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27 novembre 2011 7 27 /11 /novembre /2011 12:37

 

Rue89 - Révolution 27/11/2011 à 10h51
Sid Ahmed Hammouche et Pierre-André Sieber

 

 

Un manifestant blessé est transporté vers un centre médical de fortune près de la place Tahrir (Amr Dalsh/Reuters)

 

Dans l'atmosphère de guerre urbaine qui a régné ces derniers jours au Caire, des médecins égyptiens ont dressé de vrais hôpitaux de fortune sur la place Tahrir. Nous avons pu les joindre au téléphone.

Au cœur de l'affrontement, Mohamed Hassan, responsable de l'hôpital de la révolution du Maydan-al-Tahrir, a joué les Henri Dunand. Un croissant rouge sur le dos, il organisait le ballet des blessés :

« Nous avons quitté nos cabinets pour sauver des vies. La situation est catastrophique. Il y a trop de blessés. L'armée commet un véritable massacre. Volontairement, les policiers visent la tête et les yeux.

Ils provoquent les jeunes en leur disant qu'ils veulent les aveugler pour qu'ils ne voient jamais cette liberté au grand jour.

Certains blessés refusent de rester à l'hôpital. Dès qu'ils se sentent en forme, ils repartent à l'assaut, de peur que les forces de l'ordre ne gagnent du terrain. »

Au cœur de la place Tahrir, Asmaa, femme médecin, énumèrait de son côté les besoins. Valium, analgésiques, compresses :

« Chaque dix secondes, on enregistre une nouvelle victime. Le gaz employé par l'armée est très toxique. Il provoque des paralysie du système nerveux qui peuvent durer de trois à vingt-quatre heures ! C'est démentiel.

Nous avons également des gens qui sont touchés par des balles réelles. »

Les blessés sont privés de soins

Mais ce qui inquiètait les médecins contactés, c'est le nombre de victimes qui ne cessait d'augmenter. Selon un recensement non officiel, on parlait d'une soixantaine de morts en quatre jours. Du côté officiel, l'Etat dénombre 41 victimes et plus de 3 000 blessés.

Pour Hiba, médecin bénévole, l'Etat ne recense que les victimes qu'il a enregistrées, et certains corps sont toujours dans des morgues improvisées. Reste à établir leur identité.

Face à cette réalité macabre, un élan de solidarité a mis un peu de baume dans ce climat de violence urbaine.

Les gens ont transporté les blessés, offert des médicaments, des couvertures, de la nourriture, de l'eau. Certains ont même formé un mur humain pour protéger les blessés jonchant le cœur de la place.

Pourquoi les blessés n'ont pas été transportés vers les hôpitaux de la capitale ? Hiba répond :

« Si vous le faites, les forces de sécurité arrêtent les gens et les mettent en détention. »

Une unité de soins dans une église

Les réseaux sociaux à la rescousse

Sur Twitter, le groupe Spincairo livrait les contacts pour les dons de sang. Une autre internaute annonçait sa venue sur la place Tahrir avec des fournitures, demandant de sécuriser le passage. Une autre encore organisait une collecte de matériel médical de base, indiquant les points de livraison.

Eman Yousry lançait un appel : « Devant le McDonald de Merghany maintenant, nous réunissons des dons et du matériel médical. Nous avons besoin de véhicules pour les transporter. » Ailleurs, on apprend que l'hôpital dans la mosquée Omar Karam cherche un médecin anesthésiste, un chirurgien et un neurologue de toute urgence.

Dans les abords de la place, un fast-food américain a été transformé en dispensaire.

Dina, une infirmière, enregistrait les nouveaux blessés tout en jetant un coup d'œil à son Blackberry pour coordonner les opérations entre les quatre points de secours :

« Il y a deux unités au cœur de la place. Il y a un centre à côté du fast-food Hardees, un autre dans les locaux de KFC, un autre encore dans la mosquée Omar Karam où sont opérés les cas les plus graves.

Aujourd'hui, on a ouvert une unité dans l'église anglicane à deux pas de la mosquée. »

De la mosquée Omar Karam, Amir, un ophtalmologue, criait au téléphone pour couvrir les cris « des martyrs d'Al Tahrir », quand nous l'avons joint :

« Beaucoup de blessés au visage et dans les yeux. Je travaille depuis bientôt trois jours sans dormir.

J'ai le patient dans une main et mon smartphone dans l'autre. Je lance des appels sur Twitter et Facebook pour recevoir des fournitures médicales. »

Ce qui touche le plus le praticien, ce sont les gens pauvres vidant leurs pharmacies pour aider les victimes. Combien sont-ils, ces blessés ? Des milliers, confirme Mohamed Hassan, débordé :

« Non seulement les révoltés, mais aussi les habitants des quartiers alentour qui, depuis quatre jours, reçoivent une pluie de gaz et sont touchés par des balles perdues. On recense plus de 2 000 blessés dans un état critique. »

Et soudain le médecin de s'écrier au téléphone : « Du sang ! On a besoin de donneurs ! »

« On nous fait passer pour des anarchistes »

Activiste de la révolution, Mahmoud Al Rakhm souhaite la chute du maréchal Tantaoui et le retour du pays aux mains des civils :

« La télévision de l'Etat nous fait passer pour des anarchistes et des ennemis de l'Egypte et nous accuse de saboter les législatives. »

Avec une répression qui dépasse celle de Moubarak, le militant se demande comment faire confiance à l'armée et comment elle peut garantir dans ce climat de terreur des élections démocratiques. Qui croit à ce régime qui veut confisquer la révolution ?

