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1 décembre 2015 2 01 /12 /décembre /2015 14:02

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

Manifestants interpellés: la grande loterie de la République
1 décembre 2015 | Par Louise Fessard et Rachida El Azzouzi
 
 
 

Suite aux interpellations massives du dimanche 29 novembre, lors du rassemblement interdit place de la République, à Paris, 316 manifestants ont passé la nuit en garde à vue. Plusieurs d'entre eux, enseignants et étudiants, disent avoir été encerclés par les CRS, alors qu'ils cherchaient à fuir les échauffourées.

Les policiers ont procédé dimanche 29 novembre à des interpellations massives place de la République, où quelques milliers de personnes s’étaient rassemblées malgré l'état d'urgence, bravant l'interdiction de manifester autour de la conférence mondiale sur le climat (COP21). Selon le parquet de Paris, sur 341 personnes interpellées, 316 personnes ont été placées en garde à vue dans des commissariats de Paris et de la petite couronne.

Seules neuf de ces gardes à vue ont été prolongées lundi soir au-delà de 24 heures. Les autres personnes interpellées ont été relâchées, mais « l'enquête se poursuit et ces personnes sont susceptibles de poursuites pour participation à une manifestation non autorisée », nous précise-t-on. Elles encourent des peines pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement et à une amende de 7 500 €.

 

Place de la République à Paris dimanche en début d'après-midi: des chaussures pour représenter des manifestants empêchés de manifester © Jean de Peña Place de la République à Paris dimanche en début d'après-midi: des chaussures pour représenter des manifestants empêchés de manifester © Jean de Peña

 

Suite aux attentats du 13 novembre 2015, le préfet de police de Paris avait justifié l'interdiction des manifestations jusqu'au 30 novembre 2015 par des nécessités purement sécuritaires. « Dans un contexte de menace élevée, les manifestations sur la voie publique sont susceptibles de constituer une cible potentielle pour des actes de nature terroriste », expliquait-il alors dans un communiqué.

Plusieurs face-à-face ont eu lieu dimanche entre les CRS et des personnes habillées en noir cherchant manifestement à en découdre et lançant des projectiles (lire notre reportage). « Nous avons eu affaire à quatre, cinq groupes de 30 personnes particulièrement bien organisées, vêtues de noir et qui jetaient des projectiles (...), des boulons, des pierres, des boules de pétanque, des panneaux de chantier, mais également des bougies prises sur le mémorial des victimes des attentats », a affirmé lundi après-midi la commissaire divisionnaire Johanna Primevert, porte-parole de la préfecture de police de Paris. « Aucun amalgame ne saurait être fait entre des manifestants de bonne foi et ces groupes qui n'ont toujours eu qu'un seul dessein : profiter de rassemblements responsables et légitimes pour commettre des violences inacceptables », s’est engagé dimanche le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve.

Pourtant, les personnes que nous avons pu interroger à leur sortie de garde à vue lundi soir, pour beaucoup des étudiants et enseignants, affirment être des manifestants pacifiques. Elles disent avoir été coincées sur la place par les cordons de CRS au moment où elles tentaient de la quitter pour éviter les échauffourées. Ces manifestants décrivent la formation de plusieurs « nasses policières ». Des militants du NPA, d'Alternative libertaire et d'Ensemble se sont ainsi retrouvés encerclés avec environ 300 personnes pendant plus de trois heures, près de la rue du Faubourg-du-Temple. Certains ont été arrêtés, d’autres non, d’une façon qui semblait « totalement arbitraire » selon leurs témoignages.

Une source policière explique que cette technique d'« encagement » est normalement utilisée par la préfecture de police en fin de manifestation. « Quand il ne reste plus que ceux qui lancent les cailloux aux forces de l'ordre, on bloque tous les accès sauf un, pour laisser une possibilité de départ, on encage et on interpelle, explique ce policier. Mais là, l'objectif était manifestement politique : montrer qu'on est rigoureux. Quand on voit 341 interpellations et seulement 9 gardes à vue prolongées, ça fait sourire en termes d'efficacité policière. »

Yannick Lesne, 44 ans, professeur de physique chimie au lycée Guy-de-Maupassant à Colombes (Hauts-de-Seine), est sorti de garde à vue vers 15 h 30 ce lundi. Venu dimanche « dénoncer la mascarade de la COP21 », ce militant Sud éducation dit avoir voulu quitter la place « quand des individus habillés en noir ont commencé à jeter des chaussures et des bouteilles vides sur les CRS ». L'enseignant craignait pour son genou, récemment opéré. Mais « les bouches de métro étaient fermées et les CRS empêchaient toute sortie ». L’un de ses collègues, également présent, affirme que les policiers les « poussaient et compressaient, y compris dans les escaliers de bouches de métro ».

Yannick Lesne se réfugie donc, comme plusieurs autres manifestants, dans le cortège du NPA et d’Alternative libertaire « pour éviter de se retrouver entre casseurs et policiers ». Mauvais calcul : « On a vu les CRS nous entourer. » Le professeur fait partie des premiers à être interpellés et traînés vers les bus de police, vers 15 h 30. Tout comme Matthieu Bloch, étudiant parisien de 22 ans en master 2 d’urbanisme, qui « quand ça a dégénéré » a lui aussi préféré rejoindre les « organisations reconnues, loin des blacks blocks » après avoir essayé en vain de prendre le métro boulevard Magenta.

« On a décidé d’aller à l’opposé des casseurs, dans le cortège du NPA et d'Alternative libertaire où il y avait des personnalités comme Olivier Besancenot, Frédéric Lordon », explique-t-il. Mais il se retrouve lui aussi entouré par le cordon policier. « Les policiers nous enserraient, il y avait des personnes âgées, des familles, donc on a essayé de sécuriser les escaliers du métro en faisant une chaîne », explique l’étudiant, interpellé vers 15 h 30.

« Nous n’avons pas compris pourquoi les premiers interpellés étaient des manifestants pacifiques alors que les vrais casseurs, qui faisaient des allers-retours par vague entre les policiers et le centre de la place, étaient très identifiables, habillés tout en noir », s’étonne Yannick Lesne. Selon Nicolas Mousset, professeur de mathématiques de 31 ans à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), « il y a eu au moins 150 personnes interpellées dans le cortège NPA et Alternative libertaire, alors que nous n’avions rien fait à part chanter des slogans contre la COP21 et étions les plus éloignés de la zone des accrochages ». « À aucun moment, souligne-t-il, il n’y a eu de frontière floue entre les agités et notre cortège, donc on l’a vraiment pris comme une répression politique plus qu’une question de sécurité. »

Des policiers « qui se lâchaient »

Les autres manifestants encerclés près de la rue du Faubourg-du-Temple – environ 300 – y sont restés debout, serrés les uns contre les autres, jusqu’à environ 19 h 30 « dans une sorte de garde à vue extrajudiciaire », dénonce un collègue de Yannick Lesne. C’est le cas de Raphaël Colmet, un étudiant grenoblois de 21 ans, venu dimanche à République « pour faire entendre la voix des jeunes ». Il a été coincé « pendant trois heures » près de la rue du Faubourg-du-Temple « poussé par les policiers qui nous suffoquaient », avant d’être interpellé. « Les policiers chargeaient par groupe de quinze en courant et nous arrachaient un par un, nous traînaient vers les fourgons, dit le jeune homme. Leur stratégie était en contradiction totale avec l’objectif annoncé de disperser les manifestants. »

Étudiant en ingénierie hydraulique, Raphaël Colmet était arrivé en région parisienne jeudi pour participer à la COY, la conférence de la jeunesse qui s’est tenue à Villepinte juste avant la COP21, « un événement génial ». Ses petits camarades ont dû rentrer en bus à Grenoble dimanche soir sans lui.

 

Charge des CRS place de la République © Jean-Paul Duarte Charge des CRS place de la République © Jean-Paul Duarte

 

Yannick Lesne, Raphaël Colmet et Matthieu Bloch ont tous trois été emmenés en bus vers « le dépôt du XIXe arrondissement ». Ils y sont restés plusieurs heures enfermés « à une vingtaine dans une cellule de 9 mètres carrés ». « Il y avait des gens assis par terre, nous avions très chaud, sans rien à boire, ni à manger, on avait l’impression d’être dans un autre pays », dit Yannick, très choqué à 44 ans par cette première expérience de garde à vue. Vers 22-23 heures, ils racontent avoir été transférés au Service de l'accueil et de l'investigation de proximité (SAIP), rue de Parme, dans le IXe arrondissement, où ils ont passé la nuit « à six dans une cellule, avec seulement une brique de jus d’orange et un gâteau sec le matin ». Raphaël a « dormi au sol avec un autre », ses chaussures lui servant d’oreiller.

Les auditions auraient été expédiées comme de simples formalités. « Ça a duré dix minutes, le temps de remplir les papiers, dit Matthieu Bloch, le premier à avoir été entendu, vers 9 heures du matin. Les officiers de police judiciaire n’en avaient pas grand-chose à faire. Le mien m’a demandé “Vous n’avez rien à dire sur les faits ? – Non.” “Si vos amis n’ont rien à dire non plus, ça ira plus vite.” » « L’OPJ m’a demandé à plusieurs reprises si je savais que c’était illégal de manifester et c’est tout », dit Raphaël Colmet qui n’a été entendu que « vers 14 heures », soit près de 23 heures après le début de sa garde à vue.

« Nous avons été accusés d’avoir participé à une manifestation non autorisée et de ne pas nous être dispersés après les sommations, mais il n’y a pas eu de sommation et on ne pouvait pas se disperser puisque la place était bouclée ! » remarque Yannick, auditionné vers midi. Il a été relâché à 15 h 30.

À sa sortie, une vingtaine de ses collègues du lycée Guy-de-Maupassant, en grève par solidarité depuis lundi matin, l’ont accueilli rue de Parme. « On fait grève car on pense qu’il devrait être devant ses élèves, nous a indiqué David Pijoan, professeur de mathématiques et représentant du Snes. Tout ce qu’on leur enseigne – le droit d’exprimer son avis, d’avoir l’esprit critique, de connaître ses droits – a été nié. » Plusieurs proches d’élèves de ce lycée de Colombes ont été touchés par les tueries, une professeur d’anglais du collège voisin Gay-Lussac, à Colombes, a été tuée au Bataclan, explique le syndicaliste. « Mais là on est dans un détournement de l’émotion : en quoi des manifestations pour le climat ou pour les migrants sont-elles plus dangereuses qu’un match de foot ? »

Dans un communiqué, les enseignants du collège Gay-Lussac ont d’ailleurs également exprimé leur solidarité avec leur collègue interpellé dimanche. « S'il revient aux autorités de l’État de prendre des mesures – pas uniquement sécuritaires – pour protéger les citoyens, il revient à ces derniers d’exercer un contrôle démocratique sur ces mesures et de continuer à défendre – en les exerçant – les libertés garanties par notre Constitution », rappellent-ils. 

À Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le collège Henri-Barbusse est lui aussi resté fermé ce lundi, la quarantaine d’enseignants présents avant les cours ayant voté la grève à l’unanimité en soutien à Grégory, l’un de leurs collègues gardés à vue, selon Florent Martini, représentant du Snes. Une vingtaine d’entre eux se sont rendus devant le commissariat du XVIIIe où le professeur était entendu. Aurélien, 29 ans et professeur de lettres classiques à Henri-Barbusse, est, lui, passé entre les mailles du filet dimanche. « Ils ont chargé puis extirpés les gens un par un, absolument sans aucun critère », dit-il. « Le hasard a fait une grande part entre ceux arrêtés et ceux qui étaient du bon côté du cordon policier, comme moi, donc les assimiler à des voyous, c’est inacceptable », souligne également Clément Dirson, co-secrétaire du Snes de Créteil.

Cathy Billard, professeur en lycée professionnel à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), a eu moins de chance. La militante du NPA âgée de 48 ans a été embarquée vers le commissariat de Bobigny après s’être également retrouvée coincée « pendant trois heures » rue du Faubourg-du-Temple. « Les policiers avaient disposé des barrières formant deux enclos sur le parking à l’intérieur du commissariat, ça faisait vraiment rafle, décrit-elle. Nous étions environ 80 extirpés de la nasse, avec peut-être cinquante jeunes arrêtés avant. Au début, les policiers parlaient de simples vérifications d'identité, puis ils nous ont sortis un par un pour signifier les gardes à vue. »

Cathy Billard dit être passée vers 23 heures : « Un policier nous a dit qu’ils n’étaient pas fiers de ce qu’ils faisaient. Un autre a déclaré : "Cette procédure était débile, vous allez être vite relâchés". » Elle raconte avoir ensuite rejoint le deuxième enclos avant d’être emmenée « menottée » avec les autres vers minuit « dans les différents commissariats où ils ont trouvé de la place ». « Les policiers qui faisaient le transfèrement étaient en service depuis 6 heures du matin, inutile de dire qu’ils étaient un peu stressés et agressifs, remarque Cathy Billard. C’est une catastrophe de laisser des gens dans cet état rentrer chez eux armés ! »

L’enseignante a atterri au commissariat de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), « pas le pire, m’a-t-on dit, avec des locaux relativement modernes ». Mais elle a tout de même moyennement apprécié sa nuit « dans le froid, sur un matelas puant avec un gardé à vue à côté pour violences conjugales qui cognait comme un sourd et déversait des tombereaux d’insultes contre les flics ». L’enseignante a surtout été choquée par le comportement de certains policiers « qui se lâchaient ». « Certains sont venus se balader sans raison devant nos cellules et nous ont traités de "ramassis de gauchistes". Ils ont ajouté : "Il y a même des femmes, il faut les empêcher de se reproduire et les envoyer au goulag". » Après une nouvelle audition express sans avocat – « celui demandé n’était pas disponible et je n’ai même pas pensé à demander à relire le PV » –, elle a été relâchée avec les sept autres vers 15 heures.

