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20 décembre 2015 7 20 /12 /décembre /2015 20:01

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

 

Les communs, la vraie idée révolutionnaire

 
 
Pourtant mentionnés dans le code civil, ces biens dont "l'usage est commun à tous" auraient pu disparaître si la crise du système néo-libéral ne les avait remises au goût du jour.
 
ALLILI MOURAD/SIPA
 

Biens communs, ou communs, voilà un concept nouveau, à l'intersection des sciences politiques et de l'économie. Un concept à la mode, qui génère moult publications, autant de colloques et de livres. Mais de quoi s'agit-il ?

Ce concept vient de loin, des communaux, d'une époque où l'Etat n'existait pas encore. Il remonterait à la révolution néolithique, à cette première révolution agricole. A l'époque, les hommes se sont approprié des champs qu'ils vont labourer, ensemencer, moissonner, en d'autres mots travailler, et qui de ce fait deviendront leur propriété. Le reste de l'espace, les bois qui leur fournissent le combustible et les terres où ils vont chasser et éventuellement faire brouter les animaux récemment domestiqués sont des espaces communs. Cette réalité va s'institutionnaliser, pour pouvoir les gérer, les administrer de façon durable. Selon les droits locaux, les paysans pouvaient laisser paître leurs bêtes sur ces communaux, voire couper du bois, tailler des ajoncs. La première révolution libérale et son corollaire, le développement de la propriété privée, ont fait disparaître une grande partie de ces biens communs en Occident. La loi des «enclosures» à la fin du Moyen Age les réduira. Les propriétaires terriens vont s'en saisir.

 

UN CONCEPT OUBLIÉ

Les charges contre les communs sont très violentes jusqu'à une époque récente. Il faut imposer la propriété privée. Au début de l'offensive, il y a évidement John Locke, « le fondateur de la propriété privée au sens moderne du terme ». Mais la bataille est longue. Elle continue, s'intensifie même. Elle dure tout le XIXe siècle. Marx et Proudhon succèdent à Rousseau et résistent. Au XXe siècle, l'intensité du débat diminue un peu pendant les Trente Glorieuses. Mais le retour du libéralisme dans les années 70 relance la machine. En 1968, le biologiste Garrett Hardin explique dans la Tragédie des biens communs que leur disparition serait due à leur surexploitation. Les comportements individualistes entraîneraient l'épuisement des ressources limitées, leur pollution, voire leur destruction. Le résultat serait donc perdant-perdant. Pour éviter la surexploitation, il n'y a d'alternative que la privatisation ou éventuellement la nationalisation.

On a l'impression que c'est la fin. Face à la doxa, la pratique s'étiole, même si, dans certaines sociétés traditionnelles, en Afrique notamment, le pacage est encore pratiqué. Cette affaire n'intéresse plus que les historiens qui en recherchent les scories dans le droit de glanage encore en vigueur dans certains départements ruraux, ou dans notre code civil qui témoigne de cette pratique. L'article 714 édicte : « Il est des choses qui n'appartiennent à personne et dont l'usage est commun à tous...»

 

CONFIANCE EN L'AUTRE

Très tôt, quasiment seule au début, l'Américaine Elinor Ostrom résiste. Elle réfute la Tragédie des biens communs de Garrett Hardin. Elle montre qu'il existe des collectivités qui gèrent des biens communs de manière économiquement optimale et cela, depuis très longtemps. Certains, depuis presque mille ans. Ces institutions fondées sur la coopération ont retenu toute son attention. Elle a particulièrement étudié la gestion commune des forêts et prairies de haute montagne en Suisse et au Japon et les communautés d'irrigation des Philippines. Elle en a déduit les conditions pour qu'un commun fonctionne. Elle en identifie huit, dont les plus importantes sont que les usagers du bien commun se trouvent en interdépendance. Ensuite, qu'ils se connaissent et qu'ils se fassent confiance entre eux, et que ces groupes aient des frontières bien définies. Autant dire que, par les temps individualistes qui courent, elles sont assez difficiles à réunir. Mais, pleine d'espoir, elle conclut que « chaque commun est un cas particulier ». Il n'existe pas de « recette ».