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26 novembre 2011 6 26 /11 /novembre /2011 18:57

 

Rue89 - Sur le terrain 26/11/2011 à 10h31
Sid Ahmed Hammouche et Pierre-André Sieber

 

Armes chimiques ou simples lacrymogènes ? Les gaz utilisés par les forces de l'ordre provoquent saignements, spasmes et divers troubles. Et mettent l'Egypte en émoi.


Un manifestant inhale un remède contre l'asthm près de la place Tahrir vendredi (Amr Dalsh/Reuters)

(Du Caire) Quel gaz les forces de l'ordre ont-elles utilisé sur la place Tahrir pour disperser les manifestants ? Sur le terrain, de nombreux témoignages, notamment de médecins, décrivent des effets assez terrifiants, comme des troubles neurologiques. « C'est comme si les yeux allaient sortir des orbites », décrit un insurgé gazé, victime de troubles respiratoires et de perte de la vue.

Dans une vidéo postée sur Facebook, on voit une personne à terre secouée de spasmes.

Le site d'information indépendant égyptien Bikyamasr.com dévoile une photo de cartouche tirée par la police et les militaires contenant un gaz lacrymogène très agressif, le « CR » (dibenzoxazepine), décrit comme six à dix fois plus puissant que le gaz lacrymogène « CS » (dichlorobenzal et dérivés), employé en France notamment.

Fumée jaune et fumée blanche

Un mort au Caire au petit matin

Un manifestant a été tué samedi au Caire dans des affrontements entre la police et des militants qui bloquaient l'entrée du siège du gouvernement. C'est la première victime depuis la trêve conclue jeudi entre la police anti-émeutes et les manifestants. Rue89

Sur la photo diffusée par le site d'information égyptien, on peut lire que le fabricant est américain, Combined Tactical Systems basé à Jamestown (Pennsylvanie, USA). Mais cette firme ne donne aucune information à la presse. La branche du lacrymogène aime conserver une certaine opacité.

On se souvient de la cargaison française à destination de la Tunisie repérée à Roissy au début des révoltes... La livraison avait toutes les autorisations légales.

La France n'achemine plus ce matériel dans les pays du Maghreb, au Moyen-Orient ou en Afrique depuis qu'on débuté les révoltes du Printemps arabe.

Un contact tenté par La Liberté avec un producteur français de gaz lacrymogène autorisé n'a rien donné.

Un professionnel de la branche actif en France – qui souhaite garder l'anonymat – s'étonne toutefois des effets décrits par les gaz utilisés sur la place Al-Tahrir pense qu'il ne s'agit pas de lacrymogène usuel, ce dernier ne provoquant pas de troubles neurologiques.

Même si, comme le rapporte Bikyamasr.com, il s'agirait de cartouches périmées depuis plusieurs années.

C'est aussi l'avis de spécialistes en Suisse. « Il y a trois sortes de gaz lacrymogènes : le CR, le CS et le CN », explique Hugo Kupferschmidt, directeur du Centre d'information toxicologique basé à Zurich :

« Les cartouches de gaz CR dégagent normalement une fumée jaune, or celles aperçues à la télévision émettaient de la fumée blanche. »

Selon lui, les gaz lacrymogènes usuels, même fortement dosés, ne provoquent pas de troubles neurologiques :

« Les effets décrits me font penser que les cartouches employées contenaient des gaz de type nervins, qui sont de vraies armes chimiques de guerre. [...]

Il s'agit peut-être d'un produit semblable à celui utilisé par les forces spéciales russes lors de la prise d'otage du théâtre de la Doubrovka de Moscou du 23 octobre 2002. »

Des tirs de lacrymo à bout portant

L'utilisation de gaz nervins qui peuvent provoquer des lésions aux poumons, cœur et foie, c'est aussi ce qu'a avancé le prix Nobel de la paix Mohammed el-Baradei sur Twitter le 22 novembre. Le candidat déclaré à l'élection présidentielle prévue avant fin juin 2012 en Égypte a dénoncé la violence dont ont fait preuve les forces de l'ordre :

« Du gaz lacrymogène contenant des agents inervants et des balles réelles sont utilisés contre les civils à Tahrir, c'est un massacre. »

Human Rights Watch affirme aussi que des tirs de lacrymogènes effectués à bout portant ont tué des manifestants sur le coup.

Voilà ce qui met l'Egypte en ébullition, en plus d ela contestation du pouvoir militaire et les désillusions à la suite du discours du maréchal Tantaoui. Dans le pays, une forte polémique au sujet de l'emploi de ces gaz prohibés a éclaté. L'armée tente de s'en laver les mains et le ministère de la Santé égyptien dément formellement l'utilisation de tels moyens.

Effets à long terme

Mais ce qui inquiète, c'est que les gens subissent depuis cinq jours les tirs de ces gaz. Quels sont les effets à long terme ? Un professeur en neurologie de l'université Ain-Shams du Caire, contacté par nos soins, a testé les effets sur lui en s'exposant longuement sur la place Tahrir :

« Il provoque plusieurs symptômes tels que des crises convulsives, des spasmes oculaires et une détresse respiratoire. »

Selon ce spécialiste, le type de gaz utilisé est encore indéterminé, mais il est certainement plus corrosif que celui qui a été utilisé par les forces de Moubarak en janvier. Il invite les Egyptiens à collecter le maximum de vidéos et de douilles possible pour d'éventuelles poursuites judiciaires.

