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25 août 2013 7 25 /08 /août /2013 16:50

 

 

 

  Publiée le 24/08/2013 à 22:13

   

Huit militants anti-corrida ont été blessés, dont un gravement, selon les pompiers, samedi lors d’une évacuation par les gendarmes, selon ces militants, alors qu’une centaine d’entre eux avaient envahi les arènes de Rion-des-Landes (Landes) où se tenait une novillada.

Lors de cette action organisée conjointement par Animaux en péril, le CRAC Europe et la Fondation Brigitte Bardot, les militants ont acheté des billets pour prendre place dans les tribunes. Avant le début de la novillada - une corrida avec mise à mort opposant de jeunes taureaux à de jeunes toreros - ils sont conjointement descendus dans l’arène pour former une chaîne humaine tandis que d’autres allumaient des fumigènes.


Les gendarmes sont alors intervenus pour les déloger des arènes et «toutes les blessures sont dues aux membres des forces de l’ordre, il n’y a eu aucun contact avec les aficionados», a assuré Christophe Marie, porte-parole de la Fondation Brigitte Bardot, qui s’est dit «éberlué par cette violence».

«Le colonel-chef de la gendarmerie veut savoir qui est à l’origine des violences, sans doute des responsables des arènes sont intervenus de manière violente», a pour sa part indiqué Jean-Pierre Garrigues, vice-président du CRAC Europe (Comité Radicalement AntiCorrida).

Les pompiers des Landes ont dénombré huit blessés, dont un plus gravement pour un traumatisme crânien qui a été évacué par hélicoptère.

Après avoir été évacués des arènes, les manifestants se sont ensuite dirigés vers le camion qui abritait les jeunes taureaux et c’est à ce moment, selon Christophe Marie, que le manifestant gravement blessé «a été projeté par les gendarmes».

Le Centre opérationnel de la gendarmerie a seulement confirmé que les gendarmes avaient évacué les manifestants des arènes et du camion.

La novillada s’est ensuite terminée et les militants anti-corridas, restés à l’extérieur des arènes ont effectué, selon M. Garrigues, «un sit-in pour empêcher les aficionados de sortir».
«La corrida devient un trouble à l’ordre public. Nous ne lâcherons rien, les militants seront partout et motivés pour faire cesser ces massacres», a-t-il dit.

AFP

 

 

 

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24 août 2013 6 24 /08 /août /2013 13:14

 

 

Le Monde.fr avec AFP

24.08.2013 à 06h32 • Mis à jour le 24.08.2013 à 07h55

 

 

 
 
Le "Guardian" a autorisé le "New York Times" à accéder à une partie des documents transmis par Edward Snowden.

Le journal britannique The Guardian a annoncé vendredi 23 août avoir autorisé le New York Times à accéder à une partie des documents transmis par Edward Snowden sur les programmes de surveillance des Etats-Unis. Dans un court article publié sur son site, le titre explique s'être tourné vers le journal américain, à la suite d'intimidations du gouvernement britannique.

Menacé de poursuites judiciaires s'il n'acceptait pas de faire disparaître ou restituer la copie des documents que le consultant en exil avait remis au journaliste Glenn Greenwald, le Guardian a dû détruire des éléments concernant les services britanniques d'écoutes (GCHQ), le pendant britannique de l'Agence américaine de sécurité (NSA). Or ce sont précisément des copies de ces documents sur le GCHQ qui ont été envoyées au New York Times"hors d'atteinte pour le gouvernement" précise-t-il.

 

 LIBERTÉ DE LA PRESSE MENACÉE

"La collaboration (des deux titres) fait échos au partenariat forgé en 2010 entre le Guardian, le New York Times et le Spiegel lors de la publication de câbles diplomatiques et militaires américains par WikiLeaks", rappelle le journal.

D'après une source proche de l'affaire, l'accord a été conclu il y a quelques semaines. Le site Buzzfeed a rapporté vendredi que Scott Shane, un journaliste du New York Times spécialisé dans les questions de sécurité, devrait publier une série d'articles en septembre, de façon conjointe avec le Guardian.

Dans un éditorial publié mardi, le rédacteur en chef du quotidien britannique, Alan Rusbridger, a estimé que la liberté de la presse était menacée en Grande-Bretagne au vu des pressions du gouvernement, auxquelles s'est ajoutée dimanche l'interpellation à l'aéroport londonien de Heathrow, de David Miranda, le compagnon brésilien de Glenn Greenwald.

 

 

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23 août 2013 5 23 /08 /août /2013 16:41

 

 

Médiapart

Irène Frachon, le médecin qui découvrit la « pharmaco-délinquance »

|  Par Michel de Pracontal

 

 

 

Lanceuse d'alerte du Mediator des laboratoires Servier, Irène Frachon a dû redécouvrir les faits, connus des experts mais recouverts d'une chape de silence, qui établissaient la toxicité du médicament. Ecrire son livre, être « dans la posture de dénoncer les actes de collègues » fut « très inconfortable ».

Irène Frachon n’aurait jamais dû devenir la lanceuse d’alerte du Mediator. Lorsqu’elle publie son livre-récit en juin 2010 – Mediator 150 mg, combien de morts ? – les dangers du médicament de Servier sont connus et démontrés depuis plus d’une décennie. On sait qu’il est apparenté à deux coupes-faims du même laboratoire, l’Isoméride et le Ponderal, retirés du marché mondial en 1997. On sait que le Mediator provoque, comme les deux autres produits, des hypertensions artérielles pulmonaires et des valvulopathies cardiaques. On sait que la molécule toxique est la norfenfluramine, et qu’elle est libérée dans le sang par le Mediator comme par l’Isoméride.

 

Irène Frachon au tribunal de Nanterre, en mai 2012 
Irène Frachon au tribunal de Nanterre, en mai 2012© Reuters

Et pourtant, sans Irène Frachon, il n’y aurait pas d’affaire Mediator. Car les effets du benfluorex, scientifiquement connus, ont été dissimulés sous un lourd couvercle de silence. Silence de Servier, qui n’ignore rien des caractéristiques de son produit. Mais aussi des autorités sanitaires qui ont laissé un médicament inutile et dangereux poursuivre sa carrière en pharmacie. Et ont toléré le tour de passe-passe consistant à vendre un anorexigène comme antidiabétique. Silence acheté à prix d’or par le laboratoire qui a payé certains experts, en a terrorisé d’autres, a mené une stratégie d’influence tous azimuts. Silence scellé par l’inertie générale du système de santé et son incroyable aptitude à ignorer les signaux d’alarme qui se sont succédé sans interruption à partir de 1995.

 Irène Frachon aura été la première à oser soulever ce couvercle de silence. Pour y parvenir, elle a dû réécrire l’histoire du Mediator, ligne par ligne, puisque ceux qui savaient ne parlaient pas. Elle a dû reconstituer, étape par étape, les faits que les experts avaient choisi de taire. De son parcours du combattant, on a surtout retenu le courage d’avoir affronté le groupe Servier, son organisation redoutable et son bataillon d’avocats rompus à la procédure. Mais elle s’est heurtée aussi à un adversaire plus sournois : la rétention d’information, exercée parfois même par ceux qui, en principe, auraient dû être ses alliés.

Le premier déclic a lieu en juin 2006, lorsqu’elle remarque un article de la revue Prescrire qui critique le maintien sur le marché du Mediator, malgré sa parenté avec l’Isoméride. Cet article fait revenir Irène quinze ans en arrière. En 1990-91, jeune médecin, elle a fait son internat à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart, dans le service de pneumologie du professeur Pierre Duroux. Sous la direction de François Brenot et Gérald Simonneau, elle a appris à soigner une maladie du poumon rare et gravissime, souvent fatale, l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP).

En 1991, Brenot et Simonneau ont détecté une série de cas d’HTAP chez des patientes ayant consommé de l’Isoméride, et ont publié leurs observations en 1993. Le travail de l’équipe d’Antoine-Béclère a amorcé le processus qui a conduit au retrait de l’Isoméride et du Ponderal. En 1997, aux Etats-Unis, Heidi Connolly démontre que l’Isoméride produit aussi des valvulopathies cardiaques. La découverte de ce deuxième risque, après celui d’HTAP, entraînera l’élimination des coupes-faims.

Irène Frachon n’a pas vécu personnellement l’histoire de l’Isoméride, même si elle en a conservé un souvenir vivace. De 1992 à 1996, elle travaille à l’hôpital Foch de Suresnes, et ne s’occupe plus guère de l’hypertension pulmonaire. Fin 1996, elle quitte la région parisienne pour rejoindre l’homme de sa vie dans le Finistère. Elle prend un poste d’attachée de recherche clinique au CHU de Brest. Puis elle participe à la création d’un centre de compétence spécialisé dans l’HTAP, qui démarre en 2005-2006.

En février 2007, des collègues de Saint-Brieuc lui adressent une patiente atteinte d’une hypertension pulmonaire sévère, qui souffre aussi d’obésité. En examinant son dossier, la pneumologue découvre que la patiente a pris du Mediator pendant dix ans. Elle repense à l’article de Prescrire. Elle se souvient d’un échange avec Gérald Simonneau, après le retrait de l’Isoméride : « Alors que je me réjouissais et le félicitais d’un combat durement gagné – l’interdiction de l’Isoméride – il s’agaçait de savoir le Mediator, commercialisé par le même laboratoire, maintenu sur le marché, malgré une parenté probable, écrit-elle. Cela m’avait paru incroyable. »

Irène Frachon constate que des cas d’HTAP associés au Mediator ont déjà été notifiés à la pharmacovigilance. Se pourrait-il que l’histoire de l’Isoméride se répète avec le Mediator ? Elle se lance dans une enquête méthodique, qui va devenir une obsession. Un de ses anciens collègues d’Antoine-Béclère, Marc Humbert, lui confirme que le Mediator « reste une préoccupation sans réponse ». Elle apprend que les pneumologues de Béclère « ont bien, ces dernières années encore, relevé quelques observations de femmes souffrant d’HTAP grave – dont l’une ayant nécessité une greffe pulmonaire – exposées au Mediator ».

En réalité, l’équipe de Béclère dispose d’une information nettement plus précise, qui n’est pas mentionnée dans le récit d’Irène Frachon. En 1999, une patiente a été soignée à l’hôpital Antoine-Béclère pour une HTAP, alors qu’elle avait été exposée au Mediator, mais ni à l’Isoméride ni au Ponderal. C’était le premier cas « Mediator pur ».

Dans sa lettre de sortie, datée de juillet 1999, le médecin qui a suivi cette patiente précise : « Le Mediator (benfluorex) est une molécule assez proche de la fenfluramine (molécule de l’Isoméride) avec en particulier un métabolite commun avec la fenfluramine. Cette molécule est classée aux Etats-Unis parmi les amphétamines anorexigènes, et une enquête récente de pharmacovigilance en France a permis d’individualiser 11 cas possibles d’HTAP en rapport avec la prise de cette molécule (mais toujours en association avec des anorexigènes). »  

"Je découvre la réalité du charnier"

Le cas de la patiente de 1999 constitue une preuve très forte du lien entre Mediator et HTAP, et cela n’a pas pu échapper à l’équipe d’Antoine-Béclère. Il est difficile de comprendre pourquoi, lorsqu’Irène Frachon questionne ses anciens collègues en 2007, ce qui apparaît comme une quasi-certitude en 1999 est devenu une « préoccupation sans réponse ».

« Mes collègues m’ont dit avoir fermement alerté l’Afssaps en 1999, mené une enquête auprès de leurs patients sans résultat probant et finalement renoncé, peut-être aussi par lassitude face à Servier, commente la pneumologue. Du coup je me dis que s’ils ont gagné la première manche face au labo, celui-ci a marqué de sacrés points dans la deuxième ! »

En 2008, Irène Frachon cherche à élucider la parenté chimique entre Mediator et Isoméride. Elle met la main sur un document établi par Servier et communiqué en 1998 à l’Afssaps (Agence française pour la sécurité sanitaire des produits de santé, devenus l’Ansm). Ce document précise que le Mediator possède deux métabolites principaux, dont la norfenfluramine, qui est aussi un métabolite de l’Isoméride. D’autre part, elle a lu des articles américains qui montrent que la molécule responsable de la toxicité de l’Isoméride est la norfenfluramine. En bonne logique, cela implique que le Mediator doit avoir les mêmes effets toxiques que l’Isoméride.

 

 

Ce raisonnement, les experts de l’Afssaps l’ont fait dix ans plus tôt. Lors d’une réunion tenu le 30 avril 1998, le Comité technique de pharmacovigilance s’inquiète : « La métabolisation du benfluorex dans l’organisme entraîne la formation de norfenfluramine, métabolite apparenté à la fenfluramine, elle-même impliquée dans l’apparition d’hypertensions pulmonaires graves. »  Six mois plus tard, le Comité technique examine les données d’une enquête sur les effets indésirables du Mediator effectuées par le Centre régional de pharmacovigilance de Besançon. Dans le compte rendu, daté du 10 septembre, on peut lire que « les concentrations de norfenfluramine sont identiques pour des doses équivalentes de fenfluramine et de benfluorex. »

L’Afssaps s’est endormie sur les comptes rendus accablants de 1998. Irène Frachon n’y a pas accès en 2008. Avec l’aide de la pharmacologue du CHU de Brest, Dominique Carlhant-Kowalski, elle finit par retomber sur la conclusion des experts dix ans plus tôt : des doses équivalentes de Mediator et d’Isoméride libèrent la même quantité de norfenfluramine, de sorte que l’on peut s’attendre aux mêmes effets indésirables.

Cette logique n’avait évidemment pas échappé aux dirigeants du groupe Servier, qui ont mis en place de longue date un contre-feu. Irène Frachon va l’expérimenter au printemps 2008, alors qu’un cadre du laboratoire, Pierre Schiavi, est en visite au CHU de Brest. Dominique Carlhant-Kowalski l’interroge sur le Mediator et la norfenfluramine. Schiavi répond par un mail daté du 7 avril 2008, qui affirme : « Mediator 150 mg se distingue radicalement des fenfluramines (et donc de l’Isoméride) tant en termes de structure chimique et de voies métaboliques que de profil d’efficacité et de tolérance. »

La contradiction est flagrante entre le document ancien retrouvé par Dominique Carlhant-Kowalski et le mail transmis par Schiavi, qui exprime la position « officielle » du laboratoire. Pour Irène Frachon, c’est une révélation brutale : « En avril 2008, j’ai compris que je n’étais plus dans la vie “normale », mais en face de la “pharmacodélinquance”.  C'est très dur mentalement d'accepter que l'on a vraiment basculé côté “polar”, tellement c'est inimaginable. Inimaginable d'oser penser que Servier a sciemment exposé les patients pendant des années à des taux dangereux de norfenfluramine, après l'Isoméride. Je pensais que le laboratoire faisait “profil bas” depuis ce premier drame, bien qu'étant passé entre les gouttes. »

Le discours de Servier ne peut cependant pas éliminer les observations. Elles montrent que le Mediator, comme l’Isoméride, provoque à la fois des HTAP et des valvulopathies cardiaques. A Brest, Irène Frachon a repéré une première HTAP sous Mediator en février 2007. Elle en identifie rapidement deux autres. Puis, fin 2007, le cardiologue Yannick Jobic, avec qui elle collabore étroitement, diagnostique une valvulopathie cardiaque chez une femme elle aussi exposée au Mediator.

