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5 mai 2014 1 05 /05 /mai /2014 17:19

 

CADTM

 

Source : cadtm.org

 

L’agriculture industrielle, un dramatique extractivisme

4 mai par Nicolas Sersiron

 


L’extractivisme doit être compris ici comme le pillage des ressources naturelles, des ressources humaines et des ressources financières.

Dans l’extractivisme, l’agriculture a une place très importante à travers les questions de l’accaparement des sols, des monocultures d’exportation, de la privatisation de l’eau et de la consommation de pétrole. Un rapide retour en arrière sur nos ancêtres lointains est éclairant. Le Néolithique, ou nouvel âge de pierre, il y a 12 000 ans, est considéré comme le passage d’une économie de prélèvement à une économie de production. Disparition progressive des chasseurs-cueilleurs début de la culture des céréales et de la domestication des animaux. Or l’agro-extractivisme, ou l’industrialisation agricole, issu de la « révolution verte » du 20ème S, n’entraine-t-il pas une nouvelle forme de prélèvement-prédation ? L’utilisation-destruction de la fertilité des sols, de l’eau douce et des forêts plus la consommation considérable de pétrole et autres intrants miniers ne sont-ils pas un prélèvement injustifiable des ressources de la planète ?

L’appropriation privative des « communs », que sont la terre et l’eau, par l’agriculture productiviste est due à la recherche effrénée de profits et non pas à la volonté de nourrir la planète, sinon elle aurait depuis longtemps réussi : la faim et la malnutrition auraient disparu. Cette dépossession colossale est sans commune mesure avec la prédation de nos ancêtres cueilleurs-chasseurs par unité humaine. De plus elle ne prend pas plus en compte les besoins des générations futures, bien au contraire. Les effets néfastes des pesticides, qui sont des perturbateurs endocriniens, sont transmis par nos chromosomes à nos descendants. Enfin, nous sommes de plus en plus nombreux à devoir partager les ressources de la terre, mais cette agriculture extractivo-productiviste n’est évidemment pas pérenne. Son besoin en énergies fossiles est énorme. Elle est responsable de 25 à 40 % du stock de GES, |1| de la défertilisation et de la disparition de la matière organique des sols (MOS), de la pollution des eaux douces, de l’air, de la terre et de la perte de biodiversité animale et végétale. Pour finir, elle crée des désastres sociaux, voire des ethnocides, en supprimant le travail des paysans privés de terre, leur unique moyen de vie. Hormis les pertes de biodiversité, presque tous ces dommages pourraient être réparés par des décisions politiques courageuses aboutissant à une généralisation de l’agriculture biologique, l’AB.

Une étude menée en Suisse depuis 1978 sur des parcelles conduites en conventionnel, en bio et en biodynamie montre que sur 30 ans les rendements bio sont de plus de 80 % de ceux du conventionnel. Mais c’est dans les pays du tiers-monde (premiers concernés par la problématique alimentaire) que les résultats des techniques biologiques sont les plus impressionnants. En effet, les sols et les paysanneries asiatiques, africains ou sud-américains sont bien mieux adaptés aux cultures associées, à l’utilisation de nombreuses variétés et à des rotations complexes qu’à des monocultures, des variétés standardisées et une mécanisation souvent impossible. |2|

1. Dans les PED, libre-échange et exportations agricoles forcées

Pour imposer le libre-échange des marchandises et des capitaux, la grande crise de la dette des années 1980 au Sud a été une formidable opportunité pour les pays industrialisés. De nombreux PED, incapables de faire face aux remboursements ont accepté de prendre des mesures antisociales. Malgré les émeutes de la faim anti FMI de l’époque, les trop fameux PAS (plan d’ajustement structurel), ont été appliqués, produisant un profond appauvrissement des populations et une obligation d’exporter en particulier des produits agricoles pour obtenir les devises nécessaires aux remboursements.

On retrouve un schéma de dépendance économique analogue à celui de la période coloniale. Les armées d’occupation sont remplacées par des bureaucrates étrangers en col blanc, qui délivrent des prêts conditionnés à une libéralisation économique maximale et à l’obligation de produire des denrées agricoles exportables. L’agriculture paysanne et vivrière y a perdu une partie de ses ressources. Il n’est que temps qu’elle retrouve son statut de fournisseur de l’alimentation des peuples, car l’agriculture productiviste, au Nord comme au Sud, s’est révélée incapable de pourvoir à l’alimentation de près d’un milliard d’affamés depuis plusieurs décennies.

Les pertes liées au libre-échange

Le remboursement des dettes publiques illégitimes a été imposé au détriment de la lutte contre la faim, et du bien-vivre, le buen vivir d’Amérique du Sud. En Afrique subsaharienne, 70 à 80 % de la population vit dans les campagnes. Le FMI et la BM, ayant pris le contrôle des économies des pays du Sud qu’elles « aidaient », ont imposé une limitation dramatique des dépenses sociales et des investissements au profit des remboursements de la dette financière, tout en imposant le libre échange.

Ainsi, les aides publiques aux agriculteurs (pour acquisition de terres, achat de matériels et semences paysannes, formation continue, stockage de sécurité) ont disparu. De la même manière, les banques publiques dédiées à l’agriculture ont été privatisées au profit des banques internationales signant la fin des crédits à taux bonifiés permettant des investissements dans le temps long. Pourtant, c’est avec de tels prêts, aidés par l’État, que l’agriculture française s’est reconstruite rapidement après la Seconde Guerre mondiale.

Alors que j’étais un jeune agriculteur, le Crédit Agricole de la Drôme, aidé par l’État, m’a financé à 4% (taux super bonifié sur trente ans) l’achat des terres et de la ferme dont j’étais locataire. Dans les années 70, l’inflation variait entre 7 et 14 % par an.

Il n’existe plus au Sud que des crédits privés difficiles d’accès et de la microfinance, annoncée comme une solution miracle. Mais face à un dramatique problème de pauvreté, les microcrédits sont surtout des prêts de survie à court terme. Avec des taux usuriers de 30 % à 50% voire plus encore, ils ne sont même pas un système de secours pour les paysan-nes pauvres. Ils sont bien incapables de remplacer un crédit public, à taux bas et dans un temps adapté à l’agriculture. Des microcrédits, très répandus en Asie, offrent à des femmes la possibilité de s’endetter pour créer des micro-entreprises. En réalité, coincée dans une trappe de pauvreté, elles empruntent pour nourrir leur famille. Alors que la microfinance s’est construite sur la promesse de donner aux déshérités des moyens d’investissement, les grandes banques internationales se sont introduites dans ce système avec un retour d’intérêts nets dépassant les 20 % par an malgré les scandales à répétition et les suicides de nombreuses femmes qui ne pouvaient sortir du piège de la dette. |3| La caravane des femmes de Ouarzazate en avril 2014, poussées dans la misère par la microfinance et réprimées par le pouvoir, en apporte une nouvelle preuve. |4|

Les formations agricoles dans des collèges, lycées et universités comme celles des agriculteurs dans les campagnes par des techniciens bien formés n’ont plus été financées. L’entretien des routes, ponts, écoles, mairies et hôpitaux a été abandonné à cause des conditionnalités austéritaires imposées par le FMI.

Le complexe agriculture-alimentation d’un pays repose sur un ensemble de transmission de savoirs anciens et l’acquisition de nouvelles connaissances issues de la recherche publique. Le développement d’une agriculture au service de tous ne peut se faire avec des capitaux privés à la recherche de profits à court terme.

La Banque mondiale a-t-elle financé par des dons ou des prêts à taux bas l’agriculture dans les pays où des centaines de millions d’humains sont sous alimentés ? Très peu. L’agriculture paysanne et avec elle des centaines de millions de paysans ont été abandonnés par leurs gouvernements endettés, corrompus et soumis au diktat des institutions financières internationales au nom du remboursement de dettes publiques majoritairement illégitimes.

La réforme agraire oubliée

Répartir la terre entre les agriculteurs, de telle sorte que tous aient la capacité de nourrir leur famille, ne serait-il pas le meilleur moyen pour lutter contre la faim. En Équateur ou en Bolivie, des lois pour la réforme agraire ont été votées. Ailleurs, les propriétaires de latifundia sont si puissants qu’ils empêchent la répartition des terres, n’hésitant pas à assassiner syndicalistes ou paysans résistants pour parvenir à leurs fins. Les puissances financières qui accaparent les terres s’opposent frontalement à la souveraineté alimentaire des populations, l’absence de réelle démocratie et la corruption réussissent ainsi à étouffer les demandes des peuples sans terre.

Dans le système ultralibéral dominé par le libre-échange, les grands exportateurs de soja OGM, de viande et d’éthanol d’Amérique du Sud, grands fournisseurs de devises, ont plus de poids que le mouvement des paysans sans terre (MST). Au Brésil, le gouvernement d’une gauche libérale préfère donner à manger aux pauvres avec la Bolsa familia |5| que de répartir les terres équitablement entre tous. Il est pourtant bien connu que c’est le filet qu’il faut donner et l’art de s’en servir qu’il faut enseigner, plutôt qu’offrir les poissons, ici des bons de nourriture. Le court-termisme de ces politiques privilégie les profits de l’agriculture extractiviste en oubliant ses externalités négatives : émissions de CO2, perte de fertilité des sols, pollutions de la terre et de l’eau, chute de la biodiversité, déforestations, maladies et bidonvilisation des paysans.

Le Brésil, l’Indonésie et le Congo RDC sont trois pays lourdement endettés par les dictatures du passé. Possédant les plus grands massifs forestiers et donc les plus forts potentiels de terres exploitables, ils sont des proies idéales pour les requins aux grandes dents spéculatives, amateurs de terres arables. Au final ce sont les consommateurs de viande et les utilisateurs d’agrocarburants - encore majoritairement occidentaux - qui entretiennent un système basé sur le pillage des ressources et l’appauvrissement des peuples du Sud.

En Europe aussi le temps de la réforme agraire est venu. La PAC 2014, en permettant à un exploitant agricole de toucher jusqu’à 200 000 euros de subventions, voire plus, avec des versements proportionnels à la surface, continue à favoriser l’agrandissement des fermes exploitées par une seule entité au détriment du nombre de fermiers et d’ouvriers agricoles. Le résultat est la montée des prix du foncier et l’immense difficulté d’installation des jeunes, même sur de plus petites surfaces, souvent avec des projets alternatifs. Les grandes fermes sont incapables de faire des cultures biologiques associées, plus productives, sans intrants chimiques réclamant moins de machinisme et plus intensive en main d’œuvre, ce qui serait bienvenu en période de chômage chronique. L’extractivisme agricole profite à une immense chaîne d’intérêts qui va des fournisseurs de machines, engrais, pesticides, semences brevetées, en passant par les compagnies exportatrices, les banques, les spéculateurs sur les matières premières et les transformateurs jusqu’aux distributeurs, les supermarchés, en passant par les publicitaires et les banques. Une fois encore, ce sont les actionnaires de toutes ces entreprises qui sortent gagnants de la nouvelle PAC.

Pourquoi 1 milliard d’agriculteurs travaillent-ils encore à la main ?

Dans la majorité des PED, le paysan abandonné par les autorités gouvernementales n’a pour travailler la terre qu’une simple houe et sa force physique ! Marc Dufumier écrit :

Elles [les familles les plus pauvres] sont trop souvent privées du minimum nécessaire (fourches, râteaux, pelles, bêtes de somme, charrettes) et sont dans l’incapacité d’exploiter pleinement les possibilités de l’agroécologie. L’urgence est donc de leur permettre d’acquérir enfin ces équipements en provoquant une nouvelle réforme agraire. La mise en œuvre de pratiques agricoles hautement productives à l’hectare et respectueuses de l’environnement suppose que les familles paysannes puissent avoir accès à des terrains de taille suffisante et assez longtemps afin d’être assurées sur le long terme de pouvoir bénéficier du fruit de leurs efforts. |6|

La traction animale est réservée à une minorité de paysans, ceux possédant un tracteur sont encore moins nombreux…

La population agricole active s’élève à 1 milliard 300 millions de personnes, elle ne dispose que de 250 millions d’animaux de travail, soit environ 20 % du nombre des actifs agricoles, et de 28 millions de tracteurs, soit 2 % d’entre eux. La très grande majorité des agriculteurs du monde continue donc de travailler à la main, en particulier en Afrique subsaharienne. |7|

Parmi le milliard de personnes sous-nutries, 70-80 % vivent dans les campagnes et 70-80 % d’entre elles sont des femmes. Le paysan-ne sans machine ni animaux de trait produit en moyenne chaque année 1 tonne/ha équivalent-céréales. Pourtant, avec une formation aux techniques de l’agroécologie, il-elle pourrait facilement doubler, tripler sa production voire beaucoup plus. |8| Pierre Rahbi l’a bien démontré en Afrique.

À Madagascar, une technique agroécologique, le SRI (système de riziculture intensif) |9| a été mise au point. Elle permet d’augmenter fortement les rendements sans intrants extérieurs ni mécanisation. L’Asie utilise le SRI, mais paradoxalement, le gouvernement malgache ne finançant pas de formation, peu de paysans le pratiquent. Pourtant beaucoup de familles - sans parler des sous-alimentés chroniques du Sud aride de la grande île - ont du mal à faire la soudure. |10| Des solutions simples et peu onéreuses pour s’attaquer à la faim et à la pauvreté ne sont pas mises en œuvre !

Sous le terme agroécologie sont regroupés diverses techniques douces et biologiques comme la biodynamie, la permaculture |11|, l’agroforesterie, les cultures associées, etc, toutes plus productives à surface égale que l’agriculture conventionnelle. Cela avec une plus grande intensité de main d’œuvre, peu de matériels lourds et d’intrants, très peu d’émissions de CO2.

Pourtant la Banque mondiale, le FMI et des organisations comme la Fondation Bill Gates font la promotion de l’agriculture industrialisée à coup de centaines de millions de dollars. Ils font ainsi la part belle aux transnationales comme Monsanto et bien d’autres qui vendent les plantes brevetées ou OGM, les pesticides et les engrais. D’ailleurs le créateur du monopole Microsoft, première fortune et premier « humanitaire » mondial, détient des centaines de milliers d’actions Monsanto. Les près de trois milliards de personnes insuffisamment nourris pour avoir une vie active, selon la FAO, sont la preuve que le système productiviste est incapable de nourrir le monde. De plus ce productivisme n’est pas pérenne puisqu’il détruit les sols en diminuant leur fertilité et en provoquant érosion, salinisation et qu’il ne peut fonctionner sans pétrole. Un véritable scandale puisque, selon la FAO, la production agricole actuelle est suffisante pour nourrir 12 milliards de personnes, chiffre constamment repris par Jean Ziegler, dans ses livres et discours |12| ainsi que par son successeur à l’ONU, Olivier de Schutter. La logique du profit est préférée à celle du partage.

L’agriculture familiale et vivrière, en grande partie autoconsommée, représente un énorme manque à gagner pour l’agrobusiness. Elle ne nécessite aucune importation d’intrants, fournit très peu de denrées agricoles exportables et supprime une grande partie des importations alimentaires. C’est pour cette raison que les gouvernements des PED, comme les IFIs ne consacrent, depuis des décennies, qu’une part infime de leur budget à l’agriculture familiale. A contrario, ils soutiennent les accaparements de terres par des étrangers qui pratiqueront une agriculture productiviste et exportatrice ayant surtout un très grand potentiel de profits.

Depuis plusieurs années (au Cambodge), les industriels du sucre, encouragés par l’initiative européenne « Tout sauf les armes », se voient accorder des concessions économiques à grande échelle au détriment des populations locales. Privées de leurs terres, des milliers de familles luttent aujourd’hui pour survivre. |13|

Le but n’est donc pas d’alimenter ni d’améliorer la vie des 99 %. Le financement de l’agriculture productiviste au détriment de l’agriculture vivrière est, avec le système dette, une des causes majeures de la faim dans le monde. A l’exact opposé de ce qui est claironné par les tenants du modèle productiviste, qui veulent encore nous faire croire qu’il est le seul capable de nourrir les 9 ou 10 milliards d’humains à venir. L’INRA pousse l’exercice jusqu’à « bidonner » ses rapports scientifiques pour démontrer l’avantage de ce modèle chimique sur le biologique. |14|

Dette, libre échange et agriculture

Pour payer leurs dettes libellées le plus souvent en dollars, les PED ont été poussés par les IFIs, et les gouvernements prêteurs à privilégier les cultures d’exportation, dîtes de rente, à la place de l’agriculture vivrière. De nombreux PED, se sont alors retrouvés en déficit alimentaire. Le libre-échange leur ayant été imposé, les produits européens, Etats-uniens ou asiatiques sont venus concurrencer de façon déloyale les paysans locaux, souvent par effet de dumping. |15| Quantité de décideurs du Sud y ont trouvé un intérêt électoral immédiat, tout en sacrifiant délibérément la sécurité alimentaire et leurs paysans. Quant à ceux qui veulent sortir du rang la menace n’est pas un vain mot. Le président du Burkina, Thomas Sankara a été assassiné en 1987 par les tenants du néocolonialisme pour deux raisons liées : il recherchait l’autonomie agricole et alimentaire de son pays et s’opposait au remboursement de la dette illégitime. Le commanditaire présumé de ce crime, Blaise Compaoré, est depuis au pouvoir.

Les actionnaires des multinationales qui commercialisent les produits agricoles, céréales et intrants, comme Cargill, Bunge, ADM, Louis Dreyfus, etc., n’ont pas les mêmes intérêts que les centaines de millions de contribuables des 34 pays de l’OCDE qui financent, au nom de la sécurité alimentaire de leur pays, les subventions à l’agriculture. En effet, ces entreprises convertissent les subventions agricoles, une part des impôts des Européens ou des Américains, en profits pour leurs actionnaires lorsqu’elles commercialisent ces denrées. Si les surplus du Nord sont vendus parfois à la moitié du prix des productions locales en Afrique subsaharienne par exemple ce n’est pas parce que les couts de productions sont plus faibles, mais bien grâce aux subventions. C’est ainsi que l’autonomie alimentaire et l’organisation solidaire des villages sont volontairement cassée. Karl Polanyi le dit très clairement dans La grande transformation :

La catastrophe que subit la communauté indigène est une conséquence directe du démembrement rapide et violent des institutions fondamentales […] disloquées par le fait même qu’une économie de marché est imposée à une communauté organisée de manière complètement différente. Le travail et la terre deviennent des marchandises […] Dans la seconde moitié du 19e, les masses indiennes ne sont pas mortes de faim parce qu’elles étaient exploitées par le Lancashire (Angleterre), elles ont péri en grand nombre parce que les communautés villageoises avaient été détruites.

Au nom des thèses de Ricardo sur les avantages comparatifs, les décideurs du Nord, BM en tête lorsque Larry Summers était son économiste en chef (1991-93), ont fait croire qu’il était plus intéressant, pour les pays qui avaient une agriculture vivrière, d’importer des céréales des pays industrialisés et d’exporter des bananes, arachide, huile de palme, café, cacao, etc : le libre échange serait ainsi gagnant-gagnant. Pour Madagascar par exemple, il s’agit de vanille, cacao, essence de fleurs, et aujourd’hui des agrocarburants à base de Jatropha, |16| etc. On est bien dans la glorification de l’extractivisme et du commerce international, mais on ne dit pas que ce sont les entreprises étrangères et les bourgeoisies locales qui vont en profiter, au détriment des agricultures vivrières. On oublie volontairement de reconnaitre :

1… que l’agriculture familiale nourrit encore aujourd’hui près de 80% des humains,
2… que l’exportation de denrées agricoles subventionnées est une concurrence déloyale, et aussi une forme cachée de protectionnisme pour les pays qui imposent le libre-échange aux plus faibles.

Pourquoi ne voit-on jamais du poulet sénégalais ou camerounais sur les étals européens alors que les salaires y sont 50 ou 100 fois plus bas ? Parce que, nourri avec du mil, il ne peut concurrencer celui produit en Europe avec du blé et du maïs arrosé par les aides de la PAC et qu’en plus, celui qui voudrait exporter en Europe, se heurterait à des règlements sanitaires.

La spécialisation de la production par pays s’est ainsi renforcée en corrélation avec la croissance des dettes. Mais cette augmentation de l’offre de produits tropicaux a créé une baisse générale des cours : une offre croissante, mais une demande en berne à cause de la crise au nord des années 1973-1980. Dans un cercle vicieux infernal, la baisse des prix à l’export a poussé les PED à compenser ce manque de revenus par une augmentation de leurs productions exportables, ce qui a encore accentué la baisse des cours, fixés dans les bourses de Chicago, Londres, etc, donc au Nord, chez les acheteurs. Pendant près de trente ans, jusqu’aux années 2005-2007, la baisse des prix a été de 3 % par an, rendant impossible la sortie du piège du surendettement et de la pauvreté des populations.

Une autre conditionnalité liée aux prêts de secours du FMI et de la BM, a été la privatisation des grandes entreprises publiques des PED. Le cas de la CMDT, Compagnie malienne des textiles, illustre bien les dégâts causés par de telles politiques. La CMDT faisait un travail d’alphabétisation, de conseiller technique auprès des agriculteurs, d’entretien des infrastructures routières et scolaires. La compagnie garantissait un prix d’achat plancher aux cotonculteurs, ce qui leur permettait d’investir dans la production sans crainte. Elle a été déstabilisée par la baisse du prix du coton due aux subventions de plusieurs milliards de dollars versées chaque année aux cotonculteurs étasuniens.