Un masque d'hôpital ne suffit pas

Recettes de révolutionnaire
Pour lutter contre les effets des gaz utilisés par les forces de l'ordre, les manifestants rivalisent d'imagination. Sur Facebook, un jeune donne la recette d'une solution pour spray à base de levure de malt. D'autres misent sur le bicarbonate de soude, le Synthol, ou même du vinagre et des oignons.

Contactée par téléphone, Sibiya a dû fuir son appartement situé à proximité de la rue Mohamed Mahmoud, à côté de l'université américaine du Caire, là où se déroulent les affrontements. « Un masque d'hôpital ne peut pas vous sauver de ce gaz », explique-t-elle :

« Les enfants portant aussi un masque sont très fortement incommodés. Il y a tellement de gaz que les premiers jours, on ne pouvait pas ouvrir les fenêtres de la maison. Au deuxième jour, nous avons été obligés de quitter l'appartement. »

Elle poursuit :

Et dire que depuis cinq jours, les bombes de gaz pleuvent sur la rue Mohamed-Mahmoud ! Dès les premiers jours nous avons eu des nausées, des maux de têtes. Aujourd'hui, on a les yeux gonflés de sang.

Les petits sont complètement perturbés. Ils sont stressés et agités de tremblements comme s'ils subissaient en continu des crises semblables à l'épilepsie. »

Quant à Salem al-Chirabi, animateur culturel, il ne quitte plus son masque à gaz :

« On panique. On dit que le gaz est cancérigène, qu'on va crever ! Je me suis déjà évanoui. J'ai vu des amis faire des crises. Certains accusent le gouvernement égyptien d'utiliser des armes chimiques contre nous.

Aujourd'hui il y a plus de 400 personnes dans un état grave. La police a même balancé des gaz dans les bouches d'aérations du métro de la place Al-Tahrir pour nous intoxiquer. »

« J'ai perdu conscience et puis vomi du sang »

Magda, une étudiante de 23 ans, a également été prise au piège dans un nuage de gaz lacrymogène. « Je suis tombée comme une mouche », déclare-t-elle au bout du fil.

« Des gens m'ont évacuée sur une moto. J'ai été aspergée par un liquide et j'ai repris conscience difficilement, comme si je venais de sortir d'une narcose complète. J'ai vomi du sang.

Oui, le maréchal Hussein Tantaoui, chef du Conseil suprême des forces armées, nous fait vomir du sang. Alors moi, j'ai décidé de mourir sur la place Al-Tahrir pour libérer le pays de la junte militaire. »

Autre cas encore, Rania, membre du comité révolutionnaire. « L'air est irrespirable sur la place Tahrir », peste-t-elle au téléphone :

« Il y a cette odeur de gaz qui est si forte qu'il est impossible de rester sur place plus de cinq minutes. Les gens sont tous munis de masques achetés sur place 2 euros ou offerts par des infirmiers sur la place Al-Tahrir.

Mais même avec un masque, on suffoque à cause du gaz. »

Autre malheur : l'acte II de cette révolution a fait beaucoup de blessés aux yeux, dont beaucoup sont devenus borgnes. Rania :

« Ils n'en sont pas pour autant démoralisés et affirment qu'ils ont perdu un œil mais pas la vision sur le futur de l'Egypte qui se débarrassera coûte que coûte de la junte militaire. »

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25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 18:41

LEMONDE | 25.11.11 | 11h30   •  Mis à jour le 25.11.11 | 15h12

 
 

 

Sur la place Tahrir du Caire, le 24 novembre.

Sur la place Tahrir du Caire, le 24 novembre.AP/Khalil Hamra


Le Caire Envoyé spécial - Six jours de combats acharnés, sans vainqueur ni vaincu, mais toujours pas d'armistice en vue, ce vendredi 25 novembre. Les affrontements entre la police et les "sans-culottes" égyptiens dans la rue Mohammed-Mahmoud, en lisière de la place Tahrir, qui ont fait 37 morts et près de 2000 blessés, n'obéissent plus à aucune logique.

La nécessité de protéger le sanctuaire du soulèvement contre tout assaut des forces de l'ordre, mot d'ordre des premiers jours, a cédé la place à une gigantesque vendetta, un défouloir contre une institution honnie. Neuf mois après la chute de Hosni Moubarak, la rage inextinguible des manifestants souligne combien les autorités de transition ont échoué à s'emparer de la réforme de la police, l'un des dossiers les plus pressants du moment.

"Pour une bonne partie de la population, les forces de sécurité font partie de l'insécurité, estime Moaz Mahmoud, chercheur à l'Arab Reform Initiative, un think tank très actif dans ce que l'on nomme le Security Sector Reform. La police n'est plus la solution, mais le problème." Au lendemain du premier soulèvement de Tahrir, les organisations de défense des droits de l'homme égyptiennes sont allées frapper à la porte du nouveau ministre de l'intérieur, Mansour Al-Essaoui. Après avoir longtemps planché sur divers plans de restructuration de la police, elles espéraient passer aux travaux pratiques. "Nous voulions nous attaquer à la question de la brutalité policière, raconte Karim Ennarah, de l'Initiative égyptienne pour les droits de la personne. Le chantier est énorme, car la violence dans ce corps est une pratique routinière. Pour s'en débarrasser, il faut remettre à plat la doctrine même de l'institution policière. Il faudra passer en revue le parcours des personnels: séparer les agents qui peuvent poursuivre leurs fonctions de ceux qui doivent être recadrés ou limogés."

