Promis, les animaux d'élevage français ne mangeront pas de farine animale. Le président François Hollande a assuré samedi 23 février que la France ne réintroduirait pas ces farines, malgré leur retour annoncé au niveau européen dans les élevages de poisson, puis de porc et de volaille. "La France a voté contre et la France n'introduira pas ces protéines animales pour ce qui la concerne", a déclaré François Hollande, en visite au salon de l'agriculture.

Il faut dire qu'en annonçant le 14 février la réintroduction des farines animales au 1er juin, la Commission européenne a mal choisi son timing. En plein scandale sur la fraude à la viande de cheval, le retour de ces aliments rendus responsables de la crise de la vache folle (encéphalite spongiforme bovine ou ESB) suscite la méfiance.

Au cœur du problème : la traçabilité dans la filière de production et de transformation de la viande. Dans le cas des farines animales, il est d’autant plus complexe que pour éviter le risque d’une nouvelle épidémie d’ESB, les règles à respecter sont multiples. Quelles sont-elles et les autorités ont-elles les moyens de les faire respecter ?

 

Deux lignes rouges : bœuf et cannibalisme

Aujourd’hui, les farines animales proposées à la réintroduction, rebaptisées “Protéines animales transformées” (PAT), obéissent à des règles strictes : elles ne peuvent être fabriquées qu’à partir de sous-produits d’abattage d’animaux vivants et sains, et excluent certaines parties considérées comme à risque (cervelle, moëlle épinière...). 

Dans ces conditions, les experts estiment que le risque d’une nouvelle épidémie d’ESB est négligeable à deux conditions. D'abord, les ruminants (bœufs mais aussi moutons, chèvres...) doivent être exclus de la filière, à la fois comme matière première et comme destinataire de ces aliments. Par ailleurs, aucun "recyclage intra-espèce" ne doit avoir lieu, c'est-à-dire que les porcs ne doivent pas manger de porc, ni les poulets de poulet.

Mais l’application de ces règles est loin d’être garantie. Premier obstacle invoqué : le manque d’étanchéité des filières concernées.

 

Une filière peu cloisonnée

Si les abattoirs se spécialisent de plus en plus par espèce, c’est loin d’être le cas sur le reste de la chaîne. Par exemple, les transports de sont pas spécialisés et des mêmes containers peuvent transporter tantôt des restes de bœuf, tantôt des restes de volaille. De même, les usines, qui produisent déjà des aliments à base de PAT pour animaux domestiques, ne sont pas dédiées à une seule espèce.

Une étude menée en 2011 par le ministère de l’Agriculture à la demande de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) expliquait ainsi que seul 2% de la production française d’aliments pour porc était fabriquée dans des usines exclusivement consacrées à cette activité. Les autres produisaient, entre autres, des aliments pour volaille et pour ruminants... Difficile, dans ces conditions, d‘éviter les contaminations croisées.

 

Le risque des contaminations croisées

Conscientes du problème, les autorités européennes ont décidé que les PAT ne seraient produits que dans des structures spécialisées par espèces, d’un bout à l’autre de la chaîne. Tout en prévoyant des dérogations.

Le texte publié au journal officiel de la commission européenne explique par exemple que des containers utilisés pour transporter des aliments à destination d’élevages de porc ou de poulet pourront être utilisés pour transporter des aliments à destination de la filière bovine s’ils ont été soumis à des procédures de nettoyage précises. En 2011, l’Anses soulignait pourtant que de telles procédures de nettoyage ne permettaient pas d’exclure le risque de contamination.

Pour les opposants à la réintroduction des farines, le risque est trop important. "Il n'y a aucune garantie d'étanchéité de la filière de production des farines", souligne ainsi Michèle Rivasi, députée européenne Europe Ecologie-Les Verts, jointe par Francetv info.

 

Des tests efficaces mais qu'il reste à mettre en oeuvre

Reste un ultime rempart pour la santé du consommateur : les procédures de contrôle. C’était la condition sine qua non posée par les Etats membres à une réintroduction. En effet, si les méthodes traditionnellement utilisées dans le secteur permettaient de détecter la présence de protéines animales dans des aliments, elles ne distinguaient pas jusqu’ici l’espèce représentée.

Sur ce point, une étape importante a été franchie grâce à un test basé sur l’ADN. Le développement de cette méthode, dite PCR, est supervisé par le Centre de recherches agronomiques de Wallonie (CRA-W), laboratoire de référence européen sur le sujet. "Il a fallu démontrer que le test utilisant cette méthode était capable d’atteindre un seuil de détection de 0,1%" de matière, exigé par les autorités européennes, explique Pascal Veys, attaché scientifique au CRA-W, contacté par Francetv info. Des laboratoire de référence ont déjà été formés dans les différents Etats-membres, et sont chargés du déploiement des tests.

Mais si les moyens techniques sont au rendez-vous, reste à s’assurer qu’ils soient efficacement mis en œuvre. En la matière, le contre-exemple est facile à trouver : "Le scandale de la viande de cheval a mis en lumière les lacunes majeures de nos systèmes de contrôle", souligne l’association de consommateurs CLCV, qui s’oppose à la réintroduction. "En effet, nous découvrons que, pendant des mois, des centaines de tonnes de viande relevant d’une, voire de plusieurs fraudes grossières ont pu être écoulées un peu partout en Europe sans que personne ne donne l’alerte."

Marion Solletty