En 2009, pour ce travail, Elinor Ostrom va devenir la première femme à recevoir le prix Nobel d'économie. En pleine crise des subprimes, cette nomination est une double révolution. En quarante ans, les mâles dominants de l'économie n'avaient jamais trouvé une femme à récompenser. En plus, Elinor Ostrom n'est pas économiste. Elle est une spécialiste de sciences politiques. Cette année-là, la science économique doutait.

 

PRATIQUE COLLECTIVE

Avec la crise du système libéral, sur ces bases, les communs reviennent d'actualité à partir des années 2000. Certains vont y voir la grande « alternative » du XXIe siècle. D'autres rêvent que « la lutte pour la défense des biens communs se transforme en une lutte pour un nouveau modèle social ». Mais ce combat risque d'être long, car personne n'est d'accord sur son contour. Sa définition est floue. A une extrémité du spectre, la charte de l'« université du bien commun » de Rome en donne une définition très générale : « Le bien commun est constitué de l'ensemble des principes, des institutions, des moyens et des pratiques que la société se donne pour garantir à tous une vie humainement décente, assurer un "vivre-ensemble" pacifique, convenable et coopératif entre tous, conserver la sécurité de sa propre maison, et donc la soutenabilité de l'écosystème local et global ; le tout en tenant compte du droit à la vie des générations futures. » Pour d'autres, dont Elinor Ostrom, Pierre Dardot et Christian Laval, le bien commun serait lié à une pratique collective, le qualificatif définirait le bien. Les biens deviennent communs parce qu'ils sont gérés en commun.

L'idée est très séduisante. Elle se développe avec l'explosion des logiciels libres, un exemple qui prend une place importante, voire prépondérante, dans la littérature et les colloques sur le sujet. A l'heure des nouvelles technologies de l'information, la communauté des informaticiens a mis ses savoirs et son travail en commun pour proposer des logiciels gratuits et ouverts à tous. Les utilisateurs de Firefox, Linux et Spip ne savent peut-être pas qu'ils utilisent un bien commun. Wikipédia fonctionne sur la même logique. Son efficacité n'est plus à démontrer. Sa procédure d'amélioration en boucle fonctionne bien, loin du modèle perdant-perdant de Garrett Hardin.

Le concept se décline aussi en vert, et ce n'est pas du green washing ! Les écologistes ont su se saisir de ce qu'Elinor Ostrom appelle les communs «naturels» en opposition avec ceux dérivés des nouvelles technologies. Cette théorie est localement très adaptée aux initiatives en réaction au développement des semences de Monsanto, très efficace aussi contre la privatisation des savoir-faire locaux. C'est aussi un outil contre la privatisation de l'eau. En Irlande, par exemple, la troïka - Banque mondiale, Commission européenne et FMI - a conditionné certaines aides à la facturation de l'eau. Les Irlandais ont refusé, ils ne l'ont jamais payée. En Italie, les citoyens se battent aussi pour récupérer sa gestion. Certains souhaitent la remunicipalisation de l'eau quand d'autres aspirent à la création d'un commun qui échappe à la gestion du politique. C'est aussi une idée généreuse. Là où les libéraux proposent de la concurrence, d'autres optent pour la collaboration ou, pour reprendre le vocabulaire de Dardot et Laval, pour « tourner le droit d'usage contre la propriété ». Pour finir, les communs proposent aussi un concept poétique et pacificateur. La Lune, par exemple, est chose commune. Le droit de propriété de notre satellite a été défini en 1967. Un traité international établi sous l'égide de l'ONU précise que « l'espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l'objet d'appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d'utilisation ou d'occupation, ni par aucun autre moyen ».