Durant le printemps et l'été, des rencontres ont eu lieu avec le ministre et quelques conférences de presse conjointes ont été organisées. La société civile a reçu le renfort d'un groupe de policiers "dissidents", écœurés par les dérives de leur profession, baptisé "Officiers mais intègres".

Leurs efforts se sont heurtés à l'immobilisme du Conseil suprême des forces armées (CSFA), le concile de généraux aux manettes du pays. Les militaires ont laissé les médias officiels jouer sur la peur du chaos pour mieux étouffer le thème de la réforme. Quant aux procès ouverts contre les policiers accusés d'avoir tué des manifestants lors de la répression du soulèvement de janvier, la plupart se sont enlisés, faute de volonté politique.

Cette tactique à courte vue s'est effondrée, samedi 19 novembre, quand la police a violemment dispersé les centaines de blessés du soulèvement du début de l'année qui campaient sur la place Tahrir. Le déploiement dans la foulée des unités antiémeute de la Sécurité centrale, censées protéger le ministère de l'intérieur à proximité, a achevé de réveiller le contentieux entre police et population.

"C'est un corps qui ne sait pas gérer les foules sans faire d'énormes dégâts, explique Moaz Mahmoud. Il est composé de très jeunes gens, des conscrits pour la plupart, qui ne sont ni équipés ni formés pour ce genre de tâches. Ces pauvres types se font manipuler par l'armée, qui ne veut pas s'exposer." Deux tactiques de la Sécurité centrale ont particulièrement révolté les révolutionnaires : le recours à un gaz tellement concentré qu'il en devient parfois létal, comme le prouve la mort par suffocation de Rania Fouad, une femme médecin surprise, mercredi, par un tir de lacrymo sur la clinique de fortune où elle soignait des blessés ; les tirs à balles en caoutchouc au niveau de la tête, dont témoigne le calvaire du dentiste Ahmed Harara, qui avait perdu un premier œil durant le soulèvement de janvier-février et a perdu le second samedi.

"La Sécurité centrale commet des crimes, s'indigne Karim Ennarah, dont l'organisation, aux côtés d'autres ONG égyptiennes, appelle à l'inculpation du ministre de l'intérieur et du numéro trois du CSFA, le général Hassan Al-Ruwaini. Il ne s'agit pas simplement d'une violation du règlement. Quand on vise délibérément la tête, cela montre une intention de blesser ou de tuer. Là, nous avons relevé des cas de morts par balles réelles. Et, quand les combats auront pris fin, je crains que le nombre de morts soit beaucoup plus élevé que le bilan actuel."

Choquée par l'ampleur de ces violences, la haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, Navi Pillay, avait réclamé, mercredi, la mise en place d'une enquête "rapide, impartiale et indépendante". Les jeunes à la pointe de la contestation exigent, eux, le démantèlement pur et simple de la Sécurité centrale, la branche la plus étoffée de la police, avec environ 150 000 agents.

Les expériences passées incitent à la prudence. La dissolution au mois de mars de la Sécurité d'Etat, l'autre bête noire des révolutionnaires, impliquée dans la traque des opposants au régime Moubarak, n'a pas eu tous les effets escomptés. "La police politique est toujours là, mais le style a changé, dit Karim Ennarah. Au lieu d'être convoqué dans un service de sécurité et interrogé par des agents à visage découvert, les gens sont kidnappés et interrogés les yeux bandés dans un lieu secret." Quant à la torture, marque de fabrique de la Sécurité d'Etat, elle est désormais pratiquée par la police militaire, à qui le CSFA confie ses basses besognes.

Il faudra beaucoup plus qu'un ordre de démantèlement pour mettre à bas ce que le chercheur Tewfik Aclimandos nomme la "sécuritocracie" égyptienne. Les déboires de son confrère Amr Shobaki en témoignent. Pendant des années, à chaque retour de l'étranger, ce politologue au prestigieux centre Al-Ahram devait faire un détour par le local de la Sécurité d'Etat avant de pouvoir sortir de l'aéroport du Caire. Son nom figurait sur une liste de personnes à surveiller. Immédiatement après la révolution, cette pratique a cessé. Mais fin septembre, de retour de Beyrouth, il a de nouveau écopé du contrôle de sécurité. Un bref interrogatoire, semblable à ceux du passé, à une nuance près. Son interlocuteur était membre de la Sécurité nationale. "Je ne serai pas surpris si nous découvrons un jour à notre réveil que Moubarak est revenu au pouvoir", réagit le chercheur.

Benjamin Barthe

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23 novembre 2011 3 23 /11 /novembre /2011 14:10
| Par Pierre Puchot

Le Caire, de notre envoyé spécial

Place Tahrir, dans la nuit de mardi à mercredi.  
Place Tahrir, dans la nuit de mardi à mercredi.© (P.Puchot)

Ils sont toujours là, par dizaines de milliers, et cette nuit la place Tahrir a des airs de cour des miracles. On y trouve tous les milieux, tous les âges : des familles au complet, des personnes âgées, des handicapés, des vendeurs de maïs, de mouchoirs, de thé... Mardi soir, plusieurs heures après le discours du maréchal Tantaoui, qui a tenté de mettre fin à quatre jours d'émeutes qui ont fait plus de trente morts, il y a encore beaucoup de monde, davantage qu'en juillet, date des dernières manifestations de masse.