« La garde à vue les arrangeait »

Élise, 26 ans, professeur d’histoire-géo en banlieue parisienne, est elle aussi rentrée chez elle ce lundi avec les courbatures d’une bien mauvaise nuit au commissariat de la rue de l’Évangile, dans le XVIIIe. La première garde à vue de sa vie a été marquée par la faim – « nous n’avons eu à manger qu’une fois à 4 heures du matin » – et un aller-retour sous escorte aux urgences de l’Hôtel-Dieu pour soigner son annulaire droit, cassé durant son interpellation musclée par les forces de l’ordre, ce dimanche place de la République. « Il était 15 h 30 quand les flics ont commencé à nous serrer et à nous attraper violemment un par un pour nous jeter dans les fourgons. C’est à ce moment là qu’ils m’ont cassé le doigt », raconte la jeune femme.

 

Manifestation République CRS *lien de la vidéo ici

 

Élise était alors « sur le départ » : « L’ambiance devenait trop mauvaise avec les lacrymos et les forces de l’ordre », « nous avions fait l’essentiel, défendu notre droit à l’expression dans le calme et sans aucune violence ». Mais la place de la République était quadrillée par les policiers. Impossible d’en sortir. « J’étais à l’angle de la rue du Faubourg-du-Temple, loin du mémorial aux victimes des attentats, avec le groupe du NPA que nous avions rejoint avec mes camarades d’organisations libertaires, voyant que nous ne pouvions plus sortir de la place », poursuit la jeune femme. Elle s’attendait à un gros dispositif policier compte tenu de l’état d’urgence, mais pas à une interpellation.

Yaël Gagnepain, 22 ans, lui, avait anticipé « le risque ». « Les forces de l’ordre avaient montré leurs muscles une semaine plus tôt lors d’une manif pour les migrants », explique ce porte-parole des étudiants à Solidaires. Ce dimanche, ils étaient plusieurs dizaines d’étudiants, presque une centaine, de Solidaires et d’autres formations syndicales ou politiques, réunis ensemble à « Répu ». « C’était bon enfant. On avait fait des tours de la place en chantant nos slogans. » Jusqu’à l’assaut policier. « Les flics nous ont attrapés et séparés un à un. On a été dispatchés entre les commissariats de Bobigny et celui de la rue de l’Évangile dans le XVIIIe. C’était assez violent. »

Yaël a fini rue de l’Évangile dans une cellule à 23, ramenée quelques heures plus tard à deux. « Les flics ont été dépassés. La garde à vue les arrangeait car ils avaient cueilli beaucoup trop de monde et qu’il leur était impossible de vérifier les identités dans le délai légal imparti de quatre heures. J’ai donc passé 24 heures en garde à vue, été fouillé des dizaines de fois pour 45 secondes d’entretien avec un officier de police judiciaire qui a pris note que je n’avais rien à déclarer. » Sa mésaventure conforte cet étudiant en sciences humaines « dans l’idée que nous sommes face à un État policier qui réprime toute contestation ».  

Camille, une réalisatrice de 27 ans venue « rejoindre des amis » et qui préfère rester anonyme, s’est elle aussi retrouvée encerclée « pendant quatre heures vers la sortie boulevard Magenta ». « On était mélangés avec des mères de famille, des gens qui voulaient juste rentrer chez eux, raconte la jeune femme. Comme on ne pouvait pas aller aux toilettes, plein de gens ont uriné par terre. Au début, on a essayé de dédramatiser, puis les policiers ont commencé à faire des interpellations d’une façon qui semblait totalement arbitraire. Ils chargeaient et emportaient les personnes une à une. Nous avons formé une chaîne le long du mur pour faire bloc, les CRS ont frappé des gens avec leurs matraques pour qu’ils se désenchaînent. » Vers 20 heures, sans explication, « on nous a libérés, après une simple fouille de nos sacs, alors qu’on s’attendait tous à être embarqués ».

Une journaliste parisienne, qui préfère elle aussi garder l’anonymat car venue au rassemblement comme militante, a suivi par textos interposés l’interpellation d’un de ses amis, Thomas, « coincé à l’autre bout de la place, rue Léon-Jouhaux, avec des clowns écolos et des gens de Radio libertaire ». Selon son récit, le jeune homme, employé dans un magasin bio, a été emmené en bus à Bobigny (Seine-Saint-Denis), puis à Drancy (Seine-Saint-Denis) avant d’être relâché lundi après-midi. « Au commissariat de Bobigny, les policiers étaient débordés, la fonctionnaire à l’accueil ne savait même pas combien de personnes se trouvaient en garde à vue », explique cette journaliste.

 

Selon un communiqué d’étudiants et de personnels de l’École normale supérieure (ENS) réunis lundi en assemblée générale, « au moins treize étudiants » de l’institution ont fait partie des personnes interpellées et placées en garde à vue. « Ces arrestations ont touché des manifestant-e-s pacifiques qui, répondant à l'appel de très nombreuses organisations, manifestaient contre la COP21 et contre l'instrumentalisation politique de l'état d'urgence, proteste le communiqué. Car, si le gouvernement a interdit des manifestations politiques prévues de longue date, il autorise diverses manifestations sportives, culturelles et touristiques (comme les marchés de Noël). » Plusieurs mouvements politiques, dont le NPA, Alternative libertaire et Ensemble !, dont des militants avaient été interpellés, ont également demandé dimanche soir « la libération immédiate des personnes arrêtées ».

Suite à la manifestation de soutien aux migrants, interdite le dimanche 22 novembre, la préfecture de police de Paris avait déjà transmis une liste de 58 noms à la justice. Une enquête avait été ouverte et plusieurs personnes convoquées la semaine dernière dans des commissariats parisiens. Selon le parquet de Paris, seul un manifestant a été déféré car « des faits de violence lui étaient reprochés ». Ayant demandé un renvoi, il devrait être jugé début 2016. Un autre manifestant a fait l'objet d'un simple rappel à la loi.

 

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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30 novembre 2015 1 30 /11 /novembre /2015 15:38

 

 

Petit guide de survie en état d’urgence

 

 

 

Puisque manifestement, l’état d’urgence ne concerne pas seulement les personnes soupçonnées de terrorisme, quelques choses à savoir sur les perquisitions administratives, les assignations à résidence et autres mesures qui font désormais partie de notre quotidien.

 

Depuis les attaques de Paris, la France est en état d’urgence. Plusieurs médias se sont fait l’écho de bavures liées à ce régime particulier, dont beaucoup craignent qu’il ne soit attentatoire aux libertés. Nous vous proposons ici un petit guide pratique de l’état d’urgence pour savoir quoi faire en cas de problème.

L’essentiel de ce qui suit a été développé par l’avocat pénaliste Emmanuel Daoud, du cabinet Vigo, dont vous pouvez retrouver les analyses sur le blog qu’il tient sur Rue89  « Oh my code ! ». Nous y avons ajouté quelques exemples tirés de l’actualité récente.

 

En quoi puis-je être concerné(e) par l’état d’urgence ?

Tous les citoyens français comme les étrangers peuvent être concernés et sur tout le territoire français (y compris, depuis le 18 novembre, les départements et collectivités d’outre-mer). La loi du 20 novembre 2015 a prolongé l’état d’urgence pendant trois mois jusqu’au 26 février. On parle beaucoup des perquisitions administratives et des assignations à résidence, mais ce ne sont pas les seules dispositions de l’état d’urgence.

 

Descente de police et de gendarmerie au Pré-Saint-Gervais (93), le 27 novembre 2015, dans un squat où était soupçonnée la présence de personnes pouvant

Descente de police et de gendarmerie au Pré-Saint-Gervais (93), le 27 novembre 2015, dans un squat où était soupçonnée la présence de personnes pouvant « perturber l’ordre public » pendant la COP21 - AFP PHOTO/LAURENT EMMANUEL
 

Le gouvernement a décidé – semble-t-il – de ne pas cantonner l’état d’urgence à la lutte contre le terrorisme puisque des militants écologistes ont été assignés à résidence et des perquisitions opérées dans la perspective de la COP21.

Ainsi, le site Bastamag rapporte qu’une perquisition a été menée chez des maraîchers bios, qui avaient participé à une action contre l’aéroport Notre-Dame-des-Landes. Ce n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres, recensés par La Quadrature du Net.

 

Comment se déroule une perquisition administrative ?

Le ministre de l’Intérieur et les préfets peuvent ordonner des perquisitions à domicile « de jour et de nuit ». Pour les forces de l’ordre, l’intérêt de cette procédure administrative est qu’elle permet de se passer de juges : la police et la gendarmerie peuvent ainsi intervenir sans mandat de l’autorité judiciaire (le procureur de la République compétent doit être simplement informé mais ne doit pas délivrer d’autorisation a priori).

Celà dit, elles ne peuvent pas cibler les lieux où travaillent parlementaires, avocats, magistrats ou journalistes. Leur domicile, en revanche, n’est pas exclu du dispositif.

Les forces de l’ordre accompagnées d’équipes techniques peuvent visiter notre domicile à la recherche de tous éléments susceptibles d’intéresser les autorités judiciaires aux fins de constatation d’une infraction. Avec la nouvelle loi sur l’état d’urgence, elles peuvent désormais saisir, en plus, tout équipement informatique – mais pas obliger à donner son mot de passe.

C’est l’officier de police judiciaire obligatoirement présent qui dresse le procès verbal d’infractions éventuelles et le transmet sans délai au procureur de la république compétent pour engager le cas échéant des poursuites pénales.

Quels sont mes droits ?

A l’issue de la perquisition, un procès-verbal doit être dressé et signé par l’occupant des lieux et s’il est absent par deux témoins requis à cet effet. Vous pouvez réclamer aux forces de l’ordre la décision du préfet autorisant la perquisition aux termes de laquelle sont énoncées les raisons de la perquisition, mais il y a de bonnes chances que vous tombiez sur la phrase type :

« Il existe des raisons sérieuses de penser que se trouvent des personnes, armes ou objets liés à des activités à caractère terroriste. »

 

Puis-je me faire indemniser en cas de dégâts ?

En cas de dégradations, l’occupant ou propriétaire des lieux peut demander la condamnation de l’Etat à la réparation de son préjudice devant le tribunal administratif selon la procédure de droit commun ; il devra attendre deux à trois ans pour obtenir un jugement.

Si l’exécution de la mesure a eu des conséquences manifestement disproportionnées et si celle-ci est manifestement abusive, des dommages-intérêts seront alloués.

 

Comment se déroule une assignation à résidence ?

Sans procès, sans examen préalable du juge, le ministre de l’Intérieur peut interdire à un individu de quitter son domicile ou bien le forcer à demeurer en un autre lieu au motif qu’il serait dangereux pour l’ordre public.

Cette mesure est accompagnée le plus souvent d’un pointage au commissariat ou à la gendarmerie la plus proche plusieurs fois par jour, tous les jours.

Par exemple, le 17 novembre le ministère de l’Intérieur a notifié à M. A son assignation à résidence. Il lui faut pointer quatre fois par jour au commissariat (8 h 30, 12 h 30, 16 h 30 et 19 h 30) et il ne peut quitter son domicile entre 21 h 30 et 7 h 30. L’administration fait état d’une note des services de renseignement selon laquelle M. A a suivi a été « impliqué dans une filière d’acheminement en Syrie de membres d’une cellule d’Al Qaeda ».

Il va sans dire que ce type de mesure n’est pas sans conséquences au regard de l’activité professionnelle de la personne concernée.

 

Quels sont mes droits ?

Si vous êtes assigné à résidence, vous pouvez réclamer la décision imposant cette mesure pour connaître les motifs avancés par le ministre de l’Intérieur.

 

Quels sont les recours possibles ?

Toute personne peut contester en référé devant le juge administratif les décisions prises dans le cadre de l’état d’urgence. Si le juge administratif est saisi sous la forme d’un référé-liberté, il doit statuer dans les 48 heures pour déterminer si les mesures administratives critiquées portent « une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».

Le juge peut aussi examiner « en cas de doute sérieux » la légalité d’une décision administrative à l’occasion d’un référé-suspension et doit rendre son ordonnance dans les quinze jours.

 

Pourquoi la presse parle-t-elle de « bavures » ?