Ce n’est que le début : en 2008, d’autres valvulopathies sont détectées à Brest. Au cours du premier trimestre 2009, Irène Frachon interroge systématiquement la base de données du CHU de Brest. Elle retrouve une quinzaine de cas. Seulement depuis que le système informatique fonctionne, et pour la seule région brestoise. Combien pour toute la France, depuis la mise en vente du médicament ? Elle réalise l’ampleur du drame sanitaire. « Le printemps 2009 est une deuxième date importante, dit la pneumologue. C’est à ce moment que je prends conscience de l’importance du nombre de victimes. Je découvre la réalité du charnier. »

Dix ans plus tôt, la première valvulopathie associée au Mediator était diagnostiquée par un cardiologue de Marseille, le docteur Georges Chiche. Irène Frachon n’en a pas entendu parler. En effectuant des recherches sur Internet, elle a appris qu’un cas avait été diagnostiqué en Espagne en 2003, et un autre à Toulouse en 2006. Tous deux ont fait l’objet de publications scientifiques. Pas celui de 1999. Il a été signalé à la pharmacovigilance, mais l’information s’est « évaporée » au cours du temps…

Auditionné en 2011 par le sénateur François Autain dans le cadre de la mission d’information sur le Mediator, le professeur Gérald Simonneau lâche cette phrase lapidaire : « En 1999, on rapportait un cas de valvulopathie, un cas d’HTAP, tout le monde savait que le produit dégageait de la norfenfluramine, les diabétologues estimaient que le Mediator était un mauvais produit : la messe aurait dû être dite ! » 

Sauf que cette messe, personne ne l’a dite, pas même l’équipe d’Antoine-Béclère, la première à avoir décelé le danger de l’Isoméride. Et certainement pas l’Afssaps, qui avait pourtant tous les éléments en main pour, au minimum, imposer la suspension de l’autorisation du médicament.

Lorsque, le 7 juillet 2009, Irène Frachon présente ses données devant la Commission nationale de pharmacovigilance de l’Afssaps, l’accueil n’a rien d’enthousiaste. La Commission ne prend aucune mesure de suspension du Mediator et demande de nouvelles études pharmaco-épidémiologiques avant de se prononcer. Pendant l’été, Irène Frachon réalise avec ses collègues du CHU de Brest une étude cas-témoin qui démontre que le Mediator multiplie le risque de valvulopathie par 17.

"l'Ange blanc contre le Bourreau de Béthune!"

« Je la présente à l’Afssaps le 29 septembre 2009, raconte la pneumologue. L’équipe Servier est là, au complet, et descend mon travail, laissant entendre que l’étude est falsifiée. Personne ne moufte. A ce moment, je comprends que je ne serai pas protégée par les autorités de santé, que je suis en première ligne et qu’il n’y a pas de filet de protection. »

Malgré cette situation peu favorable, les résultats d’Irène Frachon sont confirmés par ceux d’une autre étude menée par le laboratoire et d’une troisième de la Caisse nationale d’assurance maladie. En novembre, le Mediator est enfin retiré du marché.

Mais le médecin se rend compte que cette victoire n’est pas suffisante. Le médicament a été retiré en catimini, l’Afssaps a diffusé une information succincte. La pneumologue craint que le silence ne s’installe à nouveau, que les victimes se retrouvent isolées face au rouleau compresseur procédurier du groupe Servier. Elle décide d’écrire un livre pour porter le débat sur la place publique. Charles Kermarec, fondateur des éditions Dialogues, accepte de publier dans un délai très court. Mediator 150 mg, combien de morts ? paraît début juin 2010.

La riposte de Servier ne se fait pas attendre. Quelques jours après la parution, la force de frappe des avocats du groupe se manifeste : un jugement interdit le sous-titre « combien de morts ? » Il faut réimprimer, la référence du livre est modifiée. Effet désastreux sur les ventes en librairie.

 

Gérard Bapt 
Gérard Bapt© DR

Irène Frachon s’attendait à être attaquée par le laboratoire. Elle était moins préparée aux agressions des experts de l’Afssaps, furieux de voir leur rôle exposé au grand jour. Des mails vengeurs fusent. La pneumologue les découvre avec consternation. « Il ne lui manque plus que la cagoule pour nous jouer l’Ange blanc contre le Bourreau de Béthune ! » écrit un membre de la Commission nationale de pharmacovigilance. Un autre lui répond : « Je n’ai pas lu le livre. Je trouve ce procédé calomnieux. Il n’est pas convenable de citer nommément dans un livre. On ne critique pas sans savoir. On n’accuse pas sans preuve… »

Un troisième expert déclare : « Il m’apparaît fondamental que l’agence forme un corps »… Et ajoute à propos de la lanceuse d’alerte : « Pour l’auteur, elle me donne l’impression de ces petits soldats (mais il en a fallu pendant la guerre) qui sont convaincus qu’ils ont tout compris et que si la terre tourne c’est grâce à eux. »

Un autre mail résume ce qui irrite les experts : « Le livre et certains articles de presse grand public accusent l’Afssaps, les commissions et les experts d’avoir fait traîner l’affaire, de n’avoir pas écouté le “whistleblower”, empêtrés qu’ils étaient dans des conflits d’intérêt. Je trouve personnellement scandaleuse cette communication qui donne encore une fois de l’Agence et de tous ceux qui travaillent pour elle une image lamentable. »

C’est à cette occasion qu’Irène Frachon découvre le terme « whistleblower » (lanceur d’alerte) : « Je ne connaissais pas le terme, dit-elle. J’ai cliqué sur Internet et j’ai découvert qu’il existait un statut du lanceur d’alerte. Si je l’avais su au départ, cela m’aurait aidée à légitimer ma démarche. Publier le livre était une transgression profonde des normes de mon milieu professionnel. Entre médecins, on ne se critique pas. Pour moi, c’est très inconfortable d’être dans la posture de dénoncer les actes de collègues. »

En fait, le livre d’Irène Frachon dénonce davantage le fonctionnement d’un système que les agissements d’individus. On y cherchera en vain la liste des acteurs mis en examen par les juges d’instruction du Pôle santé de Paris. Mais il est vrai que jusqu’ici, personne n’avait mis en cause l’Afssaps et les conflits d’intérêt des experts.

Pendant l’été 2010, Irène Frachon vit des moments difficiles. «  J’avais peur que le livre soit étouffé, je m’attendais à un procès par page, raconte-t-elle. Avec mon avocat, j’avais préparé un dossier très précis, des documents pour étayer chaque affirmation. J’ai passé trois mois angoissants, à attendre la fin du délai pour les plaintes en diffamation. »

Une fois n’est pas coutume, le salut viendra d’un politique, Gérard Bapt, député socialiste en Haute-Garonne, qui présidera plus tard la mission d’information sur le Mediator de l’Assemblée nationale. Bapt se saisit du dossier, bombarde de courriers le directeur de l’Afssaps, Jean Marimbert. A force d’insistance, il obtient la divulgation de plusieurs documents importants, notamment les deux rapports de 1998 qui montrent que les experts avaient, dès cette époque, la connaissance des risques du Mediator.

Fin août 2010, Gérard Bapt publie une tribune dans Le Monde qui reprend le titre initial d’Irène Frachon : Mediator : combien de morts ?  L’Afssaps se décide alors à commander à la Cnam une étude de mortalité qui montre que le bilan global du Mediator devrait s’établir entre 500 et 1000 morts. Le Figaro publie ces chiffres mi-octobre 2010. L’affaire est lancée. Les articles de presse et les émissions de télévision se multiplient. Xavier Bertrand, nouveau ministre de la santé, annonce la publication d’un rapport de l’Igas pour le 15 janvier, puis la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du Mediator.

« Sans Bapt, l’affaire aurait pu faire pschitt, estime Irène Frachon. On ne mesure pas la puissance d’intimidation des laboratoires Servier. Ils ont une façon de fonctionner totalitaire, paranoïaque, violente. C’est la Stasi. Ils font peur parce que s’en prendre à eux, c’est s’exposer à une source d’emmerdement maximum. Personne n’a envie de se les coltiner. Ça fait six ans qu’ils dévorent ma vie…»

 

 

 

 

 

 


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22 août 2013 4 22 /08 /août /2013 15:49

 

 

lesinrocks.com

 

22/08/2013 | 11h59

 

Bradley Manning, le 21 août 2013 (Kevin Lamarque/Reuters)

                                                                                                                                                                                                                                                 Mercredi, Bradley Manning a été condamné à 35 ans de prison pour espionnage au détriment des Etats-Unis. Alors que son avocat a annoncé qu’il allait déposer un recours en grâce, le soldat a rédigé une lettre à Barack Obama. “Quand j’ai décidé de révéler des informations classifiées, je l’ai fait par amour pour mon pays”, écrit-il. Voici la traduction intégrale de son texte.

 

La décision que j’ai prise en 2010 est le fruit d’une inquiétude pour mon pays et pour le monde dans lequel nous vivons. Depuis les événements tragiques du 11 Septembre, notre pays est en guerre. Nous sommes en guerre contre un ennemi qui a fait le choix de ne pas nous affronter sur un champ de bataille classique. A cause de cela, nous avons dû adapter nos méthodes pour combattre ces menaces faites à notre mode de vie et à nous-mêmes.

Au début, j’étais en accord avec ces méthodes et j’ai choisi d’aider mon pays à se défendre. Ce n’est qu’une fois en Irak, lorsqu’au j’ai eu accès quotidiennement à des rapports militaires secrets, que j’ai commencé à m’interroger sur la moralité de ce que nous faisions. C’est à ce moment que j’ai pris conscience que dans notre effort pour contrer la menace ennemie, nous avions mis de côté notre humanité. En toute conscience, nous avons choisi de dévaluer le coût de la vie humaine en Irak et en Afghanistan. En combattant ceux que nous percevions comme nos ennemis, nous avons parfois tué des civils innocents. Chaque fois que nous avons tué des civils innocents, au lieu d’en assumer la responsabilité, nous avons décidé de nous retrancher derrière le voile de la sécurité nationale et des informations classifiées afin de ne pas avoir à rendre de comptes publiquement.

Dans notre zèle pour tuer l’ennemi, nous avons eu des débats en interne sur la définition du mot “torture”. Pendant des années, nous avons détenu des individus à Guantanamo sans respecter aucun procédure régulière. Nous avons fermé les yeux sur la torture et les exécutions perpétrées par le gouvernement irakien. Et nous avons laissé passer nombre d’autres actes au nom de notre guerre contre la terreur.

Le patriotisme est souvent invoqué quand des actes moralement douteux sont préconisés par des dirigeants. Quand ces appels au patriotisme prennent le dessus sur les interrogations légitimes, c’est généralement au soldat américain que revient la charge de mener à bien des missions immorales.

Notre nation a déjà traversé ce genre de troubles au nom de la démocratie : la Piste des larmes, l’affaire Dred Scott, le Maccarthysme, Internement des Japonais-américains pour n’en citer que quelques-uns. Je suis convaincu que la plupart des actions menées depuis le 11 Septembre seront un jour perçues de la même manière.

Comme le disait feu Howard Zinn, “Aucun drapeau n’est assez large pour couvrir la honte d’avoir tué des innocents.”

Je sais que j’ai violé la loi. Si mes actions ont nui à quelqu’un ou aux Etats-Unis, je le regrette. Il n’a jamais été dans mes intentions de nuire à qui que ce soit. Je voulais seulement aider. Quand j’ai décidé de révéler des informations classifiées, je l’ai fait par amour pour mon pays, avec un sens du devoir envers autrui.

Si vous refusez ma demande de grâce, je purgerai ma peine en sachant qu’il faut parfois payer un lourd tribut pour vivre dans une société libre. Je serai heureux d’en payer le prix si, en échange, nous pouvons vivre dans un pays basé sur la liberté et qui défend l’idée que tous les hommes et les femmes naissent égaux.

 

Bradley Manning, le 21 août 2013

 

 

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21 août 2013 3 21 /08 /août /2013 13:42

 

 

Médiapart

Philippe Pichon, ex-flic «trop légaliste»

|  Par Louise Fessard

 

 

Ex-plus jeune officier de paix français, Philippe Pichon a été expulsé de la police en mars 2009 pour manquement au devoir de réserve. Depuis, il continue de lutter contre le Stic, un fichier de police « liberticide », rejoint dans ce combat par la Cnil. Jugé à la rentrée pour « violation du secret professionnel », il espère sa réintégration dans la police.

Philippe Pichon, 44 ans, était entré dans la police en 1991 comme « officier de paix » pour « faire chier » ses parents. Fleuristes-décorateurs en banlieue parisienne, ces derniers avaient d’autres ambitions pour leur khâgneux de fils. Pour la famille, on ne sait pas, mais pour ce qui est de la hiérarchie policière, c’est réussi. Mis à la retraite d’office en mars 2009 pour violation du devoir de réserve, cet ex-commandant, décrit comme « brillant » par ses anciens collègues, comparaîtra le 10 septembre 2013 devant le tribunal correctionnel de Paris pour « violation du secret professionnel, accès frauduleux à un système informatisé et détournement d'informations à caractère personnel ». Devant la XVIIe chambre, celle des libertés publiques, qui juge les délits de presse et les affaires policières.

