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8 avril 2013 1 08 /04 /avril /2013 15:15

 

Médiapart

| Par Carine Fouteau

 

Sa mission consiste à aider les Roms à s'intégrer. Désigné depuis sept mois par le premier ministre, le préfet Alain Régnier, délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), est censé faire contrepoids à la politique de démantèlements des campements menée par le ministre de l’intérieur.

Le programme fixé par Jean-Marc Ayrault est d'anticiper l’intervention des forces de l’ordre, d'établir des liens avec les familles et de leur permettre d’accéder à leurs droits en matière de logement, de travail, de scolarisation et de santé. Autrement dit, de les aider à trouver une place dans la société française. Une tâche difficile à mener quand Manuel Valls clame que cette population ne souhaite pas s'insérer en France. 

 

Expulsion à Saint-Priest, près de Lyon, le 28 août 2012. © Reuters 
Expulsion à Saint-Priest, près de Lyon, le 28 août 2012. © Reuters

« Hélas, les occupants de campements ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution », a récemment déclaré le même ministre qui se charge de les faire évacuer et, ce faisant, les empêche de se stabiliser.

« C’est la mission la plus difficile qui m’ait été confiée de ma vie », indique Alain Régnier. Surnommé «préfet des Roms», il dénonce le racisme ordinaire qui se développe à l'encontre de cette population et la schizophrénie des pouvoirs publics. Cet ex-directeur de cabinet de Dominique Versini et de Nelly Olin et ancien collaborateur de Dominique de Villepin à Matignon se retrouve sur une ligne comparable à celle défendue par le Défenseur des droits, Dominique Baudis, ex-élu centriste (lire son entretien dans Libération). Marqués par leur expérience, l'un et l'autre rejoignent les constats effectués depuis des années par les associations sur le terrain.

Entretien avec un adepte de la « politique des petits pas », à l’occasion de la journée internationale des Roms le 8 avril, et alors qu’en France les évacuations de terrains se multiplient, le plus souvent sans propositions de relogement. 

 

Quelle analyse faites-vous de la situation des Roms en France ?

Alain Régnier. Selon mes estimations, ils sont environ 20 000 en France, dont un tiers d’enfants. Un chiffre à comparer aux 900 000 installés en Espagne et aux 2,5 millions en migration dans l’espace européen. Leur nombre est à peu près stable depuis une décennie. En Île-de-France, on compte 260 campements, soit 12 000 personnes. Ils sont extrêmement pauvres et quittent leur pays, en Roumanie dans 80 % des cas, parce qu’ils n’y trouvent pas leur place. Comme n’importe quel migrant, ils cherchent des conditions de vie meilleures au sein de l’Europe en construction. Contrairement aux gens du voyage, ils ne sont pas itinérants. Avant leur départ, ils avaient presque tous un habitat. Ceux qui se retrouvent en France partagent des traits communs avec les personnes qui vivent ou plutôt survivent dans la grande pauvreté : misère et exclusion. Leur sort n’est par exemple pas très éloigné de celui des SDF qui ont élu domicile depuis des années dans des baraquements de fortune le long du périphérique parisien. Mais, à la différence des autres sans-abri qui sont généralement isolés, les Roms vivent en famille.

 

Pourquoi ces familles ont-elles quitté leur pays d’origine ?

C’est la misère qui les a forcées à bouger. Mais aussi les discriminations. En Roumanie, dans le cadre du recensement, seulement 600 000 personnes se déclarent Roms, alors qu’on estime leur nombre à plus de 2 millions. Dans ces pays d’Europe de l’Est, le sentiment national s’est construit en opposition à elles.

 

Quel est le sens de votre mission ? Avec ou contre Manuel Valls ?