Comment admettre, […] que les producteurs américains et européens dont les coûts de production sont très supérieurs à leurs concurrents africains puissent inonder le marché mondial grâce à d’énormes aides gouvernementales ? Comment l’admettre quand au même moment […] les paysans africains ont de plus en plus de mal à survivre, privés de toute subvention publique, leurs gouvernements n’en ayant pas les moyens ? |17|

Désastres de l’importation de denrées alimentaires par les PED

En imposant le libre-échange et donc la disparition des protections douanières aux frontières, le néolibéralisme a mis en concurrence ouverte de petits agriculteurs travaillant à la main, sur de très petites parcelles, et surtout sans les nouveaux savoirs de l’agroécologie, avec les agricultures industrialisées et subventionnées à travers les multinationales qui commercialisent leurs productions. Les producteurs de mil du Sénégal, l’ingrédient traditionnel de base, sont concurrencés par le blé débarqué dans le port de Dakar pour un prix au kilo très inférieur. La baguette blanche, à la mode mais de très mauvaise qualité nutritionnelle, a ainsi remplacé la bouillie de mil quotidienne. Des associations et des boulangers luttent aujourd’hui pour incorporer 10 à 50 % de mil produit localement dans la baguette dakaroise.

Les éleveurs africains qui utilisent le mil et d’autres aliments locaux pour nourrir leurs poulets ne peuvent pas lutter contre les bas morceaux de poulets congelés importés, alimentés aux céréales subventionnées. Selon Julien Duriez, reporter au Cameroun pour Terra Eco : « l’Afrique aurait importé 1,3 million de tonnes de cette volaille en 2012, soit 11 % des importations mondiales, contre 260 000 tonnes en 2000. » |18| Ne pouvant plus vendre, les éleveurs arrêtent leur production et beaucoup terminent dans les bidonvilles de Dakar, Yaoundé ou d’autres grandes villes à la recherche de moyen de subsistance pour leur famille. Ils finiront par vendre leur terre, quand ils en sont propriétaires, pour une « bouchée de pain » blanc cuit avec la farine du blé produit peut-être dans la Beauce française.

Cette accélération de la désertification des campagnes produite par les importations en dumping donne de l’espace aux accaparements de terres. Des milliers d’hectares, qui auparavant participaient à l’économie et à la sécurité alimentaire des PED, finiront entre les mains des spéculateurs qui produiront des agrocarburants ou des aliments pour le bétail des pays du Nord, avec une mécanisation géante et peu d’emplois.

Depuis quelques années, sous l’influence de campagnes comme « L’Europe plume l’Afrique », des pays comme le Cameroun et le Sénégal commencent à réagir en fermant progressivement leurs ports à ces importations de volailles congelées, destructrices de l’agriculture locale. |19|

Aujourd’hui si la moitié des habitants de la planète vivent en zone rurale, beaucoup n’ont pas accès à un morceau de terre cultivable. Le MST, le mouvement des paysans sans terres au Brésil lutte contre les fazendas, ces propriétés de milliers, voire de dizaine de milliers d’ha, qui ne sont cultivées qu’en partie, pendant que des millions de ruraux ont de très grandes difficultés pour se nourrir. Ces grands propriétaires en Amérique du Sud ou ailleurs cultivent souvent du soja OGM pour l’exportation vers l’Europe et la Chine, de la canne à sucre pour l’éthanol, élèvent des bœufs ou d’autres denrées d’exportation, vers les pays industrialisés. En Afrique, en Asie, chez les peuples autochtones, la terre a longtemps été un bien commun, son utilisation reposait sur le droit d’usage. Le mouvement d’accaparements des terres renoue avec les premières enclosures du 16ème S en Angleterre, qui consistaient à transformer la terre commune en propriété privée dans le but de faire des profits en produisant des denrées agricoles commercialisables. Certains osent appeler progrès ce retour en arrière confiscatoire, qui affame et asservit le paysan autosuffisant et libre d’hier.

2. Le productivisme agricole, un extractivisme déguisé

Il est indispensable de revenir sur l’importante « révolution verte » qu’il faudrait plutôt nommer : passage forcé au productivisme agricole. Elle est certainement la forme d’extractivisme la pire par son impact environnemental et social. Cette révolution a transformé profondément nos sociétés européennes après la Seconde Guerre mondiale en supprimant des dizaines de millions d’emplois agricoles et en créant le modèle alimentaire consuméro-gaspilleur d’aujourd’hui. À l’époque, il fallait oublier le modèle de production locale avec peu d’intrants extérieurs, offrant la sécurité alimentaire à chaque pays européen, avec une partie importante de la population dans les champs. Totalement dépassé ? Pas si sûr. Cette agriculture améliorée, grâce aux recherches scientifiques et à l’utilisation des savoirs acquis par les paysans, est sur un nouveau départ. Les années qui viennent vont en faire la démonstration, selon l’agronome Jacques Caplat

le rendement moyen des céréales en France était de 12 quintaux à l’hectare en 1900 alors qu’il est de 60 quintaux à l’hectare aujourd’hui dans une ferme biologique de polyculture-élevage. Autrement dit, même dans les conditions tempérées occidentales, la bio permet des rendements inférieurs en moyenne de 15 % à ceux de l’agriculture conventionnelle chimique … mais supérieurs de 500 % à ceux de l’agriculture du début du XXe siècle. |20|

D’un système respectant les sols et les ressources en eau, on est passé à un système industriel extractiviste ne prenant en compte ni la défertilisation des sols, ni les pollutions des eaux et de l’air, ni le réchauffement climatique lié à la perte de la MOS. Cette agriculture oublie également la finitude des ressources fossiles que sont le pétrole et le gaz qui servent à fabriquer des engrais azotés et des pesticides, à travailler les sols et transporter les produits. Elle oublie qu’elle dépend aussi de l’extraction des phosphates et de la potasse dont les quantités sont limitées et dont les prix augmentent rapidement. Or sans tous ces intrants dont les NPK (azote, phosphore, potassium) pas d’agriculture industrialisée.

Alors qu’un Africain, Indien ou Chinois, seul avec quelques outils rudimentaires et ses bras, ne peut produire qu’environ 1t par an équivalent céréale, un céréalier du Nord, seul, exploite plus de 200 ha et produit près de 1 500 t/an. Seul, mais équipé de robots mécaniques abreuvés de pétrole et d’électroniques (GPS, etc), disposant de financements bancaires et de subventions publiques par centaines de milliers d’euros/dollars, des inventions de l’agro-pétro-chimie, des semences hybridées et brevetées adaptées à cette agriculture industrialisée sur laquelle des centres de recherche publique travaillent depuis plus d’un demi-siècle, et d’énormes quantités d’engrais NPK.

À ceux qui prétendent que ces productions industrielles permettent de ’nourrir l’humanité’, sans impacts environnementaux majeurs, Wen Tiejun, doyen de l’école d’agriculture et du développement rural à l’Université Renmin, explique :

Pour la quasi-totalité des 5 000 ans d’histoire de la Chine, l’agriculture avait donné à notre pays une économie qui absorbait le carbone, mais au cours des 40 dernières années, l’agriculture est devenue l’une des causes principales des pollutions. L’expérience montre que nous n’aurions pas dû nous appuyer sur l’agriculture chimique pour résoudre le problème de la sécurité alimentaire des populations. Le gouvernement a besoin d’une agriculture à faible niveau de pollution.

En effet, les paysans chinois pratiquaient une agriculture durable (cultures et élevage), en fonction de l’économie circulaire de la nature rapportée dans l’étude Circular Economy of the Dyke-Pond System(SiS 32). A son apogée, elle a permis, sans utilisation d’engrais de synthèse ni de pesticides, de supporter 17 personnes par hectare. |21| A l’éco-centre du Bec Hellouin en France, site de recherche et d’expérimentation, les rendements en permaculture sont si élevés qu’il serait possible de dégager un salaire sur 1000 m2 seulement. Avec 29 millions d’hectares (SAU) et 65 millions d’habitants, la France ne devrait pas avoir besoin d’utiliser jusqu’à 50 % de terres dans des pays étrangers pour satisfaire ses besoins, comme elle le fait pourtant au détriment des populations du Sud.

La « révolution verte » ou l’agro-extractivisme

Au Nord, de la disette à la surproduction

La Seconde Guerre mondiale a fortement aidé les États-Unis à sortir de la crise commencée en 1929, grâce à l’immense effort de guerre consenti. Quand le conflit se termine en 1945, l’économie américaine en surchauffe doit se reconvertir rapidement pour ne pas voir revenir la crise et les drames sociaux de la décennie passée trop bien décrits par Steinbeck dans « Les raisins de la colère ». Les chaînes de fabrication de matériel de guerre deviennent des lignes de production de machines agricoles et les usines d’explosifs des fabriques d’engrais et de pesticides. Les Européens, la France en tête, ayant bénéficié des dons du plan Marshall pour leur reconstruction, seront fermement encouragés à passer à la « révolution verte ». On retrouve là une application du « donner, recevoir, rendre ». Il était bien difficile aux alliés qui avaient tant reçu du grand ami américain - lui qui avait tant « donné » en s’engageant dans la guerre puis dans le plan Marshall - de ne pas « rendre » en lui achetant tracteurs, engrais et pesticides et en acceptant l’implantation des entreprises étasuniennes.

De plus, comme il fallait produire de grandes quantités d’aliments pour effacer les disettes de la guerre, on a volontairement oublié que l’agriculture de la première moitié du 20èmeS était capable de nourrir très correctement les peuples européens avec du fumier, des bœufs, des chevaux, quelques rares tracteurs et de nombreux emplois. Les peuples européens n’étaient pas alors entrés dans le système consumo-gaspilleur de l’économie libérale. Certes pour nourrir les anciens paysans convertis en ouvriers et employés, tout en maintenant une agriculture traditionnelle avec peu d’engrais et ni pesticides chimiques, il aurait fallu améliorer les rendements. C’était réalisable, les progrès de l’agriculture biologique en sont la preuve. Il aurait été possible de mécaniser en douceur, d’utiliser peu ou pas d’engrais pour éviter les surproductions, de ne pas spécialiser fermes et régions dans un type d’agriculture ou d’élevage impliquant de nombreux transports.

Après 1945, il n’était pas dans l’intérêt des dirigeants de maintenir une population nombreuse à la campagne, fière de ses traditions et surtout auto-consommatrice de ses produits. D’autant plus que la reconstruction européenne et les usines de l’après-guerre avaient un fort besoin de main-d’œuvre. En vidant les campagnes, on effaçait les savoirs traditionnels. Et en subventionnant de jeunes exploitants formés aux nouvelles techniques agrochimiques dans les lycées agricoles, on assurait le triomphe de la « révolution verte » et les profits de la nouvelle filière agro-industrielle. Les tracteurs et surtout les moissonneuse-batteuses, ces incroyables robots des champs capables d’effectuer une multitude d’opérations, auparavant manuelles, arrivaient au « bon moment ». Débarquées par bateaux entiers, en poussant les petits agriculteurs indépendants à la faillite et les ouvriers agricoles au chômage, elles créaient des ouvriers pour faire tourner les nouvelles usines et démarrer la consommation de masse.

L’introduction du productivisme agricole sur l’équilibre alimentaire mondial n’est que trop visible aujourd’hui avec la prolifération de la malbouffe et la montée spectaculaire des maladies chroniques. Cette agriculture mécanisée, dopée aux engrais chimiques, après avoir effacé les privations, engendre rapidement une crise de surproduction. Dès les années 1960 céréales excédentaires, montagnes de beurre et milliers de tonnes de viande s’accumulent dans les silos et les frigos européens.

Cette nouvelle agriculture capable de produire plus qu’il était nécessaire pour nourrir la population française aboutira à la distribution gratuite du lait dans les écoles avec Mendès France, et à la propagande « suivez le bœuf », organisée par Missoffe, sous De Gaulle. Du déstockage nécessaire on est passé à la suralimentation en protéines animales : des sources de profits pour l’agrobusiness certainement, mais pas des progrès pour l’alimentation, ni pour la santé et le bien vivre des peuples.

Deux options existaient pour nos décideurs d’après guerre

Il n’était pas obligatoire de se jeter dans toutes les nouvelles techniques proposées par les Etats-Unis à l’Europe, même si cela aurait été vécu comme un refus du modernisme. L’idée de progrès, si puissante dans l’imaginaire des peuples, n’a-t-elle pas été instrumentalisée par les multinationales jusqu’à aujourd’hui ? Plus de deux ans après Fukushima on entend encore en France des scientifiques et des politiques dire qu’abandonner le nucléaire civil nous ferait revenir à la bougie. Le Japon fonctionne pourtant sans ses 54 réacteurs nucléaires, touts à l’arrêt depuis la catastrophe. A l’inverse, on pourrait même dire que ce sont les centrales nucléaires, avec ses cataclysmes potentiels, qui pourraient nous faire revenir à la bougie. Quant à l’agriculture productiviste, elle pourrait bien être la cause de famines d’une dimension jamais vue.

Le dramatique exode paysan de l’après-guerre aurait pu être évité. Utiliser peu ou pas d’engrais et de pesticides, moins de machinisme n’auraient pas entraîné les surproductions des années 1960 et surtout les exportations catastrophiques dans les PED. Le maintien d’une agriculture paysanne modernisée et agroécologique, pourvoyeuse d’emplois, aurait évité les désastres environnementaux et sociaux du productivisme. Le chômage de masse a débuté il y a 30 ans sous l’effet des gains de productivité |22| considérables aussi bien dans l’agriculture que dans l’industrie. Plus d’informatiques, de robots, de mécanisations et de pétrole entrainent la disparition de nombre d’emplois sauf si l’on réduit fortement le temps de travail. Mais il faut bien comprendre que le plein emploi est la hantise du patronat car il pousse les salaires vers le haut à l’inverse du chômage qui les renvoie vers le bas.

La « révolution verte » toujours active de nos jours, grâce aux subventions de la PAC, continue à vider les campagnes. Impossible pour les jeunes, non héritiers, de devenir paysans. Un non-sens écologique et social, mais un bon moyen pour l’agrobusiness d’aligner les prix de matières premières agricoles sur les moins disants de la planète par une industrialisation à outrance.

Une grande exploitation, en agriculture dite conventionnelle, fonctionne dans un système extractiviste. En produisant de grandes quantités de matières premières à bas prix grâce aux subventions des contribuables et par l’externalisation de ses coûts, |23| elle fera croître les profits des nombreux industriels, compagnies des eaux, financiers, commerçants en amont et en aval.

L’agrandissement d’une « ferme », c’est toujours moins de travailleurs à surface égale, plus de chimie destructrice, des machines toujours plus grosses, plus de pétrole et de CO2 émis, moins de biodiversité. Attention, il n’y a pas ici de généralisation critique contre les agriculteurs productivistes en tant qu’individus, même si parfois certains portent une véritable responsabilité. Car même si cela est dur à admettre, ils sont avant tout instrumentalisés pour produire à très bas prix des matières premières. Quand les champs et les fermes sont utilisés par les multinationales de l’agroalimentaire comme le sont les puits de pétrole ou les mines par d’autres multinationales, on peut affirmer que les terres arables sont comme des mines à ciel ouvert dont les agriculteurs sont les exploitants-exploités extractivistes.

Côté consommateur, c’est au cours des années 1960 que sont apparus les premiers supermarchés remplaçant les commerces de proximité, faisant diminuer les emplois, augmenter les déplacements pétrolivores et la consommation alimentaire. La nouveauté a été les alignements de produits et le self-service avec les chariots pour empiler la malbouffe emballée, blindée aux protéines animales, au sucre, au sel, aux pesticides et autres additifs chimiques. Remplir le grand frigo jusqu’à la gueule et pouvoir manger et boire sans limites. Même si ce rêve américain ne cesse de gagner du terrain, des milliards de pauvres n’auront jamais accès à ce « paradis consumériste ». Car ce conso-gaspillage n’est possible que par la faim, la pauvreté et les pertes de territoire qu’ils subissent.

Choisir l’industrialisation de l’agriculture et le consumérisme de masse a entraîné la perte des savoir-faire traditionnels et le non-respect du vivant. En devenant des exploitants, ils ont été contraints d’abandonner les soins qu’ils prodiguaient à la nature, protection de la biodiversité, de la fertilité des sols et des paysages. Aujourd’hui l’agro-extractivisme est synonyme de pollution des eaux, de la terre et de l’air, de surmortalité des abeilles, des papillons, de tous les insectes, et pire si c’est possible, de réchauffement climatique.

En France, Edgar Pisani, fut le ministre progressiste de l’agriculture sous De Gaulle et le promoteur de la « révolution verte » avec ses remembrements : destruction des haies et suppression des chemins creux pour permettre l’évolution des grosses machines. A plus de 90 ans, il confesse les erreurs commises. |24| L’agroforesterie et les haies sont maintenant reconnues comme étant des éléments essentiels de l’agroécologie. En associant arbres et cultures de plein champ les résultats sont très concluants aussi bien en termes de rendements que de recréation de la fertilité, sans pollution des terres, de l’air ou des aliments.

Mais la puissance des groupes de pression profitant de l’agriculture conventionnelle, est énorme. L’AB se développe en Europe grâce aux efforts de nombreux citoyens et paysans résistants et aux lanceurs d’alerte, qui dénoncent depuis des dizaines d’années les catastrophes environnementales et sanitaires causées par les OGM, les nitrates et les pesticides. |25|

Subventions et Financement

Les subventions agricoles ont permis de soutenir le revenu des agriculteurs et de recréer une sécurité alimentaire après la seconde guerre mondiale en Europe. Mais les subventions peuvent aussi devenir une forme de protectionnisme désastreux, voire un moyen de conquête des marchés des PED. Nous avons vu que le FMI et la BM imposent par le levier de la dette et des prêts de secours une quasi-disparition de toute aide à l’agriculture dans les PED. Ces pays, étouffés, économiquement et politiquement, par le remboursement des intérêts, sont contraints d’ouvrir leurs frontières. De là leur impuissance à garantir une sécurité alimentaire, voire mieux une souveraineté alimentaire, soutenue par des subventions publiques à l’agriculture, des aides aux produits de première nécessité, des financements, de la formation, de la recherche en agroécologie, des maisons de semences paysannes, des stocks de sécurité etc…

Par contre, les États-Unis et l’Europe subventionnent jusqu’à 34 % de leur valeurs certaines productions agricoles : pendant longtemps les pays de la Triade |26| ont versé près d’un milliard par jour à leurs agriculteurs. Avec la montée du prix des céréales ces subventions sont en baisse, les Etats-Unis ont même supprimé certaines aides en 2014. Mais les subventions ne profitent pas à toutes les exploitations. En France « entre le 16 octobre 2007 et le 15 octobre 2008, seize entités ont touché plus de 10 millions d’euros : parmi lesquelles le groupe volailler Doux, en tête avec près de 63 millions d’euros ». |27| 200 exploitations professionnelles disparaissent chaque semaine, faute d’avoir trouvé un repreneur individuel. Depuis les années 1950, leur nombre a été divisé par cinq. Il y avait encore plus de deux millions de fermes en 1955. On ne compte plus aujourd’hui que 500 000 exploitations et près de 400 agriculteurs se suicident chaque année en France.

Techniques agricoles

L’agriculture industrialisée a réduit les coûts en supprimant des emplois par la mécanisation à outrance, et par l’utilisation des intrants chimiques qui, tels les herbicides, ont supprimé le travail de désherbage. Des colzas issus de la mutagenèse (PGM) sont semés en France en 2013 avec un gène de résistance à certains herbicides en contradiction avec la loi d’interdiction des OGM. Les engrais de synthèse à base de pétrole et de gaz ont fait disparaître les fermes où élevages et cultures de céréales étaient associés. Les prairies et les champs de céréales nourrissaient les élevages, les fumiers et les lisiers favorisaient le renouvellement de l’humus des champs et donc leur fertilité. Une ferme en polyculture-élevage exige plus de bras, donc plus d’emplois mais moins de transports et peu d’intrants extérieurs. L’inverse de la spécialisation des exploitations actuelles engendrée par le libre échange, l’alignement des prix sur les moins disants entraînant mécanisation à outrance et perte d’emplois.

Aujourd’hui dans les exploitations céréalières, une seule moissonneuse-batteuses et quelques tracteurs et remorques permettent à deux personnes de récolter et transporter jusqu’au silo près de 3 000 t d’équivalent céréales en quelques semaines. Quant aux engrais et aux pesticides, ils sont répandus en quelques jours par une seule personne pilotant des robots mécaniques de plus de 30 m de large, guidés par GPS. Il est possible pour un ouvrier pilotant un tracteur de dormir en roulant et de se faire réveiller par son téléphone au moment où le tracteur arrive au bout du champ.

Les décideurs ont ainsi favorisé la création de zones spécialisées dans l’élevage ou dans la production de grains. Par exemple dans la Beauce, ce sont les céréales et en Bretagne l’élevage. Tant pis si les céréaliers sont contraints d’utiliser les engrais chimiques à la place des fumiers et les Bretons, par manque de paille, d’élever leurs cochons sur des grilles et d’inonder ensuite les champs de leurs lisiers. Ceux-là mêmes qui se retrouvent dans les rivières et les eaux sous forme de nitrates en quantités ingérables, et sont à l’origine des fameuses algues vertes qui polluent lourdement le littoral breton.

D’un côté les quantités d’engrais utilisés par les céréaliers augmentent pour maintenir les rendements, car la fertilité des sols se détériore, de l’autre les éleveurs n’ayant pas de paille remplacent les litières par des claies en béton et déversent ensuite les lisiers dans la nature. Que l’on résonne en termes de coûts financiers pour les agriculteurs, de coûts écologiques pour l’ensemble des populations qui paient au prix fort les pollutions aux nitrates ou de coûts sociaux en termes d’emplois, le résultat est mauvais. Ce système ne peut survivre qu’en restant sous perfusion des subventions de la PAC et avec le soutien constant du ministère de l’agriculture, lui-même sous l’influence du ministère bis (on désigne ainsi en France le syndicat FNSEA), et des lobbies de l’agroalimentaire.