 

Philippe Pichon, août 2013. 
Philippe Pichon, août 2013.© LF

C’est précisément par la presse que le commandant Pichon chut. Le 6 octobre 2008, Backchich publie les fiches du système de traitement des infractions constatée (Stic) de deux « potes de Sarkozy », Jamel Debbouze et Johnny Hallyday fournies par Philippe Pichon à son ami Nicolas Beau, directeur du site d’information. Retapées et «expurgées» des passages les plus diffamants selon Nicolas Beau, les fiches, longues comme le bras, répertorient des faits remontant à 1967. Alors que la durée de conservation légale est limitée à 40 ans pour les infractions les plus graves et 20 ans pour les délits. «Suite à ces révélations, le fichier Stic devait s’effondrer comme un château de cartes, provoquant un véritable séisme dans le monde de la flicaille, écrit Philippe Pichon en septembre 2010, dans un livre coécrit avec le sociologue Frédéric Ocqueteau (Une mémoire policière sale, JCG). Ce serait un formidable débat public, j’en étais sûr. Et puis, finalement rien. Rien avant ma propre mise en cause…»

Pour l’ex-fonctionnaire, il s’agissait d’une utime tentative dans son combat contre le Stic, ce méga fichier des antécédents judiciaires de la police qui fiche aujourd’hui plus de la moitié de la population française (6,7 millions de mis en cause au 1er octobre 2012 et 28,3 millions de victimes au 2 décembre 2008).

Nommé adjoint au chef de service du commissariat de Coulommiers (Seine-et-Marne) en 2005, l’officier est chargé de lui rendre compte du fonctionnement du système Cheops, le portail d’accès aux fichiers de police. Il s’aperçoit que «le volume de consultation ne correspond en rien à l’activité judiciaire» du petit commissariat. Coulommiers, c’était «quatre ou cinq garde à vue par jour et 40 à 50 consultations du Stic !». «Le fichier était utilisé par les agents pour obtenir les coordonnées de la blonde contrôlée dans un cabriolet, ou encore à la demande du président de l’office HLM, du maire adjoint chargé de la sécurité, et du député maire Guy Drut lui-même pour repérer les dissidents». Sans oublier, ajoute-t-il, les fiches qui «alimentaient les journalistes locaux».

Philippe Pichon consigne les illégalités constatées dans un rapport remis début 2007 à son chef de service «qui en fait un classement vertical», puis en désespoir de cause au procureur de la République. Soit un article 40 en bonne et due forme, «un fait rarissime dans la police nationale». «Le parquet a fait une note pour demander une remise dans la légalité, qui a elle aussi fini à la poubelle», soupire Philippe Pichon. La sanction ne tarde pas : l’officier Pichon est muté manu militari à Meaux par son chef de service furibard, le commandant Jean-Marie M. en mai 2008. Le voilà taxé par ce même supérieur de «légaliste», une insulte qui ne manque pas de piquant pour un officier de police judiciaire.

Face à l’inertie de sa hiérarchie, les fiches atterriront chez Bakchich. Mais ni le journaliste, ni le policier ne s’attendaient à la déferlante qui a suivi. Ouverture d’une enquête préliminaire dès le 8 octobre 2008, consultation des fadettes de Nicolas Beau pour remonter jusqu’au flic, deux jours de garde à vue dans les locaux de l’IGPN en décembre 2008 pour Philippe Pichon cueilli «sirènes hurlantes» chez lui, la mise à la retraite d’office par Michèle Alliot-Marie en mars 2009 (confirmée en décembre 2011 par le tribunal administratif de Melun), et enfin la découverte du Pôle emploi «où je n’appartenais à aucune case et n’avait même pas le droit au RSA»*. «Comme il écrivait bien et que c’était un formidable enquêteur, je l’ai embauché comme pigiste quelques mois à Bakchich, se souvient Nicolas Beau. Mais, il est fait pour être flic ou écrivain. C’est quelqu’un qui aime vraiment l’institution policère.» Au passage, l'enquête préliminaire montre que sur la période du 1er janvier au 5 octobre 2008,  quelque 610 fonctionnaires ont consulté la fiche de Jamel Debbouze et 543 celle de Jean-Philippe Smet, alias Johnny. Seul Philippe Pichon sera poursuivi au pénal.


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*Un officier mis à la retraite d’office ne touche sa pension qu’à 58 ans, mais dans l’intervalle est toujours considéré comme fonctionnaire ce qui bloque tout droit aux allocations.

Stic : 40% d'erreurs

 

La fiche Stic de Johny Halliday telle que publiée par Bakchich.  
La fiche Stic de Johny Halliday telle que publiée par Bakchich. © DR

Si c’était à refaire, Philippe Pichon ne referait «certainement pas». D’abord à cause des conséquences dans sa vie professionnelle et familiale : sa fille de 8 ans questionnée à l’école, les articles «à charge» de la presse locale, la vente de sa maison et de celle de sa compagne pour maintenir le bateau à flot, etc. Mais surtout parce que «les citoyens s’en foutent» et que ma «dénonciation n’a rien changé à la réalité», lance-t-il amer. «A la fin des fins, son action a servi l’Etat de droit, il a anticipé sur les conclusions très critiques d’un rapport de la Commission nationale informatique et liberté (Cnil) sur les fichiers de police», nuance son avocat Me William Bourdon.

En janvier 2009, la Commission nationale informatique et liberté (Cnil) a en effet largement confirmé ses dires : 83 % des fiches contrôlées par l’autorité indépendante (à la demande de ceux qui y étaient fichés) comportaient des erreurs ou des informations illégales. Ennuyeux pour un fichier utilisé par les préfectures pour autoriser l’accès à près d’un million d’emplois dans la sécurité privée ou la fonction publique, ainsi que pour traiter des demandes de titres de séjour et de naturalisation.

Nouveau rapport de la Cnil en juin 2013, qui indique avoir fait procéder à une rectification d’« informations déterminantes » dans près de 40 % des cas. Et le futur traitement des antécédents judiciaires (TAJ), censé remédier aux maux du Stic et son équivalent gendarmesque le Judex, héritera de ces erreurs, le ministère de l’intérieur n’ayant pas apuré les fiches existentes. «On s’aperçoit avec du recul que le combat de Pichon était légitime, même s’il l’a conduit maladroitement et de façon provocatrice», salue son ancien supérieur, le général de gendarmerie Jacques Morel, 67 ans, ex chef de l’office de lutte contre la délinquance itinérante.

La sanction est plus que sévère. « Les autorités judiciaires engagent exceptionnellement des poursuites pour des faits d’atteinte au secret professionnel concernant des policiers lorsqu’ils ne s’accompagnent pas de contreparties. Encore s’agit-il le plus souvent d’un rappel à la loi… » , rappelle une autorité en la matière, le commissaire Martial Berne de l’inspection générale des service (IGS) dans la Tribune du commissaire de décembre 2008. Dans une lettre anonyme envoyée à Me William Bourdon en juillet 2012, un haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur assure que Pichon a surtout payé sa « réputation d'officier atypique».

En mai 2007, Libé titrait déjà «Poulet grillé» son portrait de Pichon qui, après un recueil de poèmes et une biographie de Saint-John Perse, venait de publier le journal de ses années 90 en Seine-Saint-Denis (Journal d’un flic, Flammarion, mars 2007). Décrit comme «leader charismatique, voire chef de meute» dans une notation annuelle, il y a dirigé jusqu’à 650 policiers, unités mobiles de sécurité, brigades anticriminalité et motards compris. A la même époque, il crée la section poésie de l’association artistique de la préfecture de police de Paris «en hommage à Louis Amade, préfet poète, parolier de Gilbert Bécaud».

«Mes plus belles années de police, assure Philippe Pichon. On était en pleines violences urbaines, mais à l’époque le taux d’encadrement était nettement plus conséquent qu’aujourd’hui. Il y avait un gradé pour cinq gardiens de la paix et des inspecteurs qui savaient rédiger des procédures.» Un des ces anciens subordonnés à la circulation, Gérard Bertrand, 68 ans, se souvient «d’un excellent officier, proche de ses hommes, qui prenait ses responsabilités et voyait tout de suite ce qu’il fallait faire sur le terrain».

Sanction disproportionnée

Fin 2006, le ministre de l’intérieur Sarkozy, inquiet de «la publicité tapageuse attendue autour de la parution» de Journal d’un flic, indique à la hiérarchie policière qu’il «n’est pas question d’envisager une médiation » avec «cet officier atypique». L’officier est de fait dans le collimateur du futur président de la République et de son bras droit, Claude Guéant, depuis son passage par le commissariat de Saint-Tropez entre mai 2001 et février 2002, où il a eu le tort de fourrer son nez dans la gestion de l’urbanisme du maire RPR d’alors, le pasquaïen Jean-Michel Couve.

L’enquête n’aboutit pas mais elle lui vaudra les foudres de son chef de service, Pierre-Olivier Mahaux un commissaire ancien conseiller municipal (CNI) de Neuilly-Sur-Seine recyclé dans les réseaux Sarko. Jusqu'alors extrêmement bien noté et décrit par sa hiérarchie comme un « brillant officier, intègre et responsable », Philippe Pichon voit son avancement arrêté après son affectation à Saint-Tropez.

«Il a davantage payé ses bouquins et le fait de ne pas vouloir s’écraser que les faits reprochés», estime Me Henri Coulombie, un avocat montpelliérain avec qui Philippe Pichon travaille aujourd’hui. Car l’ex-flic, après avoir traversé une passe très difficile, a monté sa boite de conseil en droit de l’urbanisme, «EIRL Philippe Pichon conseils», enregistrée à Meaux en novembre 2012. Les deux hommes se sont rencontrés… sur un dossier d’urbanisme tropézien. «Nous conseillons tous les deux un client lésé qui a tout perdu et dont le dossier est difficilement compréhensible en l'absence d'un système de pots-de-vin lié à l'ancienne municipalité», lâche Me Henri Coulombie.

Malgré une procédure disciplinaire à la légalité douteuse *, la Cour administrative d’appel a rejeté le 18 juin 2013 le recours de l’ex policier. «Compte tenu notamment de la gravité de cette faute, des fonctions et du grade détenu par l’intéressé, du comportement qu’il a initialement adopté dans cette affaire, la sanction disciplinaire de mise à la retraite d’office, alors même que l’intéressé n’a jamais fait l’objet de sanctions antérieures, n’est en l’espèce pas manifestement disproportionnée», ont estimé les juges. Philippe Pichon s’est pourvu devant le Conseil d’Etat et a pris un nouvel avocat spécialisé, Me Patrice Spinosi.

Son avocat au pénal Me William Bourdon ne comprend pas que «par les temps qui courent, on se prive d’un grand serviteur de la République». Il aimerait que le policier bénéficie d'«une forme d'exception de citoyenneté, c'est-à-dire une nouvelle forme d'état de nécessité (qui autorise une personne à commettre un acte illégal pour se sauver d'un danger imminent, ndlr)». Le 25 mars 2013, le tribunal correctionnel de Paris a ainsi relaxé six militants antipub du collectif des déboulonneurs poursuivis pour avoir inscrit des slogans sur des panneaux publicitaires Decaux dans le métro et avoir refusé le prélèvement ADN. Les juges ont estimé que ces dégradations «légères» avaient été commises en «état de nécessité», les militants ayant en vain tenté «d’alerter les pouvoirs publics» et «d’utiliser la voie législative pour réduire les effets nocifs des affiches publicitaires dans l’espace public».

Sollicité en novembre 2012, le cabinet du ministre de l’intérieur Manuel Valls nous avait répondu qu’il «fallait laisser la justice faire son travail ». Et refuse désormais de commenter. «Un argument spécieux, puisque d’un point de vue administratif Pichon peut être réintégré du jour au lendemain s’il y a une volonté politique», rétorque le magistrat Xavier Lameyre, secrétaire de l'association de soutien à l'action de Philippe Pichon (ADSAAP). Et les exemples ne manquent pas : du policier de Noisy-Le-Sec qui avait tiré sur un malfaiteur en fuite recherché par la police, le tuant d'une balle dans le dos, et a conservé son traitement, aux 17 policiers de la BAC Nord mis en examen, les uns pour « infractions à la législation sur les stupéfiants », les autres pour « vols et extorsion de fonds en bande organisée », tous réintégrés en janvier 2013.  

A chaque fois, grâce à la montée au créneau des puissants syndicats policiers qui n’ont pas particulièrement brillé dans la défense de l’officier Pichon. Dans son cas, les représentants du personnels avaient même voté à l'unanimité avec ceux de l’administration en conseil de discipline sa mise à la retraite d'office. Après coup Jean-Marc Bailleul, l’actuel secrétaire général du syndicat des cadres de la sécurité intérieure qui n'avait pas voté, reconnaît que la sanction était «disproportionnée». «Les flics condamnés au pénal et qui n’ont pas perdu leur poste ne sont pas rares non plus, affirme Philippe Pichon. Rien que dans mon service à Coulommiers, j’en avais deux, condamnés pour des violences familiales». 

Mais la police n'aime pas ses «whistleblowers». Témoins récents les enquêteurs de la brigade canine de Seine-et-Marne mutés de force en novembre 2012 après avoir dénoncé des dérives dans leur service ou encore l’ancien policier de la BAC Nord de Marseille qui avait dénoncé les pratiques de ses camarades, révoqué en août 2012. «Il y a une espèce de chape de plomb sur ce ministère, se lamente Xavier Lameyre. C’est fou que les personnes qui dénoncent honnêtement les dysfonctionnements soient celles rejettées, exclues, harcelées.» Alors que ses amis lui conseillent de faire profil bas, Philippe Pichon conclut un sourire aux lèvres : «Ma chance serait qu’un jour un gouvernement de gauche arrive au pouvoir».

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* Deux policiers de l’IGPN ont été entendus le 15 avril 2013 comme témoins assistés par la juge d’instruction parisienne Sabine Kherys suite à une plainte déposée par Philippe Pichon pour « faux en écritures publiques » par « dépositaires de l’autorité publique » (un crime passible des assises) et « violation du secret de l’enquête et de l’instruction ».

 

 

Lire aussi

 

 

 

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20 août 2013 2 20 /08 /août /2013 13:05

 

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PARIS: Des agriculteurs vont vendre 50 tonnes de fruits et légumes au "juste prix" | Nature to Share | Scoop.it

Des fruits et des légumes au "juste prix". C'est le but d'une action des agriculteurs du Lot-et-Garonne qui dénoncent les "marges excessives de la grande distribution".

 

Le syndicat Modef a décider de vendre 50 tonnes de fruits et légumes à Paris et en proche banlieue jeudi 22 août. Tomates, melons, prunes, poires, salades, nectarines et pommes de terre seront vendues "en direct" à partir de 8h sur la Place de la Bastille et dans 25 villes de banlieue dont Ivry, Villejuif, Montreuil, La Courneuve.

 

Les tomates qui sont ainsi vendues 3 euros le kilo en grande surface sera au "juste prix par circuit court" de 1,70 euros, a expliqué Raymond Girardi, secrétaire général du Modef. Le kilo de nectarine à 2,20 euros, au lieu de 4 euros environ.

 

Les producteurs devraient ainsi bénéficier d'une "une marge normale". Raymond Girardi dénonce dans la grande distribution des "marges excessives que rien ne justifie" malgré les mauvaises conditions climatiques du printemps, et qui "freinent la consommation" de fruits et légumes en France.