Le chef militaire, représentant du Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui dirige de fait le pays depuis la chute de Moubarak, a annoncé quelques concessions aux manifestants et, en particulier, l'organisation d'une élection présidentielle «avant la fin juin 2012». Il a aussi précisé que l'armée était prête à organiser un référendum sur le transfert du pouvoir aux civils. «L'armée ne veut pas le pouvoir», a-t-il assuré.

Celui qui a été durant vingt ans l'un des principaux ministres de l'ancien président Hosni Moubarak a également confirmé la tenue des élections législatives à partir du 28 novembre. Ces élections doivent s'échelonner sur plusieurs semaines tant leur organisation se révèle complexe. Ces annonces du maréchal Tantaoui ont été faites juste après l'annonce de la démission du gouvernement nommé en mars et conduit par Essam Charaf. Dans la journée, des consultations ont eu lieu entre le commandement militaire et les différentes forces politiques, dont les Frères musulmans. Mohamed El-Baradei, prix Nobel de la paix en 2005 et opposant à Moubarak, ferait figure de favori pour remplacer M. Charaf au poste de premier ministre.

Mais le discours du maréchal Tantaoui n'a aucunement désamorcé la colère des manifestants de la place Tahrir. Plusieurs milliers d'Egyptiens se sont entassés ici, certains depuis plusieurs jours, à même le sol, parfois munis de couvertures. Du haut de son promontoire, Nassim lance une barre chocolatée en guise de bienvenue dans ce qu'il considère être désormais la «nouvelle révolution égyptienne».

Emmitouflé dans une lourde couverture orange et noir, le jeune homme désigne sa jambe enserrée dans un bandage : «J'ai reçu ça en cadeau cette semaine : je courais, ma jambe a été à moitié écrasée par une moto pendant que la police attaquait. Je suis là avec mon frère, on ne bougera d'ici.» 

A quelques pas d'eux, Hassan, 82 ans, se tient droit, immobile, assis sur sa chaise. Il n'était pas là pour les premières manifestations, mais craint désormais pour ses enfants, pour sa famille, redoute que les espoirs qui les portent depuis des mois ne s'évanouissent tout à fait.  Passé minuit, les couples et les familles se font rares, ce sont davantage les jeunes qui continuent de déambuler, et de commenter le discours du jour.

Lotfi travaille habituellement dans un hôtel à Charm El-Cheikh. La saison touristique n'a pas été bonne, et depuis la fin septembre, il est au Caire, où réside sa famille : «On a perdu sur tous les plans : économique, politique, et au niveau de la justice. Personne ne gouverne, et le conseil de l'armée fait ce qu'il veut. On a vu, depuis quatre jours, ce dont ils sont capables. Ils nous tirent dessus, ils nous asphyxient, ils nous tuent. Il n'y a rien de plus à dire, les choses sont simples : il faut nous débarrasser de ces gens-là.»

Place Tahrir, dans la nuit de mardi à mercredi.
Place Tahrir, dans la nuit de mardi à mercredi.© (P.Puchot)


«Mourir à petit feu»

 

Place Tahrir, dans la nuit de mardi à mercredi.  
Place Tahrir, dans la nuit de mardi à mercredi.© (P.Puchot)

Il y a ceux, aussi, qui restent pour porter secours aux blessés. Hicham, 41 ans, pharmacien, distribue des bandages et du sérum physiologique: « Tantaoui se moque de nous, il nous prend pour ses chiens, éructe-t-il. Qu'a-t-il dit aujourd'hui ? Que le pouvoir demeurerait encore pour plusieurs mois entre ses mains. Nous n'en voulons plus, et nous n'avons que faire de l'annonce d'un nouveau président : nous avons simplement droit à un gouvernement qui nous représente, qui fasse appliquer la justice, et les objectifs de cette révolution que les militaires font mourir à petit feu.»

Dans l'avenue Mohamed-Mahmoud, où se tient la police anti-émeute, une détonation, puis un mouvement de foule, et une nouvelle vague de gaz... Dans les rues adjacentes, les manifestants entrent et sortent du brouillard, se tenant les yeux et la bouche, couverte d'un petit masque blanc ou d'un masque à gaz. Sur la place, les manifestants refluent, puis reprennent leur position.

Ici, vingt jeunes défilent en hurlant à tue-tête, réclament justice pour leur frère, l'un des martyrs tués quelques jours plus tôt, dont ils exhibent le portrait. Là, un petit groupe discutent autour d'un cheikh. A côté d'eux, trois jeunes « islamistes » (largement minoritaires sur la place) veillent à ce que rien ne vienne perturber l'échange. Au milieu de la place, sur le terre-plein, dans des tentes faites de bâches en plastique et de draps blancs, des bénévoles soignent et donnent à manger à ceux que les jours passés au milieu des effluves de gaz lacrymogène ont complètement épuisé.

Parfois, une ambulance traverse la place, emportant un blessé. «Vous voyez, explique Nassima, 25 ans, les analystes de ce pays expliquent que l'armée est le dernier recours, car il n'y a plus rien qui tient debout dans ce pays. Ils craignent le chaos. Mais regardez : nous y sommes, dans ce chaos, et il faut maintenant reconstruire sur les bases de cette révolution. C'est ce que le conseil de l'armée devait faire, nous permettre d'avoir une nouvelle constitution. On a voté pour cela. Mais depuis, rien : on attend toujours qu'il nous rende justice.»