Il semble inéluctable que l’agriculture des pays industrialisés soit contrainte rapidement de revenir à un équilibre social et écologique. La montée inexorable du prix du pétrole, la perte progressive de rendement et les pollutions ingérables l’imposeront. Les nombreuses filières de l’agrobusiness ne pourront indéfiniment contrecarrer les demandes de la population réclamant une nourriture sans pesticides, des eaux douces non polluées, des plages sans algues vertes, des abeilles pour butiner les fleurs et des émissions de GES (gaz à effet de serre) en diminution. Cette agriculture industrielle en émet beaucoup aussi bien sous forme de CO2 par la destruction de la MOS que par la transformation des engrais azotés en protoxyde d’Azote. Celui-ci est 200 fois plus réchauffant que le CO2. Elle émet aussi du méthane issu de l’élevage et du CO2 par sa forte consommation de pétrole, engrais, machinisme et transport. L’augmentation du prix du pétrole et des intrants entraîne des surcoûts que la baisse tendancielle des rendements, 1 à 2% par décennie, ne pourra pas compenser. L’agriculture biologique sera de plus en plus recherchée car elle pollue peu, n’externalise pas ses coûts et, généralisée, serait capable de refroidir l’atmosphère. |28|

Exportation agricole et protéines animales

Les surproductions de la révolution verte ont conduit à l’augmentation du cheptel, donc de la consommation de viande, et à l’exportation du reste. Les céréales produites en trop grande quantité ont été utilisées comme aliment du bétail. On a instauré la stabulation libre. Les bêtes ne pâturent plus dans les prés, elles disposent de foin et de céréales dans l’étable à volonté. Cela, lié à une sélection incroyable avec l’insémination artificielle généralisée, etc, les quantités de lait ont fortement augmenté.

Assez rapidement, il y a eu trop de beurre et de viande dans les frigos malgré toutes les campagnes publicitaires en France et en Europe pour en augmenter la consommation. La Russie dans les années 1970 fût le premier exutoire des montagnes de beurre à prix cassé, de viande congelée ou de lait en poudre, mais c’était encore insuffisant. Grâce aux aides financières à l’exportation, ces surplus ont alors envahi les PED.

Par cette double stratégie de transformation des céréales en viande et d’exportation des surplus, le productivisme a non seulement résorber ces stocks, mais il a même pu continuer à augmenter ses productions céréalières et animales. Comment ? En important des protéines de soja à bas prix, provenant en majorité du Brésil et d’Argentine, issues à 80 % de cultures OGM. Sans ces énormes apports venus de l’extractivisme agricole étranger, nul doute que le prix des viandes et produits laitier serait beaucoup plus élevé et la production quantitativement très inférieure.

Le cocktail qui fait augmenter le prix des denrées alimentaires, la spéculation qui l’amplifie

La montée et la volatilité du prix des denrées agricoles sont multifactorielles comme de nombreuses autres grandes questions impactant lourdement nos sociétés, tels la progression continue du cancer ou le réchauffement climatique. Cependant, ce sont avant tout des choix politiques qui font augmenter la demande de végétaux cultivés et entraînent depuis quelques années un décalage avec la production. Dans les paragraphes précédents, nous avons parlé des surproductions de produits tropicaux et de céréales ayant déprimé les prix pendant plusieurs décennies. Depuis 2005-2008, on assiste à un retournement alors que les quantités produites n’ont jamais été aussi importantes. Elles sont paradoxalement insuffisantes pour répondre à une demande qui a augmenté encore plus fortement. Comment est-ce possible ?

La montée des prix, les causes de fond

Le doublement du prix des trois principales céréales - blé, maïs, riz - et d’autres denrées alimentaires comme les oléoprotéagineux depuis les années 2005-2008 peut être attribué à plusieurs causes. Les deux principales sont la transformation du maïs en éthanol et la spéculation sur les matières premières. Les autres, la croissance de la consommation de viande plus celle de la démographie mondiale, la perte de surfaces agricoles et les perturbations climatiques liées au réchauffement, n’ont eu que des impacts ponctuels sur cette vertigineuse augmentation des prix. Leurs conséquences seront à coup sûr de plus en plus préoccupantes, voire catastrophiques dans les prochaines années.

Libre-échange

Le commerce international des céréales concerne 10-12 % de la production mondiale. Le reste est vendu sur les marchés locaux ou autoconsommé. Pourtant, les prix fixés dans les bourses du Nord s’aligneront sur les prix les plus bas, et s’appliqueront à l’ensemble des productions mondiales. Pour le blé, le

soja et le maïs, ce sera le prix du plus gros producteur. C’est donc le maïs fortement subventionné des États-Unis qui permet un prix bas, qui sert de référence pour fixer le prix. Il en va de même pour d’autres céréales. Organisation volontaire d’une concurrence déloyale, un moyen de conquête des marchés agricoles des pays qui ne peuvent subventionner leur agriculture. Ayant été contraints de baisser leurs barrières douanières sous les « ordres » du FMI comme conditionnalités des prêts de secours, et grâce à l’OMC poussant à la libre circulation des denrées agricoles sur le plan mondial, ces pays se retrouvent sans défense face aux exportations mondiales de denrées à prix cassé.

Les accords de libre échange de Doha, patronné par l’OMC depuis 2001, n’ont jamais abouti à cause du refus des pays émergents d’ouvrir leurs frontières à ces produits subventionnés. Le GMT, le grand marché transatlantique, en cours de discussion dans la plus grande opacité, entre l’Europe et les Etats-Unis, vise entre autre à contourner cet obstacle. Il serait encore bien pire que le projet de Doha pour l’agriculture mondiale s’il devait être signé un jour. Plus de droits de douane mais surtout plus de règlements sociaux ou écologiques pour se défendre contre le poulet lavé au chlore, le porc élevé à la ractopamine, le bœuf aux hormones ou la culture des OGM.

Ce libre-échange, faussé par les subventions, a été mortifère pour l’agriculture familiale. Nombre de petits paysans des PED, en concurrence directe avec les productions industrielles et subventionnées des grands pays exportateurs, ont progressivement été ruinés. Contraints à l’exil vers les villes, ils ne peuvent plus remplir leur rôle d’approvisionnement des marchés locaux. La place est alors libre pour les productions importées malgré la concurrence faussée par un dumping aussi illégale qu’illégitime. Cela est d’autant plus injuste et dommageable pour les populations des PED que le productivisme a de moins bons rendements que l’agriculture vivrière biologique réalisée avec le bons matériel et de bonnes semences paysannes, particulièrement au Sud. De plus, en ne détruisant pas la MOS et en ayant un besoin en énergie fossile 10 à 100 fois moins important que le productivisme, elle ne produit que peu, voire aucun CO2. |29|

L’exemple du Mexique est emblématique. La signature du traité de libre-échange de l’Amérique du Nord (Alena) en 1994 a fait totalement disparaître les taxes douanières qui protégeaient les petits producteurs. Le maïs étatsunien moins cher, grâce aux aides publiques, est alors entré massivement ruinant de nombreux paysans mexicains contraints d’abandonner leurs champs pour tenter de trouver du travail en ville. Originaire du Mexique, le maïs est la base de l’alimentation et de la culture de l’Amérique du Sud, comme le riz en Asie. Or depuis la signature de l’Alena, le prix moyen du maïs a quasiment triplé en 2008. Il valait début 2013 plus de 240 euros la tonne. Le prix de la tortilla, le plat national, a flambé produisant faim et misère, la production mexicaine étant devenue insuffisante pour contrecarrer cette hausse de prix.

Agrocarburants

Dans un redoutable effet cocktail, libre-échange, agrocarburant et spéculation ont amplifié la montée des prix. Depuis quelques années, la part de maïs étatsunien transformé en éthanol atteint près de 40 %. L’agroéconomiste Jacques Berthelot |30| fait un lien direct entre diminution des stocks de céréales, liée à la transformation du maïs en agrocarburant, et augmentation des prix mondiaux.

En France, l’équivalent de l’ensemble de la production des oléoprotéagineux, colza et tournesol, est utilisé comme substitut du pétrole pour les agrocarburants et la chimie « verte ». Des subventions publiques sont données aux producteurs de colza-tournesol ainsi que des aides publiques aux industries de transformation en agrocarburants. Est-il acceptable que Sofiprotéol, le premier groupe français de la filière des huiles et protéines végétales, soit dirigé par Xavier Beulin, président de la FNSEA, syndicat agricole majoritaire et ministère bis de l’agriculture ? Un tel conflit d’intérêt n’émeut quasiment personne alors que la France est devenue importatrice pour sa propre consommation d’huile de palme et de soja, produits qui détruisent les forêts primaires en Asie, Amérique du Sud et Afrique.

Ces carburants censés être ’verts’ affichent en réalité, pour certains, un bilan environnemental calamiteux, lorsque les plantations destinées aux agrocarburants entraînent la destruction de forêts ou de prairies en Amazonie ou en Indonésie, et donc une perte d’écosystèmes captant le CO2. |31|

En Afrique, alors que près de la moitié de la population est en état de sous-alimentation, l’énorme mouvement d’accaparement de terres est en partie dédié à la production d’agrocarburants : palmier à huile, jatropha, etc. En Amérique du Sud, une part importante des terres est affectée à la canne à sucre pour l’éthanol ou au soja pour le biodiesel.

En transformant des végétaux cultivés en énergie on transforme virtuellement les terres arables en champs de derricks. Aucun geyser de liquide noir et visqueux ne jaillira de ces terres, mais le prix des agrocarburants produits sera indexé sur celui du pétrole. Selon l’AIE, « La production de pétrole conventionnel a atteint son pic historique en 2006, elle n’augmentera plus jamais » |32|, le pic général ne devrait pas tarder à se produire. Selon Matthieu Auzanneau, « Le boom des pétroles de schiste ne pourra pas se poursuivre au-delà de 2020, d’après le scénario de référence avancé par Washington. » |33| La production ne pouvant plus suivre la consommation, le prix des énergies liquides augmentera fortement au cours des années à venir.

Ainsi, le prix des terres comme celui des denrées alimentaires continuera à augmenter tant que les agrocarburants absorberont une part importante de la production agricole mondiale. Ce qui ne pourra qu’exacerber la spéculation sur les terres et les accaparements.

Si les gouvernements s’accordaient enfin pour sortir les denrées alimentaires des marchés financiers, il leur faudrait aussi interdire la spéculation sur les terres. Ce qui impliquerait de leur redonner le statut de biens communs, et ainsi de faire primer le droit d’usage sur celui de propriété. Ce que nous défendons vivement. Le paysan agriculteur doit redevenir un locataire temporaire de la terre de ses enfants si nous ne voulons pas que le monde se transforme en une gigantesque barbarie dans laquelle ceux qui meurent de faim regardent ceux qui conso-gaspillent et réciproquement. Avec la télévision et internet n’est-ce pas déjà commencé ?

Viandes et protéines animales

L’augmentation de la consommation de viande sur la planète, bien qu’elle soit encore en arrière-plan, a une grande importance dans la montée des prix des denrées alimentaires. Chaque Européen consomme en moyenne 70 kg de viande par an, les Etatsuniens plus de 120 kg. La Chine a accru sa consommation de 55% en dix ans, |34| l’Inde traditionnellement végétarienne et d’autres pays prennent la même direction au nom de leur droit à atteindre le même standard de vie que les occidentaux. Sachant qu’il faut environ 6,5 protéines végétales (PV) pour produire une protéine animale (PA), que se passera-t-il si cette tendance se maintient ?

Prenons une base de 15% d’augmentation de la consommation mondiale de viandes et sous-produits animaux pour les deux décennies à venir, en cohérence avec la progression actuelle. Cela entrainerait le doublement de la production de protéines végétales pour alimenter le cheptel correspondant (6,5 PV x 15% = 97,5% PV). Sans raser les forêts ni pomper toutes les eaux douces disponibles, il parait impossible de doubler la production végétale d’aliments destinée à l’élevage, y compris celui des poissons. Partout, l’accroissement de la demande en aliment du bétail sera un facteur supplémentaire de dégradations environnementales et de famines dans un contexte de montée des prix et de guerre pour l’eau.

Spéculation sur les denrées alimentaires

Libre-échange, agrocarburants et protéines animales excitent l’appétit des spéculateurs depuis la débâcle de 2007-2008 avec subprimes, titrisations et escroqueries financières généralisées. Echaudés par les produits dérivés, dont le sous-jacent était l’immobilier, ils se sont reportés sur les matières premières et en particulier sur les denrées alimentaires. Un rapport d’Oxfam, « Banques, la faim leur profite bien » explique que la finance occupe 65 % du marché des dérivés agricoles en 2013 contre 35 % pour les commerçants et les producteurs. BNP Parisbas, Crédit Agricole, Sté Générale et BPCE y sont très présentes, Jean Ziegler parle de « banditisme bancaire ». |35| Les mastodontes du commerce agroalimentaire, comme Glencore, Cargill, Louis Dreyfus, Mitsubishi, etc, |36| profitant de leurs positions monopolistiques, sont souvent les premiers à spéculer.

Si l’on regarde les trois aliments de base (le maïs, le riz et le blé), qui couvrent 75 % de la consommation mondiale, leurs prix ont explosé. En 18 mois, le prix du maïs a augmenté de 93 %, la tonne de riz est passée de 105 à 1010 dollars et la tonne de blé meunier a doublé depuis septembre 2010, passant à 271 euros. Cette explosion des prix dégage des profits astronomiques pour les spéculateurs, mais tue dans les bidonvilles des centaines de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants. |37|

Signalons que « loin de flamber, les prix mondiaux se seraient effondrés » |38| comme l’explique J.Berthelot, sans la transformation de 40 % du maïs étatsunien en éthanol. Entre 2006 à 2013, la production mondiale aurait en effet été largement supérieure à la demande. Régulation publique et stockages de sécurité restent indispensables pour stabiliser les prix et pouvoir répondre à la demande en cas de baisse de la production.

Imaginons qu’une stratégie spéculative - la mise sur le marché d’un très gros stock virtuel (achat à terme) ou réel - amplifie la baisse du prix du riz au moment de la récolte, car elle semble être mondialement abondante, c’est bien le producteur qui verra son investissement et son travail sous-rémunéré. Et si, plus tard, les investisseurs font monter les prix par des achats de masse, le spéculateur gagnera encore beaucoup d’argent une deuxième fois au détriment du producteur qui aura déjà vendu sa récolte à bas prix. Les spéculateurs ne font pas de l’argent avec de l’argent mais bien avec la sueur des autres, trop souvent celle des pauvres qu’ils transforment en misérables.

Ces jeux de la finance-casino amplifient une volatilité des prix catastrophique pour les populations. Soit elles vivent en ville et ne peuvent faire face au renchérissement des aliments pour se nourrir, cause des émeutes urbaines de la faim en 2008. Soit elles vivent dans les campagnes, mais ne disposant pas de terres, elles subissent de la même manière le désastre du renchérissement. Loin des médias, elles souffrent ou meurent dans un silence médiatique assassin. Pour les agriculteurs, la volatilité rend ingérables les investissements agricoles. Un paysan ne peut emprunter pour des achats de semences, de terres ou de matériels, sans risquer de tout perdre, s’il n’a pas quelques certitudes sur les prix des denrées produites durant la période de son remboursement. Pour contrer les effets dramatiques de la volatilité des prix, les gouvernements des PED doivent recréer des stocks publics et instaurer des prélèvements douaniers variables aux frontières sur les importations de denrées alimentaires subventionnées.

Impacts des transformations du climat sur l’agriculture

De nouvelles sécheresses apparaissent, les saisons des pluies se transforment en cyclones dévastateurs, les températures moyennes montent dans des lieux déjà très chauds. D’autres fois, il ne pleut pas assez au moment de la croissance des céréales. En 2013, la saison des pluies, au Nord de Madagascar, s’est arrêtée avant que les grains de riz n’aient pu se former. Je connais beaucoup de jeunes - qui n’ont pas pu aller à l’école - et de parents qui ont souffert de la faim, le prix du riz étant devenu trop élevé.

Imaginez les appels au secours des riches exploitants de la Beauce le jour où cette immense plaine sera couverte de blés avec des épis sans grains au moment de la moisson ! Les citoyens seront aussitôt mis à contribution par le gouvernement à travers des aides d’urgence, alors que ce sont justement ces exploitants businessmen, avec leurs pratiques productivistes intensives, qui portent une grande part de responsabilité dans le chaos climatique. En Beauce la couche de terre fertile, la MOS, est passée de 100 cm à 25-35 cm en 50 ans.

Les décalages de saison affectent lourdement les agricultures paysannes et l’alimentation de nombreux humains. Quand ce sont des continents comme l’Australie qui manque d’eau ou la Russie qui s’enflamme sur d’immenses surfaces, les prix mondiaux s’en ressentent. Si les énormes inondations en Thaïlande en 2011, le premier exportateur de riz, n’ont pas réellement affecté l’approvisionnement mondial, ni même le cours du riz, déjà très élevé, combien de temps cela durera-t-il ? Le pic de la production mondiale de denrées alimentaires ne va-t-il pas être lui aussi atteint prochainement ?

Bien que New York avec l’ouragan Sandy et d’autres régions des États-Unis aient été gravement touchés par les événements météorologiques exceptionnels, en 2012-2013, la population étatsunienne ne connaît pas encore de problèmes d’approvisionnement alimentaire. Alors que Bush avait dit que le niveau de vie des Américains n’était pas négociable en refusant toute limitation des GES au sommet de la terre en 1992, Barack Obama, 16 ans après, a fait une déclaration fort différente.

Nous ne pouvons pas conduire des 4x4, manger autant que nous le désirons, garder nos maisons à 20°C par tous les temps et espérer tout simplement que les autres pays vont être d’accord. Ce n’est pas ça, le leadership.

En effet, dans une décennie ou deux, la raréfaction de l’eau douce et les transformations du climat poseront de gravissimes problèmes d’accès à l’alimentation dans de nombreux pays. Selon Luc Gnacadja responsable de la lutte contre la désertification à l’ONU. « Ce n’est qu’en prévenant cette dégradation que nous pourrons faire face aux défis des changements climatiques, de la croissance démographique, de la réduction de la pauvreté et de la sécurité alimentaire, » précisant que « 12 millions d’hectares de terres productives étaient perdus chaque année. » |39|

La fonte rapide des grands glaciers d’Amérique et d’Asie risquent d’être insurmontables pour l’approvisionnement alimentaire de nombreux pays. Ce sont plusieurs milliards d’humains qui vivent, dans les régions irriguées par les grands fleuves. Et ces phénomènes risquent d’être renforcés par des sécheresses de plus en plus fréquentes. Le Pakistan, l’Inde et la Chine ont déjà commencé une guerre de basse intensité pour ces immenses ressources en eau.

Le réchauffement climatique et son impact sur la fonte des glaciers himalayens, qui accroît les risques d’inondation à court terme, ajoutent aux inquiétudes ambiantes. L’Inde se situe au cœur de ce puzzle ‘hydropolitique’. Dès que l’on décortique les contentieux avec ses voisins, le partage de l’eau de l’Himalaya s’impose comme une source majeure de frictions. Avec la Chine, la controverse n’a cessé de s’aiguiser ces dernières années. Elle se focalise sur les projets chinois le long du Brahmapoutre, lequel prend sa source au Tibet, ainsi que sur la plupart des grands fleuves d’Asie. |40|

Ce ne sont pas les OGM, ou les cultivars tous terrains, incapables de pousser sans irrigation, sans « béquilles » chimiques - donc sans pétrole - produits par les grands monopoles semenciers internationaux |41| qui pourront fournir des solutions adaptées aux changements climatiques localisés, sécheresse ou surabondance de pluies. D’autant plus que les graines brevetées ne sont pas reproductibles localement. A l’inverse, les semences de terroirs que les paysans sélectionnent et échangent entre eux, comme ils l’ont fait depuis des millénaires, sont adaptatives et résilientes à des chocs climatiques. Rien n’empêchant alors que les centres de recherche publique en agroécologie travaillent à l’amélioration des processus de sélection paysanne, ce devrait d’ailleurs être pour eux une mission aussi urgente qu’essentielle.

Les grands semenciers ont obtenu que les agriculteurs ne puissent plus utiliser leurs propres semences sans leur payer une redevance. Profondément injuste, cette interdiction est aussi un non-sens écologique. Elle va faire disparaître à terme toute la diversité des semences paysannes et locales, et nous expose collectivement à d’immenses famines comme la planète n’en a jamais connu. On a vu récemment l’armée colombienne éventré des sacs de semences paysannes au nom de l’accord de libre échange avec les Etats-Unis, |42| une vraie folie !

L’indispensable dépérissement de l’agro-extractivisme et du conso-gaspillage alimentaire

Bilan de l’agriculture productiviste : social, financier, écologique, et sanitaire

L’agro-extractivisme profite-t-il aux populations ? Dans les PED la réponse est non. La faim, la sous-alimentation et la carence en nutriments de milliards de personnes montrent bien que le productivisme agricole n’a pas été capable en cinquante ans d’existence, de nourrir les populations des pays à faible revenu. Quant aux populations des pays industrialisés, si elles profitent des prix, en apparence peu élevés, et de quantités abondantes c’est au détriment de la qualité nutritionnelle et grâce à l’externalisation négative des coûts cachés de l’agriculture productiviste. Les prix des maladies engendrées par les pollutions agricoles : air, terre, eau et aliments ne sont pas chiffrés alors qu’ils sont considérables. Le coût, environnemental et social, des extractions diverses à l’étranger, nécessaires au productivisme agricole, est lui aussi rarement comptabilisé.

L’agriculture dite conventionnelle est-elle rentable pour les agriculteurs ?