Comment résister à une idée si généreuse ? Les colloques se multiplient sur le sujet. La cause a ses héros, dont Naomi Klein. Certains livres sont des succès d'édition. Commonwealth, l'essai de Michael Hardt et Antonio Negri, a un certain retentissement outre-Atlantique. Commun, essai sur la révolution au XXIe siècle, de Pierre Dardot et Christian Laval, a été traduit en plusieurs langues et vient d'être récemment édité en poche.

 

ET L'ÉTAT, DANS TOUT ÇA ?

Mais les communs ont du mal à intéresser en France. Le concept se développe plutôt dans des pays à déploiement étatique tardif, comme l'Italie, l'Espagne et certaines nations d'Amérique du Sud. Il séduit aussi dans des pays où la critique de l'Etat est un sport national, comme les Etats-Unis. Dans son article « Le commun contre l'Etat ? » (lire Pour en savoir plus), Serge Audier est obligé de l'analyser à travers le débat italien. Pour reprendre ses termes : « Le public français ignore à peu près tout de cette nébuleuse qui connaît pourtant une véritable "mode" en Italie. » Les Français craignent que le développement de ce concept n'accélère la réduction des services publics, brusque l'atrophie de la main gauche de l'Etat. Il faut dire que le concept concurrence celui de bien public. Or, certains ne s'en cachent pas, les communs sont aussi un moyen de réduire le pouvoir de l'Etat, voire un outil contre l'Etat. Antonio Negri et Michael Hardt font partie de ce groupe. « L'Etat est devenu le complice et même l'agent actif de la privatisation du monde », tempêtent-ils. Leur antiétatisme vaut leur antilibéralisme. Pierre Dardot et Christian Laval sont un peu sur la même ligne. Même si le propos est un peu plus nuancé, il est clairement affiché : « Si le commun devient une question si importante, c'est qu'il révoque brutalement les croyances et les espérances progressistes dans l'Etat. » Ces deux auteurs savent que la pente est savonneuse. Joignent-ils leur voix à Ronald Reagan pour qui « l'Etat est le problème » ? Malgré les apparences, évidemment non, mais ils se sentent obligés de préciser pour leurs lecteurs qu'« il ne s'agit pas de faire écho à la condamnation néolibérale des interventions sociales, culturelles et éducatives de l'Etat ». Le propos est assez confus.

Les Français sont échaudés par ces discours. Pas totalement amnésiques, ils se souviennent du glissement rapide de la deuxième gauche. Pour reprendre la formule d'Alfred Loisy, « le PSU [Parti socialiste unifié] annonçait l'autogestion, et c'est le marché qui est venu ». Tout dérape après l'échec du mouvement social des montres Lip dans les années70 et s'amplifie avec les grandes privatisations de Lionel Jospin, quand il était Premier ministre, de 1997 à 2002, pour aujourd'hui s'épanouir dans le social-libéralisme à la façon d'Emmanuel Macron.

Les plus plus posés savent enfin que la mise en œuvre des communs s'apparente au droit d'association. La loi de 1901 y fait même référence. Son article 1 définit l'association comme « la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d'une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices ». Il n'y aurait donc rien de nouveau sous le soleil, si ce n'est que les communs sonnent mieux que cette institution très française de la IIIe République. Ainsi vont les modes.

 

Pour en savoir plus :

Commun, essai sur la révolution au XXIe siècle, de Pierre Dardot et Christian Laval, La Découverte Poche, 600 p., 13,50 €.

Etat social, propriété publique et biens communs, de Thomas Boccon-Gibod et Pierre Crétois, Le Bord de l'eau, 300 p., 22 €. A lire plus particulièrement l'article de Serge Audier.

Le Retour des communs, la crise de l'idéologie propriétaire, sous la direction de Benjamin Coriat, Les liens qui libèrent, 250 p., 21,50 €.

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

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