Il semble que des perquisitions aient été opérées dans des domiciles qui se sont avérés être ceux de voisins de suspects et non des suspects eux-mêmes. Évidemment, si vous êtes le voisin concerné et que vous dormez tranquillement, le réveil peut-être brutal.

Ce type de mésaventures peut arriver à n’importe lequel d’entre nous. Les forces de l’ordre étant à cran (les terroristes sont lourdement armés et n’hésitent pas à tirer pour tuer ou à se faire sauter) les interventions sont rapides et brutales et la proportionnalité n’est pas toujours respecté. Un vieil homme a été menotté, une petite fille blessé par des éclats de verre et de bois. Il est à craindre que ce type de bévues critiquables se reproduiront et sont inévitables, en espérant qu’elles n’auront pas de conséquences funestes ou graves.

Une circulaire de Bernard Cazeneuve, envoyée à tous les préfets, recadre un peu les perquisitions en insistant, par exemple, sur le fait « dans toute la mesure du possible, l’ouverture volontaire de la porte devra être recherchée ». Le ministre a peut-être vu les images de vidéosurveillance du restaurant Pepper Grill, à Saint-Ouen-l’Aumône, dans laquelle les forces de l’ordre ont tout saccagé alors que le patron leur tendait les clefs.

 

Que faire lorsqu’on est témoin et que le comportement des forces de l’ordre ne semble pas adéquat ?

Rien n’interdit à une personne qui assiste à un comportement inadéquat des forces de l’ordre d’apporter son témoignage oral et écrit à la personne victime de celui-ci. Ce témoignage pourra même être très utile par exemple dans le cadre d’un recours en indemnisation. Il en est de même d’un film vidéo.

Néanmoins, l’utilisation d’un smartphone ou de tout autre appareil vidéo doit s’opérer avec la plus grande circonspection et sans provocation, car il est à craindre que les forces de l’ordre réagiront vertement et n’hésiteront pas à saisir ce matériel en vertu de l’état d’urgence – même si une telle saisie semble dépourvue de base légale.

Les interpositions physiques sont bien sûr déconseillées, surtout la nuit. On ne peut exiger des forces de l’ordre intervenant dans l’urgence et en pleine nuit d’exclure toute forme de violence si elles se sentent menacées. Quant à l’interposition verbale, pourquoi pas, mais là encore attention : la mesure et la modération doivent être privilégiées.

 

En pratique, est-il possible de protester contre ces décisions avec des chances de gagner ?

Il faut bien l’avouer, l’état d’urgence, mesure exceptionnelle par nature, conduira le juge administratif à apprécier avec moins de bienveillance qu’à l’accoutumée la pertinence de telles réclamations.

Les forces de l’ordre ne bénéficient pas d’un blanc-seing mais elles ont une grande latitude quant à l’emploi de la force pour pénétrer en des lieux fermés à l’occasion de perquisitions ordonnées... En clair, les chances de gagner son procès seront minimes.

D’ailleurs, le juge des référés a rejeté, le 27 novembre, des recours déposés par deux personnes assignées à résidence.

Quelles sont les autres dispositions prévues par l’état d’urgence ?

  • Une restriction de la liberté d’aller et venir.

C’est le fameux « couvre-feu » : dans tous les départements, les préfets peuvent interdire « la circulation des personnes ou des véhicules » dans des lieux et à des heures fixes par arrêté ; instituer « des zones de protection » où le séjour est réglementé ; interdire de séjour « toute personne cherchant à entraver l’action des pouvoirs publics ».

A Sens, le préfet de l’Yonne a ainsi décidé d’instaurer un couvre-feu en interdisant la circulation dans un quartier de la ville, pendant trois nuits. La préfecture de police de Paris a aussi prolongé l’interdiction de manifester dans les départements de la zone de défense et de sécurité de la capitale. Et ce jusqu’à ce 30 novembre. Les manifestations en marge de la COP21 qui ont eu lieu à Paris ce dimanche étaient donc interdites.

 

  • Une assignation à résidence renforcée

La loi de 1955 s’appliquait à toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse », elle s’applique désormais plus largement à toute personne lorsqu’il existe « des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace » – les suspects donc, qui ont par exemple des fréquentations ou des propos douteux.

L’assignation à résidence est prononcée par le ministre de l’Intérieur, dans un lieu qui n’est pas forcément le domicile de celui-ci ; le suspect y est conduit manu militari. Il doit obligatoirement y demeurer.

 

  • Le blocage des sites web

Le blocage administratif des sites était déjà présent dans la loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 « renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme » mais il a été renforcé dans la loi qui modernise l’état d’urgence, adopté le 20 novembre dernier.

La procédure est désormais moins encadrée et plus immédiate. Ainsi, plus besoin de s’adresser à l’hébergeur du site problématique : les autorités peuvent directement demander à Orange, Free, SFR et compagnie de le bloquer. Exit aussi la personnalité qualifiée de la Commission informatique et libertés (Cnil), qui garde un œil sur la liste de sites bloqués en France.

 

  • La dissolution d’associations

La dissolution d’association était déjà prévue dans le code de la sécurité intérieure (article L212-1). C’est ce qui a permis d’interdire le groupe islamiste radical Forsane Alizza, mais aussi divers mouvements d’extrême droite, tels que L’Œuvre française. La nouvelle formulation élargit les possibilités de dissolution. Cette disposition ne semble pas avoir été mis en place depuis le 13 novembre.

Comme le rappelle La Croix, la fermeture des mosquées passerait par la dissolution de l’association gestionnaire, ce qui s’avère très compliqué.

 

 

Source : http://rue89.nouvelobs.com

 

 

 

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30 novembre 2015 1 30 /11 /novembre /2015 15:25

 

Source : http://cadtm.org

 

 

Le hub mondial du trafic de l’or – La Suisse, l’or et le pillage du monde

30 novembre par Jean Batou

 

 

CC Flickr - Oyvind Solstad

 

« L’or qui résidait initialement au ciel avec son confrère l’argent, comme le soleil et la lune, s’étant d’abord débarrassé de ses attributs sacrés pour venir sur terre comme un autocrate, pourrait maintenant se satisfaire du sobre statut de roi constitutionnel avec un cabinet de banques ; et il pourrait n’être jamais nécessaire de proclamer une république. Mais ce n’est pas encore le cas – et l’évolution pourrait être totalement opposée. Les amis de l’or vont devoir se montrer extrêmement sages et modérés s’ils veulent éviter une révolution »
(John M. Keynes, « Auri Sacra Fames », 1931).

 

Depuis dix ans, la Suisse n’a cessé de renforcer son emprise monopolistique sur le commerce mondial de l’or physique (les opérations de trading étant basées à Londres). Dans cette décennie, ses importations et ses exportations de métal jaune ont ainsi plus que triplé en volume, dépassant chacune les 3500 tonnes, tandis qu’elles ont été multipliées par 6 à 8 en valeur. Pour donner une idée de l’importance de ces transactions, il suffit de noter que de tels volumes sont supérieurs à la production annuelle mondiale d’or, estimée à 3000 tonnes, l’offre totale atteignant environ 4500 tonnes, compte tenu du métal recyclé.


Au cœur d’un trafic international

La Suisse achète-t-elle simplement l’essentiel de l’or mondial (70% en moyenne, ces dernières années) pour le revendre, servant ainsi de grossiste universel ? Non, son rôle est infiniment plus complexe. Tout d’abord, le métal précieux y est traité dans plusieurs raffineries (2/3 des capacités mondiales), qui le transforment en or pur à 99,99%. Le site internet de la principale d’entre elles, Valcambi au Tessin (filiale du Crédit Suisse jusqu’en 2003, rachetée récemment par une firme indienne), présente ainsi les atouts de cette industrie : transport assuré du métal précieux à l’échelle internationale ; analyse et certification de la qualité du produit livré ; raffinage et conditionnement certifiés (lingots, barres, pièces, etc.) ; étude des options de financement de chaque client ; stockage du métal dans des conditions de sécurité optimales.

 

En 2014, ces transactions figuraient pour la première fois dans les statistiques suisse du commerce extérieur, alors que précédemment elles avaient été assimilées à des transferts de paiements, et ainsi largement camouflées. De ce fait, l’or est soudain devenu le premier produit d’exportation du pays, devant les produits pharmaceutiques ou l’horlogerie, et représente aujourd’hui 1/5e de son commerce extérieur.

 

De surcroît, en mars 2015, sous la pression de ses partenaires étrangers, rompant avec 34 ans de secret, la Suisse a enfin révélé la distribution par pays de son commerce de l’or. Bien que ces données ne portent que sur le dernier pays de transit et le premier pays de destination, elles montrent le rôle clé du Royaume-Uni comme fournisseur, mais aussi celui de l’Inde, de la Chine (Hong Kong), des Emirats Arabes Unis ou de la Turquie en tant que clients. Comme je le montrerai plus loin, cette répartition est assez éloquente.

 


Une alchimie délicate

Sur les 175 mille tonnes de métal jaune produites jusqu’ici par l’humanité, 160 mille l’ont été pour répondre aux besoins du capitalisme triomphant, depuis la seconde moitié du 19e siècle (aujourd’hui, les réserves encore disponibles sont évaluées à 183 mille tonnes). En vérité, de son extraction des entrailles de la terre à ses différents usages sociaux, le circuit de l’or en dit long sur l’ordre économique des sociétés humaines.

 

Dans les années 2009-2013, ses différents usages se répartissaient ainsi : somptuaire : 48% (bijouterie, thésaurisation) ; financier : 35% (investissement) ; industriel : 10% (électronique, dentisterie, etc.) ; institutionnel : 7% (banques centrales). Il se trouve que les différents maillons de cette chaîne intéressent au plus haut point la Suisse. Tout d’abord, elle joue un rôle clé dans la transmutation du métal brut extrait ou recyclé, chargé souvent d’une lourde histoire, en métal pur, intraçable, anonyme. Et c’est sans doute cette délicate alchimie industrielle, financière, commerciale et politique, qui fait d’elle un passage obligé de la traite mondiale de l’or.

 

En effet, l’extraction du métal jaune, en Afrique subsaharienne (25-30%), en Amérique latine (15-20%), en Chine (15%) ou dans les pays de l’ex-URSS (15%) résulte le plus souvent de la surexploitation de travailleurs particulièrement exposés, souvent drogués aux amphétamines pour accomplir un travail dangereux et épuisant. Des centaines de milliers d’enfants y sont employés dans les pays du Sud et, de façon générale, les accidents professionnels y sont fréquents. Il n’y a en effet guère d’autre activité au monde où le producteur direct soit spolié à ce point du produit de son travail ! De surcroît, les conséquences environnementales et sur la santé publique de cette activité sont considérables (usage massif de mercure et de cyanure).

 


Blanchir les profits de l’esclavage et du crime

Il faut donc se poser la question de la provenance de l’or raffiné en Suisse. La statistique est sur ce point formelle : jusqu’au début des années 90, il était importé principalement d’Afrique du Sud, alors qu’aujourd’hui il vient essentiellement de Grande-Bretagne, siège mondial du trading de l’or (London Bullion Market Association), qui en fixe les cours deux fois par jour. Bien entendu, la Suisse ne cherche pas à connaître la chaîne de production du métal précieux qu’elle achète, ni les conditions sociales et écologiques qui la caractérisent.

 

Elle se montre même très peu curieuse en la matière, comme l’a montré une récente enquête de la Déclaration de Berne. Cette ONG a révélé qu’en 2014, près de 7 tonnes d’or, produites notamment par des enfants burkinabés, et acheminées en contrebande au Togo, ont été exportées en Suisse par un groupe libanais implanté en Afrique de l’Ouest et ayant pignon sur rue à Genève, pour y être raffinées par la société Valcambi. Ces faits ne font que confirmer un scandale durable, déjà dénoncé par le passé, concernant d’autres pays d’Afrique et d’Amérique du Sud.

 

L’or raffiné en Suisse ne permet pas seulement de « stériliser » un métal produit dans des conditions sociales et écologiques inacceptables. Il contribue aussi à « blanchir » du métal jaune recyclé, résultant de trafics plus ou moins légaux, dont l’affinage ne permet plus de déterminer l’origine. Ainsi, l’or volé et recelé par des réseaux mafieux, pillé par des groupes armés, ou récupéré en aval de diverses industries (bijouterie, dentisterie, circuits électroniques), souvent sans mesures anti-pollution adéquates, notamment en Asie, peut-il être conditionné en lingots irréprochables dès lors qu’il est acheminé en Suisse pour y être traité.

 


Contribuer à l’évasion fiscale des pays émergents

Nous venons de voir que le raffinage des métaux précieux permet d’abord de normaliser des activités fondées sur l’esclavage moderne et l’accumulation par dépossession. Mais il est aussi au cœur d’un autre trafic très lucratif : le blanchiment des énormes profits non déclarés des entreprises des pays émergents (Inde, Chine, Turquie, etc.). Ayant échappé à l’impôt, ceux-ci visent à brouiller les pistes concernant leur origine et à se protéger de la dépréciation de leur monnaie nationale en se convertissant en or.

