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14 décembre 2013 6 14 /12 /décembre /2013 22:37

 

Source : blogs.rue89.com

 

Les Italiens dans la rue, ça devait bien arriver un jour...
Flora Zanichelli - Journaliste

Publié le 14/12/2013 à 11h02

 

 

Des étudiants en colère qui prennent d’assaut l’université la Sapienza à Rome où sont réunis des ministres pour une conférence baptisée « l’Italie et la nature », des Italiens fatigués qui siègent devant la chambre des députés à Rome, des manifestations plus ou moins importantes dans tout le pays... Que se passe-t-il exactement en Italie ?

Les faits remontent à ce lundi. Je dis bien les faits et non pas les causes profondes, qui elles, sont enracinées dans le temps depuis au moins deux décennies. Lundi à Turin, les Italiens ont manifesté, bloqué les trains. Bars, boutiques, marchés, tout était fermé. Les manifestants ont pris d’assaut la région Piémont, lançant contre les murs des bouteilles, des pétards, des pierres...

 

 

La manifestation des Forconi à Turin (La Repubblica TV)

En Italie, Turin n’est pas une ville comme les autres. Autrefois berceau de l’industrialisation, elle ressemble désormais à une ville fantôme. C’est ce que racontait à la rentrée l’excellent journaliste d’enquête Riccardo Iacona dans son émission « Presa Diretta ».

A Turin, ville berceau de la Fiat, il y aussi la Saturno, la Global Business... autant d’entreprises qui fabriquaient des petites pièces pour Fiat jusqu’à ce que celle-ci délocalise ces activités. L’équation est tristement simple : moins d’activités + moins de postes de travail = érosion du tissu économique. Selon un journaliste de la Repubblica, Turin perdrait ainsi 500 millions d’euros par an du fait du chômage croissant.

C’est la réalité de la crise : le constat pourrait s’arrêter là. Sauf qu’en Italie, elle est couplée avec des scandales à répétition. Récemment, des conseillers piémontais se sont ainsi fait prendre la main dans le sac : ils détournaient l’argent de la région pour se faire rembourser leurs billets de match de football, leur séances d’UV...

Interviewés par un journaliste du programme « Servizio Pubblico » sur leurs actions, les politiques ont préféré lui fermer la porte au nez ou ignorer ses questions. Cet épisode n’est pas cité au hasard. C’est une situation récurrente en Italie.

Des personnes « exaspérées et fatiguées »

La manifestation en Italie ce lundi a fait forte impression. D’autant plus que les policiers chargés de veiller à la sécurité ont enlevé leurs casques. Aux dires de la préfecture, « pour calmer les manifestants ». Je connais des policiers à Turin : ils travaillent dans des conditions difficiles, entre la guérilla du Val de Suse et délinquance quotidienne. Ils m’ont donc orientée plutôt vers ce témoignage anonyme d’un agent. Voici ce qu’il confiait :

« Moi aussi j’ai enlevé mon casque. Et bien volontiers. Les motifs de la protestation, nous les vivons dans notre propre quotidien. Et si la situation ne change pas, la désobéissance civile se propager bientôt dans les rangs des forces de l’ordre. »

Cet agent gagne 1 300 euros par mois, ses primes ont été supprimées. Sur la place il affirme avoir vu « des personnes exaspérées, fatiguées ». Regroupés sous diverses appellations, « Forconi » (fourches), comité du 9 décembre, les Italiens descendus dans la rue sont étudiants, commerçants, entrepreneurs... Un ensemble très difficile à circonscrire d’autant plus qu’il a été infiltrés par des groupes d’extrême-droite et gauche ainsi que quelques ultras.

Leur point commun : estimer que leur classe dirigeante est incapable de donner une réponse à leurs problèmes. Pire... qu’elle les renforce. Leur seule solution : la disparition complète de la caste politique, la désormais fameuse « casta ».

10% des Italiens possèdent 50% des richesses

En Italie, la défiance envers la politique, nourrie par des décennies de scandales et de berlusconisme, est à son comble. Depuis sa désignation en avril dernier, le président du conseil Enrico Letta peine à réformer le pays. Ses mesures ne convainquent plus une partie des Italiens, durement touchés par l’austérité.