Pas davantage. La majorité des exploitations des pays occidentaux feraient rapidement faillite sans les subventions publiques, d’autant plus vite que les agriculteurs sont pour la plupart très endettés. Si nous appliquions la loi du pollueur-payeur, ce qui semblerait évident et juste pour un enfant de 10 ans, l’Europe deviendrait dans l’instant un désert agricole, hormis les 5% de surfaces cultivées en biologie. Au demeurant rien n’empêche que toute l’agriculture européenne se mette au bio. Hormis les industriels des pesticides comme ceux des engrais et des semences mutées - qui pratiquent le pollueur-payé par nous tous - les 500 millions d’européens seraient ultra gagnants aussi bien sur le plan de la santé publique, de l’environnement que sur le plan financier : démonstration plus bas.

Quant aux agriculteurs du Sud, non seulement ils subissent la concurrence déloyale des produits subventionnés dans le système du libre-échange imposé, mais en plus ils perdent leurs terres et le travail qui les nourrit aux profits des accapareurs productivistes. Ceux d’entre eux qui pratiquent l’agriculture conventionnelle, issue de la « révolution verte », voient leurs terres perdre leur fertilité, voire se saliniser ou s’éroder et ainsi devenir incultes. Seules les grandes entités, exploitant des terres spoliées, sans payer le prix de la destruction de la fertilité des sols ni de la pollution des eaux ont un bilan financier positif. N’oublions pas que 284 000 paysans indiens se sont suicidés pour surendettement après être tombés dans les dettes de la « révolution verte » et de l’agritech comme l’explique Vandana Shiva. C’est presque le double des morts de la guerre en Syrie début 2014.

Cette agriculture est-elle bonne pour la planète ?

Elle est la première responsable de la perte de la biodiversité, de la déforestation, du conso-gaspillage alimentaire, de la pollution des eaux douces et du réchauffement climatique. Selon l’agronome Jacques Caplat, la dépollution des eaux (nitrates et pesticides) coûte en France entre 800 et 2 400 euros par hectare cultivé en mode conventionnel (engrais et pesticides) |43|. Ce qui peut parfois être plus élevé que la valeur brute des récoltes. Le rendement moyen des terres cultivées aux Etats-Unis ou en Europe, selon la Banque mondiale, est de 7 tonnes à l’hectare de céréales, ce qui donne un revenu brut de 1 330 euros en août 2013 (190 euros/tonne blé meunier). Pour calculer le revenu net il faut enlever le prix du gasoil, l’amortissement du matériel et du foncier (sauf héritage), les intérêts des prêts, le prix des semences clonées, des engrais et des pesticides plus celui du travail, soit environ 1 500 euros/ha. |44|

Revenu brut/ha : moyenne 1 330 euros Charges de production 1 350-1 500 Déficit 0-170 Subvention moyenne / ha 330

Le fait que la dépollution soit payée par les consommateurs d’eau est une escroquerie qui profite aux compagnies privées qui distribuent et épurent la ressource - ce qui est bien sûr indispensable - mais surtout aux producteurs d’engrais et de pesticides qui en sont les premiers responsables. Les droits des utilisateurs d’eau et de la nature sont bafoués.

Bilan comparatif avec l’agriculture biologique

L’impact de l’agriculture biologique, AB, sur la destruction de la biodiversité est extrêmement faible, voire inexistant. En reproduisant le principe des monocultures clonales |45|, l’intensité énergétique de l’AB bien que plus faible, pourrait rendre celle-ci également non viable dans une perspective de déplétion du pétrole : le type d’AB choisi est donc essentiel. Par contre, la consommation d’eau serait réduite, la pollution de l’air, des terres et des eaux serait inexistante, l’impact sur le climat extrêmement positif.

Quant au bilan comptable des chiffres bruts du conventionnel et du biologique, il est très proche. Bien sûr, sans tenir compte des externalités négatives ni des couts réels de production très défavorables au conventionnel. Sachant que les rendements des cultures en biologie augmentent quand ceux du conventionnel diminuent tendanciellement, on obtient en mars 2014

Blé tendre bio(chiffres Agrimer) 400 Euros x 3,2t/ha = 1280 E |46| Blé tendre bio (chiffres J. Caplat) 400 Euros x 6t/ha = 2400 E Blé tendre conventionnel 207 Euros x 7 t/ha = 1449 E

Bien que les décideurs et les détenteurs de capitaux, avec les médias à leurs ordres, refusent de reconnaître les véritables coûts de l’agriculture conventionnelle, il est nécessaire de les internaliser pour comparer les deux modèles. La dépollution des eaux coûte en moyenne près de 1 600 euros par ha cultivé en chimie et par an. Quant à la perte de biodiversité comme la disparition des abeilles, la pollution des terres, de l’air et des aliments, elles ne sont pas évaluées, mais leur étendue est considérable. Les impacts des pesticides sur la santé - cancers, maladie cardiovasculaire et neurologiques (Parkinson et Alzheimer), obésité et diabète - sont maintenant admis |47| mais non évalués sérieusement. Quant à la part du réchauffement climatique due à ce type de pratique agricole, il coute déjà très cher à la communauté des humains, surtout au Sud. Les migrations climatiques ont commencé. C’est pourquoi il est légitime d’affirmer que les produits issus de l’agriculture biologique ont des coûts financiers, humains et écologiques incomparablement plus bas.

Alors que l’une est destructrice et que l’autre pourrait au contraire reconstruire un avenir viable, on ne cesse d’entendre que le bio est trop cher. C’est vrai si l’on ne regarde que le prix de vente au détail des aliments, mais c’est faux si l’on remet dans le bilan le cout des externalités négatives, cachées et non comptabilisées de façon volontaire et criminelle. Ceci est de même nature, que le lobbying créant le climato-scepticisme malgré l’accumulation des preuves scientifiques (étude du GIEC) du réchauffement produit par les humains. Multinationales des semences brevetées, producteurs de pesticides, grands distributeurs alimentaires, compagnies d’eau et de publicité, médias et banques, lobby médico-pharmaceutique, soumis à la recherche de dividendes par les actionnaires, mentent constamment. Tant qu’ils réussiront à faire prendre en charge les externalités négatives, de l’agriculture productiviste par la population, l’AB ne se développera que très lentement, quant à celui de la planète, il continuera à s’assombrir.

Le système de la malbouffe n’est-il pas une forme d’obsolescence programmée de la santé dans le but d’augmenter les bénéfices des multinationales du secteur ? Les maladies chroniques dues à une mauvaise alimentation apportent de la croissance. Elles sont un gaspillage de médicaments et d’actes médicaux qui font monter le PIB et les profits de quelques uns et dans le même temps font baisser le bien vivre de la population.

Le consommateur sait-il qu’il paie 6 fois sa nourriture ?

1… D’abord en achetant sa nourriture dans la grande distribution. Mais ensuite sait-il qu’il la paie encore 5 fois indirectement ?
2… A travers les subventions à l’agriculture prise sur ses impôts,
3… en ouvrant le robinet d’eau, il paie un prix extrêmement élevé pour chaque m3 à cause du prix de la dépollution (pesticides et nitrates), inexistant avec l’AB,
4… en allant chez le médecin trop souvent et en achetant des médicaments pour tenter de réparer les impacts négatifs sur sa santé des pesticides et de la malbouffe, en supportant les journées de maladies pour rien et la souffrance due à cette dégradation de sa santé
5… en subissant la perte de biodiversité (pollinisateurs, végétaux, animaux,).
6… en supportant les premiers dégâts du réchauffement-dérèglement climatique dus à cette agriculture.

Selon l’association Grain, le système agroalimentaire occidental, du champ à la bouche, est responsable de 50% des émissions de GES, sa persistance est donc un crime contre le climat et les peuples.

25 à 40 % du CO2 actuellement en excès dans l’atmosphère provient de la destruction des sols et de leur matière organique, la MOS. Or il est possible de réincorporer dans le sol le CO2 relâché par l’épuisement des sols, la qualité de la MOS pourrait être restaurée à des niveaux préindustriels en moins de 50 ans, le temps qu’il a fallu à l’agriculture industrielle pour la réduire. |48|

Quand les intérêts privés priment de façon aussi évidente sur l’intérêt général, que les gouvernements et les administrations publiques ne défendent plus les citoyens contre une agriculture productiviste qui, malgré ses destructions et son coût exorbitant, continue à exister, on peut affirmer qu’un système de type maffieux à pris le pouvoir non seulement sur nos champs mais aussi sur notre alimentation et notre santé.

Olivier de Schutter qui termine son mandat auprès de l’ONU a des mots très forts,

notre modèle agricole mondial est à bout de souffle. Le message final que je remets aux gouvernements, est la nécessité de démocratiser les systèmes alimentaires. Je crois aujourd’hui davantage à une transition imposée par des initiatives venues d’en bas que par des réglementations imposées d’en haut. |49|

Notes

|1| Hold up sur l’alimentation, déjà cité

|2| Jacques Caplat, interview 16.07.2010 dans Ecorev http://ecorev.org/spip.php?article948

|3| Microfinance, surendettement et suicides de femmes par l’auteur http://cadtm.org/Microfinance-surendettement-et

|4| Multiples articles sur www.cadtm.org

|5| Aide financière aux familles instituée par Lula, conditionnée à l’éducation des enfants.

|6| Marc Dufumier, Famine au sud, malbouffe au nord, éd. Nil 2012

|7| http://www.inter-reseaux.org/revue-grain-de-sel/48-mecanisation-et-motorisation/article/des-agricultures-manuelles-a-la

|8| http://www.fermedubec.com/ecocentre/methodeMaraichers.aspx

|9| http://www.tefysaina.org/Biographie.htm

|10| Détenir des réserves suffisantes de riz ou d’autres aliments pour atteindre la prochaine récolte

|11| La permaculture est une science récente et très prometteuse de la conception de cultures, des lieux de vie et des systèmes agricoles humains utilisant les principes écologiques. Elle utilise en même temps le savoir des sociétés traditionnelles pour reproduire la diversité, la stabilité et la résilience des écosystèmes naturels.

|12| Jean Ziegler, Destruction massive, éd du Seuil 2011

|13| http://www.peuples-solidaires.org/c...

|14| Plus de cent chercheurs en agronomie vilipendent le parti pris non scientifique d’une étude de l’INRA critique de l’agriculture biologique. http://www.reporterre.net/spip.php?...

|15| Vendre un produit moins cher que les coûts de sa production

|16| Plante oléagineuse produisant des fruits non comestibles

|17| Commerce inéquitable, le roman noir des matières premières, JP Boris, éd. Hachette 2005

|18| Chiffres confirmées par Faostat

|19| Thema : A qui profite la faim http://www.dailymotion.com/playlist/x106sg_welovedocs_thema-a-qui-profite-la-faim/1#video=x95mcq

|20| Jacques Caplat, interview 16.07.2010 dans Ecorev http://ecorev.org/spip.php?article948  

|21| http://yonne.lautre.net/spip.php?article4041

|22| La quantité de biens ou services réalisés par une personne : informatique, robotisation

|23| Ne pas prendre en charge, donc reporter sur d’autres, les conséquences négatives de ses productions : pollutions des eaux, de la terre et de l’air, déchets, réchauffement climatique, destruction de la MOS, etc

|24| http://www.franceculture.fr/emissio...

|25| Christian Velot, André Cicolella, Gilles-Eric Séralini, Dominique Belpomme et bien d’autres.

|26| Europe, Amérique du Nord, Japon

|27| Laetitia Clavreul. Le monde.fr 30.04.09

|28| Hold up sur l’alimentation, déjà cité

|29| GRAIN, Hold up sur l’alimentation humaine, éd Cetim-Grain 2012

|30| Jacques Berthelot, Réguler les prix agricoles, éd L’Harmattan 2013

|31| http ://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2013/09/11/le-parlement-europeen-plafonne-les-agrocarburants-juges-nuisibles_3474080_3244.html

|32| http://petrole.blog.lemonde.fr/2010/11/18/tout-va-bien-le-peak-oil-est-atteint-dit-lagence-internationale-de-lenergie/]

|33| http://petrole.blog.lemonde.fr/2013/05/20/petrole-lannee-2012-a-la-croisee-des-chemins/#more-8149

|34| http://www.monde-diplomatique.fr/20...

|35| Journal Libération, 12.02.2013

|36| Les profits des négociants de matières premières dépassent ceux des banques
http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2013/04/16/les-profits-des-negociants-de-matieres-premieres-depassent-ceux-des-banques_3160114_3234.html

|37| Jean Ziegler cité par Eric Toussaint, http://cadtm.org/Les-banques-specul...

|38| J. Berthelot, idem

|39| http://www.un.org/News/fr-press/doc...

|40| http://www.lemonde.fr/planete/a rticle/2012/03/12/chine-inde-et-pakistan-se-disputent-l-eau-de-l-himalaya_1656516_3244.html

|41| Monsanto, Syngenta, DuPont, Limagrain sont les plus importants

|42| « 9.70 Documentary » de Victoria Solano

|43| Jacques Caplat, agronome, conférence à Clamecy, Nièvre, 17 mai 2013, L’agriculture biologique pour nourrir la planète, Actes Sud, 2012

|44| http://www.terre-net.fr/actualite-agricole/economie-social/article/217-t-le-plus-haut-niveau-des-six-dernieres-recoltes-202-76988.html

|45| Jacques Caplat « Tous les épis d’un champ de blé ou de riz conventionnel sont génétiquement identiques » in livre cité plus haut

|46| Prix mars 2014 http://www.terre-net.fr/marche-agricole/

|47| Toxique Planète déjà cité

|48|

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5 mai 2014 1 05 /05 /mai /2014 17:08

 

CADTM

 

Source : cadtm.org

 

 

L’évolution des banques depuis Adam Smith et Karl Marx

4 mai par Eric Toussaint

 

 


Dès le 18e siècle, Adam Smith recommandait aux gouvernements de limiter drastiquement la liberté des banquiers et Karl Marx, au milieu du 19e siècle, écrivait que les grandes banques privées ne sont que des associations de spéculateurs privés qui s’établissent à côté des gouvernements afin de leur prêter l’argent du public. L’évolution des banques et des autres sociétés financières au cours des deux derniers siècles est tout à fait impressionnante, en particulier au vu de l’hypertrophie financière qui caractérise les 20 dernières années.

D’autres évolutions d’ampleur sont à souligner : la diminution très importante du capital dur dans le bilan des banques et l’augmentation concomitante de l’effet de levier, l’augmentation du rendement sur fonds propres, une circulation de plus en plus rapide des actions qui changent de propriétaire, l’augmentation exponentielle des rémunérations des dirigeants des banques...

En passant de la responsabilité illimitée à la responsabilité limitée des actionnaires, les gouvernants qui ont fait modifier les lois au cours du 19e siècle ont garanti l’irresponsabilité et l’impunité des grands actionnaires, puisque ces derniers n’engagent plus qu’une partie minime de leur patrimoine.

« Dès leur naissance, les grandes banques, affublées de titres nationaux, n’étaient que des associations de spéculateurs privés s’établissant à côté des gouvernements et, grâce aux privilèges qu’ils en obtenaient, à même de leur prêter l’argent du public. » |1|.

Depuis que Karl Marx a écrit cela dans Le Capital publié en 1867, les banques n’ont pas évolué dans le bon sens, pour dire les choses très courtoisement.

L’évolution des banques et des autres sociétés financières (assurances, fonds de placement…) au cours des deux derniers siècles est tout à fait impressionnante.

Au milieu du 19e siècle, au Royaume-Uni, puissance financière et bancaire dominante au niveau mondial, les actifs du secteur financier représentait moins de 50 % du produit intérieur brut et les trois grandes banques ne représentaient que 5 % du Produit intérieur brut (PIB) |2|.

En 2012, toujours au Royaume-Uni, le total des actifs du secteur financier représentait plus de 1 000 % du PIB et les actifs des 3 plus grandes banques (HSBC, Barclays et Royal Bank of Scotland) pesaient à elles seules 350 % du PIB.

L’évolution du volume du bilan des 3 principales banques britanniques en % du PIB est la suivante : 5 % au milieu du 19e siècle, 7 % au début du 20e, 25 % au début des années 1950, 75 % à la fin des années 1990, 350 % en 2012 !

Cela donne une indication non équivoque de l’hypertrophie financière fulgurante qui marque les 20 dernières années.

D’autres évolutions complémentaires doivent être soulignées.

La diminution très importante du capital dur dans le bilan des banques et l’augmentation concomitante de l’effet de levier. Au milieu du 19e siècle, le capital dur représentait en général entre 25 et 50 % du bilan de la banque (plus souvent 50 % que 25 %). En 2014, le capital dur représente entre 3 et 5 % du bilan. Cette situation n’est pas propre au Royaume-Uni, on constate la même évolution dans les autres pays les plus industrialisés d’Europe et d’Amérique du Nord.

L’effet de levier a donc augmenté de manière impressionnante. Pour le dire de manière simple, au milieu du 19e siècle, les actionnaires de la banque apportaient entre 25 et 50 % des moyens dont disposait la banque qui empruntait le reste, c’est-à-dire un montant égal à l’apport des actionnaires ou le double de celui-ci. En 2014, ils apportent seulement entre 3 et 5 % |3|, la banque emprunte près de 20 à 30 fois plus afin de réaliser ses activités.

L’introduction de la responsabilité limitée des actionnaires. Jusqu’au premier quart du 19e siècle, au Royaume-Uni et plus tard dans plusieurs pays du continent européen, le patrimoine des propriétaires des entreprises était totalement engagé en cas de faillite de la société qu’ils possédaient (soit via des actions, soit en propriété directe). En droit, on parlait de la responsabilité illimitée des propriétaires et/ou des actionnaires.

Prenons une banque dont le bilan représente 1 000 avec dix actionnaires détenant chacun 5 % de la société. Ils possèdent chacun 50 (5 % de 1000), 500 ensemble. L’entreprise fait faillite et admettons que les créanciers et les autres ayants droit réclament 900 en termes d’indemnisation. Le capital (500) est insuffisant pour payer le coût de la faillite. On pouvait aller récupérer les sommes manquantes en puisant dans le patrimoine total des actionnaires afin d’indemniser qui de droit.

Un peu partout dans le monde, la législation a été modifiée au cours du 19e siècle |4| : les capitalistes ont obtenu par la loi que les risques et les responsabilités qu’ils prennent soient limités. On parle de sociétés à responsabilité limitée. En cas de faillite, leurs pertes ne concernent que la part du patrimoine de l’actionnaire engagée dans l’entreprise. Pour reprendre l’exemple précédent, un capitaliste ayant un patrimoine de 10 000 n’a sa responsabilité engagée qu’à concurrence de 50. On ne peut pas aller puiser dans son patrimoine pour indemniser les ayants droit.

De là tout l’intérêt de contrôler, comme c’est le plus souvent le cas, une entreprise en ne possédant que 3 à 6 % des actions. En effet, si le capital apporté par les actionnaires ne représente que 5 % du bilan de la banque et que l’actionnaire principal n’a apporté que 5 % des actions, son risque se limite à 0,25 % du bilan !

Reprenons l’exemple précédent, avec une banque qui fait faillite et dont le bilan représente 1 000. Les créanciers et les autres ayants droit réclament 900 d’indemnisation. Le capital dur (50, c’est-à-dire 5 % de 1 000) est insuffisant pour payer le coût de la faillite. Supposons que l’actionnaire principal soit le fonds de placement BlackRock (voir encadré) qui possède également 5 % de JP Morgan (la plus grande banque des Etats Unis |5|). L’actionnaire principal détient donc 5 % de 50, soit 2,5. Tout ce qu’il risque comme perte se résume donc à 2,5 (alors qu’il faut trouver 900 pour indemniser les ayants droit) même s’il est responsable d’avoir conduit la banque à la faillite. On comprendra aisément qu’en passant de la responsabilité illimitée à la responsabilité limitée, les gouvernants qui ont fait modifier les lois ont garanti l’irresponsabilité et l’impunité des grands actionnaires. Avant ce changement fondamental, en principe, le capitaliste risquait de perdre beaucoup plus que sa mise dans l’entreprise et était incité à la prudence. Si les grands actionnaires qui n’ont placé qu’une petite partie de leurs avoirs dans la banque voient leur perte limitée à ce montant et conservent le reste de leur patrimoine placé dans d’autres sociétés, à l’inverse, les petits actionnaires de Fortis en Belgique, de Royal Bank of Scotland, de Dexia ou de Lehman Brothers qui ont placé une partie importante de leurs économies dans les actions d’une de ces banques ont beaucoup perdu en termes relatifs. Evidemment, leur responsabilité est limitée comme celles des grands actionnaires mais s’ils ont mis toute leur épargne dans les actions d’une entreprise, ils perdent tout en cas de faillite.

La responsabilité limitée des actionnaires prévue par la loi favorise la prise de risque de la part des grands actionnaires, car leurs pertes potentielles en cas de faillite sont très limitées en proportion de leur patrimoine global. On peut parler d’une législation qui encourage l’aléa moral.

Les dispositions légales sur la responsabilité limitée des actionnaires doivent donc être abrogées. Le coût d’une faillite et des dégâts globaux qu’elle cause doivent être supportés par les grands actionnaires et leur patrimoine |6|.

Le phénomène BlackRock

Parmi les fonds mutuels de placement, BlackRock qui se présente comme une société de gestion d’actifs dispose à elle seule de 4 100 milliards de dollars d’actifs |7|, c’est-à-dire plus que tous les hedge funds réunis et un peu moins que la plus grande banque privée au niveau international |8|.