Place Tahrir, dans la nuit de mardi à mercredi.  
Place Tahrir, dans la nuit de mardi à mercredi.© (P.Puchot)
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22 novembre 2011 2 22 /11 /novembre /2011 16:03

Le Monde - 22 novembre 2011

 

Dans la géographie de la révolution égyptienne, après l'iconique place Tahrir, il faudra réserver une place de choix à la rue Mohamed Mahmoud. Cette artère de moyenne taille, qui débouche sur la grande esplanade du centre du Caire est depuis trois jours le théâtre de combats acharnés entre les insurgés et les unités anti-émeutes de l'Amn Al-Merkazi, la Sécurité centrale.

On peut trouver sur le blog The Arabist une vidéo qui donne une bonne idée de l'atmosphère de quasi-guérilla urbaine qui règne dans cette rue, que les activistes sillonnent avec des masque à gaz, des foulards et toute une série de produits dont ils s'aspergent le visage pour combattre l'effet irritant des gaz lacrymogènes :

 

La dynamique de l'affrontement repose sur un double soupçon. Les révolutionnaires accusent les forces de l'ordre d'attendre le moindre signe de relâchement de leur adversaire pour investir la place Tahrir, comme elles l'ont déjà fait samedi et dimanche après midi. Dans la logique du No Pasaran "(Ils ne passeront pas"), le cri de ralliement des républicains durant la guerre civile espagnole, les activistes égyptiens bloquent le début de la rue, où se situe l'ancien campus de la prestigieuse AUC, l'Université américaine du Caire, dont bon nombre d'activistes sont diplômés, comme la fameuse Gigi Ibrahim.

De son côté, la police qui redoute que les manifestants n'aient l'intention de prendre d'assaut le ministère de l'Intérieur, qui est situé juste à côté et qui est l'un des symboles les plus honnis de l'ancien régime, se refuse elle aussi à abandonner ses positions. Résultat, les deux camps se livrent depuis samedi à un jeu de gagne-terrain sanglant. Quand l'un recule, l'autre avance et vice-versa. Pas de ballon, bien sûr dans cette partie, mais des pierres et des cocktails molotov d'un côté, du gaz lacrymogène et des balles en caoutchouc de l'autre.

Le seul gagnant dans cette affaire est Mohamed Mahmoud, l'homme qui a donné son nom à la rue et qui s'offre depuis trois jours, une tardive renommée. Il s'agit d'un dissident du Wafd, le grand parti nationaliste des années 20-30, qui fut Premier ministre à deux reprises, sous le roi Fouad puis son fils Farouk 1er.

Benjamin Barthe

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22 novembre 2011 2 22 /11 /novembre /2011 15:57

Le Monde - 22.11 | 09h17

 

Pour la troisième journée d'affilée, policiers et manifestants réclamant le départ du pouvoir de l'armée se sont affrontés lundi sur la place Tahrir du Caire sur fond de crise politique avec la démission du gouvernement intérimaire. Les mouvements qui étaient à la pointe des journées révolutionnaires de l'hiver dernier ont appelé à une mobilisation la plus forte possible pour la journée de mardi.
Lundi, vers minuit, quelque 20 000 personnes restaient massées sur la place Tahrir du Caire, haut lieu de la contestation anti-Moubarak. Des milliers d'autres manifestants étaient également présents dans les rues adjacentes.
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21 novembre 2011 1 21 /11 /novembre /2011 12:43
| Par La rédaction de Mediapart

Plusieurs milliers d'Egyptiens occupent la place Tahrir au Caire pour exiger la fin de la tutelle militaire sur le pouvoir, à une semaine des premières législatives depuis le départ de Moubarak. L'AFP rapporte qu'ils scandent notamment «Le peuple veut l'exécution du maréchal» Hussein Tantaoui, qui dirige l'Egypte dans les faits sinon sur le papier. Les violences entre la police et les manifestants – tirs de fusil contre cocktails Molotov – ont fait vingt-deux morts à Tahrir et dans d'autres provinces, a annoncé ce lundi 21 novembre le ministère de la Santé, cité par l'agence officielle Mena. Les affrontements se poursuivent autour de la place.

L'agence officielle Mena évoque également des défilés de protestation à El-Arich, dans le Sinaï et à Ismaïlia près d'Alexandrie. D'autres ont eu lieu à Qena, dans le centre du pays, à Assiout ainsi qu'à Suez, près de la mer Rouge où les militaires ont dispersé le cortège en tirant en l'air. Dimanche, plus de cinquante personnes ont été arrêtées.

Le site du Nouvel Observateur diffuse des vidéos transmises par le journaliste Amr Moussa:

 

 

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21 novembre 2011 1 21 /11 /novembre /2011 12:39

 

Des dispensaires de fortune ont accueilli de nombreux manifestants en proie à des malaises ou suffocants en raison des tirs intensifs de grenades lacrymogènes par la police anti-émeutes.

 La place Tahrir, encore et toujours

Si le cinéaste Youssef Chahine était encore de ce monde et qu'il avait filmé son pays depuis le 25 janvier, date du début de la révolution égyptienne, peut être aurait-il appelé son film "La place Tahrir, encore et toujours", en guise de clin d'oeil à l'un de ces précédents long métrages "Iskanderya, kamen wa kamen" traduit en français par "Alexandrie, encore et toujours".

Car l'immense esplanade du centre du Caire, vitrine du soulèvement de janvier dernier, est redevenu le coeur battant de la révolte. Samedi et dimanche, au prix de combats acharnés contre les unités anti-émeutes de la police, les sans-culottes égyptiens ont récupéré leur quartier général.

