Le feuilleton gaz de schiste se poursuit. Le Conseil d'Etat a décidé, vendredi 12 juillet, de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par la compagnie pétrolière texane Schuepbach. C'est une QPC explosive puisqu'elle concerne la loi du 13 juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique en France, seule technique aujourd'hui disponible pour l'exploitation du gaz et du pétrole de schiste, mais dont les risques pour l'environnement ont été jugés trop élevés.
Cette décision était attendue. En réalité, les juges n'ont fait que suivre l'avis du rapporteur public, Suzanne von Coester, rendu le 26 juin.
- Comment et pourquoi la société Schuepbach mène-t-elle cette bataille juridique ?
La société américaine se bat contre l'abrogation, en octobre 2011, par le gouvernement Fillon de ses deux permis exclusifs de recherche d'hydrocarbures liquides ou gazeux dans le sud-est de la France, qui lui avaient été accordés un an plus tôt. La société avait confirmé vouloir utiliser la fracturation hydraulique, devenue interdite par la loi Jacob.
L'entreprise se tourne alors vers le tribunal administratif de Cergy-Pontoise et le saisit en janvier 2013 d'une QPC sur la loi du 13 juillet 2011. Pour dissuader le président du tribunal administratif de Cergy Pontoise de la transmettre au Conseil d'Etat, les services de Delphine Batho, ministre de l'écologie, lui adressent un argumentaire juridique ("un mémoire en défense"). Mais le ministère perd cette première bataille. Le recours de Schuepbach poursuit son chemin.
La société attaque la loi du 13 juillet en s'appuyant sur deux arguments principaux.
Le premier est que le texte porte atteinte aux conditions de mise en œuvre du principe de précaution inscrites dans la Charte de l'environnement. Comment ? En ne prévoyant "aucune procédure d'évaluation des risques" liés à la fracturation hydraulique.
Le second est que, selon Schuepbach, la loi revêt un caractère discriminatoire dans la mesure où elle ne concerne que les hydrocarbures liquides et gazeux et non la géothermie [pour laquelle la fracturation est, selon l'entreprise, également utilisée].
- Quels sont les arguments retenus par le Conseil d'Etat pour transmettre la QPC au Conseil constitutionnel ?
Dans ses conclusions, Mme von Coester estimait que le caractère discriminatoire de la loi n'était pas à retenir, puisque selon ses conclusions, les modalités de fracturation pour la géothermie et pour les huiles et gaz de schiste ne sont pas identiques. Mais elle avait jugé en revanche que l'argument lié au principe de précaution était une question "sérieuse". Ce que confirme le Conseil d'Etat dans les conclusions finales développées vendredi. D'autant – et c'est une condition majeure pour que le Conseil d'Etat transmette une QPC au Conseil constitutionnel – que cette demande n'avait jamais été faite auparavant. Ce caractère nouveau de la demande a beaucoup pesé dans la balance.
- Que se passerait-il si le Conseil constitutionnel déclarait à la rentrée la loi Jacob non conforme à la Constitution?
Si la loi est recalée, l'abrogation de tous les permis – ceux de Schupebach mais aussi ceux de Total par exemple – au nom de l'utilisation de la fracturation hydraulique ne serait plus justifiée. Les entreprises pourraient donc représenter leurs dossiers.
Une hypothèse jugée fin juin invraisemblable selon l'ancienne ministre de l'écologie Delphine Batho, évincée depuis en raison de ses déclarations critiques sur les choix budgétaires du gouvernement. "Le lobby des gaz de schiste n'obtiendra pas par une guérilla juridique ce que la mobilisation citoyenne a empêché", avait-elle alors expliqué, faisant référence aux nombreuses manifestations lancées en 2010 dans le sud-est de la France et dans la région parisienne. "S'il le faut, avait-elle ajouté, le gouvernement n'hésitera pas à reproposer un texte à l'Assemblée nationale, mais nous n'en sommes pas encore là."
Ne souhaitant pas commenter la décision du Conseil d'Etat –"attendue", selon lui –, Philippe Martin, successeur de Delphine Batho, devrait proposer un nouveau texte législatif. Mais cette période d'incertitude juridique pourrait être propice à de nouvelles bagarres au sein du gouvernement. Jeudi, Jean-Marc Ayrault a dû ainsi recadrer Arnaud Montebourg, son ministre du redressement productif qui prônait, à titre personnel, la création d'une entreprise nationale pour exploiter ces hydrocarbures non conventionnels. "Il est exclu d'exploiter des gaz de schiste en France" et "cette position sera évidemment maintenue", a expliqué le premier ministre.
Lire aussi Philippe Martin recadre Arnaud Montebourg sur les gaz de schiste (éditions abonnés)
Pour autant M. Ayrault n'a pas utilisé le terme "explorer". Un mot-clé. Arnaud Montebourg soutient en effet les industriels désireux de pouvoir au moins sonder le sous-sol français pour évaluer les réserves d'huile et de gaz de schiste. La nouvelle loi, s'il devait y en avoir une, interdirait-elle des expérimentations ?
En période de crise économique, les arguments des compagnies pétrolières sur les bienfaits d'une exploitation de ces hydrocarbures non conventionnels susceptibles, selon eux, de réduire la facture énergétique française, pourraient peser face à ceux des défenseurs de l'environnement.
Lire aussi Gaz de schiste : les estimations des réserves sont-elles fiables ?