Huit millions d’Italiens vivraient désormais dans la pauvreté. Quant aux jeunes, les perspectives d’emploi s’amenuisent avec plus de 40% de chômage chez les 15-24 ans. Le fossé entre riches et pauvres s’agrandit à mesure que se creusent les inégalités, comme l’explique le journaliste Riccardo Iacona :

« L’Italie est le pays où la richesse privée est la plus importante. Au-delà de la France, de l’Allemagne. Selon une étude de Bankitalia, la somme des maisons, du cash et de l’argent investi dans des titres et d’actions serait de 9 000 milliards d’euros. Soit cinq fois la dette publique italienne. Si l’Italie était une entreprise, personne ne dirait qu’elle est en faillite.

Mais le problème c’est que la dette est à tout le monde tandis que la richesse privée est entre les mains d’un petit nombre. 10% des Italiens possèdent ainsi 50% des richesses privées du pays. Malgré tout, en cette période de crise dramatique et urgente, cette richesse est restée intacte et aucun sacrifice n’a été demandé aux riches et super riches italiens ».

La bureaucratie complique la vie

Le « décret du faire » pris par le gouvernement Letta, censé réformer en profondeur le pays aura du mal à atteindre ses objectifs. La simplification de l’administration italienne qui doit en découler laisse dubitatif plus d’un observateur de la vie politique italienne.

L’émission d’enquête « Report » expliquait :

« La bureaucratie coûte 31 milliards d’euros par an aux PME italiennes. Cependant, l’administration publique accorde les permis et documents avec des mois de retard. Plus que simplifier, la bureaucratie complique la vie des entrepreneurs italiens. Le décret du faire essaie de simplifier les procédures et indemniser les entreprises qui auraient subies des dommages du fait de ces retards. »

Bien vite cependant, on s’aperçoit qu’il sera très compliqué de faire condamner l’administration en raison, notamment, de délais très courts pour porter plainte.

Dans la foulée, la cour des comptes italienne a reconnu que la loi de stabilité financière favorisait les plus riches au détriment des plus pauvres. Une impression confirmée par la suite par l’Institut de statistiques italien. Voilà de quoi creuser davantage la fracture entre les décideurs et leurs administrés.

« [Nous somme] contre le pouvoir politique »

Le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, qui avait réussi jusque-là à catalyser l’exaspération des Italiens, avec des gestes forts, comme le renoncement à la moitié de l’indemnité parlementaire et la création au profit des PME d’un fonds de solidarité avec l’autre moitié, semble aujourd’hui dépassé. Les Forconi et autres ne veulent plus rien entendre. « Se rebeller est un devoir », tel est leur slogan.

Les Forconi sont nés il y a un an en Sicile. Dans un e-mail adressé à Rue89, l’un des membres écrivait alors :

« [Nous sommes] contre le pouvoir politique qui veut détruire l’économie au profit de quelques uns. Nous avons bloqué tout transport d’huile, de nourriture... »

La mobilisation avait duré plusieurs jours, suffisamment pour paralyser la région. Lors d’une manifestation à Palerme, un drapeau italien, « symbole de l’Etat », avait été brûlé. Des rumeurs avaient alors circulé selon lesquelles la mafia avait infiltré la rébellion avant d’être rapidement démenties par ses leaders, choqués par de tels accusations.

« Des faits, pas des promesses »

Aujourd’hui, certains leaders de la manifestation du 9 décembre intriguent la presse transalpine. Qui est donc ce Danilo Calvani, entrepreneur en faillite qui harangue la foule et disparaît à la fin de son discours dans la jaguar « d’un ami » ? Qui sont ces gens qui ont contraint les commerces à fermer voire même menacé une librairie de brûler ses livres ? Sont-ils en marge de la manifestation ? Nul ne le sait.

Ces faits ne doivent pourtant pas minimiser la réalité brûlante que vit actuellement la Péninsule. Le point est qu’aujourd’hui en Italie, l’exaspération sociale est tous les jours sous nos yeux. Ce sont les amis qui ne savent plus quel sera l’avenir de leurs enfants, les professions indépendantes qui morflent, le prix de l’essence qui augmente de manière exponentielle, la santé et l’éducation qui sont bien loin d’être des priorités... Dans ce marasme ambiant, le moindre travers est sévèrement condamné. Prochaine étape, comme aiment à dire une bonne partie des Italiens : « Des faits, pas des promesses. »

 

 

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