 

 

A vrai dire, ils ne s'en étaient jamais beaucoup éloignés. A plusieurs reprises, ils avaient réinvesti Tahrir, pour donner un coup d'accélérateur à leur revendications. Mais depuis vendredi, date d'une manifestation de masse contre le CSFA (conseil suprême des forces armeés), l'assemblée de hauts gradés qui pilotent la transition et qui est accusée de trahir la révolution, un parfum de déjà-vu flotte sur la place.

Il y a le service d'ordre qui filtre les entrées, les rues dépavées pour alimenter les shebabs (jeunes)  en projectiles, les effluves de gaz lacrymogène qui irritent la gorge en permanence, les tentes des irréductibles qui passent la nuit sur le bitume. Il y a les tribuns d'un jour qui haranguent la place, juchés sur une estrade de fortune et qui transforment la place en une gigantesque agora, et puis aussi la mosquée du coin transformée en hôpital de campagne, les petites mains dévouées qui balaient les trottoirs et d'autres qui distribuent des bouteilles d'eau... Autant d'images emblématiques du soulèvement de janvier-février, qui repassent devant les yeux, avec une force d'incarnation intacte. On ré-entend même le slogan fondateur de la fronde anti-Moubarak ("le peuple veut la chute du régime"), comme si après l'avoir décliné de multiples manières ("le peuple veut la fin des procès militaires"/"le peuple veut la fin des privatisations"...), les manifestants étaient parvenus à la conclusion que la version originale reste la meilleure et la plus pertinente. Tant il est vrai que le régime d'avant le 25 janvier - ses hommes, ses pratiques et son état d'esprit - est loin d'avoir disparu. Frappés par cette sensation de remake, certains manifestants parlent désormais des journées de samedi et de dimanche comme des 19ème et 20ème jours de la révolution, qui en comptait jusque là 18...

La dynamique révolutionnaire va-t-elle repartir de plus belle et forcer le CSFA à reporter la tenue de la première phase des élections, prévue lundi prochain ? On le saura dans les prochains jours. Une chose est sûre : si le volcan égyptien se réveille, Tahrir sera son cratère.

Benjamin Barthe

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19 novembre 2011 6 19 /11 /novembre /2011 18:25

LEMONDE.FR avec Reuters et AFP | 18.11.11 | 14h57   •  Mis à jour le 18.11.11 | 21h31

 
 

 

50 000 Egyptiens rassemblés place Tahrir, vendredi 18 novembre.

50 000 Egyptiens rassemblés place Tahrir, vendredi 18 novembre.REUTERS/MOHAMED ABD EL GHANY

Plus de 50 000 Egyptiens ont afflué vendredi 18 novembre sur la place Tahrir, au Caire, pour exiger que l'armée transfère rapidement le pouvoir à un gouvernement civil. Libéraux et islamistes font front commun contre un texte présenté au début du mois par le Conseil suprême des forces armées (CSFA) accordant à l'armée l'autorité exclusive de la gestion de ses affaires et de son budget. Il ferait de l'armée un potentiel contre-pouvoir.

Une quarantaine d'associations et de partis politiques ont appelé à la manifestation pour "protéger la démocratie et le transfert du pouvoir" après l'échec des négociations entre le CSFA d'une part et les islamistes et libéraux d'autre part. Ce différend menace l'organisation des élections législatives, dont la première phase doit débuter le 28 novembre.

 LA PLACE DIVISÉE

Le rassemblement massif, qui a commencé jeudi soir, rappelait par son ampleur ceux du soulèvement populaire qui a fini par renverser le président Hosni Moubarak le 11 février. "Le gouvernement veut-il humilier le peuple ? Le peuple s'est révolté contre Moubarak et se révoltera contre la Constitution qu'il veut nous imposer", a lancé au micro un membre d'un groupe salafiste. Les partis et mouvements salafistes, partisans d'un islam rigoriste, ont été les premiers à appeler à la manifestation contre le projet du gouvernement militaire. Ils sont arrivés au Caire par milliers, venus de différentes régions du pays.

 

Si l'appel à manifester était unifié, la place Tahrir s'est divisée entre, d'un côté, le parti Liberté et justice des Frères musulmans, favori des futures élections, et de l'autre leurs rivaux salafistes, divisés en plusieurs partis. Chacun avait sa scène, ses discours et ses chants. Seule la prière du vendredi a été l'occasion d'une manifestation d'unité. "Nos objectifs sont les mêmes, mais il y a des différences entre nous en tant que groupes islamistes", faisait remarquer Abdullah Galil, un jeune salafiste. Les libéraux et partis de gauche étaient plus discrets.

Dans le port d'Alexandrie, des milliers d'islamistes et d'organisations de jeunesse ont également manifesté et prévoyaient de se diriger vers une base militaire pour montrer leur opposition à l'armée.

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2 novembre 2011 3 02 /11 /novembre /2011 11:55
Libération -02/11/2011

Blog Cris d'Egypte Aujourd'hui à 11h16 (Mis à jour à 11:46)

Alaa

Alaa Abdel Fattah

Le Caire, 31 octobre 2011. Le 9 octobre dernier, des manifestants coptes (chrétiens d'Egypte) manifestaient devant Maspero, le bâtiment de la Radio-Télévision égyptienne, quand leur sit-in paisible se transforma en carnage.

On compta alors 28 morts, écrasés par les chars de l'armée égyptienne ou tués par balle. Les corps transportés à la morgue sont fracassés, déchiquetés.