 

Le métal jaune est ainsi importé légalement en Asie, même si une partie de ces transactions peuvent être dissimulées par des manipulations de la facturation (la Suisse n’exporte ainsi officiellement pas la même quantité d’or en Inde que ce pays n’en importe de Suisse). Il peut aussi être introduit en contrebande (en passant notamment par les émirats du Golfe, gros importateurs d’or suisse) pour y être détenu comme tel ou transformé en bijoux. Il peut enfin être déposé dans les coffres des établissements financiers, des raffineries, ou d’autres institutions plus discrètes comme les ports francs helvétiques, sous une identité d’emprunt (grâce à d’habiles montages dont les banques ont le secret).

 


Au carrefour du capitalisme mondialisé à dominante financière

En raison des dépôts croissants de métal jaune en Suisse, la statistique du commerce extérieur de l’or accuse un solde chroniquement déficitaire : en effet, les montants importés dépassent structurellement les montants exportés . De surcroît, cette accumulation vertigineuse de placements en or physique ne découle pas seulement du blanchiment des profits non déclarés des pays émergents, mais aussi de la volatilité des marchés boursiers qui incite l’ensemble des investisseurs à mieux se protéger en plaçant une partie de leur portefeuille en or.

 

Ainsi, au carrefour des évolutions les plus récentes du capitalisme mondialisé à dominante financière, la Suisse est devenue le hub mondial du trafic de l’or, à l’intersection des phénomènes très contemporains de la surexploitation du travail (en particulier dans les pays de la périphérie), de l’accumulation par dépossession (résultant du crime, du pillage et de la guerre), de même que de la spéculation endémique sur les formidables capitaux distraits de la sphère productive.

 


Article publié originellement en espagnol dans la revue en ligne Viento Sur.

 

 
Auteur
 
 

Mali : refuser la géopolitique du « moindre mal ».

11 février 2013, par Jean Batou

 

 

Source : http://cadtm.org

 

 

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30 novembre 2015 1 30 /11 /novembre /2015 14:45

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Multinationales

Le « Lobby planet Paris » : une cartographie de l’influence des gros pollueurs pendant la COP21

par

 

 

 

L’Observatoire des multinationales publie conjointement avec plusieurs partenaires français et européens Lobby Planet Paris COP21, un guide des lobbies économiques qui tentent d’influencer la Conférence climat. Objectif : permettre aux citoyens, aux journalistes et aux militants de mieux s’y retrouver dans la grande foire d’influence et de défense des intérêts économiques des gros pollueurs qui se déroule à l’occasion de la conférence sur le climat. Des visites guidées sont également organisées.

 

Le gouvernement français a décidé d’entraver la mobilisation de la société civile en vue de la Conférence climat en interdisant les manifestations sur la voie publique. Les multinationales et les lobbies économiques, elles, pourront peser de tout leur poids sur les négociations. Sans entraves. Leur influence n’a cessé de s’accroître dans les discussions internationales sur le climat. La COP21 ne fera pas exception à la règle. Le secteur privé y sera omniprésent, aussi bien au Bourget, lieu officiel du sommet climatique, qu’à Paris. Dans le contexte sécuritaire créé par les attentats qui ont frappé Paris, cette influence pourra s’exercer sans véritable contrepoids de la société civile.

 

Pour permettre aux citoyens, aux journalistes et aux militants de mieux s’y retrouver dans cette grande foire d’influence et de défense des intérêts économiques établis, lObservatoire des multinationales animé par l’équipe de Basta !, conjointement avec l’Aitec, Attac France, le Corporate Europe Observatory et le Transnational Institute, publie un « Lobby Planet Paris » (téléchargeable ici : un petit guide de l’influence des « criminels du climat » et de leurs lobbies dans le cadre de la COP. Organisé par thème, assorti de cartes pointant les principaux lieux d’influence autour de la Conférence, cet ouvrage présente les grandes entreprises, les institutions financières, les organisations internationales et les associations professionnelles mobilisés pour promouvoir le point de vue des milieux économiques sur le climat.

 

 

Qu’attendent les entreprises et que redoutent-elles de la COP ? Pourquoi le gaz, de plus en plus promu par les géants des énergies fossiles comme une « solution », n’est pas moins problématique que de brûler du charbon ? Pourquoi la société civile dénonce-t-elle les « fausses solutions » promues par les entreprises ? En quoi un « prix mondial du carbone », basé sur les fonctionnements du marché, et revendiqué par les milieux économiques, ne suffira-t-il pas à répondre à la crise climatique ? Pourquoi les sponsors de la COP21 sont-ils problématiques ? Quels sont les liens entre l’enjeu climatique et les projets actuels d’accords de libre-échange ? Comment les lobbies essaient-ils concrètement de peser sur la Conférence ? Telles sont quelques-unes des questions abordées dans ce petit ouvrage de 36 pages.

 

La COP des multinationales

Le gouvernement français affiche depuis plusieurs mois son intention de faire de la COP21 la « COP des solutions ». Elle sera surtout la « COP » des multinationales. Cette année, la plupart des grandes entreprises, y compris dans le secteur de l’énergie, affiche une attitude plus positive à l’égard de l’enjeu climatique, loin de leur image passée de réticence – voire de résistance – face à l’urgence de réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre.

Ces firmes ont-elles réellement changé, ou continuent-elles au fond à défendre les mêmes positions, sous un léger vernis vert ? Une autre publication du Corporate Europe Observatory détaille les ingrédients de la « mauvaise cuisine climatique » que les multinationales concoctent pour la COP : une recette cuisinée à base de croissance économique et de compétitivité à tout prix, d’une bonne dose de gaz présenté comme une « énergie propre », d’un zeste de marché avec le « prix mondial du carbone » comme solution miracle, et servie en compagnie de « fausses solutions » technologiques plus ou moins hypothétiques. Un plat finalement très allégé en véritable transition énergétique, repoussé aux calendes grecques.

 

 

Le gouvernement français et les organisations internationales sont prêts à y goûter. Cela se vérifie dans le choix de leurs convives : faire appel aux entreprises pour sponsoriser la COP21, y compris des firmes impliquées dans des activités très polluantes comme le charbon. Cela se vérifie dans le choix d’accueillir au Bourget, à côté du lieu des négociations, un espace commercial destiné à permettre aux entreprises de présenter leurs « solutions ». Cela se vérifie aussi dans le nombre d’événements dédiés aux entreprises ou aux « collaborations » entre public et privé organisés en marge de la COP, comme le salon Solutions COP21 (lire notre enquête).

Les multinationales occuperont aussi une place de choix dans l’« agenda des solutions » que le gouvernement français propose d’annexer à un futur accord international conclu à Paris. Or cet agenda n’inclut aucun garde-fou ni aucun critère sur ce qui constitue véritablement une « solution » pour le climat : toutes les entreprises, y compris les plus polluantes, peuvent y inscrire leurs initiatives, même les plus modestes ou les plus controversée. Après y avoir découvert avec effarement la présence de Total et d’autres majors pétrolières, ainsi que des projets d’« agriculture climato-intelligente », les ONG ont écrit à François Hollande pour lui demander leur exclusion de l’« agenda des solutions » [1]. Sans succès.

 

Lobby tours

Parallèlement à la publication du « lobby planet », des « lobby tours » seront également organisés : promenades commentées à La Défense ou dans le VIIIe arrondissement sur les traces des entreprises, des discrets cabinets de lobbying, des associations professionnelles et organisations internationales qui placent leurs intérêts privés au dessus de l’avenir climatique.

Deux lobby tours sont proposés le 30 novembre et le 7 décembre à 11h30. Le jeudi 3 décembre à 11h30 aura lieu un « lobby tour » spécialement dédié aux entreprises nominées au « prix Pinocchio du climat », dont les résultats seront annoncés le même soir.

Les inscriptions pour ces lobby tours (durée : environ une heure et demie) se font par courriel à l’adresse cop.lobbytours@corporateeurope.org.

- À lire : Lobby Planet Paris COP21 (pdf).

 

 

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30 novembre 2015 1 30 /11 /novembre /2015 14:33

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Géo-ingénierie

Modifier les océans, manipuler l’atmosphère : ces techniques qui visent à refroidir la terre

par , Sophie Chapelle

 

 

Gestion du rayonnement solaire, captation et séquestration du CO2 dans les océans ou dans le sol, ces technologies, dites de « géo-ingénierie », font partie des solutions étudiées par la communauté scientifique pour lutter contre le réchauffement du climat. Elles ont même fait leur entrée dans les négociations internationales et à la COP21. Sauf que le recul nécessaire à leur évaluation est insuffisant pour envisager de disséminer des produits dans l’atmosphère ou de manipuler l’environnement sans risques. Basta ! en partenariat avec La Revue Dessinée, à paraître le 4 décembre, a enquêté sur ces projets qui ne relèvent plus tout à fait de la science-fiction.

 

Un chiffre va être martelé dans les médias tout au long de la conférence de Paris sur le climat : + 2 °C. Soit le seuil limite d’augmentation de la température à ne pas dépasser par rapport à la période préindustrielle, afin de contenir les effets irréversibles du changement climatique. Dans les faits, les températures du globe ont déjà augmenté de 0,85 °C entre 1880 et 2012 [1]. La marge de manœuvre de l’humanité, d’ici la fin du siècle, n’est donc que de 1,15 °C... La partie est loin d’être gagnée, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). « Admettons que nous stoppions toute émission de gaz à effet de serre dans trois secondes : trois, deux, un... Maintenant ! Et bien l’augmentation des températures à la surface du globe ne commencerait à ralentir que dans dix ans, au minimum », résume une vidéo de DataGueule.

 

L’adoption de modes de vie très sobres apparaît donc essentielle mais insuffisante. En parallèle, le bilan des vingt dernières années de négociations internationales est catastrophique, avec une explosion des émissions de gaz à effet de serre en 2013 (lire notre entretien avec Amy Dahan). Dès lors, comment inverser la tendance ? Sur la Toile, un remède miracle est préconisé : « la géo-ingénierie ». Ce concept renvoie, selon le Giec, à « toute technique de manipulation délibérée et à grande échelle de l’environnement, dont le but est de contrecarrer le réchauffement climatique ». Certaines de ces techniques semblent tout droit sorties d’un livre de science-fiction, comme le montre notre enquête sur la géo-ingénierie à paraître le 4 décembre dans La Revue dessinée, brillamment illustrée par Sébastien Vassant.

 

 

La gestion du rayonnement solaire à l’étude

« Accorder une trop grande attention à ces projets pour les tourner en ridicule donnerait une image biaisée des programmes de recherche en géo-ingénierie », tient à nuancer Clive Hamilton, auteur du livre Les Apprentis sorciers du climat (éditions du Seuil, 2013) [2]. Olivier Boucher, climatologue au laboratoire de météorologie dynamique (CNRS/UPMC), fait partie des rares chercheurs en France qui étudient la géo-ingénierie, en vue de définir les potentiels et les risques inhérents au déploiement de ces techniques [3]. Il distingue deux classes de techniques de géo-ingénierie. D’abord, la gestion du rayonnement solaire, « qui consiste à rendre la Terre plus réfléchissante aux rayons du soleil, ce qui induit un refroidissement ».

 

C’est dans ce cadre qu’Olivier Boucher étudie dans son laboratoire l’injection d’aérosols dans la stratosphère. Il se base sur les observations passées et sur les modélisations. L’exemple souvent cité en référence est celui de l’éruption volcanique du mont Pinatubo, aux Philippines, en 1991. Les gaz projetés se transforment en particules et assombrirent suffisamment la Terre pour la refroidir d’environ 0,5 °C pendant une année. Avant que la situation ne revienne à la normale une fois le nuage de particules retombé au sol. Il serait donc possible de refroidir le climat. Mais à quel prix ?

 

Plusieurs études alertent sur les conséquences de l’injection intentionnelle et artificielle d’aérosols soufrés. Impacts sur le niveau de précipitations, altération de la couche d’ozone... « On se rend compte que l’on ne peut pas modifier quelque chose sans toucher autre chose », souligne Olivier Boucher, qui pointe d’autres failles. Imaginez que les gouvernements recourent à l’injection d’aérosols soufrés pendant plusieurs décennies, tout en poursuivant l’émission de gaz à effet de serre. « Que se passerait-il si l’on arrêtait soudainement la géo-ingénierie ? On verrait là un phénomène de “rattrapage climatique”, c’est-à-dire qu’en l’espace de une ou deux décennies, on rattraperait tout le réchauffement climatique évité auparavant avec la géo-ingénierie, analyse Olivier Boucher. Il y a donc un risque de changement climatique très élevé, avec des impacts importants et une adaptation beaucoup plus difficile. »

 

La captation et séquestration de CO2, solution miracle ?