 

Selon une étude de Familles rurales publiée cette semaine, les prix des fruits et légumes ont atteint des sommets cette année, sous l'effet du climat maussade du printemps. Le prix moyen des fruits a flambé cet été de 14% et celui des légumes de 17% par rapport à l'an dernier, avec des pointes à plus de 30% pour certains produits.

 

Le Modef a invité le ministre de l'Agriculture Stéphane le Foll à venir rencontrer agriculteurs et consommateurs sur un des points parisiens de cette opération "solidarité et vérité des prix", que le syndicat réalise depuis une dizaine d'années.

 

Lire aussi:


Vente direct à Paris le 22 août: le communiqué du MODEF

Le site du MODEF: http://www.modef.fr/

 

 

                                                                                 ********************************

 

Liste des points de vente récupérée sur le site du MODEF : lien

 

Points de vente des fruits et légumes du Jeudi 22 août 2013

 

 

 

HAUTS DE SEINE

 

GENNEVILLIERS

  • 9h30 - 10h30 : Agnettes parking Victor Hugo
  • 10h45 - 11h30 : Place du marché du Luth
  • 12h - 13h : Ferme de l’horloge au Village
  • 14h45 - 15h45 : Grésillons face à l’Espace
  • 16h - 17h30 : parvis de la mairie 

 

NANTERRE

  • 9h : quartier du Petit Nanterre (5 allée des Iris)
  • 11h : Quartier Parc Nord (Esplanade Charles de Gaulle) 

 

BAGNEUX

  • 9h30 - 11h : quartier de la Pierre Plate, parking à côté de la piscine 

 

 

SEINE SAINT DENIS 

 

AUBERVILLIERS

  • 17h30 : quartier de la Maladrerie 156 rue Danielle Casanova (angle allée Georges Leblanc)

 

BAGNOLET

  • 10h : quartier Malassis place du 17 octobre 1961, rue Pierre Curie
  • 10h : Centre Sud 78, rue Robespierre (devant la Butte aux Pinsons)

 

 BOBIGNY

  • 10h : Place de la Libération

 

LA COURNEUVE

  • 10h30 : place de la fraternité
  • 12h : restaurant personnel communal
  • 16h à 17h30 : centre commercial Verlaine
  • 18h : Boulangerie Anatole France
  • 18h : Franprix Centre-ville

 

MONTREUIL

  • 17h : Quartier de la Noue- barrière de l’AFUL
  • 17h : place Le Morillon
  • 17h : Quartier Espoir angle rue du Capitaine Dreyfus et av du président Wilson 

 

NOISY LE SEC

  • 17h30 à 20h : au local du PCF, 27 rue Henri Barbusse

 

PANTIN

  • 16h30 : avenue Jean Lolive, en face métro Eglise de Pantin au « mail Charles de Gaulle »
  • 17h : avenue Jean Lolive Métro Hoche, devant centre commercial

 

SAINT-OUEN

  • 17h30 : place Peyret
  • 17h30 : place de la Mairie
  • 18h : devant la boulangerie Vieux Saint-Ouen

 

SAINT-DENIS

  • 18h15 : place Jean Jaurès

 

TREMBLAY EN France

  • 17h : centre-ville, cours de la République
  • 18h : Quartier du vert galant, place du bicentenaire

 

 

VAL DE MARNE

 

La Queue en Brie 

  • 9 h 30 – parking devant la Mairie, Avenue du Maréchal Mortier

 

Vitry  

  • 12 h 00 – Parvis de la Mairie
  • 14 h 00 – Section du PCF : Place de l’église
  • 18 h 00 – Cité Colonel Fabien, près du monument
  • 18 h 00 – Cité Balzac près du centre social
  • 18 h 00 – Quartier du 8 mai 1945, cité Rosenberg (près du marché)
  • 18h – Cité Stalingrad, 133 bd Stalingrad

 

Boissy

  • 10 h 30 - Quartier de la Haie Griselle – rue Gaston Roulleau face au centre Social Michel Catonné.

 

Villejuif 

  • 16 h 00 – Esplanade Pierre Yves Cosnier (face à la mairie)
  • 17 h 00 – Marché d’Ivry, avenue Karl Marx 

 

Valenton  

  • 18 h 00 – Place du Marché

 

Créteil  

  • 10 h 00 – Marché du Mont Mesly - (rue Juliette Savar)

 

Bonneuil  

  • 10 h 00 – Avenue du Colonel Fabien – en face de la Pharmacie.
  • 10 h 00 – Avenue Jean Moulin – devant le laboratoire
  • 10 h 30 – Place de la Liberté
  • 12 h 00 – Mairie.

 

Fontenay  

  • 10 h 30- Dalle de la Redoute cité Romain Rolland
  • 18 h 00 – Esplanade Maximilien Robespierre –Quartier Bois Cadet
  • 18 h 00 – Quartier des Larris
  • 18h00 – Quartier Jean Zay

 

Champigny  

  • 09h30 – Cité Bois l’Abbé, Place Rodin
  • 09 h 30 – Mordacs, Arrêt de bus « avenue du 11 Novembre 1918 »
  • 12h – Mairie (en face de la CAF)
  • 14 h à 16 h – Plateau – Sur le parking, Avenue de Coeuilly
  • 14h30 Quatre cités, Square des impôts
  • 17h Jean Vilar
  • 17 h Boullereaux 

 

Ivry  

  • 8 h 00 – Devant la Mairie 

 

Orly 

  • 11 h00 – 14 h 00 – Section du PCF d’entreprise de l’Aéroport d’Orly – 2 rue Georges Beaudelaire 

 

Chevilly 

  • 18 h 30 à la « Maison pour tous » 23, rue du Béarn.

 

Le Kremlin Bicêtre 

  • 18 h 00 devant la piscine, avenue Charles Gide

 


 

 


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20 août 2013 2 20 /08 /août /2013 12:26

 

 

Médiapart

Jean-Luc Touly, l’insubmersible

|  Par Dan Israel

 

 

Dans le domaine de la gestion de l'eau, Jean-Luc Touly est le plus illustre représentant des lanceurs d'alerte. Salarié de Veolia depuis 1976, syndicaliste depuis 1981, il dénonce de l'intérieur les collusions entre les grands marchands d'eau, les syndicats et les élus. Mais il lui aura fallu vingt ans pour se lancer.

« Ils m’en veulent, mais ils m’en voudront encore plus avec le prochain livre. » Comme toujours, la phrase est débitée calmement et avec le sourire. Mais elle annonce de nouvelles batailles, d’autres empoignades – éventuellement devant les tribunaux – et des heures de discussions fiévreuses, où il excelle. De cet avenir probable, Jean-Luc Touly ne dit rien encore. Il n’y a pourtant aucune raison que son prochain ouvrage, coécrit comme à l’accoutumée avec le journaliste Roger Lenglet et prévu pour fin septembre, ne déclenche pas les mêmes réactions que ses précédentes prises de position publiques, qu’il enchaîne à un rythme frénétique depuis dix ans.

Ses cibles préférées se nomment Veolia (ex-Vivendi, ex-Générale des eaux) et Suez (ex-Lyonnaise des eaux), les géants régnant sur 70 % de la distribution de l’eau potable en France. Mais aussi CGT et FO, syndicats qu’il accuse de vivre en trop bonne intelligence avec certaines grandes entreprises, en raison notamment de petits arrangements financiers. Des cibles qui ne seront, encore une fois, pas épargnées dans le livre à paraître, sobrement intitulé Syndicats – Corruption, dérives, trahisons (éd. First document). Il est vrai que Jean-Luc Touly, dénonciateur à répétition, a une particularité : il est employé de Veolia depuis 1973, et syndicaliste quasiment sans interruption depuis 1981. C’est ce qui fait toute la complexité de l’homme ; et la valeur du militant, devenu une figure incontournable du combat contre la marchandisation de l’eau.

 

Jean-Luc Touly. 
Jean-Luc Touly.

Lutter contre l’opacité des contrats passés entre les mairies et les multinationales de l’eau (fondées en France au XIXe siècle avant de s’implanter partout dans le monde), c’est le combat pour lequel le militant est connu, et aujourd’hui incontournable. Adversaire de l’intérieur, critique très informé des dérives du secteur privé de l’eau, qui vit grâce à de juteuses et très longues délégations de service public, il a endossé l’habit du lanceur d’alerte avant que le terme ne soit à la mode.

Le rôle va comme un gant à ce multi-casquettes, dont la liste de fonctions est impressionnante : délégué syndical depuis plus de trente ans, juge prud’homal depuis 1992, conseiller régional Europe Écologie-Les Verts depuis 2010, conseiller municipal de Wissous (Essonne) depuis 2008, salarié à mi-temps de la fondation France Libertés de Danielle Mitterrand depuis 2004, responsable de l’Association pour un contrat mondial de l’eau (ACME), membre de l’association anticorruption Anticor, ex-membre du conseil scientifique d’Attac !

Jean-Luc Touly est un habitué des déclarations fracassantes, et des tribunaux. Lors de sa dernière visite dans une salle d’audience en mars, il a été condamné à verser un euro symbolique à Veolia (et 1 000 euros d’amende avec sursis) pour diffamation, à la suite de sa participation au documentaire Water makes money, diffusé sur Arte en septembre 2010 et en février 2013. Le film est une charge féroce contre la gestion privée de l’eau, source de factures en constante augmentation et de négligences dans l’entretien du réseau de distribution, et une ode à la remunicipalisation de ce bien de première nécessité.

 

Dès les premières minutes, Touly y raconte son combat, lancé en 2003 avec la publication de son premier livre, L’Eau de Vivendi, les vérités inavouables (éd. Alias), très vite attaqué à la fois par Veolia et la CGT. Le militant déclare dans le film qu’à l’automne 2004, juste avant l’audience, l’entreprise lui a proposé un million d’euros pour se passer de ses services et éviter le procès, générateur de mauvaise publicité. Il a refusé, et selon son récit, a gagné par la suite tous ses procès. C’est pour cette phrase que Touly et les distributeurs du film sont condamnés. Le militant indique que seule la seconde partie de ses propos, sur les procès qu’il a assuré avoir gagnés, a été invalidée par la justice. Car de fait, il avait été condamné en 2004 pour diffamation envers Veolia, déjà à un euro de dommages et intérêts, pour avoir exagéré une de ses attaques. Quoi qu’il en soit, toute sa tirade, y compris le passage sur la proposition de transaction financière, sera supprimée des nouveaux DVD du film.

Touly a fait appel, mais se dit pourtant « tout à fait satisfait » du résultat du procès Water makes money. Il se réjouit notamment que les deux autres passages visés par la plainte, où il accuse Veolia de « corruption » et les élus de « conflits d’intérêts », n’aient pas été condamnés par la justice.

Dérives et corruption

Ces accusations ne sont pas nouvelles. Il en lançait déjà la majeure partie dans son livre de 2003, puis dans sa nouvelle version, enrichie en 2006 et renommée L’Eau des multinationales, les vérités inavouables (éd. Fayard). Ce sont ces deux ouvrages, et le licenciement – finalement annulé en justice – qu’ils lui ont valu, qui ont fait de lui une personnalité publique, et forgé sa stature de lanceur d’alerte. « Le premier livre était un travail axé sur les liens entre Vivendi et les syndicalistes maison, mais je voulais aussi dénoncer les conditions dans lesquelles étaient passés les marchés publics sur la gestion de l’eau », explique l’auteur.

 

 

C’est ce dernier point qui a le plus marqué l’opinion. Les divers aspects de sa dénonciation ont été bien résumés par L’Humanité à l’époque. En s’appuyant sur plusieurs rapports commandés par la Ville de Paris, le livre pointe l’opacité sur les comptes-rendus financiers fournis à la municipalité par Suez et Veolia, qui se partageaient la gestion de l’eau parisienne, jusqu’à sa remunicipalisation en 2010. Il souligne que leurs marges pouvaient dépasser 40 %. Il ressort des oubliettes un audit de 1997 commandé par le Syndicat des eaux d'Ile-de-France (SEDIF, qui regroupe 144 communes, le plus gros contrat de délégation de service public d’Europe), soulignant que le contrat de Veolia, bénéficiaire du marché depuis plus de 80 ans, pourrait être baissé de 30 %.

« Par mes fonctions de responsable administratif et financier pour les contrats du sud de la Région parisienne chez Veolia, j’avais surtout remarqué à partir du début des années 1990 un certain nombre de dysfonctionnements au niveau comptable pour les collectivités locales, raconte Touly. Les frais de personnel facturés étaient largement supérieurs à la réalité, les contrats engrangeaient censément beaucoup moins de bénéfices que dans la réalité, il y avait des surfacturations… Les élus des grandes villes ne pouvaient pas ignorer ces dérives qui duraient depuis des années. Mais Veolia, comme ses concurrents directs, payait des voyages aux élus, ou construisait des stades. » Ce sont ces errements qu’il raconte dans son livre, criant à la corruption.

Parfois, les faits qu’il dénonce à l'époque sont déjà connus depuis plusieurs années. C’est le cas des « provisions pour renouvellement », d’énormes sommes issues des factures des usagers, censées servir à l’entretien du réseau, mais dont l’utilisation réelle n’était pas contrôlée. Ainsi, en 1996, Vivendi transfère des milliards d’euros de provisions dans une coquille off-shore irlandaise. Elle servira à financer la folie des grandeurs du groupe et de son patron de l’époque, Jean-Marie Messier… C’est ce que racontaient dès 1999 plusieurs journalistes, à Enjeux-Les Échos puis au Monde (sous la signature notamment de Martine Orange !).

Il lui a fallu vingt ans pour parler

Touly s’est aussi attaqué de front aux syndicats de Vivendi, choyés par la direction. « Dès 1982, j’ai été élu numéro 2 de la CGT de mon entreprise, rappelle le syndicaliste. Et petit à petit, j’ai découvert des choses bizarres. À Paris, les primes et les indemnités étaient bien plus avantageuses qu’en province. Et dès qu’un délégué syndical devenait permanent, il obtenait systématiquement lors de ses évaluations la note maximale d’un cadre, ce qui lui permettait d’obtenir très vite de l’avancement, et de doubler son salaire en peu de temps. » Et les passe-droits ne semblent pas difficiles à négocier. En 1997, un des responsables syndicaux essaye même de faire embaucher sa belle-fille, à un salaire avantageux, en envoyant Touly discuter directement avec Messier.  « Il s’était gouré de personne, j’ai refusé tout net », rigole encore le militant.