BlackRock a racheté pendant la crise bancaire un département important de la banque britannique Barclays (avant cela il avait acheté une partie de Merrill Lynch) et est le principal actionnaire de la principale banque américaine JP Morgan (avec 6,1 % du capital), le premier actionnaire de Apple (avec 5,1 %), de Microsoft (avec 5,5 %), d’Exxon Mobil (5,4 %), de Chevron (6,2 %), de Royal Dutch Shell (4,9 %), de Procter & Gamble (5,4 %), de General Electric (5,5 %) et de Nestlé (3,7 %). Il est le deuxième actionnaire en ordre d’importance de la société de Warren Buffet, Berkshire Hathaway (BlackRock détient 6,8 % de son capital). Il est aussi le deuxième actionnaire de Google (5,8 %), de Johnson & Johnson (5,6 %), de la quatrième plus grosse banque US, Wells Fargo (5,4 %), de Petrochina (6,8 %). BlackRock est le troisième actionnaire de Walmart (2,6 %) et de Roche (2,0 %). Il est également le quatrième actionnaire de Novartis (3,0 %). Les 17 entreprises qui viennent d’être citées ont une position dominante dans leur secteur respectif d’activité. Ces 17 mastodontes sont les plus grandes sociétés en termes de capitalisation boursière sur le plan mondial. Il faut ajouter que BlackRock possède une société de gestion de risques appelée Aladdin qui conseille des sociétés financières détenant des actifs pour un montant total de 11 000 milliards |9|, et qu’elle détient des actions de Moody’s et de McGraw Hill, la propriétaire de Standard & Poor’s, 2 des plus importantes agences de notations au niveau international |10|.

L’augmentation du rendement sur fonds propres (ROE). La part totale des actionnaires dans le bilan des banques ayant fondu, les bénéfices distribués totaux sont répartis sur une plus petite quantité avec comme conséquence une augmentation du rendement. Alors qu’au début du 20e siècle, le rendement sur fonds propres était de l’ordre de 4 à 6 %, il est passé à 20 % à la fin du siècle, puis à 30 % en 2007 à la veille de la crise bancaire.

Les actions changent de main de plus en plus vite. Au 19e siècle, il n’était pas rare pour les grands actionnaires de garder leurs actions pour la durée de vie de la banque. Cela a évolué depuis. Dans les manuels d’économie des années 1960-1980, on expliquait qu’en moyenne un actionnaire achetait une action pour une durée d’au moins 8 ans. En 1998, en moyenne, les actionnaires des banques des États-Unis et d’Europe gardaient leurs actions pendant 3 ans. En 2008, c’était en moyenne pendant 3 mois |11|. Cela a amené les banques à publier leurs résultats tous les 3 mois. Cette rotation met sous pression les dirigeants des banques pour faire du résultat coûte que coûte afin de garder ou d’attirer des actionnaires. Cela pousse à la prise des risques pour maintenir le rendement le plus élevé possible.

Cette situation a une autre conséquence : les investisseurs institutionnels (fonds de placement, assurances, hedge funds, banques…) peuvent pousser eux-mêmes à la baisse des cours des actions de la banque et faire du bénéfice en spéculant sur cette baisse, a fortiori s’ils peuvent procéder à des achats ou à des ventes à découvert ou à nu, et en recourant de façon intensive au trading à haute fréquence. Selon Laurence Scialom et Gaël Giraud, « la durée moyenne de détention d’un actif financier entre les mains d’un hedge fund est de dix minutes » |12|. Les investisseurs à long terme (petits actionnaires et pouvoirs publics s’ils ont des actions de la banque) ont perdu, les investisseurs à court terme mènent la danse et peuvent gagner presque à tous les coups s’ils spéculent de manière avisée. Cela provoque une grande volatilité des cours. Les investisseurs à court terme gagnent d’autant plus qu’il y a volatilité et leurs achats/ventes à court terme entretiennent cette volatilité.

Les rémunérations des dirigeants des banques ont augmenté de manière impressionnante. En 1989, les PDG des 7 plus grandes banques des États-Unis gagnaient en moyenne 2,8 millions de dollars par an. Cela représentait 100 fois le revenu médian d’un ménage. En 2007, alors qu’ils avaient amené leur banque au bord de l’abîme, leurs rémunérations moyennes atteignaient 26 millions de dollars, ce qui représentait environ 500 fois le revenu médian d’un ménage. Sur les 5 banques des États-Unis qui en 2006 avaient octroyé à leurs dirigeants les plus importants revenus sous forme d’actions, 4 ont fait faillite en 2007-2008 |13|.

Regard dans le rétroviseur de l’histoire : Adam Smith, Karl Marx et les banques

En 1776, Adam Smith écrivait à propos des patrons d’entreprises : « Les marchands et les maîtres manufacturiers sont (…) les deux sortes de gens qui emploient communément les plus gros capitaux et qui, par leurs richesses, s’y attirent le plus de considération. (…) Cependant, l’intérêt particulier de ceux qui exercent une branche particulière de commerce (Adam Smith y range explicitement les banquiers) ou de manufacture est toujours, à quelques égards, différent et même contraire à celui du public. L’intérêt du marchand est toujours d’agrandir le marché et de restreindre la concurrence des vendeurs. »

Ce qui suit sonne comme un avertissement qui n’a pas été suivi d’effet : « Toute proposition d’une loi nouvelle ou d’un règlement de commerce qui vient de la part de cette classe de gens doit toujours être reçue avec la plus grande défiance, et ne jamais être adoptée qu’après un long et sérieux examen, auquel il faut apporter, je ne dis pas seulement la plus scrupuleuse, mais la plus soupçonneuse attention. Cette proposition vient d’une classe de gens dont l’intérêt ne saurait jamais être exactement le même que l’intérêt de la société, qui ont, en général, intérêt à tromper le public et même à le surcharger et qui, en conséquence, ont déjà fait l’un et l’autre en beaucoup d’occasions  » |14|. Si on observe l’évolution de la législation dans le domaine des banques, il est clair que les législateurs et les gouvernements n’ont pas appliqué la recommandation formulée par Adam Smith : les lois ont évolué en fonction des intérêts des banquiers.

À son époque, Adam Smith recommandait aux gouvernements de limiter drastiquement la liberté des banquiers : « l’exercice de la liberté naturelle de quelques individus, qui pourrait compromettre la sûreté générale de la société, est et doit être restreint par les lois, dans tout gouvernement possible, dans le plus libre comme dans le plus despotique. » Il poursuivait : « L’obligation imposée de bâtir des murs mitoyens pour empêcher la propagation du feu, est une violation de la liberté naturelle, précisément du même genre que les règlements que nous proposons ici pour le commerce de la banque » |15|. Comme on peut le voir, dans ce passage, Adam Smith s’oppose clairement au laisser-faire.

Évidemment, en mettant fin à la séparation entre banques de dépôt et banques d’affaires |16|, les gouvernements ont supprimé la muraille qui empêchait la propagation du feu. Le refus des législateurs de forcer les banques à reconstruire cette muraille est un aveu de complicité active des pouvoirs en place avec les grandes banques |17|.

Près de 150 ans après que Karl Marx a écrit les lignes qui introduisent ce chapitre, on peut confirmer que les grandes banques privées ne sont que des associations de spéculateurs privés qui s’établissent à côté des gouvernements et qui, grâce aux privilèges qu’elles en obtiennent, sont à même de collecter l’argent du public et d’emprunter à la banque centrale* à un taux très réduit afin de faire des profits substantiels en prêtant cet argent au public et aux États à des taux nettement plus élevés. Avec le soutien actif ou la complicité passive des États, les banques peuvent multiplier les crimes financiers (délits d’initiés, abus de confiance, tromperie, escroquerie en bande organisée, fraude, malversation de fonds, manipulation des taux de change sur les devises |18|, des taux d’intérêt |19| et des prix des commodities |20|, blanchiment massif d’argent du crime, évasion fiscale, corruption de fonctionnaires…), déstabiliser des pays entiers, prendre le contrôle de pans complets de l’économie, faire expulser des millions de familles de leur logement |21|…

Comme l’écrit encore Karl Marx : « la dette publique a donné le branle aux sociétés par actions, au commerce de toute sorte de papiers négociables, aux opérations aléatoires, à l’agiotage, en somme, aux jeux de bourse et à la bancocratie moderne. »

Il est grand temps de revenir au sens premier de démocratie et de mettre les banques au service du bien commun et sous contrôle citoyen.

Les mesures annoncées pour discipliner les banques sont cosmétiques. La supervision centralisée des banques de la zone euro, la création d’un fonds européen de garantie des dépôts, l’interdiction de certaines opérations (ne touchant que 2 % de l’activité bancaire globale), le plafonnement des bonus, la transparence des activités bancaires ou encore les nouvelles règles bancaires ne constituent que des recommandations, des promesses ou, au mieux, des mesures tout à fait insuffisantes en regard des problèmes à résoudre. Or il faut imposer de véritables règles très strictes et incontournables.

Cette crise devrait être dépassée par la réalisation de mesures qui touchent la structure même du monde de la finance et du système capitaliste.

Le métier de la banque est trop sérieux pour être laissé dans les mains du secteur privé. Il est nécessaire de socialiser le secteur bancaire (ce qui implique son expropriation) et de le placer sous contrôle citoyen (des salariés des banques, des clients, des associations et des représentants des acteurs publics locaux), car il doit être soumis aux règles d’un service public |22| et les revenus que son activité génère doivent être utilisés pour le bien commun.

La dette publique contractée pour sauver les banques est clairement illégitime et doit être répudiée. Un audit citoyen doit déterminer les autres dettes illégitimes, illégales, odieuses, insoutenables… et permettre une mobilisation telle qu’une alternative anticapitaliste crédible puisse prendre forme.

Ces deux mesures doivent s’inscrire dans un programme plus large |23|. La mobilisation citoyenne et l’auto-organisation sociale constituent la condition sine qua non à la réalisation des alternatives. Sans elles, il n’y aura pas de véritable issue émancipatrice à la crise actuelle.

Notes

|1| Karl Marx, 1867, Le Capital, livre I, Œuvres I, Gallimard, La Pléiade, 1963, chapitre 31.

|2| Une partie importante des données utilisées au début de ce chapitre provient d’un discours prononcé le 24 octobre 2011 par Andrew Haldane, directeur exécutif de l’autorité de contrôle des banques au Royaume-Uni (la FSA, Financial Stability Authority). Sa conférence est intitulée, dans un humour bien british et difficilement traduisible : « Control Rights (and wrongs) », http://www.bis.org/review/r111026a.pdf

|3| Dans le cas de la Deutsche Bank, les actionnaires apportaient en 2012 seulement entre 2 et 3 % des moyens de la banque ; dans le cas de Barclays et de BNP Paribas, ils apportaient entre 4 et 5 %. Voir les illustrations des bilans de ces trois banques dans Eric Toussaint, « Comment les banques et les gouvernants détruisent les garde-fous », publié le 13 janvier 2014, http://cadtm.org/Comment-les-banques-et-les

|4| Voir Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, Le Seuil, 2013, p. 320. Voir également Andrew Haldane, p. 3 et 4.

|5| En réalité, BlackRock détient 6,1% du capital de JPMorgan (voir encadré).

|6| Voir Eric Toussaint, « Europe : alternatives à la crise », publié le 1er avril 2014, http://cadtm.org/Europe-alternatives-a-la-crise

|7| Le chiffre de 4 100 milliards d’actifs gérés par BlackRock est fourni par l’hebdomadaire The Economist dont l’actionnaire principal est le groupe Pearson, lui-même contrôlé par BlackRock (The Economist, The Rise of BlackRock, 7 décembre 2013). http://www.businessinsider.com/blackrock-is-the-biggest-investor-in-the-world-2013-12?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+businessinsider+%28Business+Insider%29. Voir le site de BlackRock en français : http://www.blackrock.be/fr/AboutUs/index.htm. Voir également : http://www.lepoint.fr/Économie/le-fonds-d-investissement-qui-a-la-puissance-d-un-État-09-06-2011-1342433_28.php

|8| Les actifs gérés par la banque JPMorgan atteindraient 4 500 milliards de dollars selon l’agence financière Bloomberg.

|9| Voir The Economist, 7 décembre 2013 et http://www2.blackrock.com/us/brs/investment-tools/aladdin

|10| Voir le tableau de cet article : http://www.expansion.com/2011/07/28/empresas/banca/1311889721.html

|11| Andrew Haldane, p. 12.

|12| Laurence Scialom et Gaël Giraud, « Pour une réforme bancaire plus ambitieuse : Vous avez dit Likaanen ? Chiche », p. 12, note publiée sur le site Terra Nova le 28 février 2013, http://www.tnova.fr/sites/default/files/130228%20-%20Pour%20une%20réforme%20bancaire%20plus%20ambitieuse%20-%20Scialom%20-%20Giraud_0.pdf

|13| Andrew Haldane, p. 13.

|14| Adam Smith, La richesse des nations, Livre 1, p. 334-336. Souligné et mis en gras par l’auteur.

|15| Adam Smith, La richesse des nations, Livre 2, chapitre 2 (1776), Flammarion, 1991.

|16| Voir notamment l’abrogation du Glass Steagall Act en 1999 par l’administration de B. Clinton.

|17| Je fais bien sûr référence aux diverses réformes bancaires en cours en Europe et en Amérique du Nord.

|18| Éric Toussaint, « Comment les grandes banques manipulent le marché des devises », publié le 19 mars 2014, http://cadtm.org/Comment-les-grandes-banques

|19| Voir Éric Toussaint, ’Les grandes banques et la manipulation des taux d’intérêt’, publié le 30 avril 2014, http://cadtm.org/Les-grandes-banques-et-la

|20| Voir Éric Toussaint, Les banques spéculent sur les matières premières et les aliments, publié le 10 février 2014, http://cadtm.org/Les-banques-speculent-sur-les

|21| Voir Eric Toussaint, ’Les banques et la nouvelle doctrine « Too Big to Jail »’, publié le 9 mars 2014, http://cadtm.org/Les-banques-et-la-nouvelle Voir aussi : Éric Toussaint, ’États-Unis : Les abus des banques dans le secteur immobilier et les expulsions illégales de logement’, publié le 4 avril 2014, http://cadtm.org/Etats-Unis-Les-abus-des-banques

|22| Le secteur bancaire devrait être entièrement public à l’exception d’un secteur coopératif de petite taille avec lequel il pourrait cohabiter et collaborer.

|23| Voir Éric Toussaint, « Europe : alternatives à la crise », op. cit.

Éric Toussaint, maître de conférence à l’université de Liège, préside le CADTM Belgique et est membre du conseil scientifique d’ATTAC France. Il est auteur des livres Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Prochain livre : Bancocratie, Aden, 1er semestre 2014

 

 

Source : cadtm.org

 

 

 

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5 mai 2014 1 05 /05 /mai /2014 16:57

 

Source : www.reporterre.net

 

 

Ecologie

La Société Générale finance en Australie un projet écologiquement désastreux

Olivier Petitjean (Observatoire des multinationales)

lundi 5 mai 2014

 

 

Alpha Coal : c’est le nom d’un énorme projet charbonnier au nord-est de l’Australie. Il affectera la Grande Barrière de corail et émettra des millions de tonnes de gaz à effet de serre. La banque Société Générale joue un rôle essentiel dans le montage financier du projet. Les Amis de la terre et 350.org ont lancé un mouvement pour qu’elle se retire d’Alpha Coal.


Si le projet Alpha Coal se concrétise, 30 millions de tonnes de charbon seront extraites et transportées vers d’autres cieux tous les ans. Soit des émissions d’environ 60 millions de tonnes de CO2 par an, selon une étude de Greenpeace – 1,8 milliard de tonnes sur toute la durée de vie de la mine. La construction de la ligne de chemin de fer et du terminal entraîneront la destruction d’habitats côtiers dans la zone de la Grande Barrière de corail, inscrite au patrimoine de l’humanité. L’UNESCO a d’ailleurs menacé l’Australie de l’inscrire sur la liste du patrimoine mondial en danger.

La Société Générale a été chargée d’étudier la faisabilité économique du projet et de conseiller ses promoteurs dans la recherche d’investisseurs pour en boucler le montage financier. Elle est en première ligne pour apporter elle-même une partie des crédits. Interpellée par la société civile (elle a notamment été nominée l’année dernière aux prix Pinocchio pour son implication dans ce projet australien), la banque française assure s’être dotée des normes et des critères nécessaires pour juger de la légitimité et de l’acceptabilité environnementale du projet. C’est la ligne de défense classique des banques lorsqu’elles se trouvent mises en cause quant à l’impact environnemental de leurs financements. Il n’y aurait, en somme, qu’à leur faire confiance. Et tant pis si l’application de ces critères n’est ni contraignante ni transparente, et s’il n’y a aucun moyen de vérifier leurs assertions de manière indépendante.

Dans une étude, les Amis de la terre se sont néanmoins essayé à l’exercice de mettre en regard les discours de la Société Générale et les faits, en se basant sur l’étude d’impact environnemental réalisée par les porteurs du projet. Surprise ? Ce document établit dans le détail que le projet Alpha Coal contrevient aux règles relatives à la protection de l’environnement et de la biodiversité que la Société générale s’est elle-même fixées.

Protection des ressources en eau ? La mine proprement dite est prévue pour s’étendre sur plus de 60 000 hectares, et son fonctionnement nécessitera en tout 176 milliards de litres d’eau, et le détournement ou l’assèchement de plusieurs sources et rivières, dans une région où cette ressource est déjà rare. Son impact potentiel sur les nappes d’eau souterraines suscite toutes les inquiétudes. Préservation du tissu économique local ? Alpha Coal ne manquera pas d’affecter fortement les activités agricoles (en raison notamment de la surexploitation des ressources en eau) et le tourisme côtier et marin - les deux principales sources de revenus de la région.

Conservation de la biodiversité, et notamment des espèces menacées sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ? L’ouverture de la mine entraînera une importante déforestation, détruisant les habitats de plusieurs espèces d’oiseaux protégées. La construction du terminal d’Abbot Point détruira une zone humide côtière, aire de repos pour les tortues vertes, les baleines à bosse et les dugongs, et zone de transit pour de nombreuses espèces migratoires.

Protection du patrimoine de l’humanité ? Alpha Coal menace la Grande Barrière de corail de plusieurs côtés à la fois. D’une part, ses émissions de gaz à effet de serre aggraveront les phénomènes climatiques qui contribuent déjà à sa fragilisation. D’autre part, elle aura à subir le passage de centaines de bateaux venus se ravitailler dans ce qui promet d’être le plus important port charbonnier au monde. « La banque nous assurait en novembre dernier qu’elle ne s’impliquerait dans Alpha Coal que si celui-ci respectait ses Principes environnementaux et sociaux, or il est clair que les deux sont inconciliables tant les risques du projet sont énormes », conclut Lucie Pinson, des Amis de la terre.

 

*Suite de l'article sur reporterre

 

 

Source : www.reporterre.net

 

 

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Source : nmultinationales.org

 

Climat

Charbon australien : la Société Générale respecte-t-elle ses propres règles environnementales ?

30 avril 2014 par Olivier Petitjean

 

Alpha Coal : c’est le nom d’un énorme projet charbonnier, dans l’État du Queensland, au Nord-est de l’Australie. Ce projet inclut l’ouverture d’une immense mine de charbon, la construction d’une ligne de chemin de fer et la création d’un terminal portuaire géant à Abbot Point - en plein dans l’aire protégée de la Grande Barrière de corail. Une banque française, la Société Générale, joue un rôle critique dans le montage financier du projet – sans, apparemment, tenir compte des critères environnementaux qu’elle s’est elle-même fixés. Les Amis de la terre et 350.org ont lancé une pétition pour l’appeler à se retirer d’Alpha Coal.

Si le projet Alpha Coal (dont nous avions déjà parlé ici) se concrétise, 30 millions de tonnes de charbon seront extraites et transportées vers d’autres cieux tous les ans. Soit des émissions d’environ 60 millions de tonnes de CO2 par an, selon une étude de Greenpeace [1] – 1,8 milliard de tonnes sur toute la durée de vie de la mine. La construction de la ligne de chemin de fer et du terminal entraîneront la destruction d’habitats côtiers dans la zone de la Grande Barrière de corail, inscrite au patrimoine de l’humanité. L’UNESCO a d’ailleurs menacé l’Australie de l’inscrire sur la liste du patrimoine mondial en danger.

La Société Générale a été chargée d’étudier la faisabilité économique du projet et de conseiller ses promoteurs dans la recherche d’investisseurs pour en boucler le montage financier. Elle est en première ligne pour apporter elle-même une partie des crédits. Interpellée par la société civile (elle a notamment été nominée l’année dernière aux prix Pinocchio pour son implication dans ce projet australien), la banque française assure s’être dotée des normes et des critères nécessaires pour juger de la légitimité et de l’acceptabilité environnementale du projet. C’est la ligne de défense classique des banques lorsqu’elles se trouvent mises en cause quant à l’impact environnemental de leurs financements (voir par exemple ici à propos de BNP Paribas et du charbon). Il n’y aurait, en somme, qu’à leur faire confiance. Et tant pis si l’application de ces critères n’est ni contraignante ni transparente, et s’il n’y a aucun moyen de vérifier leurs assertions de manière indépendante.

Promesses sans substance ?

Dans une étude, les Amis de la terre se sont néanmoins essayé à l’exercice de mettre en regard les discours de la Société Générale et les faits, en se basant sur l’étude d’impact environnemental réalisée par les porteurs du projet eux-mêmes. Surprise ? Ce document établit dans le détail que le projet Alpha Coal contrevient aux règles relatives à la protection de l’environnement et de la biodiversité que la Société générale s’est elle-même fixées [2].