Autres techniques de géo-ingénierie à l’étude, celles visant la captation et séquestration du CO2 de l’atmosphère. Des expérimentations ont été menées depuis les années 90 pour fertiliser ou modifier chimiquement les océans. Des tonnes de fer ont par exemple été déversées pour dynamiser la croissance des phytoplanctons, afin d’augmenter la captation de carbone organique. Mais, selon la Fondation sciences citoyennes, qui regroupe des chercheurs, toutes ces expériences ont montré des rendements extrêmement faibles – de l’ordre de 200 tonnes de carbone captées pour 1 tonne de fer déversée. « À ces niveaux de rendement, ce sont donc quelque 50 millions de tonnes de fer qu’il faudrait déverser annuellement dans les océans pour compenser les émissions humaines de carbone (autour de 10 gigatonnes par an) », analyse la fondation. De nombreux risques sont également pointés comme l’illustre cette planche extraite du prochain numéro de La Revue Dessinée 

 

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Plus connue et déjà mise en pratique, la reforestation fait également partie des techniques de capture et de séquestration de carbone. Les opérations telles que le parrainage d’arbres dans les pays du Sud sont particulièrement sponsorisées par les grandes entreprises pour compenser l’impact environnemental de leurs activités. Mais elles ont une limite : « ce puits de carbone n’est que transitoire puisqu’une fois arrivée à maturité, la forêt émettra autant de carbone qu’elle en absorbera », indique Olivier Boucher. Autre technique prisée : la capture et la séquestration de carbone dans le sol. D’anciens puits de pétrole, de gaz ou de charbon sont utilisés pour stocker le CO2 émis aux abords des usines, par exemple. Outre les risques de fuites observées notamment sur un site gazier à In Salah, en Algérie, les détracteurs pointent le coût élevé de cette technique.

La géo-ingénierie dans les négociations ?

Ces projets de manipulation délibérée et à grande échelle du climat ont récemment fait leur entrée dans les arènes des négociations internationales. Deux techniques de géo-ingénierie – la gestion du rayonnement solaire et l’élimination du dioxyde de carbone – ont été mentionnées dans le « Résumé à l’intention des décideurs » du rapport du Giec, rendu public en septembre 2013. Des climatologues reconnaissent à demi-mots que, pour ne pas dépasser un réchauffement de 2 °C d’ici la fin du siècle, plusieurs modèles avancent la nécessité d’émissions négatives vers 2080. Ce qui suppose de pomper du CO2 présent dans l’atmosphère et de recourir, de fait, à des techniques de géo-ingénierie.

 

Pour autant, le Giec apporte de nombreux bémols. « Il existe peu d’éléments permettant d’évaluer quantitativement et de manière complète [ces] techniques [...] ainsi que leur incidence sur le système climatique », note-t-il. Manque de connaissances, risques de « modification du cycle mondial de l’eau », « effets secondaires indésirables »... À l’heure où une réflexion éthique devrait accompagner les recherches sur la géo-ingénierie, seul un moratoire a été adopté en 2010 sur les expérimentations de fertilisation des océans. Si ce texte est un premier pas, il n’est pas contraignant. Et laisse la porte ouverte à la croyance qu’une régulation du thermostat de la planète est possible, sans même que les sociétés tentent au préalable de reprendre leur avenir en main.

 

Texte : @Sophie_Chapelle
Illustrations : © Sébastien Vassant / La Revue Dessinée

 

Retrouvez l’intégralité de notre enquête sur la géoingénierie dans le numéro 10 de La Revue Dessinée, diffusée dans les librairies à partir du 4 décembre. Ce sujet a été proposé initialement par la Fondation Sciences Citoyennes dont l’objectif est de stimuler le débat sur les questions technoscientifiques. Basta ! interviendra le 2 décembre de 18h à 20h au Place To Brief pour présenter cette enquête autour du thème "Quel est le rôle des technologies dans la transformation du monde ?”. Plus d’informations ici

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29 novembre 2015 7 29 /11 /novembre /2015 18:04

 

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Climat

Le nucléaire, une énergie « sans CO2 » : les intox d’EDF

par

 

 

EDF polluerait très peu. C’est en tout cas ce que suggèrent très fortement ses supports de communication. « EDF développe un mix énergétique adapté à chaque pays pour produire une électricité sûre, abordable et décarbonée », assure ainsi le site du groupe [1]. Décarbonée ? Comprenez une électricité produite avec un minimum d’émissions de CO2, et donc bonne pour le climat.

 

A l'approche de la conférence sur le climat de Paris, chacun a pu ainsi découvrir « le nouveau visage de l’électricité bas carbone » – de souriants employés d’EDF posant devant une centrale nucléaire – au fil des pleines pages de pub largement diffusées dans les quotidiens et magazines français. EDF, sponsor de la COP21, se présente comme le « partenaire officiel d’un monde bas carbone ». Et certifie produire une électricité quasiment sans CO2. « Plus de 95% de l’électricité produite en France par le groupe n’occasionne aucune émission de CO2 », expliquait déjà un dossier de presse de « l’électricien engagé pour moins de CO2 » en mai 2012 [2]. Ces chiffres sont, depuis, assénés au fil de déclarations ou de campagnes de communication. Une image que contestent les organisateurs des Prix Pinocchio du climat, qui « récompensent » les pires entreprises, celles dont le discours « vert » est le plus en décalage avec la réalité de leurs pollutions. Ils ont donc nominé EDF.

EDF : seulement 2% d’énergies renouvelables en France

Qu’en est-il ? En France, l’éolien et le solaire ne pèsent que 2% des capacités de production d’électricité d’EDF. Si l’on ajoute l’énergie hydraulique, on atteint 9% d’énergies renouvelables bas carbone. Au niveau mondial , la proportion d’électricité renouvelable est de 18,5% selon les chiffres de 2010 (2,5% d’éolien et de solaire, 16% d’hydroélectrique, dont des grands barrages pas forcément très « verts »). Du côté des énergies très polluantes, les énergies fossiles (centrales au gaz, au charbon ou au fioul), fortement émettrices de CO2, avoisinent les 15%. EDF possède, au niveau mondial, seize centrales électriques au charbon, dont certaines des centrales les plus polluantes d’Europe. Via ses filiales comme Edison ou EDF Trading, l’électricien national est impliqué dans l’extraction de pétrole et de gaz.

En 2013, l’entreprise a été classée par un rapport de Thomson Reuters parmi les 20 principaux émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre : au 19e rang juste derrière le pétrolier Shell et devant le brésilien Petrobras [3]. C’est mieux que ses concurrents allemands (RWE, E.ON), italiens (Enel) et français (Engie), mais cela n’en fait pas un producteur d’électricité « bas carbone » pour autant. Dans ces conditions, comment EDF arrive-t-elle à afficher 95% d’électricité « décarbonée » ?

Le nucléaire : mieux que le charbon, pire que l’éolien et le solaire

Selon EDF, c’est grâce au nucléaire. Les trois quarts de ses capacités de production mondiales reposent sur l’atome. Cette énergie, si l’on fait abstraction des risques d’accidents radioactifs, n’émettrait quasiment pas de carbone. Problème : c’est faux. Le fonctionnement en lui-même d’une centrale nucléaire émet effectivement très peu de CO2 : entre deux et dix grammes de CO2 par kWh d’électricité produit selon les études. Mais ces calculs ne prennent pas en compte l’ensemble du cycle nucléaire : extraction du minerai d’uranium, transport vers les usines de transformation du minerai en combustible puis vers les centrales et, enfin, traitement ou enfouissement des déchets radioactifs. Dans ce cas, les émissions de CO2 sont de dix à trente fois plus élevées. S’appuyant sur ces études, l’Ademe a comparé les émissions de CO2 par filière de production d’électricité [4]. Les réacteurs nucléaires émettent en moyenne 66 grammes de CO2 par kWh produit. C’est bien moins qu’une centrale au gaz (443 g), au fuel ou, pire, au charbon (960 g). Mais cela reste six fois plus élevé que l’éolien, l’hydroélectrique ou le biogaz (environ 10 g) et quatre fois plus élevé que l’énergie solaire (14 g).

Les affirmations de l’entreprise sont donc fortement exagérées, même si le groupe partiellement public a réalisé de réels efforts depuis 2010 pour diminuer ses émissions de CO2. Face à cette communication qu’elles jugent abusives, des organisations écologistes ont porté plainte contre EDF devant le Jury de déontologie publicitaire. Celle du réseau Sortir du nucléaire vise l’affirmation d’EDF selon laquelle l’électricité qu’elle fournit en France est à 98% sans CO2. Sur demande de l’entreprise, l’audition aura lieu le 11 décembre 2015, juste à la fin de la COP21, et le jury de déontologie aura deux semaines pour se prononcer sur la plainte (lire ici). Le réseau Sortir du nucléaire a également déposé plainte pour « pratique commerciale trompeuse » devant le Tribunal de grande instance.

Une précédente plainte avait été déposée par Sortir du nucléaire et des associations alsaciennes suite à une campagne publicitaire lancée par EDF en Alsace, où sa centrale de Fessenheim, la plus ancienne de France, est menacée de fermeture. Les publicités assuraient que l’électricité fournie par EDF en Alsace était « 100% sans émissions de CO2 ». Le Jury de déontologie publicitaire a considéré cette publicité comme une tentative délibérée d’induire les usagers en erreur sur la vraie nature de l’énergie nucléaire et de ses impacts.

Sans oublier la question du coût : l’éolien terrestre et le photovoltaïque commencent à devenir aussi compétitifs que les centrales nucléaires déjà installées. Quant au prix du nucléaire de demain, la production d’électricité à partir des nouvelles centrales EPR coûtera bien plus cher que les énergies renouvelables terrestres. Au final, derrière les controverses sur son véritable bilan climatique, c’est sans doute là l’argument fondamental contre le nucléaire : les investissements considérables qu’il mobilise serait mieux utilisés pour engager une véritable transition énergétique, plus efficace pour faire face à la crise climatique.

Ivan du Roy, avec Olivier Petitjean

Photo : CC Michael B.

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28 novembre 2015 6 28 /11 /novembre /2015 15:46

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

 

Etat d'urgence: les militants du climat sont désormais ciblés
 
 
 

Squats perquisitionnés, militants assignés à résidence durant la COP21, zones interdites, convocations au commissariat... Avant l'ouverture du sommet de Paris sur le climat, les mesures mises en place pour prévenir de nouveaux attentats sont dévoyées.

L’état d’urgence tombe comme une chape de plomb sur les militants du climat qui préparaient des mobilisations à l’occasion de la COP21, le sommet sur le dérèglement climatique qui démarre ce week-end. Avant même les attentats du 13 novembre, le gouvernement avait fait savoir qu’il renforçait le contrôle aux frontières de la France en vue du sommet sur le climat afin d’éviter la venue de militants considérés comme hostiles, mais depuis ceux-ci et surtout la mise en place de l’état d’urgence, l'étau s'est ressérré. Depuis le jeudi 26 novembre, 24 militants ont été assignés à résidence, selon un décompte de l'AFP. Au moins deux perquisitions ont eu lieu dans des squats. Une personne est en garde à vue. D’autres sont convoquées au commissariat, ou incitées à rester chez elles.

 

À Saclay, dans l’Essonne, la préfecture a entièrement bouclé la zone où des opposants aux grands projets d’infrastructures (Notre-Dame-des-Landes notamment) comptaient se rendre. Quant à la manifestation pour le climat du dimanche 29 novembre, elle est interdite dans au moins 15 villes de France, en comptant Paris : Marseille, Lyon, Grenoble, Strasbourg, Nice, Montpellier, Lille, Limoges, Le Mans, Dijon, Chambéry, Caen, Avignon, Amiens. « Quand on touche au droit de manifester, on sent vraiment l’atteinte aux libertés », a déclaré Christine Lazerges, présidente de la Commission consultative des droits de l’homme dans Libération jeudi. 

À Rennes, huit personnes ont reçu des assignations à résidence. Les trois arrêtés que nous avons pu consulter pointent tous le même motif : empêcher leur éventuelle participation à la mobilisation citoyenne interdite autour de la COP21 « compte tenu de la gravité de la menace » quils représenteraient « pour l’ordre et la sécurité publics ».

Chez Amélie*, une Rennaise de 27 ans qui se dit « proche des luttes écologiques notamment contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes», les policiers n’ont pas eu besoin de défoncer la porte jeudi 26 novembre : elle était ouverte. « Vers 11 heures, hier matin, la police est venue en force à une vingtaine avec des fusils-mitrailleurs chez nous, dit la jeune femme. Ils ont crié : "On est là dans le cadre de l’état d’urgence". J’ai vu un fusil à 20 centimètres de mon visage. Ils nous ont plaqués au sol et menottés chacun dans une pièce différente,  moi et mes deux colocataires. On ne comprenait pas ce qui se passait. En même temps, ils nous ont dit qu’ils faisaient une perquisition administrative mais ne nous ont montré aucun papier. Ils ont juste ouvert des portes, ça a duré une demi-heure, trois quarts d’heure. Puis ils m’ont remis mon assignation à domicile et sont repartis en disant : "C’est bon, on n’a pas trouvé d’arme de guerre dans votre maison". » 

 

Extrait d'une des assignations à résidence décidée contre un militant rennais Extrait d'une des assignations à résidence décidée contre un militant rennais

 

Comme les autres Rennais concernés, Amélie doit rester chez elle entre 20 heures et 6 heures du matin, pointer au commissariat central de Rennes trois fois par jour à 9 heures, 14 heures et 19 heures (y compris les dimanches et jours fériés) et ne pas sortir du « chef-lieu de résidence » sans autorisation écrite du préfet. Ces mesures vont jusqu’au 12 décembre 2015, juste après la fin de la COP21. Pratique pour quelqu’un qui, comme elle, « travaille dans un bar ». « Je suis en train de négocier avec mon employeur, mais ça me rend la vie impossible ! », dit Amélie.