De ces dérives qui le choquent profondément, Touly a gardé un ressentiment marqué envers les responsables syndicaux « achetés » par la direction. Mais il lui aura fallu vingt ans pour les mettre en lumière. « J’ai mis dix ans à réaliser ce qui se passait, et encore dix ans à pouvoir le dire à l’extérieur », résume celui que les sceptiques décrivent parfois comme un « repenti ». Élevé par des parents communistes, il l’explique autrement : « Par réflexe par rapport à ma culture, mon éducation, mes croyances, j’ai fermé ma gueule. Je me disais qu’il fallait prendre l’argent du capitalisme pour le combattre, que ces pratiques restaient raisonnables. » Bref, « le mur de Berlin n’était pas tombé dans ma tête ».

Pour sauter le pas, il lui a fallu croiser le chemin des militants d’Attac au tournant du siècle, puis de Danielle Mitterrand, farouche militante du droit à l’eau pour tous, qui le prend sous son aile. Et enfin le choc du second forum social de Porto Alegre début 2002. « J’ai fait une intervention à la tribune, et ma position de salarié de Vivendi a été très critiquée. On me demandait pourquoi je n’agissait pas en interne… »

Viré, puis réintégré

Sa réponse sera son premier livre. À sa sortie, Le Parisien et L’Humanité lui consacrent de grands articles, relayés quelques jours plus tard par Complément d’enquête sur France 2, puis par Télérama. La machine médiatique est lancée. Car l’homme est un « bon client » pour les journalistes, qui tape sec sur ses adversaires tout en gardant un air affable, qui livre moult anecdotes et documents confidentiels, et qui sait se rendre disponible : il reçoit de constantes sollicitations, et en refuse peu.

Son profil devient rapidement encore plus alléchant pour les caméras : après plusieurs tentatives infructueuses auprès de l’inspection du travail et du ministre du travail, Veolia parvient à virer l’encombrant syndicaliste en mars 2006 pour faute grave, avec l’accord du ministre du travail Gérard Larcher. Mais la cour administrative d’appel impose sa réintégration en mai 2010.

 

Jean-Luc Touly. 
Jean-Luc Touly.

Après 4 ans d’absence (au cours desquels il est embauché par France Libertés), c’est le retour dans l’entreprise… où il travaille désormais environ une heure par mois, selon ses estimations. Certes, il n’effectue plus qu’un mi-temps, car il a gardé un pied dans la fondation créée par Danielle Mitterrand, et il multiplie les délégations syndicales, mais tout de même. La gestion des 90 fontaines municipales que Veolia a conservées à Paris ne remplit pas vraiment un emploi du temps.

Alors, Jean-Luc Touly s’occupe. Constamment. « Parmi tous ceux qui mouillent la chemise sur les questions de l’eau depuis le début des années 2000, il est certainement l’activiste le plus constant, juge son ami Marc Laimé, consultant, militant et ancien journaliste, spécialiste des questions de l’eau. Sur ce terrain, c’est le meilleur. Il ne refuse jamais de sauter dans un train pour aller parler à l’autre bout de la France, quel qu’en soit le coût personnel, devant 20 ou 300 personnes. Cela a énormément participé à son image de marque. »

Comment Veolia justifie-t-elle de lui laisser occuper cet « emploi quasi fictif », selon l'intéressé lui-même ? Mystère, personne dans l'entreprise ne souhaite s’exprimer officiellement sur le cas Touly. En coulisse, il ne faut pourtant pas beaucoup pousser certains cadres pour qu’ils fassent savoir tout le mal qu’ils pensent de cet homme « sans aucune légitimité en interne », dans « une logique de trahison permanente » et qui « instrumentalise des questions importantes » pour sa gloire personnelle, assisté par « un réseau de journalistes » bien entretenu. À noter, Touly, qui refuse tout net de démissionner, a demandé à plusieurs reprises un départ négocié, où il toucherait simplement ses « droits de salarié de l’entreprise depuis plus de trente ans, sans aucune transaction supplémentaire ». Refusé par une direction qui le laisse savourer jusqu’à la lie sa réintégration.


La médiatisation est nécessaire

Du côté des syndicats, c’est peu de dire qu’on ne se bouscule pas pour le soutenir. À la CGT, qu’il a quittée pour Sud avant de devenir délégué syndical FO, et qui se désista jadis in extremis d'un procès qu'elle lui avait intentée, c’est aujourd’hui le silence radio. Mais peu lui ont pardonné ses multiples attaques. La plupart des syndicalistes lui reprochent discrètement de ne pas défendre les salariés, et d’affaiblir son entreprise. Le discours est récurrent chez Veolia. « Il pense peut-être avoir gagné une forme de respect par ses combats constants, mais c’est faux, il agace beaucoup en interne, témoigne un jeune cadre qui l’a côtoyé avant de quitter l’entreprise. Je partage plusieurs de ses positions, je comprends son action, mais pas son positionnement de critique permanente, à l’extérieur de l'entreprise qui plus est. »

Pourquoi ne pas essayer d’agir en interne ? Touly répond qu’il l’a beaucoup fait, luttant notamment avec énergie en province au début de sa carrière, pour aligner le niveau des primes, qui pouvaient représenter plus du quart du salaire, sur celui de Paris. « Mais j’ai fait le constat aujourd’hui que la médiatisation est nécessaire, et utile. À la fois pour faire passer des informations et pour construire des réseaux militants sur tout le territoire. »

Celui qui revendique avoir participé à quelque 1 400 réunions publiques en dix ans assure qu’il a dû combattre une grande timidité. Il avait commencé à la soigner dans un syndicat lycéen, puis en essayant de monter un syndicat d’appelés en Allemagne, durant son service militaire, ce qui lui vaudra trois mois de mitard. Aujourd’hui, aucune trace de cette tare de jeunesse, au contraire. Il est capable de parler de lui et de son combat près de trois heures d'affilée pour une interview, et jubile visiblement en rejouant avec force détails ses multiples passes d’armes contre ses meilleurs ennemis, cadres de multinationales ou élus favorables à la gestion privée.

"A la limite du simplisme"

« On lui reproche une forme de surexposition médiatique, convient d’ailleurs Marc Laimé. Et il s’active de façon tellement frénétique que cela l’empêche parfois d’approfondir certains sujets. » Même son de cloche chez Anne Le Strat, l’adjointe au maire de Paris qui a porté la remunicipalisation de la gestion de l’eau dans la capitale : « Son engagement est très impressionnant, mais ses amis, dont je suis, lui disent qu’il se tient parfois à la limite du simplisme, qu’il fait des amalgames entre des situations qui mériteraient une analyse plus fine. Finalement, ce qui l’amuse le plus, c’est d’être celui qui dénonce. »

Le trublion Touly a en effet du mal à rester dans les cases. Il s’est brouillé en quelques mois avec le maire PS de Wissous, qui l’avait enrôlé sur sa liste aux municipales en 2008, a rédigé un livre critique sur les Verts (Europe Écologie, miracle ou mirage ?, éd. First) deux ans après être devenu conseiller régional, a été viré, puis repris par France Libertés…

Sa liberté de ton fait en tout cas de lui un totem incontournable dans tous les débats touchant à l’eau. En dix ans, lui, Anne Le Strat, Marc Laimé et quelques autres ont largement contribué à réveiller un débat endormi depuis des décennies. Les remunicipalisations sont redevenues à la mode (à Grenoble, Paris, Rennes, ou Bordeaux pour 2018…), les géants du secteur ont dû faire de la place à leurs concurrents (à Chelles ou à Saintes), ou baisser drastiquement les prix (à Lyon, Toulouse, Orléans ou pour les agglomérations du SEDIF).

Un excellent article du site d’Arte présente en détail les récents bouleversements du secteur. Une sacrée avancée pour ces militants. Qui refusent toutefois de se voir qualifier de tenants absolus du secteur public. Touly lui-même reconnaît des contacts – « mais plus aucun depuis 18 mois » – avec Suez, qui a vite compris qu’elle devait intégrer des arguments de ses opposants à son discours et, en partie, à ses actes. Le militant revendique surtout des relations poussées avec les dirigeants de petites entreprises privées du secteur, comme Agur, implantée à Bayonne, ou la Nantaise des eaux, rachetée en 2009 par Gelsenwasser, un groupe privé mais détenu par des collectivités locales allemandes.

Son dirigeant pour la France, Raymond Hernandez, se prévaut d'une « amitié » avec le militant. « Jean-Luc Touly n’est pas un ayatollah de la régie municipale, explique-t-il. Ce qu’il souhaite, c’est que le marché fonctionne dans des conditions de concurrence saine et transparente, qui permettent à tous les acteurs de s’exprimer. » Quitte à donner un coup de pouce à des concurrents, même privés, des géants de l'eau... De quoi en tout cas chambouler le système français, ce monde « constitué depuis des décennies, et qui a conduit à une pérennisation de relations privilégiées entre des opérateurs du secteur et certains élus », comme le décrit poliment Hernandez. Les mots choisis par Jean-Luc Touly continueront à être plus brutaux, le temps qu’il faudra.

 

 

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18 août 2013 7 18 /08 /août /2013 21:10

 

 

Médiapart

|  Par Juliette Chapalain

 

 

 

Elle en savait trop. La divulgation de malversations au sein du ministère des affaires étrangères lui a valu d'être évincée du Quai d'Orsay. Après des années d'acharnement, elle a remporté son procès contre l'État et transformé son traumatisme en un combat pour la protection des lanceurs d'alerte dans la fonction publique au sein de l'ONG Transparency International.

Avril 2013. Trois projets de loi pour la protection de l’alerte éthique émergent enfin en France. Le premier, qui porte sur la transparence de la vie publique, prévoit dans son article 17 la protection des lanceurs d’alerte signalant des « faits relatifs à une situation de conflits d’intérêts ». Le deuxième, dédié à la lutte contre la fraude fiscale, envisage dans son article 9 la protection de ceux qui témoignent de faits constitutifs d’une infraction pénale. Le dernier, relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, doit protéger le signalement « de faits susceptibles d’être qualifiés de conflits d’intérêts » dans son article 3.

« Ces avant-projets de loi, c’est grâce à mon travail de fourmi », se réjouit aujourd'hui la responsable de l’alerte éthique pour l'ONG anti-corruption Transparency International France, elle-même ancienne lanceuse d'alerte dans la fonction publique. La fourmi se nomme “Nicole Marie Meyer”, un nom d'emprunt (voir la Boîte noire). Elle vit au soubresaut des allers-retours des textes législatifs entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Entrée en 2009 à Transparency International, Nicole Marie Meyer « prend à bras-le-corps » la question de l’alerte éthique. Plus qu’un chantier, c’est un désert qu’elle trouve alors. Rien en France ne protège les “lanceurs d’alerte”. L’équivalent français du mot “whistleblower” est encore méconnu. À l'époque, la loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption protège le salarié qui aurait témoigné de faits de corruptions, mais délaisse toute protection de l'agent public.

Pourtant, selon l’article 40 du code de procédure pénale, tout fonctionnaire, qui, « dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Mais en contrepartie, aucune loi ne protège le fonctionnaire qui respecte... la loi. Nicole Marie Meyer ne le sait que trop.

 

Nicole Marie Meyer, ancienne fonctionnaire du Quai d'Orsay, travaille aujourd'hui pour l'ONG Transparency International.
Nicole
 
Marie Meyer, ancienne fonctionnaire du Quai d'Orsay, travaille aujourd'hui pour l'ONG Transparency International.© JC

Années 1990. La fille d’ouvrier originaire de l’est de l’Hexagone, « première de classe de 6 à 18 ans » et diplômée de Sciences-Po Paris, entre au Quai d’Orsay. Elle sera agent contractuel, comme 20 % de la population employée par les trois fonctions publiques (d'État, territoriale et hospitalière), une « main-d’œuvre taillable et corvéable à merci », précise-t-elle. En « bon petit soldat de la République avec des restes de première de classe », Nicole évolue sur des postes « difficiles » mais « de plus en plus prestigieux », et fait partie des rares femmes alors directeurs d’établissement.

Sa notation de fonctionnaire est excellente, jusqu’à ce que Nicole devienne gênante, sur un poste de diplomate en Afrique. « Je trouve de graves dysfonctionnements financiers et comptables, c’est-à-dire une absence de comptabilité, une absence de contrat de travail, des salariés non déclarés et même clandestins, et un soupçon de détournement de fonds », énumère-t-elle, de sa voix fluette mais intraitable, connaissant encore le dossier sur le bout des doigts.

Elle rend alors un « rapport factuel, uniquement basé sur les dysfonctionnements constatés avec les preuves en attache, et indiquant brièvement les problèmes structurels qui pourraient expliquer qu’on en soit arrivé à cet état de chose ». Mais la hiérarchie bloque ce rapport que Paris ne « reçoit jamais ». Une procédure disciplinaire est engagée à son encontre, « rapidement abandonnée faute d’éléments ». Alors qu’elle possédait auparavant un dossier « irréprochable et exemplaire », Nicole est « placardisée et réaffectée sur un tout petit poste », et sa notation abaissée. « C’est clair que c’était une sanction », enrage-t-elle encore. 

2004. La diplomate a récupéré ses galons et atterrit sur un gros poste européen. « Je retrouve, fort malheureusement, de graves dysfonctionnements : faux et usage de faux et abus de biens sociaux. » Là encore, l’ambassadrice écrit une note confidentielle à sa hiérarchie. Ce geste signe la mort de sa carrière dans la fonction publique. « La note est bloquée, je fais un rapport, je rends un budget, on me demande de le réécrire. Je ne cède pas. Je demande une inspection générale qui ne vient pas, je suis mutée sur un petit poste et ma notation est bloquée. J’envoie alors mon rapport à l’inspection générale, je les rencontre, et mon contrat n’est pas renouvelé. Le sol s’ouvre sous mes pieds. »

Après quinze ans de services au ministère des affaires étrangères, et sans aucune indemnisation de départ, Nicole est sous le choc. Elle découvre qu’il n’y a « pas de législations, pas de recours, pas de charte déontologique, rien ! » « Le trou noir », comme elle l’appelle. « À ce moment-là, je ne connais pas les lanceurs d’alerte, je sais simplement qu’en tant qu’agent public ayant fait mon devoir, je viens de perdre ma carrière et ma vie », raconte-t-elle, voix brisée et larmes aux yeux.