Protection des ressources en eau ? La mine proprement dite est prévue pour s’étendre sur plus de 60 000 hectares, et son fonctionnement nécessitera en tout 176 milliards de litres d’eau, et le détournement ou l’assèchement de plusieurs sources et rivières, dans une région où cette ressource est déjà rare. Son impact potentiel sur les nappes d’eau souterraines suscite toutes les inquiétudes. Préservation du tissu économique local ? Alpha Coal ne manquera pas d’affecter fortement les activités agricoles (en raison notamment de la surexploitation des ressources en eau) et le tourisme côtier et marin - les deux principales sources de revenus de la région. Conservation de la biodiversité, et notamment des espèces menacées sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ? L’ouverture de la mine entraînera une importante déforestation, détruisant les habitats de plusieurs espèces d’oiseaux protégées. La construction du terminal d’Abbot Point détruira une zone humide côtière, aire de repos pour les tortues vertes, les baleines à bosse et les dugongs, et zone de transit pour de nombreuses espèces migratoires. Protection du patrimoine de l’humanité ? Alpha Coal menace la Grande Barrière de corail de plusieurs côtés à la fois. D’une part, ses émissions de gaz à effet de serre aggraveront les phénomènes climatiques qui contribuent déjà à sa fragilisation. D’autre part, elle aura à subir le passage de centaines de bateaux venus se ravitailler dans ce qui promet d’être le plus important port charbonnier au monde. « La banque nous assurait en novembre dernier qu’elle ne s’impliquerait dans Alpha Coal que si celui-ci respectait ses Principes environnementaux et sociaux, or il est clair que les deux sont inconciliables tant les risques du projet sont énormes », conclut Lucie Pinson, des Amis de la terre.

Il n’est pas encore sûr que le projet Alpha Coal – le plus avancé d’une série de neuf projets charbonniers dans la région - voie le jour. Mais si la Grande Barrière de Corail se voit épargner cette nouvelle menace et si ces émissions massives de gaz à effet de serre sont jamais évitées, ce ne sera pas grâce à la Société Générale. Ce sera, d’abord, grâce à la baisse de la demande chinoise et indienne en charbon, qui pèse sur sa viabilité économique et a poussé plusieurs géants des industries extractives à se retirer du projet. Ce sera également grâce aux militants et aux citoyens australiens, qui ont multiplié les recours judiciaires pour faire annuler le projet, soutenu à bout de bras par les dirigeants politiques australiens. Le Tribunal foncier du Queensland a jugé début avril qu’Alpha Coal ne pouvait être approuvé en l’état, du fait, notamment, des risques pour les ressources en eau de la région [3]. Une autre procédure est en cours au niveau fédéral.

Quand la Société générale s’implique là où les autres banques ne veulent pas aller

Si Alpha Coal ne se fait pas, ce sera aussi parce que d’autres institutions financières internationales ont choisi, contrairement à la Société Générale, de ne pas investir dans des projets qui pourraient menacer la Grande Barrière de corail. Selon Libération, le groupe bancaire américain Citi s’est retiré du projet, et aussi bien BNP Paribas que le Crédit agricole ont choisi ne pas s’impliquer. Même Blackrock, le principal fonds d’investissement au monde, a reconnu qu’il y avait là une ligne rouge à ne pas franchir : les projets autour de la Grande Barrière de corail présentent trop de risques environnementaux et sociétaux trop élevés, particulièrement depuis que le mouvement écologiste mondial et les stars de Hollywood se mobilisent pour sa protection.

La Société Générale, pour l’instant, a choisi de rester de l’autre côté de cette ligne rouge, en association avec des personnalités politiques et économiques australiennes dont le penchant au climato-scepticisme et la conception régressive de la protection environnementale sont notoires [4]. Une étude réalisée par le réseau Banktrack l’année dernière classait la Société Générale au 22e rang mondial au termes d’investissements dans les mines du charbon. Elle a insufflé 4,742 milliards d’euros au total dans le secteur (mines et centrales) entre 2005 et 2011 [5]. « La Société générale est loin de l’image de banque responsable soucieuse de jouer un rôle dans [la] transition [vers une « économie moins carbonée »] qu’elle veut donner », soulignent les Amis de la terre.

L’association environnementale a lancé, conjointement avec le réseau international pour la justice climatique 350.org, une pétition en ligne pour appeler la Société Générale à se retirer du projet Alpha Coal. Un enjeu d’autant plus important que la mise en œuvre d’Alpha Coal ouvrirait la voie aux huit autres projets envisagés dans la région. « Ce projet jouerait un rôle central dans l’ouverture de la région à l’exploitation minière. Or, l’exploitation totale du bassin de Galilée entrainerait des émissions supérieures à celles de l’Allemagne. », soulignent les Amis de la terre.

Le 20 mai prochain, le groupe bancaire français tiendra à Paris son Assemblée générale annuelle - les Amis de la terre en seront également, aux côtés d’Attac. La Société Générale est en effet l’un des trois cibles choisies (avec Unilever et BNP Paribas) par l’association altermondialiste dans le cadre de sa campagne « Requins », destinée à dénoncer les abus des multinationales et leur impunité.

Olivier Petitjean

— 
Photo : spelio CC

[1À lire ici (en anglais).

[2Il s’agit des « Principes généraux E&S [Environnement et société] de nos activités », de la « Politique transversale biodiversité » et de la « Politique sectorielle mines et métaux », tous disponibles ici. Certes, la Société Générale pourra toujours rétorquer que les critères qu’elle a mis en place s’appliquent aux investissements et aux crédits proprement dits, non à la mission de conseil financier qui est pour l’instant la sienne pour Alpha Coal. C’est ce qu’elle a répondu en substance à Libération. Outre la question de la cohérence de ses pratiques, cette ligne de défense néglige le fait qu’il y a généralement une continuité naturelle entre le conseil financier et l’octroi de crédits.

[3Cette décision n’a pas un caractère contraignant pour les autorités de l’État, qui peuvent décider de laisser le projet se poursuivre malgré tout.

[4Le projet Alpha Coal est porté par la plus grosse fortune australienne, Gina Rinehart, liée aux milieux climato-sceptiques et opposante à la taxe carbone australienne, s’est associée au conglomérat indien GVK.

[5Source.

 

 

Source : nmultinationales.org

 

 

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5 mai 2014 1 05 /05 /mai /2014 16:33

 

*Note perso : quelques erreurs et données erronées mais la reflexion mérite le détour... 

 

 

Source : rue89.nouvelobs.com

 

 

Tribune 04/05/2014 à 16h44
40 ans de « crise » : manipulation ou paresse intellectuelle ?

Yann Deffontaine, informaticien

 

 

 


Une Volkswagen Golf II en construction (1988) (Wikimedia commons)

Toute ma vie, j’ai entendu dire que la France était en crise économique. J’ai près de 50 ans.

Lorsque j’étais au collège, la crise était là. Depuis 1973, année du « choc pétrolier ».

Elle faisait des ravages dans notre économie et dans la population.

Stagnation, inflation

Nous étions plongés dans cette crise qui obscurcissait nos chances d’avoir un emploi à hauteur de nos espérances, et teintait notre quotidien de
grisaille.
Nos professeurs nous en parlaient comme d’une maladie irrépressible qui rongeait notre pays.

Nous autres collégiens, lycéens, jeunes, devrions tracer notre route dans un pays affaibli, rongé par la crise.

Bref, il faudrait naviguer sur un navire en perdition.

Économistes, politiciens, journalistes de tous poils et de tous bords, tous avaient une explication différente, préconisaient des solutions
divergentes, débattaient à longueur de temps des causes et des remèdes.

Mais absolument tous s’accordaient sur un point : c’était la crise.

Avec elle : le hideux chômage, la terrible inflation, l’effroyable détumescence de notre taux de croissance, et le ralentissement économique,
la récession et leurs petits frères : la balance des paiements déficitaire, le déficit commercial et la surproduction agricole (complètement passée de
mode), enfin la « rigueur » et la « dépression économique ».

Le discours sur la crise n’a depuis jamais cessé de s’amplifier.

Mondialisation, déflation

A tous les maux déjà cités se sont ajoutés peu à peu d’autres symptômes de la maladie économique : la mondialisation, les « bulles », la crise
financière, les « subprimes » et la déflation, bien plus redoutable que l’inflation de ma jeunesse, parait-il ...

Il est facile de trouver des sites internet qui recueillent consciencieusement tout le vocabulaire accumulé sur la crise depuis 40 ans.
Les meilleurs partent de 1973 et de la crise pétrolière, puis compilent méthodiquement toute la phraséologie accumulée par sédimentation. Un vrai
voyage dans le temps...

Aujourd’hui nous sommes plongés dans la crise mondiale qui a débuté en 2008, ce qui est étonnant quand on pense que personne n’a songé à dire que
nous n’étions plus en crise en 2007...

Et je lis dans le dictionnaire, au mot ’crise’ :

« Ensemble des phénomènes pathologiques se manifestant de façon brusque et intense, mais pendant une période limitée, et laissant prévoir un changement généralement décisif, en bien ou en mal, dans l’évolution d’une maladie. »

Bizarre : comment une crise peut-elle durer toute une vie, alors que, par définition, il s’agit d’un phénomène paroxystique limité dans le temps ?

Où est passée la crise d’antan ?

Mais ne jouons pas sur les mots, et tâchons de faire le bilan des ravages de cette crise économique qui a sévit 40 ans sur mon pays.

Comparons des données économiques de base entre 1973 et 2013. Très certainement, les crises, et tous leurs symptômes variés et protéiformes,
auront laissé des stigmates terribles dans le pays.

Commençons par le PIB, indicateur de base de la production de richesse du pays.

  • 1973 : PIB = 177,5 milliards d’euros
  • 2013 : PIB = 2 060 milliards d’euros

Oui, vous avez bien lu : la France produit chaque année 11,5 fois plus de richesses qu’en 1973, début des crises économiques.

Voici l’évolution du PIB en France depuis 1949 :


Le PIB de la France en valeur et en volume depuis 1949 (Les-Crises.fr)

La conclusion saute aux yeux : la France a décollé économiquement à la fin des années 60, et n’a pas cessé de s’envoler dans les années 70, 80, 90,
2000 et 2010.

Où est la crise dont on m’a rebattu les oreilles toute ma vie ?

1% de croissance de 2013 = 11,5% de 1973

En terme macro-économique, sur le moyen-terme, elle n’existe pas.

Les notions de « 30 glorieuses » et de « 40 piteuses » apparaissent comme des aberrations lorsqu’on examine 10 secondes l’évolution de la production de richesse en France.

La « crise pétrolière » est indétectable sur cette courbe. Il faut croire qu’acheter le pétrole plus cher était supportable pour notre économie, en plein décollage en 1973.

Un léger palier de progression est visible en 1992, vite compensé par la rapide progression du reste de la décennie.

L’infléchissement de 2009 existe, lui, mais il a été compensé en moins de 2 ans : le PIB de 2008 était déjà dépassé en 2010 ; depuis, nous gagnons
30 milliards de PIB en plus par an, c’est-à-dire beaucoup plus qu’entre 1972 et 1973...

Mais il y a un moyen très simple, avec les mêmes chiffres, de présenter ce succès de manière négative, avec une courbe descendante : il suffit de comparer les taux de croissance d’une année sur l’autre. Voici ce que cela donne :


Le taux de croissance depuis 1949 (Les-Crises.fr)

C’est cette courbe qui fait dire aux économistes que l’économie française s’effondre. Ils oublient de dire que :

  • Pour que cette courbe soit orientée vers le haut, il faudrait que la croissance ait une progression logarithmique, ce qui est bien sûr impossible pour une économie déjà développée.
  • Un point de croissance de 2013 = 11,5 points de croissance de 1973.

Prenons un exemple simple pour comprendre comment un économiste peut vous convaincre que vous avez tout raté, alors que vous développez constamment votre activité :


Année 1 : vous produisez 100.

Année 2 : vous produisez 110. Bravo : les économistes vous adorent.

Année 3 : vous renouvelez l’exploit et produisez à nouveau 10 de plus, soit 120 au total. Fiers de vous, vous publiez vos résultats. Aïe ! les
économistes détectent immédiatement que votre taux de croissance est passé de 10 % à 9,09 %. La tendance est négative. Vous êtes sous
surveillance.

Année 4 : vous mettez le paquet et produisez pour 130. Vous pensez bêtement avoir progressé de 30% en à peine 3 ans. Las ! Les économistes
se chargent de vous faire prendre conscience qu’en réalité c’est un désastre : vous venez de confirmer que votre taux de croissance s’effondre à 8,33 %. Le déclin est amorcé, La faillite est annoncée.

Renouvelez 40 fois l’opération : vous aurez quintuplé votre activité, mais votre taux de croissance sera tombé à 2,04 %. Tous les économistes annonceront votre irrémédiable décadence. D’ailleurs ils vous l’avaient bien dit dès l’année 3 (et toutes les années suivantes...) ; La plupart ne
comprendront même pas que vous continuiez à exister.

La France a fait beaucoup mieux, puisqu’elle a plus que décuplé son activité. Pour un économiste ça ne change rien : la mort est annoncée.

Et voici comment on peut expliquer à tout une population, durant 40 ans, que tout va mal et que l’économie s’effondre, alors qu’en réalité le pays aconnu une croissance continue de la production de richesse.

Le vrai bilan de 40 ans d’activité économique

En 1973, nous étions 52 millions de français. Aujourd’hui nous sommes 65 millions.

Autrement dit, une population qui a crû de 25 % a augmenté de 1050 % sa production annuelle de richesse.

Il en va de même en ce qui concerne les autres indicateurs de base de la santé économique du pays.

Exportations :

  • en 1973, nous exportions pour 46 milliards de dollars ;
  • en 2012, nous exportions pour 716 milliards de dollars, soit 15 fois plus.

Emploi :

entre 1975 à 2007, le nombre d’emplois a continûment progressé en France métropolitaine, passant d’après les recensements de la
population de 22,1 millions à 25,6 millions.

Dans le même temps la productivité du travail a triplé (de 1975 à 2007), et logiquement, sur la même période, la valeur ajoutée de la seule industrie est passée de 135 milliards d’euros à 240 milliards d’euros, tandis que le PIB des services se développaient à grande allure.

Equipements

Il y a aussi en France plus d’universités, plus d’hôpitaux, plus d’équipements publiques de toutes sortes (routes, autoroutes, ponts, tunnels, équipements sportifs, salles de spectacles, bâtiments publics de toutes natures...).

En bref, la France n’a jamais cessé de se développer et s’est maintenue à la cinquième place des économies de la planète, en produisant plus et
mieux, en assurant à sa population des services publics de qualité, un système de soins accessible, ce qui s’est traduit par une augmentation spectaculaire de la durée de vie et par une baisse significative du taux de morbidité ; L’espérance de vie est passée de 72,3 ans en 1973, à 81,7 ans en 2012.

Qui s’interroge sur les dégâts d’un discours violemment décliniste, qui fait l’unanimité, mais que rien n’étaye ?

Pourquoi nous avoir ressassé, 40 ans durant, avec une unanimité parfaite, les discours sur la crise ?

Pourquoi continuer à le faire, inlassablement, année après année ?

Le pire est que mes enfants, qui sont nés au début des années 2000, commencent à percevoir ce discours ambiant ; Et je vois les ravages que font dans leurs cerveaux les discours dépressifs servis quotidiennement par leurs professeurs, et les médias.

D’autant que depuis les années 1970 et 1980, le discours s’est durci. Ce n’est plus seulement la crise que l’on ressasse, c’est le déclin, la
chute, l’effondrement.

Comment faire percevoir une lueur d’espoir à des enfants que l’on fait baigner dans une telle soupe de négativité ?

Comment ne penseraient-ils pas que leurs aînés leur ont légué un pays saccagé, puisque c’est ce que tous les experts ressassent, amplement
relayés par les média ?

Quel espoir donne-t-on à des enfants en leur faisant croire que leur société court à la ruine ?

Autre question : si c’est le discours qui est tenu dans la cinquième économie de la planète, qu’est-ce qui se dit dans les 192 autres pays du globe,
économiquement moins avancés ?

J’imagine que si les discours tenus sont encore pires, les populations doivent avoir du mal à lever la tête... Mais peut-être est-ce le but ?

Curieusement, ce sont les mêmes qui crient au loup depuis 40 ans, qui déplorent en plus la morosité des français.

Où sont les analystes qui parlent des progrès économiques et humains réalisés, en France et dans le monde ?

Qui dira à nos enfants qu’ils peuvent être fiers de vivre dans un pays qui a su se développer aussi vite après avoir été ravagé par l’occupation et
la guerre ?

Un monde meilleur

Si on élargit l’analyse au monde, les progrès réalisés sont encore plus frappants : les géants démographiques, autrefois des points noirs du
développement humain, sont tous en passe de devenir des géants économiques. Le niveau d’instruction et de soins de la population mondiale
n’a jamais été aussi élevé. Il n’y a jamais eu autant de démocraties dans le monde.

Qui dira à nos enfants que le monde est aujourd’hui mille fois plus ouvert, dynamique et porteur d’espoirs qu’il y a 50 ans ?

Qui leur dira que les progrès économiques et technologiques accomplis par l’humanité ont transformé jusqu’à notre vision de l’univers, de notre
planète et de l’humanité ?

Qui leur expliquera que le monde d’aujourd’hui est infiniment moins raciste, moins sexiste, plus tolérant, plus connecté et solidaire que le monde des
années 1970 de mon enfance ?

Certainement pas les économistes, et pour au moins 2 raisons.

  • Ils sont tellement prisonniers de leurs schémas intellectuels, gangrenés par la statistique de bas étage mal interprétée, voire erronée, qu’ils n’ont plus aucun contact avec ce qu’on pourrait appeler le bon sens. Il s’agit d’une profession intellectuellement sinistrée.
  • Pour un économiste, le catastrophisme est la vraie zone de confort : prédisez un désastre, détectez une dégradation, vous aurez les honneurs de la presse, et votre carrière sera lancée. Vous avez aussi la possibilité d’interpréter tous les chiffres à l’aune d’idéologies rudimentaires et simplistes datant du XIXème siècle : vous passerez en prime pour un intellectuel cultivé.

C’est ainsi que les économistes et les journalistes spécialisés alimentent un discours dépressif, décliniste, dans tous les pays du monde, tout le
temps. Il y a toujours un indicateur alarmant à mettre en avant, ou une nouvelle crise à prédire.

L’ambiance est telle qu’un « expert » peut tranquillement expliquer dans la presse que certains savent quelle sera la prochaine crise, mais qu’on ne sait
pas ce qu’il savent, ce qui est une raison supplémentaire de s’inquiéter...

D’autres affichent la couleur : la crise devrait durer 20 ans ou 40 ans de plus... Autant dire que le discours sur la crise n’aura jamais de fin.

Enfin de grandes institutions internationales, comme l’OCDE, n’envisagent l’analyse du monde qu’à travers le prisme de la crise. C’est manifestement
un pré-requis à la lecture du monde.

Mes petits enfants seront exposés à ce discours probablement toute leur vie, comme mes enfants et moi-même. Quel gâchis !

Conformisme et paresse

Lorsqu’un discours est commode, et évite de poser les questions de fond, il a tendance à s’imposer, au mieux par conformisme, au pire par paresse
intellectuelle.

La médiocrité intellectuelle des économistes et experts de tous poils, et la tentation catastrophiste qui va avec, couplées au sensationnalisme inhérent au mauvais journalisme qui occupe le terrain médiatique en France et dans le monde, produisent depuis 40 ans un discours dépressif ;

Ce discours arrange une classe politique essentiellement gestionnaire, sans aucun projet politique.

Pas la peine de faire appel aux manipulations de masse et aux théories du complot pour comprendre la persistance d’un discours technocratique
dépressif...

Avec le temps, il est naturel que ce discours s’amplifie, et donc se radicalise : les journalistes ne supportent pas l’ennui. Il faut les
alimenter...

Et puis si tout le monde s’agite autour de vous, vous n’avez pas d’autre solution que de vous agiter encore plus pour vous faire remarquer.

Pas de « crise économique », mais pas toujours de quoi être fier ...

Évacuons le concept de crise, cette construction intellectuelle douteuse, suffisamment vague et inconsistante pour qu’on puisse la resservir à toutes
les sauces, et en particulier, lorsqu’on est un homme politique, pour expliquer ses échecs, ou arracher du consentement.

Considérons au contraire que l’économie française se porte bien depuis les années 50. Cela nous contraint à envisager que les points noirs du paysage
français n’ont pas pour cause l’universelle « crise ». Nous sommes même obligés de considérer qu’il y a peut-être d’autres explications...

Ca change un peu la perspective, et ça ne fait pas toujours du bien...

Chômage : en France il oscille entre 8 et 12 % depuis 20 ans.

La France produit 11 fois plus qu’en 1973, mais 10 % de sa population active ne trouve plus d’emploi.

En soi, c’est un drame social.

Chercher à résoudre ce problème, c’est se poser de vraies questions, liées au partage du travail et des revenus du travail.

C’est admettre que nous avons une responsabilité dans les choix de société qui conduisent à cette injustice dans la répartition du travail et des
richesses ;

C’est aussi envisager qu’il y a des réponses à cette question, et que ce n’est pas la fatalité de la « crise ».

Niveau de vie : nous l’avons vu, la production de richesse a plus que décuplé en 40 ans ; Le niveau de vie de la population n’a pas augmenté dans
les mêmes proportions, loin de là, même pour ceux qui ont un travail ...

Le salaire annuel net moyen, (exprimé en euros de 2005) est passé de 1960 à 2004, de 9 900 à 22 500 €, autrement dit il a été multiplié par 2,3
en 44 ans.

Le tableau est plus sombre si on raisonne en revenu disponible par ménage : en 1970, il était en moyenne de 21 930 euros (en euros 2011), le revenu
médian était situé à 18 120 euros 2011.

En 2011, la moyenne était à 35 980 et la médiane à 29 010.

Soit une augmentation du niveau de vie de 64% en moyenne, et de 60 % seulement pour la médiane.

On peut en conclure que la richesse produite a fortement augmentée ces 40 dernières années, mais qu’elle a largement échappé à la population qui a
permis sa production. 60% comparés à 1 150 % : on peut parler de miettes.

Cela permet aussi de comprendre l’explosion des flux financiers dans le monde : la richesse produite existe, et elle n’échappe pas à tout le monde.