Alors que les événements se déroulent sous ses fenêtres, la télévision d'Etat diffuse le message suivant: «les coptes attaquent l'armée, nous demandons aux citoyens honorables d'aller défendre leur armée égyptienne magnifique». Surgissent alors au milieu des manifestants des civils armés de battes et de sabres, réunis pour défendre leur "armée magnifique". L'autopsie révélera plus tard qu'une des 28 victimes est morte égorgée.

Cette fois, pense-t-on, l'armée ne pourra pas se défiler, nier les faits. Ceux-ci ont été diffusés sur les chaînes du monde entier. Mais plus le Conseil Supérieur des Forces Armées se trouve acculé et plus sa répression est dure et tissée d'accusations mensongères. 

Le 30 octobre 2011, trois accusés figurent dans le dossier de l'enquête qui s'ouvre ce jour là: Mina Danial, Alaa Abdel Fattah et Bahaa Saber.

Mina Danial, un blogueur âgé de 20 ans, est mort le soir des événements, d'une balle dans la tête.

Après interrogation, Bahaa Saber est relâché. Reste alors Alaa Abdel Fattah, accusé «d'agression, d'incitation à la violence et de vol d'armes à feu».

Alaa, activiste, informaticien et blogueur, né au Caire en 1981, est une figure emblématique de l'opposition et de la blogosphère égyptienne qu'il structura dès ses premiers pas, en créant avec son épouse, Manal Hassan, un aggrégateur de blogs qui permit à chacun de s'informer et d'observer la croissance d'une force politique d'opposition, libre et engagée.

Incarcéré une première fois en 2006 dans les geôles de Moubarak, Alaa se trouve à nouveau détenu. Hier soir, il nous a fait parvenir une lettre. La voici.

 

Retour aux geôles de Moubarak
par Alaa Abdel Fattah

Jamais je n'aurais cru revivre mon experience d’il y a cinq ans. Après la révolution qui eut raison du tyran… retourner à ses geôles?

Tous mes souvenirs de détenu me reviennent; se coucher sur le sol, vivre à 9 dans une cellule de 2 mètres sur 4, écouter les chansons et les conversations de zonzon. Je ne me souviens plus de ce que je faisais pour garder, durant mon sommeil, mes lunettes à l’abri. Elles ont été pietinées trois fois depuis ce matin. Je réalise que ce sont les mêmes lunettes qui m’ont accompagnées lors de ma première incarcération en 2006, quand je fus arreté pour avoir appelé de mes vœux un système judiciaire indépendant.

Me voilà à nouveau enfermé sur la base d’accusations creuses et sans fondement; la seule différence, cette fois-ci, c’est que nous n’avons plus à faire au Procureur de la Sécurité d’État, mais au Procureur Militaire – un changement en harmonie totale avec la période militaire que nous traversons.

La fois précédente, je partageais mon incarceration avec 50 camarades du Mouvement “Kefaya” (Assez). Cette fois, je suis seul. M’accompagnent dans l’épreuve huit détenus. On opprime, ici, le coupable comme l’innocent.

Quand ils apprirent que j’étais un “jeune de la révolution” ils se mirent damner cette revolution qui n’a pas été fichue de mettre l’Intérieur “au pas”. J’ai passé les deux premiers jours à écouter leurs histoires de torture aux mains de notre police résolue à rester ce qu’elle a toujours été, résolue à prendre sa revanche sur les corps des plus démunis et des laissés pour compte, qu’ils soient, eux aussi, coupables ou innocents.

De leurs histoires je découvre l’envers du décor du “retour à la normale” et de la “sécurité” dans nos rues. Deux de mes co-détenus sont là pour la première fois. Ce sont des jeunes hommes ordinaires, dénués de toute forme de violence. De quoi les accuse-t-on? D’association de malfaiteurs! Abou Malek serait donc une association de malfaiteurs à lui tout seul… et armée, qui plus est! Je comprends mieux alors les déclarations dont nous abreuve le Ministère de l’intérieur sur son combat réussi contre l’insécurité! Compliments.

Pendant les rares heures de la journée où les rayons du soleil pénètrent dans notre cellule habituellement plongée dans le noir, nous lisons les inscriptions d’un ancien détenu, gracieusement calligraphiées. Quatre murs recouverts de bas en haut de versets du Coran, d’invocations et de pensées intimes. On y lit les paroles d’un homme qui veut se repentir. Le lendemain, nous découvrons, dans un coin, la date d’exécution du détenu inconnu. Nous pleurons.

Les condamnés se consolent dans le repentir, mais de quoi se console un innocent?  

Je laisse libre à cours à mes pensées en écoutant la radio. J’écoute le discours d’un Général à l’occasion de l’inauguration du “drapeau le plus haut du monde” — qui, sans aucun doute, battra tous les records. Je m’interroge si le record de l’insolence n’a pas été battu par mes accusateurs quand ceux-ci ont inscrit le nom de Mina Danial tout en haut de la liste des personnes accusées d’avoir “incité à la violence”? Sans doute sont-ils les premiers à tirer sur un homme, à cracher sur sa tombe et à accuser son cadavre de meurtre. Ou serait-ce plutôt ma cellule qui remporterait le record mondial du nombre de cafards au metre carré? Abou Malek me tire de ma rêverie: “Je te le jure devant Dieu, soit cette révolution rend justice aux opprimés, soit elle échoue”.

Alaa Abdel Fattah
Le troisième jour, 1er novembre 2011
Cellule numéro 19, Prison d’Appel de Bab el Khalk,
Le Caire, Egypte 

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