Pour cette célibataire sans enfant coupée de son milieu professionnel, « tout est réduit en cendres, et on est très vite ramené au fait qu’en fonction de l’âge et du milieu social, on n’a plus aucune voie ». Pour Nicole, ce n’est pas seulement un parcours professionnel, mais tout un schéma de pensée qui s’effondre, surtout « quand on a porté très haut les couleurs de son pays à l’étranger ». Nicole écope d’un amer sentiment, celui « d’avoir une forme d’ingénuité, de décalage avec le monde réel du fait de certaines valeurs : vous ne reconnaissez pas le visage du monde dans lequel vous vivez ». Ces valeurs, pour Nicole, sont l’intégrité, héritée d'un père, qui « n’a jamais craint de dire à quiconque ce qu’il pensait », et les valeurs catholiques d’une mère « très pratiquante qui ne connaissait pas le “Mal” ». « Ça vous donne une colonne vertébrale, une structure », affirme-t-elle, inflexible sur ses principes.

Alors Nicole s’offusque des coups de fil de collègues qui lui glissent à l’époque : « Mais pourquoi n’as-tu pas détourné le regard ? C’est le pot de fer contre le pot de terre. » Si ses idéaux prennent une dérouillée, Nicole ne l’entend pas de cette oreille : « Si c’était à faire, je le referais. » « Une fois, c’est un accident ; deux fois, c’est un mécanisme », énonce-t-elle avec une simplicité éloquente. Alors, parce qu’elle n’a « jamais abandonné un combat », parce qu’elle défend une « certaine image de la France », parce qu’elle n’acceptait pas « qu’on ne puisse rien faire », parce que « quelqu’un prendra toujours peur », parce qu’elle « croit qu’il y a des gens de bonne volonté et intègres », Nicole se tourne vers la justice, tout en sachant pertinemment qu’aucune loi ne la protège.

2007. Surprise. Malgré le « trou noir » législatif concernant la protection des fonctionnaires lanceurs d’alerte, elle remporte son procès au tribunal administratif de Paris. Le commissaire du gouvernement « semble avoir trouvé une bonne cause à défendre », relate Nicole, les yeux pétillants. Pour son avocat, plus qu’une bonne cause, Nicole incarne une situation de détournement de pouvoir, où « l'autorité administrative a utilisé volontairement ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils lui avaient été conférés », en l’occurrence, le ministère avait justifié le non-renouvellement de son contrat en raison de l’absence de poste. « Elle m’avait fourni un dossier très rigoureux et complet », précise Maître Champenois, pour qui elle conserve une reconnaissance infinie. Au total, 69 pièces, dont des courriers de félicitations d'ambassadeurs, ses courriers à l’inspection générale, ses rapports de prise de fonction, les télégrammes sur les dysfonctionnements, ses discours d’adieu et ses fiches de mutations. « C’est très rare de prouver un détournement de pouvoir, mais en quinze ans de carrière, j’ai jamais vu quelqu’un d’aussi droit et intègre que Nicole, et le tribunal nous a donné gain de cause », se souvient son avocat.

« Il ressort (…) des pièces du dossier que les résultats obtenus par Mme X dans chacun de ses postes, alors que certains se sont révélés difficiles, ont été unanimement salués, et ses qualités tant humaines que professionnelles constamment soulignées ; que cette appréciation élogieuse de la requérante est confirmée par les termes de la lettre de recommandation qui lui a été remise (...) par les services du ministère des affaires étrangères », conclut le tribunal administratif, condamnant l’État à lui verser 33 000 euros de dommages et intérêts pour le non-renouvellement de son contrat et la somme de 10 000 euros pour préjudice moral.

Deux identités pour un même combat

En appel, le tribunal condamne l’État à verser des indemnités de préjudice moral encore plus élevées. Mais malgré une victoire qui la sort de la dépression, Nicole vit dans l’isolement le plus total. « J’étais un petit soldat républicain très attaché à l’État, mais quand on est dans la fonction publique pendant vingt ou trente ans, non seulement on noue des relations affectives, mais on s’identifie à la fonction publique dans ce qu’elle a de meilleur. Ce que j’aimais, c’était être utile au bien général, j’aimais être utile à la collectivité. » Neuf ans plus tard, Nicole Marie Meyer ne peut s'empêcher de parler de son éviction de la fonction publique sans verser quelques larmes.

Alors qu’elle cherche à comprendre ce qui lui est arrivé, Nicole surfe sur le net et découvre l’un des premiers articles sur les lanceurs d’alerte, écrit par François Fayol, ex-secrétaire général de la CFDT Cadres. Le monde « ingénu » a volé en éclats, mais Nicole commence à assembler les pièces du puzzle. « C’est parce que j’ai découvert une faille dans la loi française, que mon cas n’est pas ponctuel et isolé, mais significatif d’un problème grave, que je suis devenue lanceur d’alerte, car cela touchait à l’intérêt général. » En franchissant la porte de la CFDT Cadres, Nicole rencontre des administrateurs et auditeurs civils placardisés, et commence à se constituer un « mini-réseau d’entraide et de parole ». Mieux encore, elle s’extirpe de son extrême solitude et trouve une nouvelle « mission ».

2009. Nicole rencontre les membres de l'ONG anti-corruption Transparency International. Elle leur expose son histoire encore douloureuse, y trouve une « communauté de valeurs » et « commence à prendre de la distance » vis-à-vis de sa propre expérience. Au fur et à mesure, elle acquiert des connaissances techniques en la matière et s’engage auprès de Transparency.

« Personne ne se rend compte que l’agent public, s’il dénonce des faits de corruption, peut mettre son contrat en danger, c’est énorme ! Il y a une loi, mais si l’agent public ne peut pas l’appliquer, elle n’est d’aucune efficacité », explique-t-elle, faisant référence à l’article 40 du code de procédure pénale et à sa propre situation. C’est à ce moment-là qu’elle se rend compte du retard de la France en matière de “whistleblowing”, où il n’y a « ni documentation, ni rapport, ni traduction des législations internationales et étrangères sur le sujet », et où seuls les salariés de la fonction privée sont protégés.

Pour se « reconstruire et rebondir », Nicole adopte un « nom de guerre ». Ce sera dorénavant Nicole Marie Meyer. En fuyant sa situation de victime, qu’elle semble honnir plus que tout, Nicole Marie Meyer s’est muée en protectrice chevronnée de l'alerte éthique. Et plus seulement pour la fonction publique. Tandis qu'elle œuvre ouvertement pour Transparency International, la diplomate essaie de regagner sa place dans la fonction publique. Sa mission devient son sacerdoce : « Combattre la corruption, combattre l’accroissement des inégalités, de la pauvreté, le déséquilibre Nord/Sud, je retrouvais tous les thèmes qui m’avaient portée dans mon travail. »

2012. De l’écriture de guides en colloques internationaux, Nicole devient l’experte française en whistleblowing pour Transparency International. Un travail minutieux et bénévole de documentation et de traduction des législations étrangères qui l’occupe douze heures par jour. Le secrétariat général, basé à Berlin, lui commandera un rapport sur l’alerte éthique française pour septembre 2012.

« On me demande l’analyse des dispositifs et de la législation française, or il n’y a que la loi de 2007. » En janvier dernier, Nicole Marie Meyer se « dépêche de traduire ce rapport pour donner la nomenclature internationale et des arguments en faveur de l’alerte éthique avant le vote de la loi sur l’alerte sanitaire et territoriale ». Elle l’envoie aux cabinets du ministère de l’économie et des finances, du service central contre la corruption, au cabinet du premier ministre, au service de modernisation de l’action publique, à l’inspection générale des finances, et à l’inspection générale des affaires sociales. 

Pour cette experte, deux raisons expliquent la venue de nouvelles lois. D’une part, en 2010, le Conseil de l’Europe demande aux pays européens que les salariés de la fonction publique et privée soient protégés d'ici à fin 2012. D’autre part, survient l’affaire Cahuzac : « La machine s’emballe » et une vague de lois sur la transparence sont lancées, raconte Nicole. C’est le moment pour elle d’employer la « politique des petits pas » et d’envoyer ses guides, rapports, traductions de législations et conseils par mail.

« Le fait que j’ai envoyé ce rapport avec les notes complémentaires fait qu’il va y avoir trois articles de loi de protection des lanceurs d’alerte dans les lois sur la transparence et sur la fonction publique », assure-t-elle. Les absences de réponses à ses mails se transforment rapidement en réponses polies puis en demandes techniques. Grâce à son statut à Transparency International, les compétences de Nicole Marie Meyer s’étendent. Chaque semaine, elle reçoit deux dossiers de « présumés lanceurs d’alerte », lui racontant leur expérience malheureuse.

« C’est une année exceptionnelle pour l’alerte éthique professionnelle », se réjouit Nicole Marie Meyer. « La machine est en marche, elle ne peut plus s’arrêter, je suis très positive car l’opinion publique a suivi une évolution qui est une révolution à partir du scandale du Mediator. Les députés et sénateurs sont partis avec un temps de retard sur la société civile qui est aujourd’hui plus sensibilisée aux lanceurs d’alerte », poursuit-elle avec espoir. 

Nicole vit encore des économies du procès, qui touchent à leur fin. Même si Myriam Savy, responsable du plaidoyer à Transparency International voudrait la salarier, les moyens de l’ONG sont insuffisants pour créer son poste. L’experte pourrait postuler à d'autres postes étrangers rémunérés, mais refuse de quitter une France qu’elle continuer « d’adorer » et pour qui elle veut « continuer à se battre ». Malgré cet obstacle de taille, « le bon petit soldat » estime que « c’est maintenant ou jamais, il y a une urgence totale, donc je mets toutes mes forces et mon énergie dans le combat, d’un point de vue émotionnel et matériel ». Au-delà de l’éclosion des trois projets de loi, Nicole Marie Meyer espère « réussir à créer une cellule d’écoute des lanceurs d’alerte ».

Pourquoi cette précaution ? 

Nicole Marie Meyer continue à chercher du travail sous son ancien nom et s'inquiète de ce que son combat à Transparency International nuise à sa candidature d'agent de la fonction publique. Selon elle, ceux qui se sont illustrés dans des combats n’ont jamais retrouvé de travail dans leur branche. De même, c'est « une façon d’avancer masquée » pour continuer son combat en faveur de la protection des lanceurs d'alerte de la fonction publique. 

Elle a gardé le silence absolu sur son histoire des années durant, fidèle à ce « devoir de réserve » qui l'avait animé durant toutes ses années de fonction publique, et dont elle ne peut se départir que difficilement. À chaque fois qu'elle est interviewée par un média en tant qu'experte, elle se garde de diffuser sa photo, et évite, selon ce principe, les médias télévisés. 

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16 août 2013 5 16 /08 /août /2013 18:44
Marianne
Vendredi 16 Août 2013 à 11:08 | Lu 1406 fois
Léa Ducré

 

Alors que la plateforme de téléchargement The Pirate Bay lance PirateBrowser, un navigateur web anticensure, la cyberliberté est la proie de diverses attaques. Les cyberdissidents sont en ligne de mire au Vietnam tandis que la Corée du Nord présente Arirang, le smartphone de la censure, made in North Korea.

Capture d'écran piratebrowser.com/
Capture d'écran piratebrowser.com/
Les pirates suédois poursuivent la bataille. Pour son dixième anniversaire, l’équipe de The Pirate Bay a annoncé sur son blog l’ouverture du PirateBrowser, le navigateur pirate. La plateforme de téléchargement sonne donc le branle-bas de combat contre les pays censeurs, la Corée du Nord en premier lieu.
 
Version alternative du célèbre navigateur Firefox, le navigateur PirateBrowser a recours à un outil nommé FoxyProxy qui permet à l’internaute de masquer sa localisation géographique et ainsi échapper aux interdictions de son pays. Par ailleurs, le nouveau navigateur se connecte automatiquement au réseau mondial à l’architecture « en pelures d’oignons » dénommé Tor (The Onion Router). De cette manière, il brouille les pistes permettant de remonter à l’ordinateur de l’internaute et il permet à ses utilisateurs d'accéder à The Pirate Bay quels que soient les blocages mis en place sur son territoire.
 
Coup de Trafalgar pour la censure ? Le nouveau navigateur s’appuie en réalité sur des techniques déjà existantes mais il en facilite grandement l’accès, les filtres et blocages devenant contournables pour des internautes, mêmes débutants. N’importe quel site peut ainsi être consulté dans n’importe quel pays.  « Vous connaissez des gens qui ne peuvent pas accéder à The Pirate Bay ou à d’autres sites de torrents parce qu’ils sont bloqués ? Interpelle un des administrateurs de The Pirate Bay sous le pseudo de Winston. PirateBrowser permet d’y accéder tout de même en contournant les blocages. »

PirateBrowser face aux attaques législatives et technologiques

Si les anti-censeurs innovent, leurs adversaires ne sont pas en reste. Le Vietnam choisit de contrattaquer sur le terrain de la répression en renforçant son arsenal législatif. Le régime communiste cherchant à museler les réseaux sociaux vient de signer un décret liberticide, dont l'entrée en vigueur est prévue pour septembre. Celui-ci interdit l’échange en ligne « des informations d’actualité » et stipule que Facebook et Twitter ne pourront être utilisés que « pour fournir et échanger des informations personnelles ». 

Alors que les réseaux sociaux étaient largement utilisés par les vietnamiens pour contourner la censure, ils ne devront plus comporter aucune référence à des articles d’informations générales. L’application stricte de ce décret pourrait toutefois causer quelques tracas aux autorités. « Les experts soulignent que les géants de l'Internet, Facebook et autres réseaux sociaux, refuseront de donner les adresses IP des utilisateurs »  fait valoir Shawn Crispin, du Comité de protection des journalistes. Le « décret  72 » permet en revanche au gouvernement d’inculper plus facilement les blogueurs et citoyens actifs en ligne. N'assurant pas l'anonymat des internautes,  le nouveau navigateur PirateSearch n’apporte alors aucune protection à ces derniers.
 
De son côté, la Corée du Nord, adversaire par excellence de The Pirate Bay, renforce ses positions en s’aventurant dans le domaine des technologies. Avec Arirang, son premier téléphone multifonction, elle met la censure à l’heure des Smartphones. Non seulement le smartphone nord-coréen permet aux autorités de surveiller plus étroitement encore les conversations des citoyens mais il est également entièrement fermé au web. Seul l’intranet national, complétement hermétique et approuvé par les autorités, y est accessible.  

Or si PirateBay permet d’accéder à Twitter, Youtube ou Wikipédia dans les pays qui les censurent, encore faut-il que l’accès à Internet soit possible. La menace que représente pour la Corée du Nord le nouveau navigateur anticensure est alors toute relative. Seule une infime partie de le population, moins d’un millier de personnes, peut accéder à Internet. Pyongyang garde le cap avec son Smartphone garanti sans accès à internet et les pirates suédois ont encore une longue route avant de toucher les nord-coréens.