« Au regard de la gravité de la menace terroriste sur le territoire national, des mesures particulières s’imposent pour assurer la sécurité de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques, dite COP21 », indique l’arrêté du ministère de l’intérieur qui lui a été remis. Il poursuit : « Des mots d’ordre ont circulé pour appeler à des actions revendicatives violentes. » Or « la forte mobilisation des forces de sécurité pour lutter contre la menace terroriste ne saurait être détournée pour répondre aux risques d’ordre public liés à de telles manifestations revendicatives », déroule le document. 

 

Extrait d'une des assignations à résidence décidée contre un militant rennais Extrait d'une des assignations à résidence décidée contre un militant rennais
 

L’arrêté assène ensuite, sans aucune preuve, que la jeune femme « envisage de rejoindre la région parisienne pendant le déroulement de la COP21 ». Puis déroule son CV militant, tout droit sorti des fichiers des services de renseignement. « L’intéressée appartient à la mouvance contestataire radicale et fait partie d’un groupe d’individus ayant commis de graves troubles à l’ordre ou la sécurité publics », affirme le document qui pointe sa participation « aux manifestations violentes anti-NDDL [Notre-Dame-des-Landes - ndrl] du 22 février 2014 à Nantes », « aux manifestations violentes à l’encontre de la police à Pont-de-Buis les 23, 24, 25 octobre 2015 » [un week-end de débats devant l’usine de munitions Alsetex dans le Finistère - ndlr], ainsi qu’une interpellation « en Italie le 28 avril 2015 dans un squat en possession de cocktails Molotov préalablement à une manifestation NO TAV ». « Il y a donc tout lieu de penser que [sa] présence en région parisienne aux dates prévues vise à participer à des actions revendicatives susceptibles de troubler gravement l’ordre public », conclut l’arrêté, fort de cette implacable démonstration. 

Amélie ne comprend pas : « Je n’ai jamais été condamnée pour des actions violentes », même en Italie où elle a « juste été expulsée du territoire ». « 50 000 personnes ont participé à la manifestation de février 2014 contre Notre-Dame-des-Landes, relève-t-elle. Je ne vois pas ce que ça prouve, si ce n’est que je suis opposée à l’aéroport. » La jeune femme assure par ailleurs qu’elle n’avait « pas du tout prévu d’aller à Paris »

Chez plusieurs militants, la remise de l’assignation à domicile s’est, selon leurs récits, doublée d’une perquisition administrative ne disant pas son nom. Gauthier*, 30 ans, a été « plaqué au sol » par « une dizaine de policiers armés de fusils d’assaut » alors qu’il sortait de l’appartement d’amis jeudi matin « vers 10 heures ». Ce Rennais est employé dans une association « pour le développement de l’écologie en milieu urbain » qu’il préfère ne pas nommer. « Les policiers sont rentrés dans l’appartement de mes amis, l’ont fouillé et au bout de trois quarts d’heure m’ont signifié mon assignation à résidence, ainsi qu’à mes deux amis présents. » Puis les policiers l’ont, selon son récit, accompagné à son domicile où ils ont « fouillé les papiers, les livres mais sans rien emporter », toujours sans présenter d’ordre de perquisition administrative. « Ils avaient l’air de chercher des armes de guerre et des explosifs, mais en vrai ils savaient très bien qu’ils allaient chez des militants et ne trouveraient rien », dit Gauthier. 

Pour Théophile*, étudiant de 24 ans, et Sylvain*, chômeur de 24 ans, qui avaient dormi chez des amis après une soirée, la remise de l’assignation a été « un peu plus violente » et là encore prétexte à des fouilles sans présentation d’un ordre de perquisition administrative. « Les policiers nous ont réveillés à 10 heures du matin, on était encore en caleçon, raconte Théophile. Ils nous ont plaqués au sol et menottés. Ils ont mis un certain temps à nous expliquer que c’était pour des assignations à résidence. » Théophile a fini la journée au commissariat en garde à vue pour détention de cannabis, « une petite quantité pour ma consommation personnelle », dit-il.  

Au-delà du choc de voir débarquer la police chez eux, Gauthier* juge surtout « inquiétant que ce tournant sécuritaire soit bientôt inscrit dans la Constitution ». « Se permettre préventivement d’assigner à résidence sans motif des personnes considérées comme d’ultra gauche c’est un musellement de toute contestation politique », dénonce-t-il. 

Me Marie Dosé, qui défend les huit personnes assignées à Rennes, entend déposer dès vendredi soir plusieurs recours en référé-liberté et référé-suspension devant le tribunal administratif de Paris pour atteintes à la liberté de manifester, d’aller et venir et disproportion. L’avocate se dit « très inquiète » de ce détournement de l’état d’urgence pour contrôler des mouvements revendicatifs. « On est en train d’assigner des gens à résidence parce qu’on présume qu’ils pourraient avoir des velléités d’aller manifester ! », relève-t-elle. Ces mesures ressemblent fortement à l’interdiction administrative de manifester pour les personnes signalées par les services de renseignement qu’avait proposée en mai 2015 le député PS Pascal Popelin, rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur le maintien de l’ordre.

* Les prénoms ont été changés à la demande des intéressés.

Perquisition à L'Annexe au Pré-Saint-Gervais

En région parisienne, deux militants sont assignés à domicile jusqu’à la fin de la COP21, le 12 décembre. Ils doivent pointer trois fois par jour au commissariat. L’un d’eux, Joël Domenjoud, responsable de la legal team, le service d’aide juridique qui collabore avec la la Coalition climat 21, en charge de la mobilisation citoyenne pendant la COP21, habite à Malakoff. Mais le commissariat le plus proche se trouve dans une autre commune, à Vanves. Résultat : trois fois trente minutes de déplacement par jour (quinze minutes par déplacement). Son ordonnance d’assignation est fondée sur la suspicion qu’il commette des actes dangereux. Son avocate a déposé un recours en référé-liberté vendredi matin.

D'autres exemples sont relevés à Paris. Pierre, un coiffeur parisien de 26 ans, est arrivé dimanche en fin de manifestation de soutien aux migrants, alors que le cortège atteignait République. Malgré le fait qu’il n’a pas été contrôlé par les policiers, il a trouvé à son retour du travail mardi 24 novembre une convocation à se rendre à 17 heures le même jour au commissariat du IVe, boulevard Bourdon, « dans le cadre d’une enquête judiciaire pour violation de l’arrêté d’interdiction des manifestations en Île-de-France lors de l’état d’urgence ». « J’ai milité dans le cadre de mouvements sociaux et étudiants, donc j’ai déjà eu affaire aux RG, explique-t-il. Et au moins trois personnes parmi les convoqués n’étaient pas à la manifestation, ce qui laisse supposer que les policiers ont travaillé sur des fichiers. » Pierre a décidé, comme plusieurs autres convoqués, de ne pas se rendre au commissariat. « Nous appelons à continuer à manifester car c’est précisément le moment où on a le plus besoin d’entendre des voix différentes, de porter des discours critiques, estime le jeune homme. Dans tous les pays démocratiques, même en état de guerre, on peut critiquer son gouvernement et dire que le tout sécuritaire n’est pas la réponse adaptée. » 

Agathe, 26 ans et animatrice à Paris, était également présente à la manifestation de soutien aux migrants. Comme Pierre, elle estime que « tout le monde n’est pas logé à la même enseigne face à l’état d’urgence ». « Il y a plein d’événements sportifs, commerciaux et culturels qui sont maintenus, dit-elle. Les convocations, c’est un coup de pression avant la COP21, pour faire peur aux gens susceptibles d’aller manifester. »

Au Pré-Saint-Gervais, en Seine-Saint-Denis, plusieurs dizaines de gendarmes lourdement équipés et des policiers, dont certains en civil, ont perquisitionné vendredi matin pendant plus de deux heures l'Annexe, une ancienne menuiserie qui abrite des activistes écologistes, français et étrangers, en préparation de la COP21.

À cette heure-là, seuls onze militants, français et étrangers, se trouvaient dans cet ancien bâtiment industriel, occupé avec l'accord de son propriétaire. « Ils sont arrivés en mode antiterroriste, en pointant des flashballs sur nous, raconte un des militants qui se fait appeler “Camille”, prénom habituellement utilisé par les zadistes. Ils nous ont fait allonger par terre, on a été fouillés, je n'avais jamais vu ça. Les chiens ont sniffé partout. Ils cherchaient, nous ont-ils dit, des choses qui peuvent nuire à l'ordre public. Ils ont perquisitionné, n'ont rien trouvé. » 

Marc, ancien zadiste de Notre-Dame-des-Landes présent dans le bâtiment, raconte : « Ils ont vidé les effets personnels de tout le monde, relevé nos identités qui ont été vérifiées en direct à la radio. » Quelques heures avant, vers une heure du matin, Marc, sa copine, son fils et des amis avaient été contrôlés dans le quartier. « On était deux avec des dreadlocks, un avec un sarouel, ma copine fait clairement baba cool... Le contrôle a été assez musclé, en plus un d'entre nous avait une vieille cartouche de chasse sur lui, alors on nous a fait mettre contre le mur. Tout ça est franchement exagéré. » Une vingtaine de militants venus par la suite en soutien ont été eux aussi fouillés, priés de décliner leur identité, et retenus en face du bâtiment pendant une heure par les gendarmes.

Un CRS y a saisi une affiche. Dans ce local, de nombreux activistes et artistes « bricolent la scénographie » de la Zone Action Climat, un événement « d'action et d'expression » organisé par la Coalition Climat et qui sera hébergé par le Cent Quatre, lieu culturel de la Ville de Paris.

Le quartier a été bouclé et les riverains ont été priés de faire un détour. « Ce matin en emmenant mes filles à l’école vers 8 h 30, j’ai vu plein de camions de gendarmerie et des voitures banalisées de police, explique Christophe Antiphon, un voisin de L'Annexe. Toutes les rues adjacentes ont été bouclées, la circulation automobile interdite. Ça semblait un peu disproportionné. » Sur place, les gendarmes n'ont pas souhaité nous donner de précisions. « Vous n'allez pas me faire un reportage ! » nous a lancé un gendarme qui a prétendu nous interdire de prendre des photos. 

Selon “Camille”, un des policiers en civil présents vendredi lors de la perquisition était venu assister jeudi soir à l'“Annexe” à une réunion logistique de préparation de la COP21, ouverte au public. « Ce sont des techniques d'État policier, commente “Camille”. Ils profitent de l'état d'urgence pour s'assurer qu'il n'y aura pas de mobilisation sur le climat. Ils ne veulent pas que la société civile se mobilise, alors qu'ils autorisent dans le même temps des marathons et des marchés de Noël. » Vers 10 h 30, policiers et gendarmes sont ressortis des lieux. Plus d'une vingtaine de fourgons ont alors quitté le quartier en file indienne, un dispositif impressionnant. « Ils nous ont dit qu'ils allaient sur une autre opération », raconte un des occupants de l'Annexe, enfin autorisé à mordre dans une viennoiserie. 

Un groupe de 300 cyclistes belges qui souhaitaient rejoindre Paris à vélo pour participer à la marche du 29 novembre ont reçu un appel téléphonique de la police pour leur interdire d’entrer en Île-de-France. Vendredi après-midi, ils étaient encore 178 à pédaler vers la capitale, malgré deux contrôles de police.

À Rouen, cinq militants du mouvement Alternatiba ont été convoqués par la police pour leur signaler que la manifestation du 29 novembre pour le climat était interdite, selon la Coalition climat 21.

Le Massicot, un squat d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) où vivent une dizaine de personnes, a été perquisitionné jeudi 26 novembre par plusieurs dizaines de membres des forces de l’ordre, pour une part portant casques et boucliers, et pour une part en civil, à partir de 8 heures du matin. Ils appartiennent notamment à la Compagnie de sécurisation et d’intervention (CSI) du Val-de-Marne. « Je sortais pour aller au boulot, je me retourne et je vois plein de gens dehors : c’était la police », raconte une habitante. Elle poursuit : « Je leur ai dit que j’allais leur ouvrir, ils ont répondu que ce n’était pas la peine. Ils ont défoncé le portail, enlevé la porte et l’ont jetée dans le jardin. »

 

À l’intérieur, des habitants sont regroupés dans le salon, d’autres sont mis à terre. Un habitant est blessé par une “balayette” d’un agent en tombant sur une foulure en voie de guérison, selon ses colocataires. C’est le seul Noir du groupe, tiennent-ils à préciser. Il a dû se rendre à l’hôpital quelques heures plus tard. Un autre habitant, de nationalité américaine, est arrêté. Jeudi en fin de journée, ses colocataires ne parvenaient à obtenir aucune information sur sa situation, ni même sur le lieu où il était retenu.