Où sont les politiques qui parlent de cette injustice ?

Qui cherche à inventer des mécanismes redistributifs plus équitables, comme l’avait fait en son temps Charles de Gaulle ?

La dette ne mesure que l’incompétence des hommes politiques

Dette de l’Etat : elle atteint près de 100% du PIB, et augmente
mécaniquement tous les ans.

C’est un vrai problème, car cette dette est essentiellement détenue par les marchés financiers ; Nous sommes donc à la merci d’un retournement de
confiance qui pourrait faire exploser les taux d’intérêt de notre dette, et donc notre dette elle-même.

Mais en réalité, la dette n’est pas un indicateur économique : c’est un indicateur de la qualité du personnel politique du pays. Une classe
politique médiocre raisonne à 5 ans (durée d’un mandat électif). Dans ce cadre intellectuel, s’endetter n’est pas gênant.

Raisonner à 15 ans change totalement la donne, puisqu’une simple projection permet de visualiser le désastre qui se prépare.

Force est de constater que la classe politique française, sans aucune envergure intellectuelle, et sans aucun sens de l’intérêt commun, a conduit les finances publiques dans le ravin entre 1980 et 2014.

Parvenir à endetter le pays de cette façon, dans un contexte de croissance économique est difficilement excusable.

Financer notre protection sociale avec de la dette équivalait à faire payer aux générations futures la sécurité sociale d’aujourd’hui. Ca vous
paraît fou ? Nous l’avons fait. Ce faisant nous avons « tiermondisé » notre budget, en faisant du poste de remboursement de la dette le premier poste
budgétaire.

Il est temps que l’Europe nous mette au pas : nous ne sommes simplement pas capables de nous gérer. Pas la peine de crier à l’outrage et à l’atteinte
à la souveraineté, lorsqu’on n’est pas capable de gérer son propre budget.

Mais de crise économique, toujours point trace : personne d’autre que nous même n’est responsable de nos finances publiques. Nous portons l’entière
responsabilité de la situation, et quoi qu’en disent nos politiciens ce n’est pas la faute de la ’crise’ : les rentrées budgétaires n’ont cessé
d’augmenter entre 1980 et 2014. Nous avons simplement dépensé encore plus.

De nouveaux indicateurs

Au lieu d’alimenter sans fin la déprimante saga de la « crise », les économistes et journalistes feraient mieux de pointer les succès industriels et économiques du pays. Quitte à obliger les politiques à assumer leur bilan, pas toujours négatif, mais pas toujours glorieux non
plus.

Pour cela, il faut :

1- Décoller son nez d’indicateurs peu pertinents en soi, et franchement inutiles ou néfastes sur une base annuelle.

2- Fabriquer des indicateurs macro-économiques qui permettent d’analyser finement, sans perdre de vue l’essentiel. C’est ainsi que les analystes pourront rester arrimés à la réalité et ne pas perdre tout contact avec le simple bon sens. Et ainsi ne pas expliquer durant 40 ans qu’une économie s’effondre, alors qu’elle est au contraire en plein développement...

3- Établir une distinction intelligente entre économie et politique ; Et commencer par arrêter d’amalgamer des indicateurs qui en réalité ne sont pas tous des indicateurs économiques, comme la dette de l’Etat.

4 - Sortir de sa zone de confort.

Pourtant, le monde est tellement plus intéressant aujourd’hui ...

Personne ne semble être en mesure de donner au monde une vision un peu globale, sur le moyen terme (15 ou 20 ans de profondeur suffisent largement pour démentir tous les discours dépressifs).

C’est particulièrement frappant en France, ce pays développé qui n’a pas cessé, depuis 60 ans, de progresser et d’améliorer le niveau de vie et de confort de ses habitants. Mais dont n’émanent que des voix annonçant des désastres.

C’est vrai également au niveau planétaire : depuis les années 1950, le monde s’est développé économiquement massivement ;

Mais nous ne sommes pas seulement plus riches : l’indice de développement humain ne cesse de progresser sur tous les continents ; Le monde s’est aussi
démocratisé (20 démocraties en 1946, contre 88 démocraties en 2005). La liberté de la presse a progressé, de même que le niveau sanitaire et le niveau d’instruction de la population mondiale.

Surtout, les esprits humains se sont développés. Avec l’augmentation du niveau d’instruction et le développement des nouvelles technologies, qui ont
aboli les distances, les humains sont mentalement plus proches et plus solidaires qu’il y a 20 ans.

Un seul exemple : en 2004 un tsunami dont l’épicentre se trouvait dans l’Océan Indien a causé la mort de plus de 200 000 personnes en Asie,
notamment en Indonésie, au Sri Lanka, en Inde et en Thaïlande.

Cet événement extraordinaire a suscité une émotion générale, et une vague de solidarité internationale sans précédent.

En France, les associations ont fini par demander à la population d’arrêter de faire des dons, le niveau de dons excédant largement leur
capacité à agir.

Ce qui est nouveau ce n’est pas cette catastrophe, car il y en avait déjà eu, de plus graves encore.

La nouveauté réside dans la réaction des populations résidant de l’autre coté du globe : elles se sont senties solidaires des populations touchées
comme jamais auparavant.

30 ans plus tôt, nous étions sidérés par ce type de catastrophe, mais elles nous semblaient tellement loin, tellement exotiques, que nous ne nous sentions pas autant concernés, et nous étions moins solidaires des populations touchées.

On ne peut en conclure qu’une chose : les humains ont progressé dans leur perception d’eux-mêmes.

Les distances géographiques et culturelles ne sont plus perçues comme des différences nous rendant fondamentalement différents les uns des autres.

Il en résulte un sentiment de proximité et de solidarité qui s’est planétarisé.

Conclusions

Ces 40 dernières années, l’humanité s’est considérablement développée économiquement, quoi qu’en disent les Cassandre professionnels du taux de
croissance annuel ;

Les progrès technologiques accomplis sont également impressionnants ; quiconque a comme moi connu un monde sans ordinateur, peut appréhender le
chemin accompli, et aussi l’impact formidable que ces progrès ont eu sur nos vies.

Il y a 40 ans, même les auteurs de science-fiction n’avaient pas imaginé ces technologies. Aujourd’hui, l’accès à internet est pratiquement
considéré comme un droit de l’Homme...

Les progrès sociétaux sont aussi gigantesques à l’échelle de la planète.Démocratisation, alphabétisation, droit des minorités, respect des
différences, égalité, écologie : la part de la population mondiale bénéficiant de ces progrès n’a pas cessé d’augmenter.

L’humanité s’est aussi développée intellectuellement.

Il n’existe pas à ma connaissance d’indicateur permettant de mesurer ce progrès.

Pourtant, ce n’est pas le moindre de nos succès.

 

 

Source : rue89.nouvelobs.com

 

 

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3 mai 2014 6 03 /05 /mai /2014 21:59

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

Christian Chavagneux: «La finance a capturé l'intérêt général»

|  Par Dan Israel

 

 

Bruxelles est la capitale du lobbying de l'industrie financière. Avec La Capture, Christian Chavagneux et Thierry Philipponnat décrivent les conséquences néfastes de cette mainmise, et esquissent des pistes pour y remédier.

 

 

 

Pourquoi faut-il tant de temps pour mettre en place des règles strictes pour encadrer les activités les plus dangereuses des banques en Europe ? Et pourquoi les lois adoptées ne sont-elles guère efficaces ? La réponse, Christian Chavagneux, rédacteur en chef adjoint d’Alternatives économiques, et Thierry Philipponnat, secrétaire général de Finance Watch, pensent l’avoir trouvée.

L’industrie de la finance et ses puissants lobbyistes se sont logés au cœur de l’appareil de décision politique, européen à Bruxelles, mais aussi national pour chacun des États-membres. Consanguinité des élites, intérêts bien compris de dirigeants politiques ou administratifs assurés d’aller pantoufler dans des bureaux accueillants, vision politique commune… Cette « capture » d'une partie des forces politiques et administratives par les intérêts financiers rend le processus de réforme long, fragile et incertain. D’autant que le débat est lui aussi capturé par des « experts », qui interdisent toute discussion sereine.

Le livre s’attarde sur les mécanismes de la spéculation, et les moyens de la combattre. Il rappelle surtout qu’il faut protéger les dépenses publiques des errements de banques qui devraient payer pour leurs propres erreurs, ce qui est loin d’être certain aujourd’hui. Il explique aussi de façon tout à fait convaincante comment les banques évaluent elles-mêmes les risques qu’elles prennent lorsqu’elles réalisent des spéculations financières… Autant de sujets qui seraient plus faciles à régler si Bruxelles n’était pas la capitale du lobbying.

La Capture – Où l'on verra comment les intérêts financiers ont pris le pas sur l'intérêt général et comment mettre fin à cette situation de Christian Chavagneux et Thierry Philipponnat, éd. La Découverte, 2014 (12 euros).

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Retrouvez toutes nos “boîtes à idées” en cliquant ici

 

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

 

 

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3 mai 2014 6 03 /05 /mai /2014 21:48

 

 

Source : www.bastamag.net

 

 

Finance folle

Bonus, mensonges et lobbying : comment les banques européennes résistent à toute régulation

par Agnès Rousseaux 30 avril 2014

 

 

 

 

 

Les gouvernements des vingt pays les plus riches l’avaient promis : le secteur financier sera réformé, les banques mises sous contrôle. Plus de finance folle, de sauvetage bancaire ruineux, de mise en péril de l’économie par la spéculation débridée. Cinq ans après les déclarations du G20, où en est-on ? L’Union européenne a voté une dizaine de directives, sous la houlette de Michel Barnier. Bonus des banquiers, organisation des plans de sauvetage, supervision et contrôle... Tour d’horizon de cette difficile reprise en main, avec Thierry Philipponnat, secrétaire général de l’ONG Finance Watch, rare contrepouvoir au puissant lobby bancaire européen.

Basta ! : L’union bancaire européenne a pour objectif d’éviter que de nouvelles faillites bancaires ne soient supportées par les contribuables. Son principe a été adopté par les eurodéputés le 15 avril. Est-ce une mesure satisfaisante ?

Thierry Philipponnat [1] : La réforme de l’Union bancaire a pour objectif que la prochaine crise bancaire ne coûte pas d’argent au contribuable – contrairement à la crise de 2008 qui coûté 450 milliards d’euros aux pays européens. Et de casser le lien incestueux et complètement absurde entre les banques et les États : les banques financent les États mais comptent sur eux pour les sauver quand elles ont un problème. Après un an et demi de négociations, nous avons avancé dans la bonne direction. L’Union bancaire permet une surveillance unique des 130 plus grandes banques par la Banque centrale européenne (BCE). Et la remise à plat du système de « résolution », c’est-à-dire l’intervention publique lorsqu’une banque a des problèmes, avant qu’elle ne fasse faillite. Désormais, les pertes financières devront être absorbées par les actionnaires et les créanciers, avant que les déposants et contribuables ne soient mis à contribution. Cette nouvelle directive européenne [2] est un vrai progrès, elle met fin à « l’aléa moral », qui fait que les gagnants et les perdants n’étaient pas les mêmes : certains pouvaient gagner de l’argent mais pas en perdre !

Quelles sont les limites de cette directive européenne ?

Les pertes absorbées par les créanciers sont limitées à 8 % du bilan des banques. Ce chiffre est le fruit d’un compromis, très insatisfaisant : si une banque réalise une perte supérieure à 8 %, cela sera répercuté sur les contribuables. Ce pourcentage aurait suffit dans le passé, et suffira sans doute dans l’immense majorité des cas. Mais les actifs des banques en Europe représentent 45 000 milliards d’euros ! 8 % de 45 000 milliards, ce n’est pas rien (c’est l’équivalent du PIB de l’Allemagne, ndlr)... C’est donc un gros défaut de cette directive.

Second défaut, cette directive introduit une flexibilité : l’instance en charge de la résolution pourra autoriser des exceptions concernant ces 8 %, s’il y a mise en péril de la stabilité financière. Il faut bien sûr pouvoir être souple en cas de crise ou de sauvetage bancaire. Mais si on commence par dire que dans certains cas particuliers, il est possible de ne pas appliquer la règle, dans le monde réel il y a de fortes chances pour qu’on ne l’applique pas du tout ! Un texte avec des conditions très strictes et incontournables aurait envoyé un signal clair à tous les acteurs, qui auraient adapté leur activité en conséquence. Tant qu’il y aura la possibilité que les États, donc les contribuables, soient appelés à la rescousse des banques, nous continuerons à alimenter ce système.

En cas de faillite d’une banque, qui est chargé de faire appliquer ces règles ?

Sheila Bair, qui a dirigé l’Autorité de résolution bancaire aux États-Unis pendant la crise, nous a fait cette recommandation : surtout ne laissez pas le système de résolution aux mains des politiques ! Les responsables politiques sont exposées à toutes les pressions, et vont quasi systématiquement vouloir sauver « leurs » banques nationales, même si cela coûte aux contribuables. Il faut à un moment que le processus soit technique, froid, implacable, avec des pilotes qui sauront s’adapter si besoin. La loi qui vient d’être votée, même si elle a été améliorée ces derniers mois, ouvre pourtant la porte à une possible intervention des États, par le biais du Conseil européen, dans les cas extrêmes.

On comprend qu’il soit compliqué d’attendre que 28 États membres se mettent d’accord pour intervenir en cas de menace de faillite d’une banque, alors qu’il faut souvent réagir très vite. Mais l’intervention de responsables politiques n’est-elle pas une garantie « démocratique » ?

L’objectif est de casser le lien entre les banques et les États. Si vous dites aux banques que ce sont les États qui auront le dernier mot sur leur sauvetage ou leur non-sauvetage, vous renforcez ce lien. C’est par exemple une incitation pour les grandes banques à acheter la dette émise par leur propre pays, afin d’entretenir cette dépendance, ce cercle vertueux pour elles mais vicieux pour la société. Ce mécanisme, qu’on observe depuis quelques mois, est en train de croître. Avec pour conséquence, l’augmentation de la fragmentation des marchés : les banques espagnoles financent l’État espagnol, les banques italiennes financent l’État italien, etc. 1750 milliards d’euros de dettes des États sont détenus par les banques en Europe, et par chaque banque dans son propre pays. C’est le contraire d’une « union bancaire » européenne. Si le mécanisme de résolution était beaucoup plus mécanique, dans la main de gens qui n’entrent pas dans des considérations nationales, on casserait ce lien.

Le Parlement européen a également adopté l’an dernier le plafonnement des bonus, qui s’appliquera dès le 1er janvier 2015. La rémunération variable des banquiers ne pourra plus excéder le montant de leur rémunération fixe. C’est plutôt une bonne nouvelle ?

C’est un sujet très important, ne serait-ce que symboliquement. Mais nous n’avons pas été au cœur du problème : la question centrale n’est pas que les banquiers et traders gagnent beaucoup d’argent, mais que cela vienne d’une situation « d’aléa moral ». On pourrait la résumer ainsi : « Face, je gagne, pile, tu perds »... Les banquiers gagnent de l’argent à cause d’un système asymétrique, où les pertes sont socialisées (reposent sur tous), mais les profits sont privatisés (bénéficient seulement à quelques uns). C’est le problème essentiel. Et les banques sont déjà en train d’inventer des mécanismes pour contourner cette nouvelle règlementation sur les bonus. L’imagination des juristes spécialisés sur ces questions n’a pas de limites !

De nouvelles règles entrées en vigueur en 2013 imposent aussi aux banques de détenir un pourcentage minimum de fonds propres par rapport aux prêts qu’elles accordent et aux risques qu’elles prennent. Ces nouveaux « ratios de solvabilité », issus des accords internationaux de Bâle, sont-ils une garantie pour éviter de nouvelles faillites ?

Ces accords [3] prévoient le renforcement des fonds propres des banques. Chaque banque doit désormais détenir 7 % de fonds propres « durs », facilement mobilisables, dans son bilan (par exemple, pour pouvoir prêter 100 millions d’euros, une banque doit disposer de 7 millions d’euros en fonds propres, ndlr). Ce ratio de fonds propres est calculé sur la base d’une pondération du risque : plus un prêt est risqué, plus il impacte le ratio et donc « pèse » sur les banques. Sauf que ce calcul de pondération est tout sauf une science exacte ! Les petites banques ont une méthode de calcul standardisée, et les grandes banques ont le droit de définir leurs propres méthodes de calcul ! Les autorités bancaires européennes ont sorti un rapport disant en substance aux banques : « Il faudrait peut-être arrêter de se moquer de nous »... Dans les accords internationaux de Bâle, une autre méthode de calcul était proposée. Cette méthode beaucoup moins facile à contourner s’appelle « l’effet de levier » : elle consiste à rapporter les fonds propres d’une banque à la totalité de ses actifs, sans pondération. C’est un calcul facile et rapide à faire. Mais suite à un lobbying effréné des banques qui ont expliqué que ce serait une catastrophe, les responsables européens ont choisi l’autre système de calcul...

Quelles en sont les conséquences ?

Cette question était traitée au Parlement en même temps que celle des bonus. Au moment où les députés européens ont approuvé le plafonnement des bonus des banquiers, ils lâchaient complètement sur l’effet levier, un sujet essentiel mais moins compréhensible pour le grand public. Nous avons raté l’occasion d’imposer un effet de levier strict, qui est la meilleure façon de discipliner les banques, et par répercussion de limiter les profits qui n’ont pas lieu d’être, et donc les rémunérations démesurées des banquiers. On a traité la conséquence, le bout de la chaîne, avec les bonus, mais pas la cause.

Cette question de « ratio de fonds propres » et de pondération, qui semble très technique, a pourtant des conséquences importantes sur l’économie réelle...

C’est une question centrale : si une entreprise obtient une meilleure note (par les agences de notation), cela impactera moins le taux de fonds propres de la banque qui lui prête de l’argent, grâce à ce fameux taux de pondération. Donc les banques ont tendance à prêter aux entreprises les mieux notées. Ce système nourrit les agences de notation. Et entretient ce phénomène pervers qui consiste à prêter de l’argent aux très grandes entreprises, qui ont une très bonne notation parce qu’elles sont solides, et de ne pas faire de crédits aux PME, peut-être moins bien notées mais qui sont essentielles pour l’emploi et ont tout autant besoin d’accès aux prêts bancaires.

Le commissaire européen Michel Barnier a également présenté en janvier 2014 un projet de réforme du secteur bancaire, qui vise à limiter la taille des banques. L’objectif est d’opérer une séparation au sein des banques entre activités de dépôt (gestion de l’épargne des particuliers ou des entreprises, octroi de prêts) et activités de banque d’affaires (intervention sur les marchés financiers). Cette proposition de loi a-t-elle des chances d’aboutir ?

La proposition de Michel Barnier a un immense mérite : elle reconnaît l’existence d’un problème, avec des banques « mixtes » (qui cumulent activités de dépôt et d’affaires) trop grandes et trop interdépendantes. Le Commissaire propose de donner pouvoir au superviseur – la Banque centrale européenne – de décider au cas par cas si les banques européennes sont trop grosses, trop complexes ou trop interconnectées, et donc représentent une menace pour l’économie. Le superviseur aurait alors le pouvoir d’intervenir pour « séparer » les activités des banques mixtes (cantonner les activités à risque dans une filiale séparée, ndlr [4]). Mais beaucoup de points techniques sont encore à discuter, et cette proposition est fragile. Surtout quand on voit la réaction assez violente de la France et de l’Allemagne, qui ont voté leurs propres « lois de séparation bancaire » en 2013, relativement vides... Certains États considèrent qu’il est impossible de toucher à « leurs » banques. Ils ne veulent absolument pas traiter les problèmes, ni les regarder en face.

L’ex-ministre français des Finances, Pierre Moscovici, a jugé que cette proposition européenne était trop radicale. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France et donc régulateur de la finance française, a jugé les propositions « irresponsables et contraires aux intérêts de l’économie européenne »... Quelle a été la réaction du lobby bancaire ?

Le lobby bancaire européen s’est déchaîné sur ce sujet, il a sorti le grand jeu. Avec tous les arguments habituels. Notamment que la séparation des banques mettrait en péril l’économie, car les banques n’auraient plus les moyens de faire des prêts aux entreprises. Un argument du lobby bancaire repris par Christian Noyer, sans aucune nuance. C’est pourtant l’inverse qui est vrai. Aujourd’hui, seuls 10 % des actifs des banques en moyenne sont consacrés à des prêts aux entreprises, en Europe, et 15% à des prêts aux ménages (les 75% restants étant surtout consacrés aux placements sur les marchés financiers, ndlr). La Banque centrale européenne accorde des prêts aux banques à des taux extrêmement avantageux [5]. Une banque mixte recyclera instantanément cet argent dans les marchés financiers [6]. Une banque dont le seul métier est le prêt aux entreprises va prêter cet argent aux entreprises. Et fera bien mieux son travail de financement de l’économie réelle !

Les banques « séparées » n’auraient plus les moyens d’intervenir sur les marchés financiers, ni d’acheter la dette de l’État, ce qui entrainerait des attaques spéculatives sur les dettes publiques, affirme aussi le lobby bancaire...

Les plus grandes banques d’affaires du monde sont américaines. Elles se sont développés dans le régime de stricte séparation des activités bancaires commerciales et des activités d’affaires, instauré par le Glass Steagall Act (adopté en 1933, et abrogé par Bill Clinton en 1999). Pourquoi un régime de stricte séparation tuerait-il le métier de banque d’affaires, alors qu’il a permis aux banques américaines de prospérer ? Quant à l’argument concernant la dette de l’État, il a pour but de faire peur aux responsables politiques, mais il n’a aucune valeur technique. Quelque soit la taille des banques, petites boutiques ou grandes banques mixtes, elles peuvent finance la dette des États.