Les démocraties occidentales pointées du doigt

The Pirate Bay peut, par contre, inquiéter ses autres adversaires qu’elle ne manque pas de nommer. Après la Corée du Nord et l’Iran, elle cite «  la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Belgique, la Finlande, le Danemark, l'Italie et l'Irlande. » En plaçant démocraties et dictatures sur le même plan, le géant mondial du torrent rappelle habilement que le site est également bloqué dans certains pays occidentaux. Si ces derniers justifient cette mesure dans le cadre de la lutte contre les cyberpédophiles  ou le piratage de biens numériques, les administrateurs de The Pirate Bay font tout pour braver ces contrôles qui entravent selon eux la possibilité de communication anonyme entre cyberdissidents.

L’équipe suédoise a d’ailleurs voulu lever l’ambiguïté concernant le lien entre le nouveau navigateur et le téléchargement illégal. En précisant que le navigateur PirateBrowser « a pour seul but de contourner la censure », elle rappelle qu’il n’a pas été conçu comme un outil au service du piratage de contenus. Pourrait-t-il être à son tour piraté?
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11 août 2013 7 11 /08 /août /2013 21:38

 

 

Médiapart

|  Par Edwy Plenel

 

 

Poker menteur diplomatique, la fâcherie américano-russe dans l’affaire Edward Snowden masque l’essentiel qui nous concerne tous : l’extension et la banalisation sous les apparences démocratiques d’un État d’exception dont le Patriot Act américain est le symbole. La bataille pour le faire reculer se joue ici même, sur Internet.

d’exception devient la règle, et notre coupable indifférence lui fait la courte échelle. Une exception planétaire, sans frontières et sans limites, qui voudrait s’imposer comme une norme universelle avec la force de l’évidence et le renfort de l’habitude.

Prenant son origine dans la riposte nord-américaine aux attentats du 11 septembre 2001, ce coup d’État silencieux contre nos libertés fondamentales s’est étendu partout au nom de la guerre contre le terrorisme, dans le secret d’une surveillance généralisée qui unifie et solidarise une sorte d’État-monde profond, commun à toutes les nations par-delà leurs drapeaux et leurs hymnes.

De cet affrontement global entre nos droits individuels – droits à l’expression, à l’opinion, au savoir, au mouvement, à la contestation, à la croyance, à la différence, etc. – et une politique réduite à la police, prête à les sacrifier au nom d’un droit supérieur à la sécurité collective, Internet est désormais le premier champ de bataille. Internet et, plus largement, tous les nouveaux territoires de communication ouverts à nos curiosités, échanges et partages, par la révolution numérique.

Confirmation des paradoxes et défis des temps de transition (à l’image de ce que fut la Renaissance européenne, temps d’ouverture comme de fermeture, de guerres obscures et de pensées libérées, d’inventions et de destructions), notre ère numérique est au carrefour de son destin. Progrès ou régrès, elle hésite encore : entre l’avènement d’un nouvel espace public, où prend forme une démocratie retrouvée et réinventée, et l’émergence secrète d’un monde orwellien, de soupçon indistinct et de surveillance permanente.

Tel est l’enjeu de l’affaire Edward Snowden. Et d’abord son bienfait, tant les révélations apportées par cet ancien contractuel de la CIA – et qui sont encore à venir, au-delà du programme Prism – obligent à prendre la mesure de la dérive liberticide assumée par les États-Unis et de ses effets de contagion en Europe même. Immense continent enfoui sous l’alibi sécuritaire, la National Security Agency (NSA) espionne le monde entier hors de tout mandat ou contrôle judiciaires, ses institutions légales comme ses citoyens ordinaires, les ambassades de pays alliés comme les réseaux sociaux, les institutions européennes comme les utilisateurs de Skype, les mails comme les conversations, etc. (lire ici notre synthèse).

La nouveauté n’est pas la surveillance planétaire – déjà documentée à la fin du XXe siècle par la révélation du programme Echelon – mais sa dimension débridée et démesurée, hors contrôle et sans limites, faisant de n’importe qui, n’importe quand et n’importe où, sa cible. Cette extension infinie de son domaine, à l’abri des nouvelles libertés de communication offertes par la révolution numérique, est, d’initiative nord-américaine, le fruit légal de l’illégalisme foncier du Patriot Act, loi d’exception adoptée sous le choc des attentats de 2001. Or l’opinion publique mondiale découvre soudain que ces pouvoirs spéciaux ne visent pas que les supposés ennemis terroristes mais, potentiellement, tout un chacun, l’immensité des internautes ordinaires.

Les incommensurables violations du droit commun – enlèvements, tortures, isolements, disparitions, détentions sans jugement, exécutions extra-judiciaires, frappes aveugles, etc. – banalisées par l’instauration d’une guerre irrégulière contre l’ennemi terroriste ont donc frayé la voie d’une banalisation de l’exception sécuritaire, jusqu’au viol sans contrainte des droits fondamentaux des individus, quels qu’ils soient – leurs correspondances, leurs conversations, leurs amitiés, leurs relations, leurs agendas, leurs contacts, leurs réseaux, leurs vies privées… C’est une vieille règle, vécue en France pendant la guerre d’Algérie avec les « pouvoirs spéciaux » votés sous la gauche, que toute instauration d’un pouvoir d’exception risque de gangréner la règle démocratique, jusqu’à la mettre en péril.

Nous comprenons soudain que notre trop grande indifférence collective au sort des prisonniers de Guantanamo, devenus les masques de fer d’une politique de la peur sans frontières, nous a désarmés face aux visées expansionnistes des appareils policiers et militaires, à leur tentation récurrente d’agir à l’abri des regards, des débats et des contrôles. Ne pas avoir su défendre les principes de la justice et du droit, y compris au bénéfice de ceux qui ne les respectent pas, nous a exposés à l’affaiblissement progressif de nos propres libertés. Et à l’affaiblissement redoublé de notre capacité à les protéger, tant la banalisation de l’impératif sécuritaire, son urgence brandie pour faire taire toute discussion, nous a habitués à la normalité de l’exception.

Que, dans leur souveraineté, les États puissent légitimement se défendre face à des menaces identifiées, surveiller et espionner pour les prévenir, et avoir droit à leur part de secret pour y réussir n’est pas en discussion. Mais, de même que la lutte contre le terrorisme ne relevait pas de la guerre – sauf à vouloir une guerre sans fin qui nous enferme dans la peur de l’autre –, l’espionnage n’est en rien une pratique sans limites dont la société tout entière pourrait être la cible. Du moins en démocratie. En l’énonçant, l’on cerne d’emblée le poison politique introduit par la politique de la peur : désignant un ennemi global et indistinct, elle a effacé les frontières de la suspicion et, donc, du licite, faisant du monde du secret d’État le cœur de la politique, au détriment et à l’inverse du principe de publicité qui est au ressort théorique de la délibération et de la souveraineté démocratiques.

De graves menaces sur le droit à l’information

De cet État dédoublé, de règle démocratique en surface, d’exception policière en profondeur, la question du droit à l’information offre une exemplaire démonstration. Car la preuve qu’il s’agit bien de démocraties hors de leurs gonds, sorties du droit et reniant leurs principes, c’est que les gouvernants qui ont initié ou accepté cette dérive ne craignent rien tant que son dévoilement. Et, de ce point de vue, il en est allé de même, hélas, sous l’administration du démocrate Obama que sous celle de son prédécesseur conservateur Bush.

 

Bradley Manning (en uniforme) et Edward Snowden
Bradley Manning (en uniforme) et Edward Snowden
 

La persécution sans précédent des rares lanceurs d’alerte, qui n’ont écouté que leur conscience de citoyens face aux illégalités et aux crimes dont ils étaient témoins, est à elle seule l’aveu de la transgression politique commise : la vérité est si scandaleuse qu’il faut à tout prix faire taire ceux qui l’énoncent, les calomnier et les discréditer. Outre leur jeunesse audacieuse, leur radicalité démocratique et leur culture numérique, le soldat Bradley Manning, le hacktiviste Julian Assange, l’informaticien Edward Snowden ont ce point commun d’avoir été traités par la puissance américaine comme des espions, donc des ennemis et des étrangers, bref des adversaires sans légitimité aucune. Étonnant spectacle que celui d’une démocratie, économiquement et militairement omnipuissante, qui s’acharne sur quelques dissidences individuelles tout comme le feraient (et le font, en Chine notamment) des régimes autoritaires. Aveuglée comme le serait un Goliath assailli par les frondes de nos David numériques.

C’est ainsi que, depuis 2010, est arrêté, détenu et jugé Manning qui, à 25 ans, encourt une peine de prison à vie pour, via WikiLeaks, avoir alerté sur les violations des droits humains commises par l’armée américaine et avoir mis à nu une politique étrangère impériale, agressive et dominatrice. C’est ainsi que Julian Assange, fondateur à 35 ans de WikiLeaks, vit reclus, depuis plus de deux années, dans une pièce sans fenêtres de l’ambassadeur d’Équateur à Londres, afin d’échapper à une possible extradition aux États-Unis au motif d’une conspiration sur le fondement de l’Espionage Act de 1917. C’est ainsi, enfin, que Edward Snowden, 30 ans, est soudain devenu paria d’une planète sans visa pour avoir dévoilé, notamment via The Guardian, l’ampleur abyssale d’un espionnage électronique américain qui juge illégitime tout secret, quel qu’il soit, autre que le sien, celui qu’il s’arroge au nom de la puissance.

Ne pas les défendre, c’est s’abandonner, voire se renier. Ne pas leur porter assistance, c’est renoncer à nos propres idéaux, ceux que nos gouvernants sont si prompts à brandir face à des régimes autoritaires – du moins quand ils sont faibles, marginaux ou minoritaires. Car, à travers Snowden, Assange et Manning, ce sont des principes démocratiques, des droits individuels et des libertés fondamentales qui sont attaqués. Et dont leurs persécuteurs veulent nous amener à accepter, par silence, complaisance ou indifférence, les reculs, régressions et diminutions. Qui, quel citoyen, quel journaliste pourrait contester que les informations révélées par ces trois personnes soient d’un intérêt public essentiel, non seulement pour l’avenir de nos États démocratiques mais pour celui d’un monde commun, plus solidaire, plus pacifique ?

 

Pentagone Papers: Daniel Ellsberg en couverture de Time Magazine, 5 juillet 1971
Pentagone Papers: Daniel Ellsberg en couverture de Time Magazine, 5 juillet 1971
 

Qui pourrait nier que ces faits dévoilés relèvent de ce droit de savoir (the right to know) que célébrait, à son propre avantage, la démocratie américaine à l’époque de la divulgation des Pentagone Papers, ces documents secrets éclairant soudain la face cachée de la guerre américaine contre le peuple vietnamien ? Qui pourrait contester que ces fuites furent salvatrices, utiles au débat public et à la réflexion démocratique comme le furent les 7 000 pages de documentation top-secrète fournies en 1971 par l’analyste Daniel Ellsberg au New York Times ?

Dès lors, il n’est pas permis de se tromper : en frappant ces pionniers de l’information à l’ère numérique, à la fois aventuriers et irréguliers, défricheurs et inventeurs, c’est le métier d’informer tout entier, sa légitimité démocratique et ses garanties protectrices, qu’il s’agit de soumettre. En neutralisant l’avant-garde turbulente, c’est la troupe moutonnière que l’on entend faire rentrer dans le rang. Car informer, informer vraiment, faire savoir ce qui, d’ordinaire, ne se sait pas, rendre public ce qui est indûment caché, c’est évidemment bénéficier de fuites (leaks en anglais), c’est-à-dire de sources qui prennent le risque de transgresser leurs secrets professionnels au nom d’un impératif supérieur, celui de l’intérêt public.

Il suffit de se rendre sur la page « États-Unis » du site de Reporters sans frontières (RSF), organisation peu suspecte de faiblesse vis-à-vis des pouvoirs autoritaires, pour prendre la mesure de ce qui se joue ici d’essentiel pour l’information et de vital pour la démocratie, donc de décisif pour les peuples. Outre des prises de position sans réserve en faveur d’Edward Snowden et de Bradley Manning, exprimées solidairement avec Julian Assange, on y trouve la ferme condamnation de la surveillance dont a fait l’objet l’agence Associated Press, afin de connaître certaines de ses sources, et le rappel du cas, trop oublié, du journaliste Barrett Brown, 31 ans, arrêté depuis 2012 parce qu’il enquêtait sur la société de renseignement privé Stratfor dont les mails ont été diffusés par WikiLeaks. Son procès doit s’ouvrir en septembre prochain : il risque 105 ans de prison !

Vertus des lanceurs d’alerte, utilité des fuites

Le 3 mai 2012, le président Barack Obama faisait une déclaration solennelle à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse. Il y défendait « le rôle d’une presse libre dans la création de démocraties pérennes et de sociétés prospères », rappelant le principe énoncé par la Déclaration universelle des droits de l’homme, en son article 19, selon lequel « toute personne a le droit de chercher, de recevoir, de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». Mais, soulignant que « ce droit demeure en péril dans beaucoup trop de pays », il ne citait que les pays suivants : Birmanie, Viêtnam, Syrie, Érythrée, Équateur, Biélorussie, Cuba.

En 2013, il s’est abstenu. Plus facile en effet de dénoncer, avec cette arrogance bien-pensante du fort pour les faibles, les atteintes aux libertés des régimes autoritaires de petites Nations que de s’inquiéter de leur régression dans son propre Empire démocratique. Que peut dire désormais, sur ce même sujet, le président des États-Unis à la Russie de Vladimir Poutine, démocratie d’extrêmement basse intensité – et c’est encore un euphémisme –, après l’avoir suppliée de lui livrer Edward Snowden, lequel n’a eu d’autre choix que d’accepter la porte de sortie moscovite, piégée évidemment mais la seule qui s’offrait à lui ? Quelle sera, demain, la légitimité d’Obama à reprocher à la Chine du parti unique sa persécution des informations non contrôlées par le pouvoir, des citoyens qui les diffusent et, surtout, des lanceurs d’alerte qui les dévoilent ?

Comment promouvoir un principe chez les autres si on ne le défend pas pour soi-même ? Car la seule faute commune de Manning, Assange et Snowden, c’est d’avoir donné vie à un acteur démocratique de plus en plus reconnu par la communauté internationale : le lanceur d’alerte, justement. De colloques en sommets, de rapports en conclaves, on ne compte plus les occasions récentes où il a été promu, débattu et défendu, comme le rappelle un récent document du Conseil de l’Europe (son fichier PDF est ici) – dont la Russie est un État membre et dont les États-Unis sont un pays observateur.