J’ai été désigné par le premier ministre Jean-Marc Ayrault après la circulaire interministérielle du 26 août 2012. Signée par sept ministres, ce texte contient deux versants : l’un concerne l’ordre public, avec les démantèlements qui interviennent en application de décisions de justice ou de critères d’urgence ; l’autre, social, suppose l’insertion des familles, l’accès à l’école, à la santé, à l’emploi. Tel est le cadre de mon action. L’idée n’était pas de créer une “mission Rom”, mais de s’inscrire dans le droit commun. M’occupant déjà des questions de sans-abri et de mal-logés, j’ai considéré que cette population rencontrait des problèmes analogues étant donné qu’elle vit le plus souvent dans des bidonvilles ou des grands squats. À la différence de la vision développée à Bruxelles, l’approche française n’est pas communautaire. Ce n’est pas dans notre tradition de traiter les gens en fonction de leurs origines ethniques. Mon travail comporte par ailleurs un volet européen puisque je suis le « point contact » français de la Commission, parmi les vingt-sept, pour une politique Rom. Cette mission, entamée depuis presque sept mois, est la plus difficile qui m’ait été confiée de ma vie professionnelle.

 

Pourquoi la plus difficile ?

Je suis frappé par le rejet dont les Roms font l’objet. C’est la première fois que je reçois un mail dans lequel je me fais traiter de « collabo », de « traître à la patrie » à cause de mon activité. On observe une cristallisation de toutes les peurs de notre société sur cette population. Avant Noël, Le Parisien a fait un article sur ces Français détroussés devant l’Opéra à Paris. Et la photo montrait des enfants roms. Ce sont les nouveaux immigrés de la société française. Les élus se font l’écho de l’inquiétude des riverains. À de rares exceptions près, ils ne veulent pas de campements chez eux. On atteint des niveaux de rejet extrême : certains veulent les voir disparaître physiquement. C’est comme les salles de shoot ou les centres d’accueil pour SDF. L’arrivée de Roms à côté de chez soi est vécue comme un tsunami. D’ici aux élections municipales, la pression risque de s’accroître. De toute ma carrière, je n’ai jamais rencontré un tel racisme ordinaire, autant de clichés, y compris dans nos entourages. La France n’est pas à part : la figure fantasmatique de l’invasion de l’étranger se développe aussi ailleurs en Europe, comme en Allemagne et en Angleterre.

 

De quels moyens disposez-vous pour votre mission ?

En plus de la délégation que j’anime, composée d’une quinzaine de spécialistes du logement et de l’hébergement, j’ai obtenu l’appui d’une inspectrice d’académie, pour l’école et la culture, d’un sous-préfet pour les relations avec les préfectures, et d’un administrateur civil du ministère de l’emploi, pour le travail. Je n’ai pas encore fait de visites de terrain, cela viendra dans un deuxième temps. J’essaie tout d’abord d’impliquer au maximum les ministères concernés. Avec les administrations centrales, nous avons rédigé un guide-pratique à destination des préfectures et des services de l’État. Ce n’est pas prescriptif, mais cela a une valeur d’appui. J’organise des réunions avec les élus locaux qui s’intéressent à ces questions, mais aussi avec mes correspondants dans les préfectures et les associations nationales. À notre niveau, par des expositions et des ateliers, nous faisons en sorte de changer les représentations, le regard des Français sur les Roms, qui ne sont ni génétiquement voleurs ni génétiquement ferrailleurs. Mais, encore une fois, le principal problème auquel nous ayons à faire face est le blocage de la société française. Depuis les années 2000, ses capacités d’intégration se sont amoindries, voire arrêtées.

 

Vous signalez la faible capacité d’intégration de la société française. Manuel Valls, de son côté, rejette la responsabilité sur les Roms eux-mêmes qui, estime-t-il, « ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays ».