Ce que les banques ne disent pas, c’est que la séparation des activités remettrait en cause une garantie implicite de l’État, dont bénéficient les banques « mixtes », comme le Crédit Agricole, BNP-Paribas ou la Société générale, en France. Une garantie qui rapporte 200 à 300 milliards d’euros par an aux banques européennes !

C’est la vraie question, effectivement. Cette garantie implicite leur permet d’emprunter des fonds à un meilleur taux sur les marchés financiers (comme ces banques collectent l’épargne des ménages et entreprises, les investisseurs anticipent le fait que l’État sera toujours là en cas de faillite, et cette garantie permet aux banques mixtes de bénéficier sur les marchés financiers de taux d’intérêts plus avantageux, ndlr). Les chiffres de cette garantie, évaluée notamment par une étude récente du FMI, sont absolument astronomiques (lire notre article). C’est une rente économique pour les plus grandes banques. On comprend qu’elles se battent pour la garder. Cet avantage nourrit l’expansion des banques précisément dans des secteurs d’activité qui sont les moins utiles à l’économie.

Entre 2001 et 2011, le bilan des banques européennes a augmenté de 80 %. Dans le même temps, l’économie européenne a connu une croissance entre 25 et 30 %, soit 2,5 fois moins ! La croissance des banques est toujours plus déconnectée de l’économie réelle : 7 % des transactions sur les produits financiers dérivés sont réalisées entre des banques et des entreprises. Le reste, 93% des transactions, est un jeu entre financiers, nourri par cette garantie implicite des États aux grandes banques mixtes.

On voit dans toutes ces réformes l’impact du très puissant lobby de l’industrie bancaire. Les responsables politiques sont-ils encore capables de lui résister ?

Au niveau des institutions européennes, le lobbying du secteur bancaire est un énorme rouleau compresseur. C’est ce que montre le rapport de l’ONG Corporate Europe Observatory, qui a comptabilisé 1700 lobbyistes dans le secteur financier européen. En décembre 2013, Michel Barnier a interdit à ses équipes de recevoir les lobbyistes des banques, pour mettre fin aux pressions quotidiennes. Il a fermé la porte, mais les banques sont rentrées par les fenêtres, via les États.

Malgré ce rouleau compresseur, la Commission européenne propose des textes qui ont plutôt de la tenue et un vrai objectif. Même si nous sommes les premiers, à Finance Watch, à en pointer les insuffisances. Le Parlement s’empare vraiment des dossiers, les travaille, réussit à faire avancer des questions, malgré les pressions. Mais le Conseil européen, composé des États membres, subit un phénomène relativement pervers : chaque État souffre d’une forme de capture par son industrie financière nationale, et s’érige en défenseur de ses champions nationaux, « ses » banques. Et chaque État va, à tour de rôle, bloquer l’avancée des dossiers au niveau du Conseil européen, ou les édulcorer de façon considérable. Les gens qui ont le pouvoir en Europe aujourd’hui ne représentent pas l’intérêt européen, mais les intérêts nationaux. Le phénomène de capture des responsables politiques par les lobbys bancaires est exacerbé par la gouvernance européenne déficiente.

Comment le lobby bancaire fait-il pression sur les États ?

Ce qui se passe dans les États est de nature un peu différente, ce qui rend le jeu encore plus complexe et biaisé. Il y a une grosse disproportion de moyens sur le terrain à Bruxelles, on ne joue pas à armes égales. Mais dans les États membres, ce sont des réunions entre PDG de banques et ministres, l’impact est beaucoup plus considérable. Et moins visible. En Allemagne, il y a une culture de proximité phénoménale entre les politiques et le système bancaire : 50 % des élus allemands, y compris des élus au Bundestag, sont administrateurs des caisses d’épargne de leur circonscription. En Grande-Bretagne, la capture est d’ordre intellectuel : la City (place financière de Londres) est une espèce de vache sacrée. Une décision qui coûte un centime à la City va être considérée comme mauvaise pour toute la Grande-Bretagne. En France, l’influence est plus discrète. Il faut regarder qui sont les personnes qui dirigent la Fédération bancaire française : des énarques et et des inspecteurs des finances, comme de l’autre côté, au ministère. Cela facilite les échanges, on se comprend à demi-mot. C’est une capture sociologique.

L’organisation que vous dirigez, Finance Watch, a-t-elle des moyens suffisants pour faire contre-poids face à ces pressions du lobby bancaire ?

Nous avons eu la chance de connaître un bon envol, depuis le démarrage il y a trois ans. Finance Watch répondait à un vrai besoin, au bon moment. L’organisation a été créée à l’appel de 22 puis 200 élus européens, de tous horizons politiques, qui ont souligné l’importance de rééquilibrer les débats sur ces questions. Cela donne une dynamique. Nous sommes très sollicités par les régulateurs, les gouvernements, les parlementaires, qui ont besoin d’un plaidoyer qui prenne en compte l’intérêt général.

Propos recueillis par Agnès Rousseaux

@AgnesRousseaux

- Pour aller plus loin, le site de Finance Watch

A lire : Christian Chavagneux et Thierry Philipponnat, La capture, Où l’on verra comment les intérêts financiers ont pris le pas sur l’intérêt général et comment mettre fin à cette situation, Editions La Découverte, 2014, 192 pages, 12 euros.

 

Notes

[1Secrétaire général de l’ONG européenne Finance Watch, Thierry Philipponnat a travaillé pendant 20 ans dans le secteur bancaire, puis a été responsable d’Amnesty international France. Il a été nommé en novembre 2013 au collège de l’Autorité des marchés financiers, en France

[2Directive BRRD - Bank Recovery and Resolution Directive

[3Le « paquet CRD IV », qui transpose dans le cadre législatif européen, par un règlement et une directive, les accords internationaux de Bâle III sur les nouvelles normes mondiales sur les fonds propres des banques, est entré en vigueur le 17 juillet 2013. Ces accords porte notamment le ratio de solvabilité global de 8% à 10,5% du bilan des banques. Et les exigences de fonds propres « durs », les plus mobilisables, passent de 2% à 7%

[4La proposition intègre deux mesures phares : l’interdiction pour les banques, à partir de 2017, de spéculer pour leur propre compte sur les produits financiers s’échangeant sur les marchés (actions, obligations, produits financiers complexes...) et sur les matières premières. Et donner le pouvoir à la Banque centrale européenne d’imposer le cantonnement dans une filiale séparée des activités de marché jugées à haut risque, réalisées pour les clients des banques. Lire le détail ici.

[5Notamment via le LTRO, « Long term refinancing operations », prêts à long terme — trois ans — accordés aux banques par la Banque centrale européenne pour éviter un effondrement du crédit. Deux LTRO, d’un total de 1000 milliards d’euros, à taux très faible, ont été accordés en décembre 2011 et février 2012.

[6Soit en achetant de la dette d’État, soit en replaçant les liquidités auprès de la Banque centrale européenne — c’est le serpent qui se mord la queue ! — soit en plaçant cet argent dans les marchés financiers en général.


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Source : www.bastamag.net

 

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3 mai 2014 6 03 /05 /mai /2014 21:38

 

CADTM

 

 

Source : cadtm.org

 

Conférence à Athènes, Grèce

Tant qu’un pays rembourse une dette illégitime, elle augmente !

2 mai

 

 

Tant qu’un pays rembourse une dette illégitime, elle augmente !

Conférence-débat le 7 mai 2014 à 19h00 à Athènes avec Sofia Sakorafa (députée), LeonidasVatikiotis (Université de Chypre), Georges Katrougalos (juriste), Spyros Marketos (Université de Thessalonique) et Eric Toussaint (CADTM international)

Organisé par ELE (Initiative pour un Comité d’Audit)

 

Les chiffres publiés par Eurostat le 23/4/2014 sur l’évolution de la dette publique et le déficit public mettent à nu la politique du gouvernement et de la troïka. L’augmentation de la dette publique jusqu’à 175.1 % du PIB en 2013 (ou 318.7 milliards d’euros), tandis qu’en 2010 elle s’élevait à 148.3 % du PIB (329.5 milliards d’euros), et l’augmentation du déficit public à 12.7 % du PIB (23.1 milliards d’euros) alors qu’il atteignait 10.9 % du PIB (24.1 milliard d’euros) en 2010 prouvent l’échec cinglant de la politique d’austérité brutale.

Les politiques de la troïka et des gouvernements Papandreou, Papademos et Samaras ont réussi à briser les salaires en les comprimant jusqu’à 480 euros, à faire exploser le chômage jusqu’au record européen de 28 %, à imposer la plus grande récession jamais observée dans l’histoire de la Grèce (21%), à pousser des dizaines milliers de jeunes à l’émigration, à conduire vers le suicide plus de 6.000 citoyens et à transformer la Grèce en une sorte de colonie pour dette, une sorte d’esclavage pour dette.

Face à cette réalité brute, qui annule les discours dithyrambiques sur le surplus primaire, il devient absolument nécessaire de créer un comité d’audit international pour obtenir l’annulation de la plus grande partie de la dette publique (en commençant par toutes les dettes envers le « Mécanisme Européen de Stabilité » (MES), qui constituent plus de 66 % de la dette publique totale), et fonder en droit une décision unilatérale souveraine de répudiation de cette dette.

L’Initiative pour un Comité d’Audit (ELE) invite à cette conférence-débat publique le 7 mai 2014 à 19h00 (à la Maison de l’Association des Journalistes, rue de l’Académie, Athènes), où vont être discutées les dimensions politiques, économiques, juridiques, historiques et internationales d’un tel choix.

Orateurs :
Sofia Sakorafa (députée), LeonidasVatikiotis (Université de Chypre), Georges Katrougalos (juriste), Spyros Marketos (Université de Thessalonique) et Eric Toussaint (CADTM international)

Coordination :
Aris Hadjistefanou, directeur des films : Debtocracy (2011), Catastroïka (2012), Fascism Inc. (2014)

See more at : http://elegr.gr/details.php?id=459#sthash.Ek6Am9kL.dpuf

 

 

Source : cadtm.org

 


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3 mai 2014 6 03 /05 /mai /2014 20:58

 

Source : blogs.rue89.nouvelobs.com/yeti-voyageur

 

 

Pierre Charasse : « La crise ukrainienne accélère la recomposition du monde »

 

Le Yéti - voyageur à domicile

Publié le 02/05/2014 à 10h10

 

 


Illustration choisie par Pierre Charasse pour son blog

 

Pierre Charasse (non, pas Michel !) est un ancien ambassadeur. Il tient aujourd’hui un très intéressant blog au titre éloquent – La tour de Babel – consacré à une analyse critique de la mondialisation. Il vient de donner ses conclusions sur l’affaire ukrainienne. Saignantes pour l’Otan et le G7.

La crise ukrainienne, écrit Pierre Charasse, révèle à quel point les populations occidentales sont manipulées par leurs médias, distillant le venin d’une russophobie imbécile, noyant les explications pourtant brillantes de Poutine sous le déluge des réactions toutes plus stupides les unes que les autres des suppôts de l’Otan.

A la différence des Occidentaux, Poutine, en bon joueur d’échec, « a plusieurs coups d’avance grâce à une connaissance profonde de l’histoire, de la réalité du monde », écrit encore Pierre Charasse.

Bien aidé par la bêtise suffisante de ses adversaires, se riant de l’agitation névrotique de l’Union européenne, le voilà en passe de conjurer le signe indien hérité de la chute de feu l’empire soviétique.

Le G7 et sa fessée sado-masochiste

En face ? Eh bien en face, ça patauge sévèrement. Comme en témoignent les vaines rodomontades d’un G7 appliqué à s’auto-administrer ce qu’un ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, appelle méchamment une « punition sado-masochiste ».

En novembre prochain, il y aura un G20 à Brisbane en Australie, c’est-à-dire les membres du G7 plus les pays des BRICS. Pierre Charasse :

« Il est à peu à peu près sûr qu’il y aura une majorité au sein du G20 pour condamner les sanctions à la Russie, ce qui de fait reviendra à isoler le G7. »

Car par leurs tours de force foireux à répétition, nos glorieux sponsors de néo-nazis putschistes auront réussi l’exploit de souder un peu plus le monde des émergents. Et se les mettre à dos.

Vents contraires

Fort de son avantage sur le terrain énergétique (ah, ce gaz obstinément russe !), Poutine va se rendre en Chine courant mai pour y signer un accord de coopération aussi bien stratégique que financier, puisque les transactions ne s’y promettront plus en dollar, mais dans les monnaies nationales des deux nouveaux alliés. Pierre Charasse :

« Et dans le même mouvement de rapprochement la Chine et la Russie pourraient signer un accord de partenariat industriel pour la fabrication du chasseur Sukhoï 25, fait hautement symbolique. »

Les vents contraires, note Pierre Charasse, soufflent de partout, et s’approchent même dangereusement des frontières de l’empire vacillant :

  • l’accord de coopération conclu en 2002 entre la Russie et l’OTAN pour acheminer via le territoire russe un matériel logistique indispensable en Afghanistan ne tient plus qu’à un mauvais fil ;
  • la Banque de développement que les BRICS souhaitent opposer au FMI et à la Banque mondiale, pourrait bien éclore lors de leur prochain sommet de juillet au Brésil ;
  • enfin, lors du G20 de Brisbane, il sera intéressant de suivre la position du voisin mexicain, tiraillé entre la crainte de rester à bord du Titanic occidental et l’envie pressante de rejoindre le radeau de survie de ses compagnons émergents d’infortune.

 

 

Source : blogs.rue89.nouvelobs.com/yeti-voyageur

 

 

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3 mai 2014 6 03 /05 /mai /2014 20:41

 

Source : rue89.nouvelobs.com

 

 

Lobby, Djoba.. 03/05/2014 à 11h49
Plan contre l’évasion fiscale : pourquoi les multinationales dorment tranquilles

 

Pascal Riché | Cofondateur Rue89

 

 


La caisse d’un Apple Store parisien, le jour du lancement de l’iPhone 5, le 21 septembre 2012 (PRM/SIPA)

 

En 2009, quand la planète sombrait dans les affres de la crise financière, tout le monde autour de la table du G20 était d’accord : il fallait remettre de l’ordre dans la finance, supprimer le secret bancaire et s’entendre pour casser l’évasion fiscale. Cinq ans plus tard, l’organisation Oxfam fait le bilan de ces beaux projets dans une note publiée vendredi [PDF]. Son constat : la réforme qui est en discussion ne semble pas perturber pas le sommeil des dirigeants des entreprises championnes de l’évasion fiscale.

Comment on échappe à l’impôt
Les multinationales ont l’art de faire jaillir les bénéfices soit dans des activités peu imposées, soit dans des parafis fiscaux, soit dans des pays qui leur offre des avantages fiscaux pour les attirer ; elles peuvent aussi surestimer ou sous-estimer les prix des biens et services échangés entre leurs propres filiales. Plusieurs ont été épinglées : Oxfam cite Apple, Amazon, Google, Vodafone, Ikea, eBay, Zara et Starbucks,

Deux chiffres pour prendre la mesure de l’ampleur du problème : d’après l’OCDE, les multinationales paient en moyenne 5 % d’impôt sur les sociétés, contre environ 30 % pour les petites entreprises.

Sous l’impulsion du G20, l’OCDE a donc engagé l’an dernier un « plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices » (BEPS). Il vise à supprimer les doubles « non-imposition » et à introduire de la transparence dans les pratiques des multinationales, afin qu’elles paient des impôts là où se déroulent véritablement leurs activités.
Au total, c’est plus de 100 milliards de dollars qui pourraient être récupérés et mis au profit des populations. Le projet BEPS, qui fera l’objet d’un rapport lors de la réunion du G20 à Cairns (Australie) en septembre, doit entrer en vigueur l’an prochain.
Mais il est en train d’être minée par le lobbying efficace des entreprises multinationales, affirme Oxfam dans son rapport, qui pointe plusieurs problèmes

1 Le poids du lobbying des multinationales est disproportionné

 

« Tout d’abord, le lobby des entreprises a actuellement un poids disproportionné dans le processus, dont il joue pour protéger ses intérêts », écrit Oxfam.

Oxfam donne un exemple parlant : fin 2013, l’OCDE a lancé des consultations sur la nécessité de tenir un reporting, pays par pays, afin d’obliger les sociétés étrangères à indiquer la localisation de leurs véritables activités et celle des impôts qu’elles payent.

Mais dans le cadre de cette consultation, près de 87 % des contributions provenaient du business. Les 13 % restants incluaient des contributions d’ONG ou d’experts et d’un syndicat. Aucune des administrations fiscales des pays en développement n’a été consultée.

« Sur les 135 contributions, seules cinq proviennent de pays en développement et 130 proviennent de pays riches, avec une part considérable (43 %) provenant du Royaume-Uni et des États-Unis. »

Evidemment, la quasi-totalité (94%) des réponses qui émanent du secteur des affaires montrent une opposition à ce projet de transparence.

La consultation leur a au final été profitable : l’OCDE a renoncé à plusieurs exigences de transparence qu’elle prévoyait initialement de poser... Une « bonne nouvelle », a exulté la société comptable internationale KPMG.

Autre exemple des abus constatés par Oxfam, la proximité entre les experts de l’OCDE et les groupes de défense des multinationales.

  • Une des représentantes d’un lobby de sociétés numériques américaine, consulté par l’OCDE sur les défis fiscaux de l’économie numérique, était ainsi, jusqu’en 2011 :

« une employée de l’OCDE qui occupait alors un poste de haut responsable sur les questions de politique fiscale concernant les groupes internationaux en ligne et hi-tech »...

  • En sens inverse, l’OCDE a nommé comme responsable de son service « prix de transfert » (qui examine les montages fiscaux entre filiales) un des partenaires de KPMG à Londres, entreprise directement impliquée dans le lobbying pro-multinationales.

Conclusion d’Oxfam :

« Il faudrait mettre un terme à cette ronde entre législateurs fiscaux et conseillers des sociétés comptables. Ces derniers influent souvent sur l’élaboration des politiques fiscales contenant des failles qu’ils s’empressent ensuite de vendre à leurs clients. »

Cela porte un nom, le conflit d’intérêt.

2 Les Etats-Unis coprésident le groupe de travail « numérique »

 

Autre sujet de préoccupation pour Oxfam : les Etats-Unis coprésident (avec la France) le groupe de travail BEPS sur l’économie numérique. Or :

« les Etats-Unis ont un intérêt particulier dans ce groupe, car ils accueillent certaines des plus grandes sociétés numériques dans le monde (Google, Amazon, Facebook et Apple, pour ne citer qu’eux). Il s’agit de sociétés ayant fait l’objet de scandales retentissants en matière de planification fiscale agressive. »

C’est un peu comme si l’on confiait au Luxembourg la présidence d’un groupe de travail sur les moyens d’éradiquer le secret bancaire (ce à quoi il s’y est finalement résigné, il est vrai)...

3 Les pays en développement n’ont pas voix au chapitre

 

Les intérêts des pays qui n’appartiennent pas à l’OCDE ou au G20 ne sont pas représentés dans ces négociations. Soit les quatre cinquièmes des Etats du monde... C’est « profondément scandaleux », tranche Oxfam qui craint que « tout accord continuera inévitablement de servir les intérêts des pays les plus puissants et les plus impliqués ».

Les pays hors OCDE seront certes « consultés », mais la manière dont leurs remarques seront prises en compte n’est pas définie. Par ailleurs, de nombreux pays n’ont pas les moyens d’envoyer des délégations participer à cette consultation. Par exemple :

« Dans un pays comme le Salvador, le service fiscal international n’en est qu’à ses balbutiements et n’emploie qu’une seule personne, entièrement occupée à la gestion de la nouvelle législation sur les prix de transfert. »

4 Un plan axé sur les intérêts des pays riches

 

Enfin, Oxfam déplore que le plan d’action se concentre sur les intérêts des pays riches. Son principal objectif est ainsi de réduire la « double non-imposition » des multinationales (ce qui permettrait de collecter plus d’impôts dans les pays où ces firmes ont leurs différents sièges). Selon Oxfam, certaines nouvelles règles ne sont pas adaptées à de nombreux pays en développement. Ces derniers

« ne tireront aucun profit de mesures qui augmentent les recettes fiscales dans les pays riches » où « résident » les multinationales, sans pour autant créer de nouvelles recettes dans les pays à la « source » des profits. »

De même, l’accent du plan est mis sur les sociétés de haute technologie, alors que les pays pauvres sont surtout affectés par l’évasion fiscale organisée par les sociétés agro-alimentaires ou minières.

 

 

 

Source : rue89.nouvelobs.com

 

 

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2 mai 2014 5 02 /05 /mai /2014 15:07

 

Source : www.mediapart.fr

 

Les étranges subsides de la PAC décodés

|  Par La rédaction de Mediapart

 

 

Le quotidien belge Le Soir rapporte, dans son édition de vendredi, que la politique agricole européenne finance, notamment, un club de lutte à la corde...

L'enjeu de la transparence des bénéficiaires de la PAC, l'un des plus gros postes budgétaires de l'Union, n'est pas nouveau. L'édition de vendredi du quotidien belge Le Soir apporte sa pierre à l'édifice. On y découvre que certaines structures associatives et entreprises en Belgique, apparemment bien éloignées du monde agricole, touchent des subsides de la politique agricole commune – qui sont censés contribuer au soutien de la production agricole, et du développement rural.

Le quotidien cite un rapport publié par BelPA (Organismes payeurs belges), dans lequel figure la liste des bénéficiaires, côté belge. On y trouve par exemple un club de lutte à la corde, le Royal Ostend Golf Club, ou encore la section de la Croix-Rouge, à Liège. Ces structures semblent profiter d'une acception très large du concept de « développement rural ». Mais la réforme de la PAC, qui doit entrer en vigueur en janvier 2015, devrait mettre un terme à ces dérives, assurent plusieurs intervenants dans l'article.

À lire ici (article payant).

 

 

 

 

Source : www.mediapart.fr

 

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