. Dans l’Etat de New York et en Pennsylvanie, 60 % des gens sont favorables à un moratoire sur le gaz de schiste. Au Colorado, ville après ville votent pour un ban sur la fracturation hydrolique. En Californie, le mouvement se renforce ; en juin, des centaines de milliers de signatures contre la production de gaz de schiste avaient été enregistrées.

Cela arrive aussi autour du monde. On a été à Bruxelles, au Parlement européen, on a rencontré des activistes des Pays-Bas, de France, d’Espagne, d’Allemagne...

Ils sont en train de prendre conscience que leur vrai bataille, c’est la lutte pour la démocratie.

 



 

Source : Hervé Kempf pour Reporterre

Ecouter aussi : Josh Fox, Y a-t-il une opposition au gaz de schiste aux Etats-Unis ?

Notes

[1Environmental protection agency, l’équivalent aux Etats-Unis du ministère français de l’Ecologie

 

 

 

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