Signalant de bonne foi des actes illicites à l’opinion et, donc, aux autorités d’un pays démocratique, les lanceurs d’alerte (whistleblowers en anglais, autrement dit ceux « qui donnent un coup de sifflet ») ne sont pas des dénonciateurs, qui livreraient, par exemple, à un État policier des informations sur ses opposants, mais des acteurs essentiels de la démocratie qui font prévaloir un intérêt public supérieur sur leurs devoirs professionnels. Aussi la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est-elle aussi explicite que constante dans sa défense des donneurs d’alerte.

« Dans un système démocratique, lit-on ainsi dans un arrêt de 2008 (Guja c. Moldova), les actions ou omissions du gouvernement doivent se trouver placées sous le contrôle attentif non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, mais aussi des médias et de l’opinion publique. L’intérêt de l’opinion publique pour une certaine information peut parfois être si grand qu’il peut l’emporter même sur une obligation de confidentialité imposée par la loi. » Une résolution adoptée en 2010 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a même énoncé des principes de protection des lanceurs d’alerte, en invitant les États membres à revoir en ce sens leurs législations nationales.

On y lit notamment ceci : « La définition des révélations protégées doit inclure tous les avertissements de bonne foi à l’encontre de divers types d’acte illicites, y compris toutes les violations graves des droits de l’homme, qui affectent ou menacent la vie, la santé, la liberté et tout autre intérêt légitime des individus. » La même année 2010, au Sommet de Séoul, les dirigeants du G20 n’hésitaient pas à faire de la protection des donneurs d’alerte l’un des domaines prioritaires de la politique mondiale de lutte… contre la corruption. Car évidemment tous ces États ont, d’un commun accord, pris garde d’exclure du champ des lanceurs d’alerte ce qui relève de la défense nationale ou de la politique étrangère.

Mais qu’en est-il si cette protection de l’État profond, sécuritaire et policier, cache à son tour des actes illicites, des violations graves des droits, des atteintes aux libertés ? C’est la question dérangeante qu’ont posée Manning, Assange et Snowden, dévoilant l’hypocrisie foncière de cette ligne de partage entre lumières démocratiques et ombres sécuritaires. Depuis, le sort injuste fait par la Suisse au Français Pierre Condamin-Gerbier, lanceur d’alerte sur la fraude fiscale embastillé après ses révélations à la presse, à la justice et aux parlementaires, met en évidence que la sécurité nationale peut être aussi l’alibi d’une protection de la corruption, dès lors qu’un État identifie ses intérêts propres à ceux de la finance mondiale.

Heureux effet de levier des fuites organisées par Edward Snowden, le Conseil de l’Europe s’interroge désormais sur cette sanctuarisation de l’État sécuritaire, constatant l’utilité de révélations publiques, et donc de fuites légitimes, sur les abus de droit qu’il abrite ou tolère. Rapporteur fin juin dernier pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, le socialiste espagnol Arcadio Diaz Tejera a discuté cette tension entre sécurité et liberté (fichier PDF de son rapport ici), en affirmant à la fois que des intérêts de sécurité nationale sont « des raisons suffisantes pour retenir l’information détenue par les autorités » mais que, en même temps, « l’accès à l’information représente une composante essentielle de la sécurité nationale, en favorisant la participation démocratique, l’élaboration de politiques solides et le droit de regard du public sur l’action gouvernementale ». Autrement dit, il faut laisser place au conflit, au débat et, donc, aux révélations légitimes.

Le Patriot Act, ou le pouvoir légal d’agir hors la loi

Sous la pression des révélations apportées par Edward Snowden et des solidarités qui l’entourent, notamment parmi les défenseurs d’une démocratie américaine rendue à la promesse constitutionnelle de son Premier amendement, de défense radicale de la liberté d’informer, Barack Obama a finalement dû reconnaître d’où venait le mal : du Patriot Act. De cette loi d’exception adoptée à l’automne 2001, jamais remise en cause sous sa présidence, et non pas des fuites dont a bénéficié la presse. Sur la défensive, le président américain a de fait admis, lors de sa conférence de presse du 9 août, son échec essentiel : ne pas avoir démantelé l’État d’exception ainsi enfanté, installé à demeure américaine depuis plus d’une décennie.

 

Un des livres de référence sur les dérives de l'antiterrorisme (La Découverte, 2008)
Un des livres de référence sur les dérives de l'antiterrorisme (La Découverte, 2008)
 
Car qu’est-ce que le Patriot Act ? Tout simplement le pouvoir légal d’agir hors la loi. Sans procédure, ordonnance ou mandat judiciaires. En ne relevant que du pouvoir exécutif, et donc du seul aval présidentiel. Tel fut le coup d’État réussi des néo-conservateurs, profitant de l’effet de choc et d’aveuglement du 11-Septembre : mettre l’État sécuritaire à l’écart des contre-pouvoirs démocratiques, hors contrôle parlementaire ou médiatique, en faisant de la guerre (contre le terrorisme) non plus un exception mais une norme, non plus un moment limité dans le temps mais une continuité permanente, sans terme ni fin.

Bref, cette loi est en elle-même un crime contre la démocratie. Illustration des hautes motivations de nos donneurs d’alerte, nul hasard si Glenn Greenwald, le destinataire choisi par Snowden pour ses révélations, est un avocat devenu blogueur en 2005 pour la dénoncer inlassablement, sous l’intitulé How Would a Patriot Act ?, avec ce sous-titre : En défense des valeurs américaines. Porté à la Maison Blanche par cette contestation et ce sursaut, Barack Obama n’aura finalement soigné que les effets et pas la cause. Certes la torture a été heureusement bannie, mais le bagne de Guantanamo est toujours là, avec des prisonniers toujours à l’isolement et toujours pas jugés, qui n’ont d’autres armes pour protester que la grève de la faim.

Surtout, le champ de manœuvres de l’État sécuritaire n’a cessé de s’étendre en profitant de la révolution industrielle et culturelle, voire civilisationnelle, dont le numérique est le moteur technologique. Par leur ampleur trop insoupçonnée, la guerre des drones comme l’espionnage d’Internet sont la traduction pratique, au cœur de notre modernité, de l’ascension d’un État d’exception d’où peuvent émerger de nouvelles formes de domination totale, sans espace pour les contester publiquement ou les remettre en cause concrètement. Car, en démocratie, idéal toujours inachevé, en construction permanente, la frontière entre crispations conservatrices, autoritaires et guerrières, et dérives totalitaires n’est jamais totalement étanche. Seule la vitalité du débat, la vigilance de l’opinion, la force des contre-pouvoirs peuvent la consolider.

Théoricien reconnu de l’État d’exception, Carl Schmitt (1888-1985) en témoigne : indéniablement puissante et créative, l’œuvre de ce juriste allemand, passé du conservatisme au nazisme, ne désigne pas seulement ce qui fut, cette barbarie européenne dont il a été le complice, mais aussi bien ce qui pourrait être, si nous n’y prenons garde. Proclamer l’exception, c’est déjà faire taire toute contestation : « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle », écrit Schmitt dans Théologie politique, paru en 1934, un an après l’arrivée au pouvoir de Hitler. C’est ensuite désigner à la société un ennemi inépuisable, dont l’irrégularité déclarée appellerait elle-même une riposte irrégulière, hors norme et hors règle : « Avec l’exception, la force de la vie réelle brise la carapace d’une mécanique figée dans la répétition. »

 

Une photo offerte par le site de soutien bradleymanning.org
Une photo offerte par le site de soutien bradleymanning.org
 

Dès lors, la peur devient l’argument du pouvoir, dressant la société contre elle-même dans un fantasme d’homogénéité et l’entraînant dans une quête infinie de boucs émissaires où l’Autre, le différent, le dissemblable, le dissonant, prend la figure de l’Étranger, d’une étrangeté aussi intime que menaçante. Aussi l’adversaire est-il sans embarras qualifié d’ennemi intérieur, figure de l’altérité qu’il faut à tout prix réduire ou exclure, voire anéantir par une contre-violence préventive. Il suffit d’écouter, y compris en France, y compris sous l’actuel gouvernement par la bouche de son ministre de l’intérieur, Manuel Valls, les lieux communs du discours de guerre au terrorisme dit islamiste pour sentir la voix de cet État d’exception qui rabat la politique sur la police.

Le confort sécuritaire qu’il promet est une illusion, où s’égare, se perd et se ruine la démocratie : sa vitalité, son pluralisme, ses conflits créateurs, sa diversité stimulante, etc. Comme l’a illustré la grande lâcheté européenne – et spécifiquement française dans l’affront fait au président bolivien Evo Moralès – face au sort d’Edward Snowden, nous ne devons pas compter sur nos gouvernants pour conjurer ce péril. Du moins pas en premier... Mais d’abord sur nous-mêmes. Sortir de l’indifférence, assumer nos indignations, prendre nos risques. C’est l’autre leçon apportée par l’irruption de lanceurs d’alerte planétaires : l’ébauche d’une politique nouvelle, de réseaux et de liens, d’inattendu et d’imprévu, du faible au fort, où les fragiles tâtonnements d’un monde à venir révèlent de meilleurs stratèges que l’aveugle puissance d’un monde en déclin.

Plus que jamais, défendre la liberté d’Internet

« Internet, le meilleur de nos instruments d’émancipation, est devenu le plus redoutable auxiliaire du totalitarisme qu’on n’ait jamais connu. Internet est une menace pour l’humanité. » Début 2013, quelques mois à peine avant les révélations sur l’espionnage généralisé de la NSA, paraissait en France cette mise en garde alarmiste sous la signature… de Julian Assange.

 

Titre anglais du livre de Julian Assange, paru en 2012: "Cypherpunks, Freedom and The Future of Internet"
Titre anglais du livre de Julian Assange, paru en 2012: "Cypherpunks, Freedom and The Future of Internet"

 

Livre militant d’échange avec d’autres hacktivistes numériques, dont le Français Jérémie Zimmermann de la Quadrature du Net, Menace sur nos libertés (Robert Laffont) ne décrit pourtant que ce qui fut confirmé par les révélations d’Edward Snowden qu’en quelque sorte, cet ouvrage appelait de ses vœux : « Si cette transformation n’a pas fait de bruit, c’est parce que ceux qui en sont conscients travaillent dans l’industrie de la surveillance mondiale et n’ont aucun intérêt à prendre la parole. »

Prendre conscience de la catastrophe, c’est le meilleur moyen de l’éviter. Dialectique de l’inquiétude et de l’espérance, l’alerte tôt lancée par Assange et ses compagnons vise à mobiliser : la bataille est en cours et son issue n’est pas jouée. Bataille entre les nouveaux territoires libérateurs offerts à nos rêves de concorde, de partage et d’échange par le numérique et leur conquête par les appareils étatiques, alliés des machineries marchandes.

« L’État nous a privés de l’indépendance dont nous avions rêvé », écrit Assange : en interceptant « massivement le flux d’informations de notre nouveau monde – son essence même – alors que toutes les relations humaines, économiques et politiques s’y retrouvaient », il a pu rapporter « ce qu’il avait appris au monde physique pour déclencher des guerres, guider des drones, manipuler des commissions de l’ONU et négocier des accords, ainsi que pour rendre des services à son vaste réseau interconnecté d’industries, d’initiés et de copains ».

C’est donc bien ici même que se joue la bataille, Assange toujours : « Dans la mesure où l’État fusionne avec Internet, l’avenir de notre civilisation devient l’avenir d’Internet, et il faut redéfinir le rapport de force. » Une bataille, par conséquent, « entre d’une part la puissance que confèrent ces informations recueillies par des initiés, ces États fantômes de l’information qui sont en train de se développer, interchangeables, multipliant les liens entre eux et avec le secteur privé, et d’autre part la prolifération d’espaces partagés où Internet est un outil qui permet aux hommes de se parler ».

Dès lors, la défense d’Internet, d’un Internet libre, ouvert et universel, devient un enjeu politique décisif, où se joue l’appropriation de son destin par l’humanité elle-même. « C’est l’outil le plus important dont nous disposons pour faire face aux problèmes globaux qui se posent, et sa préservation est l’une des tâches essentielles de notre génération », insiste dans ce même livre Jérémie Zimmermann, comme il l’expliquera au récent rassemblement OHM 2013 dont Jérôme Hourdeaux a fidèlement rendu compte pour Mediapart.

Loin d’être une obsession militante marginale, cette réflexion rejoint celle d’un des penseurs pionniers de l’ère numérique, Manuel Castells, sociologue né en Espagne passé de France aux États-Unis. Communication Power, récent ouvrage (2009) de l’auteur de L’Ère de l’information, somme en trois tomes (chez Fayard), vient d’être traduit en France, avec une préface d’Alain Touraine qui y voit « un des livres les plus importants des sciences sociales contemporaines », permettant de « nous orienter dans le monde changeant et confus que nous vivons ». Or Communication et pouvoir (son titre français, aux Éditions de la Maison des sciences de l’homme) est une réflexion sur les conditions de l’émancipation face à la société de surveillance qui accompagne notre société de communication.

 

"Comunication Power" est paru en 2009 à Oxford University Press
"Comunication Power" est paru en 2009 à Oxford University Press
 

En voici le point d’arrivée qui rejoint le constat ici dressé : « Les technologies de la liberté ne sont pas libres. Les gouvernements, les partis, les entreprises, les groupes d’intérêts, les Églises et les gangsters, ainsi que les appareils du pouvoir de toutes origines et de toutes sortes possibles, cherchent à exploiter le potentiel de l’auto-communication de masse afin de le mettre au service de leurs intérêts spécifiques. De plus, malgré la diversité de ces intérêts, le groupe disparate que forment les pouvoirs établis partage le même objectif : limiter le potentiel libérateur des réseaux de l’auto-communication de masse. »

Nouvel épisode, poursuit Castells, de « la lutte continuelle qui oppose la discipline de l’être à la liberté du devenir », l’espace collectif que la révolution de la communication a créé est donc menacé d’expropriation « afin de permettre l’expansion du divertissement à but lucratif et la marchandisation de la liberté personnelle ». Dès lors, empêcher cette confiscation suppose de défendre Internet, sa liberté, son intégrité et sa vitalité, ses potentialités émancipatrices, ses communications horizontales, et par conséquent tous ceux qui en sont les militants les plus audacieux. « Les mouvements sociaux les plus importants de notre époque, conclut Manuel Castells, sont précisément ceux qui luttent pour la préservation d’un Internet libre, par rapport à l’emprise des gouvernements et à celle des entreprises, afin de créer un espace de communication autonome qui puisse constituer la fondation du nouvel espace public de l’ère de l’information. »

S’il fallait situer Mediapart, il suffira de dire qu’il est de ce mouvement là, accompagnant sa diversité, épousant sa nouveauté, défendant ses audaces.

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