 

La grille du squat le Massicot, à Ivry, forcée par la police le 26 novembre. La grille du squat le Massicot, à Ivry, forcée par la police le 26 novembre.


La perquisition de ce lieu ouvert à l’automne 2014 dans d’anciens locaux d’IDF Habitat a été motivée par l’état d’urgence, selon l’ordonnance remise aux occupants. Selon la police, ils sont liés à « la mouvance contestataire radicale ». Pendant près de trois heures, les agents ont dit chercher des armes et des objets pouvant servir à des actions violentes. Ils sont repartis avec plusieurs ordinateurs, des liasses de papiers et des affiches mentionnant la COP21.

 

« Quand ils les ont trouvées, on a senti un ouf de soulagement », raconte une habitante. Il s’agissait notamment d’un tract annonçant une « cantine populaire » sous le titre « Cap sur la COP21 » tenue quelques jours plus tôt. « Non à l’incinérateur ! à Ivry confluences ! à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes » peut-on y lire. Une autre affiche provient du réseau militant « anti-COP21 ». On peut y lire : « Ils ne sont pas la solution mais le problème ».

La semaine précédente, un policier des renseignements s’est rendu dans plusieurs squats d’Ivry, dont le Moulin (voir le récit qu’en a fait le site Paris.luttes.info) et le Massicot. « Il nous a demandé si nous allions accueillir des gens pendant la COP21 », se souvient une habitante. « J’ai répondu que non. Il a dit : “Si vous accueillez des black blocks, c’est le RAID qui va débarquer.” J’ai demandé ce qu’est le RAID. Il a répondu : “Vous suivez bien ce qui se passe à la télé.” » L’échange a eu lieu jeudi 19 novembre, au lendemain de l’assaut à Saint-Denis contre Abdelhamid Abaaoud, responsable présumé des attentats de Paris et Saint-Denis.

 

Exemples d'affiches saisies par la police au Massicot, le 26 novembre. Exemples d'affiches saisies par la police au Massicot, le 26 novembre.
 

Jeudi 26 novembre, les policiers n’ont trouvé qu’une dizaine de personnes au Massicot. Leurs véhicules ont aussi été perquisitionnés. Ils ont montré à un habitant une photo de leur cuisine, prise de l’extérieur, lors d’une réunion. « C’est la chorale qui chante après la distribution de légumes que nous récupérons après le marché de Rungis », commentent les colocataires. En partant, ils s’entendent dire par un agent : « Ne vous inquiétez pas, on vous a laissé le guide du RSA. »

Le même jour, deux militants ont été assignés à résidence : un habitant du squat Le Moulin, à Ivry, et le responsable de la legal team, le service d’aide juridique, liée à la Coalition climat 21, en charge de la mobilisation citoyenne pendant la COP21, Joël Domenjoud. C’est l’un de ceux qui ont déposé le référé-liberté contre l’interdiction de manifester en Île-de-France jusqu’au 30 novembre (recours rejeté par le tribunal administratif jeudi en fin d’après-midi, lire ici).

 

Ils doivent pointer trois fois par jour au commissariat (à 9 heures, 13 heures et 19 h 30), rester à domicile entre 20 heures et 6 heures du matin, et ne peuvent quitter leur ville de résidence sans autorisation préfectorale. Ces mesures courent jusqu’au 12 décembre, le lendemain de la clôture officielle du sommet. Pour leur avocate, Muriel Ruef, « ces décisions reposent sur des faits jamais examinés par un juge ». Les deux hommes pourraient faire appel de leur assignation.

Contactée par Mediapart jeudi soir, la préfecture de police n’avait pas répondu à nos questions vendredi matin. La Ligue des droits de l’homme a protesté dans un communiqué : « Le ministre de l’intérieur perd ses nerfs, confond et assimile le mouvement associatif au terrorisme. » Pour l’organisation, « si l’on avait besoin d’une confirmation que l’état d’urgence est un danger pour les libertés publiques, cette mesure en attesterait tant elle révèle que la lutte contre le terrorisme n’est ici qu’un prétexte pour interdire toute voix dissonante ».

Jeudi soir, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées place de la République à Paris contre l’interdiction de manifester. Malgré l’état d’urgence, la police était très discrète. « État d’urgence, État policier ! On nous enlèvera pas le droit de manifester », ont scandé les manifestants. À la suite d’une manifestation de solidarité avec les migrants dimanche 22 novembre, le ministère de l’intérieur a transmis les identités de 58 personnes au procureur de la République. Elles sont convoquées les unes après les autres. Deux personnes ont été placées en garde à vue, et une déférée.

La Coalition climat 21 appelle à une chaîne humaine à midi à Paris dimanche 29 novembre, à la place de la manifestation pour le climat interdite. Le convoi des ZAD, en provenance de Notre-Dame-des-Landes, est toujours interdit d'entrée à Saclay et à Paris. Le soir du 26 novembre, il se trouvait dans l'Essonne.

 

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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27 novembre 2015 5 27 /11 /novembre /2015 20:32

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Etat d’urgence

Perquisition administrative chez des maraîchers bio : « Ils s’attendaient à quoi, des légumes piégés ? »

par

 

 

 

Le 24 novembre, le préfet de Dordogne a ordonné la perquisition d’une ferme du Périgord vert. À la recherche de « personnes, armes ou objets susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste », les gendarmes ont fait chou blanc. Sur les 1 233 perquisitions administratives menées en France, les abus commencent à s’accumuler.

 

La ferme d’Elodie et Julien, à mi-chemin entre Périgueux et Angoulême, figure dans une plaquette de l’office de tourisme au chapitre « vente directe de fruits et légumes ». Il faut croire qu’on la trouve aussi dans les petits papiers du préfet de Dordogne. Mardi matin à 7 h 20, depuis sa chambre avec vue sur l’arrière de la maison, un ami hébergé par le couple entend des claquements de portières et aperçoit la lumière de lampes torches. C’est une perquisition administrative. « Quand on est descendus, les gendarmes étaient déjà dans la cuisine », raconte Elodie, 36 ans. Elle ne sait pas si l’ami « a ouvert ou s’ils sont entrés tout seuls », de toute façon « la porte était ouverte ». Devant elle et son compagnon Julien, 34 ans, s’alignent « une dizaine » de gendarmes de Nontron, Ribérac et Verteillac.

 

Comme les maraîchers bio demandent des explications, les forces de l’ordre invoquent l’état d’urgence et leur montrent un ordre de perquisition signé par le préfet Christophe Bay (voir ci-dessous). Selon ce papier, faisant référence aux attentats du 13 novembre et à « la gravité de la menace terroriste sur le territoire national », « il existe des raisons sérieuses de penser » que, chez eux, « peuvent se trouver des personnes, armes ou objets susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste ». « Ils s’attendaient à quoi, des légumes piégés ? », plaisante Elodie après coup. Installés depuis trois ans et demi en Dordogne, Julien et sa compagne ont une fille de deux ans, vendent des légumes de saison à Biocoop et le samedi au marché.

 

« Le G8, les manifestations pour l’environnement, ça ne vous dit rien ? »

Pendant deux heures quarante, les gendarmes fouillent chaque pièce en regardant « dans les placards, les coffres, la bibliothèque, les recoins, les boîtes », détaille Elodie. Ils semblent « très intéressés par les petits carnets, les coupures de presse. Les livres, moins. » Et demandent quelle surface fait la ferme, s’il y a des appentis. L’un d’eux prend les choses particulièrement au sérieux. « Il nous dit : “le G8, les sommets européens, les manifestations pour l’environnement, ça ne vous dit rien ?”, et mentionne aussi la COP 21. Visiblement, la perquisition a un rapport avec nos activités militantes. »

 

Cette impression se confirme lorsque les gendarmes évoquent enfin «  un truc tangible », une action à laquelle Elodie et Julien ont participé il y a trois ans contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : le blocage du péage autoroutier de Mussidan. « Je ne pense pas avoir fait une seule manif depuis », résume la maraîchère. «  La petite a deux ans. Je ne veux pas jouer la Sainte Nitouche, mais manifestation ou pas, qu’est-ce qui justifie ça ? » Le gendarme zélé explique aux habitants de la ferme « qu’avec l’état d’urgence, tout rassemblement est interdit, et qu’organiser une manifestation est illégal ». Elodie demande : « Si vous trouvez un papier disant que j’organise une manifestation, vous m’arrêtez ? » La réponse est oui. Mais ils ne trouvent rien de tel.

 

Les ordinateurs de la maison sont raccordés « à un appareil qui ressemblait à un disque dur externe, apparemment pour en copier le contenu », sans même avoir besoin de demander les mots de passe. « Il y a un ordi sous Ubuntu [un système d’exploitation libre, ndlr] , et, là, ça n’a pas marché. » « Ils ont aussi branché les téléphones portables à une machine, en expliquant que le logiciel se déclenchait en fonction de mots-clés. » Un gendarme s’autorise une petite impertinence : « Je suis pas sûr que ça marche avec le péage de Mussidan. »

 

« Ils nous parlent d’extrême gauche et sous-entendent qu’on est islamistes ? »

Lorsqu’ils tombent sur des autocollants de la CNT, les gendarmes demandent de quoi il s’agit. « C’est mon syndicat », répond Elodie, affiliée à la Fédération des travailleurs de la terre et de l’environnement. Pas de questions supplémentaires sur ce point. L’ami hébergé est fouillé sans insistance. Le matériel agricole ne semble pas non plus susciter leur curiosité. La conversation prend un tour plus inquiétant quand les gendarmes voient écrit « Bruxelles » dans un carnet et sur la carte d’identité de Julien, qui a travaillé en Belgique où il a encore des amis. Ils veulent savoir si le couple y va souvent. Ce signe de fébrilité agace Elodie : « On parle de quoi là ? Ils nous parlent d’extrême gauche et d’un coup sous-entendent qu’on est islamistes ? On ne sait pas ce qu’ils cherchent. » Pour seule réponse, les habitants récoltent un « voyez ça avec le préfet, nous on exécute les ordres ».

 

À 10 heures, après avoir fait signer un compte-rendu de perquisition reconnaissant qu’ils n’ont rien trouvé, les gendarmes repartent comme ils sont venus. Les maraîchers pensent quand même « qu’il faut que ça se sache ». Comme beaucoup de militants, ils craignent les conséquences de l’état d’urgence. « C’est vrai que notre préfet a la réputation d’être un peu rigide. Mais là on s’aperçoit que dès que la loi le permet, des individus se sentent libres de faire ce qu’ils veulent sur leur territoire. Visiblement, la brèche est ouverte. »

 

1 233 perquisitions, 165 interpellations, 142 gardes à vue, 230 armes saisies

La préfecture, que nous avons contactée, refuse de commenter ce cas particulier. « Nous préparons un communiqué de presse pour la fin de la semaine sur le nombre de perquisitions administratives, mais rien d’autre », nous répond-on. Lundi, un premier bilan départemental avait été rendu public : 26 perquisitions administratives en Dordogne depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, dans la nuit du 13 au 14 novembre. Une arme de collection, détenue illégalement, a été remise aux gendarmes et détruite. Impressionnant bilan pour la Dordogne.

Sur l’ensemble du territoire, on dénombrait mardi 1 233 perquisitions administratives, conduisant à 165 interpellations, dont 142 gardes à vue, et la saisie de 230 armes. Un certain nombre d’abus et de bizarreries sont déjà signalés : citons par exemple une fillette de 6 ans blessée à Nice, un TGV évacué pour un film d’action, un trompettiste retenu sans motif Gare du Nord, un restaurant investi par la police en plein service… Au point que les recensions de ces dérapages ont été systématisées par La Quadrature du Net et remplissent les pages des journaux.

Le ministre de l’Intérieur croit-il désormais ce qu’il lit dans la presse ? Ce mercredi, Bernard Cazeneuve a annoncé qu’il allait envoyer une circulaire à tous les préfets « pour que ces perquisitions se fassent, même si on est dans un état d’urgence, dans le respect du droit ». C’est sûr que si personne ne prévient les préfets que les droits doivent être respectés…

 

Camille Polloni

 

Photo d’illustration : CC Philippe Leroyer (manifestation lycéenne à Paris, en avril 2008)

 

 

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25 novembre 2015 3 25 /11 /novembre /2015 15:33

 

Source : http://www.reporterre.net

 

 

À Bure, les travaux de la poubelle nucléaire avancent en catimini

25 novembre 2015 / Pierre Bonneau et Gaspard D’Allens (Reporterre)
 


 

En octobre, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs a franchi une nouvelle étape dans la préparation de son projet d’enfouissement des déchets, pourtant toujours privé d’existence légale. Les travaux battent leur plein, suscitant une réprobation locale grandissante.

 

- À Bure (Meuse), reportage

« Eh ben alors, les fouilles ont commencé, qu’est-ce-que vous attendez pour vous allonger devant les machines ? » À Bure, lorsque un agriculteur du coin interpelle les habitants de la Maison de résistance à la poubelle nucléaire, l’inquiétude est prégnante. Lundi 28 septembre, le grondement métallique des machines a réveillé la campagne. Les travaux ont débuté dans l’opacité et pris tout le monde de court.