Les Roms sont des citoyens européens, ce qui signifie qu’ils disposent de la liberté de circulation et de la liberté d’installation. Seul bémol : au bout de trois mois, ils doivent disposer de ressources suffisantes pour rester. Dans un espace ouvert, les gens doivent pouvoir circuler. Dire qu’une personne peut s’intégrer ou refuse de s’intégrer est subjectif. Le constat objectif que nous faisons est que les Roms vivent dans une situation de grande misère et qu’ils essaient de s’en sortir comme ils peuvent. Viennent-ils en France par choix ? C’est difficile à dire. L’immense majorité d’entre eux ne parlent pas français. Ce n’est pas forcément évident pour eux de communiquer avec les travailleurs sociaux. J’essaie ainsi d’obtenir des moyens auprès du ministère de l’intérieur pour favoriser l’apprentissage du français. Concernant l’emploi, on observe un triplement du nombre d’autorisations de travail délivrées depuis la mise en œuvre de la circulaire du 31 janvier 2013 du ministre du travail, Michel Sapin. On approche le millier d’autorisations. Ce qui est un premier pas pour une population de 13 000 Roms adultes en France, dont 7 000 hommes susceptibles de trouver un emploi. Les femmes pour leur part travaillent encore peu, selon une conception traditionnelle de la cellule familiale. En matière de scolarisation, j’ai obtenu des engagements forts des ministres de l’éducation et de la réussite éducative Vincent Peillon et George-Pau Langevin.

Nos résultats sont encourageants dans le primaire en raison des mesures concrètes que nous avons prises pour faciliter le ramassage scolaire et l’accès à la cantine. Dans le secondaire, la scolarisation, notamment celle des filles, reste marginale. C’est un travail de longue haleine, de crédibilisation des politiques publiques. Il n’y a pas si longtemps, dans les campagnes françaises, les enfants allaient au champ travailler avec leurs parents. Pour avancer, nous devons rendre effectif le droit à la scolarisation, qui, faut-il le rappeler, est un droit fondamental. Quand un maire refuse de scolariser des enfants, c’est une catastrophe. Dans ce cadre, l’intervention des forces de l’ordre n’est pas sans conséquences. Les évacuations répétées cassent les processus d’intégration.



Pourtant les démantèlements se multiplient. Le volet sécuritaire de la circulaire semble l’emporter sur le volet social. N’est-il pas paradoxal de reprocher aux Roms de ne pas s’intégrer alors qu’ils sont chassés d’un terrain à l’autre ?

On est sur une ligne de crête entre l’exécution des décisions de justice et le travail préventif. C’est un équilibre difficile, d’autant plus qu’on est face à des pressions importantes des élus et de la population, et ce à quelques mois des échéances municipales. J’espère qu’ensuite nous pourrons aller vers une contractualisation territoriale.

 

Les évacuations sont censées être préparées et devraient s’accompagner de mesures de relogement. Quel est le bilan ?
On est encore loin du compte. Nous avançons pas à pas, avec parfois des pas en arrière. Mais notre démarche s’inscrit dans le moyen et le long terme. Les diagnostics individuels, même s’ils ne sont pas toujours suivis d’effets, sont réalisés de plus en plus systématiquement sur les terrains. J’ai obtenu 4 millions d’euros pour cela. Ils nous aident à comprendre les trajectoires et les motivations des personnes et nous permettent de proposer des stratégies de retours plus adaptées aux besoins des personnes.

 

Observez-vous déjà des effets de la baisse du montant de l’aide au retour décidée par Manuel Valls et entrée en vigueur dans la foulée ?

C’est très net. On observe une baisse de la moitié des bénéficiaires depuis que l’aide est passée de 300 à 50 euros par adulte. C’était l’objectif. J’y étais favorable. Cette dépense était incohérente, puisque les personnes qui en bénéficiaient revenaient aussitôt.

 

Quelles sont vos marges de manœuvre ?

Lorsque des personnalités ou des associations m’interpellent sur des cas particuliers, je saisis la préfecture et je les signale au Défenseur des droits, notamment lorsqu’il est question d’enfants. Les élus, eux, sont dans l’immédiateté. Certains font des choses, mais la plupart se défaussent sur leurs voisins. Quant aux préfets, ils se trouvent dans une situation schizophrénique. On leur demande de mettre à l’abri les personnes démunies qu’ils vont ensuite devoir expulser. Ces injonctions contradictoires, ces incohérences des politiques publiques contribuent à décrédibiliser l’action publique chez nos compatriotes. Sans compter qu’elles ont un coût. Évacuer un campement peut être nécessaire. Mais c’est parfois aussi une perte de temps, une perte d’énergie et une perte en termes d’investissement social.

 

 

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