Sur des dizaines d’hectares en contrebas du laboratoire de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), les tracto-pelles creusent des tranchées régulières de 50 centimètres à 2 mètres de profondeur. Les engins charrient des tonnes de terre rocailleuse. « Ils ont débuté le diagnostic archéologique, ils quadrillent le terrain pour voir s’il est nécessaire de faire des fouilles plus approfondies, explique Sylvie (les prénoms ont été modifiés), permanente de la Maison de résistance, devant ce qui ressemble à un champ de bataille. C’est une étape préalable et obligatoire à tout projet d’aménagement. » Sur le chantier, des archéologues supervisent les opérations. Les gendarmes et les vigiles, eux, surveillent.

Après les « cartographies détaillées », les « études géotechniques » ou les « états initiaux environnementaux » commencés depuis des mois, les fouilles préventives marquent le franchissement d’une nouvelle étape. L’État avance ses pions alors que le projet Cigéo (pour Centre industriel de stockage géologique) « n’a aucune existence légale. Ni déclaration d’autorisation de chantier ni déclaration d’utilité publique », s’indigne Sylvie.

 

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À l’arrière-plan des tranchées, des foreuses posent des bornes pour les études géotechniques.
 

Depuis 2007, l’Andra s’est façonné un empire, son appétit a grignoté le territoire. En Meuse et en Haute-Marne, l’Agence a progressivement acquis près de 2.900 ha2.000 ha de forêt et environ 820 ha de terres agricoles. Une vaste réserve foncière qu’elle utilise comme monnaie d’échange pour s’emparer des parcelles se trouvant dans la zone d’emprise du projet Cigéo, avec l’appui des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) de Lorraine et de Champagne-Ardenne.

« Avec des offres parfois alléchantes, l’Agence incite agriculteurs et propriétaires à échanger leurs terrains contre des terres situées en dehors de la zone, raconte Julien, un autre habitant de la Maison de résistance. L’Andra démarche individuellement les gens, elle fabrique du chacun pour soi. » Une méthode qui permet de « nettoyer le territoire en évitant les longues procédures d’expropriation ». « Ceux qui essayent de résister font face à un harcèlement, doublé de menaces d’expropriations et de contrôles », ajoute-t-il.

« Le territoire va devenir un désert nucléaire »

Jusqu’au début des travaux, les agriculteurs ayant vendu ou échangé leurs terres bénéficiaient d’un effet d’aubaine, ils pouvaient continuer à les cultiver gratuitement grâce à des baux précaires. « Aujourd’hui, c’est fini. Les travaux prennent une ampleur phénoménale, constate, amer, un paysan devant ses anciens champs de céréales lacérés par des tranchées. Si j’avais su, je n’aurais pas échangé mes parcelles. »

À deux kilomètres à peine des fouilles, tracto-pelles et dameuses agrandissent une route autour du projet Syndièse, un projet satellite du Cigéo financé par le Commissariat à l’énergie atomique. Il vise à produire du carburant à partir de biomasse et condamne, selon Lorraine nature environnement, « les forêts locales à devenir le réservoir de nos voitures ». En parallèle, dans les bois achetés par l’Andra, les bûcherons ont déjà effectué des coupes à blanc et en prévoient d’autres.

L’emprise du projet de Cigeo ne cesse d’augmenter, passant d’environ 300 ha lors du débat public contesté de 2013, à près de 600 ha en 2015. « La taille estimée de l’installation de stockage de surface a quasiment doublé, ainsi que la surface pour entreposer les 10 millions de m3 de remblais. Chaque mois ou presque, on découvre une nouvelle installation liée au projet », déplore Régine Millarakis, de Lorraine Nature Environnement. Pour qualifier ce développement tentaculaire, certains militants parlent d’« Andraville ».

 

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Carte schématique de l’emprise du projet réalisée par l’Andra en 2015.
 

Début septembre, les opposants ont par exemple appris que RTE (Réseau de transport de l’électricité) prévoyait de détruire 7 ha au sud de Bure pour l’installation d’un transformateur électrique raccordant Cigéo au réseau. Et que des « projets de zone à urbaniser à vocation économique, avec supérette et boulangerie, » allaient fleurir dans la foulée.

« Les habitants ne sont pas au courant de tous ces projets », et les associations peinent à obtenir des informations. Pour Régine Millarakis, la vision d’ensemble reste cependant limpide : « À terme, c’est tout le territoire qui est condamné. Cette zone agricole et forestière va être vidée de ses habitants historiques pour devenir un désert nucléaire. Avec toutes les infrastructures associées, ses travailleurs, et ses gendarmes. »

Briser la chape de résignation

Sur place, le ras-le-bol s’exprime et la résistance continue de s’organiser. Le 2 octobre, une cinquantaine d’individus se sont retrouvés à Mandres-en-Barrois . Dans ce petit village de 150 personnes, situé à 3 km à l’est du laboratoire, « c’est la première fois, en vingt ans, que les habitants appellent à une réunion », témoigne Yves, l’un des initiateurs de l’événement.

Cette commune est depuis plusieurs années dans la ligne de mire de l’Andra, qui souhaite s’approprier le bois communal pour le raser et y construire une zone de puits, de ventilation et de stockage des remblais sur 270 ha. À 500 m de profondeur, 300 km de galeries seraient également creusées pour stocker les déchets nucléaires. Début juillet, le conseil municipal a accepté l’offre de l’Andra dans l’opacité complète et sans aucune consultation populaire. « Ils se sont même réunis à 6 heures du matin pour décourager les opposants ! »

Certains habitants ont alors brisé la chape de résignation pour envoyer, au cours de l’été, une lettre de demande de recours gracieux au préfet. « On n’avait plus le choix, il fallait oser, poursuit Yves, qui participe pour la première fois – comme la plupart – à une réunion publique. Le plus dur, ça a été d’afficher nos noms dans la lettre. On a eu 30 personnes. Sans le recueil des identités, on en aurait eu deux fois plus. Beaucoup ont peur des représailles. »

Cette peur, ils ont encore dû la braver ce soir-là : le maire, partisan du projet Cigéo, a refusé de leur prêter la salle communale, au mépris de la loi. « Il pensait nous faire reculer, mais il s’est trompé », poursuit Yves, en installant le projecteur face au mur extérieur du bâtiment. Les participants se serrent près des braseros, un verre de soupe à la main. « Ce soir, on se sent moins seul. On s’aperçoit que beaucoup de gens sont contre le projet. »


Tout au long de la présentation des cartes de l’emprise de Cigéo par des militants de l’association BureStop, l’assemblée bruisse d’indignation. Beaucoup prennent conscience de l’ampleur de la future poubelle nucléaire. « Ça y est, cette fois j’ai compris, ils vont tout nous prendre ! » confie un jeune agriculteur du village à sa grand-mère. « Que faut-il faire ? » demande un habitant. « Continuer d’organiser des réunions dans d’autres villages ! » lui répond quelqu’un. Dans leurs communiqués, les associations appellent à « l’action collective » tandis que des membres du collectif VMC, organisateur du camp estival, appellent à « se tenir prêts à converger vers l’Est pour les bloquer ».

Dépasser l’isolement

Pour Julien, de la Maison de résistance, les mobilisations de l’été ont aussi permis de dépasser l’isolement. « Entre l’action des 100.000 pas, l’Alter Tour, le camps des Ami.e.s de Silence !, le camp anticapitaliste du collectif VMC, les rencontres ont été nombreuses. »...

 

*Suite de l'article sur reporterre

 

 

Source : http://www.reporterre.net

 

 

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25 novembre 2015 3 25 /11 /novembre /2015 14:39

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Interdictions

L’état d’urgence face au terrorisme tourne à la répression des mouvements sociaux

par

 

Des militants écologistes qualifiés de « groupes et groupuscules appartenant à la mouvance contestataire radicale et violente » et interdits d’entrée en Eure-et-Loir. A Paris, une soixantaine de personnes ayant manifesté en solidarité avec les migrants viennent d’être convoquées au commissariat. Les autorités profitent de l’état d’urgence face à la menace terroriste pour réprimer les mouvements sociaux et écologistes.

En Île-de-France, les premières convocations sont arrivées quasi immédiatement dans les boîtes aux lettres. 58 personnes soupçonnées d’avoir participé à un rassemblement de soutien aux migrants, qui a réuni quelques centaines de personnes le 22 novembre à Paris, sont visées, indique la préfecture de police de Paris. Elles ont « commis ou tenté de commettre l’infraction de violation d’une interdiction de manifestation prise en vertu de l’état d’urgence », selon un procès verbal consulté par le site militant Paris-Luttes Info. Suite aux attentats du 13 novembre, le préfet de police de Paris a interdit toute manifestation sur la voie publique jusqu’au 30 novembre à minuit. Les personnes qui enfreignent l’arrêté d’interdiction encourent jusqu’à six mois d’emprisonnement et une amende de 7 500 euros.

 

 

« Parmi les 58 personnes poursuivies, il y a deux militants de Droit au logement dont le porte-parole Jean-Baptiste Eyraud, détaille Annie-Pourre, membre de l’association, contactée par Basta !. Ils ont visé haut. Le Préfet de police a indiqué qu’ils devaient faire l’objet de "poursuites exemplaires". C’est un acte politique », dénonce t-elle. Cette manifestation a mobilisé « un important dispositif de sécurisation » de la part des forces de l’ordre, ce qui les a « détournées de leur mission prioritaire de sécurisation générale », indique de son côté la préfecture de police de Paris. Question de priorités... Apparemment, les policiers n’ont procédé à aucun contrôle d’identité pendant la manifestation et ont identifié les contrevenants grâce aux images des caméras de vidéo surveillance. « Or, certaines personnes qui n’étaient pas présentes ont été convoquées », réagit Annie Pourre.

 

« Il s’agit bien de nous bâillonner ! »

Cette marche entre Bastille et la place de la République, intitulée « Migrant-e-s : Bienvenue », avait été décidée avant les attentats du 13 novembre, à l’appel de plusieurs organisations syndicales, associatives et politiques. Après l’interdiction de la manifestation par la préfecture, des militants de certaines organisations signataires ont néanmoins tenu à défiler. « Qu’ils soient nommés réfugiés, migrants ou sans-papiers ils et elles sont aussi, des victimes des guerres, des violences et de la misère qui les ont contraints à quitter leurs pays, a ainsi plaidé le syndicat Solidaires. Agir en solidarité participe aussi de la réponse aux attentats qui ont ensanglanté Paris. »

Alors que les convocations au commissariat se poursuivent, un appel à manifester « contre l’interdiction de manifester » est sur le point d’être rendu public par plusieurs organisations syndicales, associatives et politiques [1]. « Nous, mouvements sociaux, sommes interdits de nous rassembler et de manifester dans les rues, jusqu’à nouvel ordre. Femmes, migrants, défenseurs du climat et de la planète, altermondialistes, mal logés, salariés menacés, chômeurs et précaires, défenseurs des droits sont visé(e)s, alors que sont autorisés les marchés de noël et autres initiatives commerciales à l’occasion des fêtes de fin d’année, tout comme les événements sportifs ou culturels, écrivent les signataires. Cette interdiction ne vise donc pas à nous protéger, ni à économiser les forces de l’ordre, puisque les activités mercantiles sont autorisées. Il s’agit bien de nous bâillonner ! » Les signataires de l’appel demandent également la fin des poursuites contre « les 58 ».

 

« L’état d’urgence tourne à la caricature »

« L’état d’urgence tourne à la caricature », insiste Annie Pourre. Et pas seulement à Paris. La préfecture d’Eure et Loire vient d’interdire aux militants de « Cap sur la Cop » de traverser le département. Ce convoi rassemble 200 opposants à l’aéroport de Notre Dame des Landes qui se rendent en vélos et tracteurs à Paris. L’arrêté préfectoral qualifie ces militants de « groupes et groupuscules appartenant à la mouvance contestataire radicale et violente ». « Jusqu’où le gouvernement ira-t-il pour arrêter cinq tracteurs, un triton, une cabane, une cantine mobile et 200 cyclistes de 1 à 77 ans, armés d’un peu d’huile de chaînes et de pompes à vélo ? », réagissent les personnes visées par l’arrêté. Des responsables du convoi envisagent de déposer un référé liberté contre cette décision.

D’autres ont décidé de contourner l’interdiction de défiler sur la voie publique en mettant en avant « l’état d’urgence climatique ». C’est le cas d’organisations membres de la Coalition Climat 21 qui appellent à former une chaine humaine le dimanche 29 novembre à Paris, à la veille de l’ouverture de la conférence internationale sur le climat. « Pour la justice climatique, pour la paix qu’elle contribue à apporter et en hommage aux victimes des attentats, nous formerons, à Paris une chaîne humaine sur les trottoirs entre place de la République et Nation, sur le boulevard Voltaire en passant par le Bataclan et la rue de Charonne », précise la Coalition. A tous ceux qui veulent nous empêcher de nous exprimer, nous répondons : unis et solidaires nous voulons vivre ensemble sur une Terre juste et vivable. »

 

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