L'émotion collective suscitée à travers l'Inde par la mort d'une étudiante de New Delhi, le 29 décembre 2012, après avoir été sauvagement violée dans un bus de la capitale, a permis de jeter une lumière crue sur les violences sexuelles dans le géant d'Asie du sud. Un rapport de l'organisation Human Rights Watch (HRW), rendu public jeudi 7 février, révèle que ces violences faites aux femmes s'inscrivent dans un phénomène social plus général dont les enfants sont aussi victimes.
Intitulé "Rompre le silence : violences sexuelles infligées aux enfants en Inde", ce rapport est le fruit d'une recherche nourrie d'une centaine d'interviews d'officiels gouvernementaux, de médecins, de policiers, d'avocats, d'animateurs d'associations et d'enfants. Il dévoile que "les abus sexuels des enfants en Inde sont courants mais cachés", déclare au Monde à New Delhi Meenakshi Ganguly, la directrice de HRW pour l'Asie du Sud.
Selon une étude gouvernementale datant de 2007 citée dans le rapport, 53 % des 12 500 enfants interrogés affirmaient avoir été victimes d'abus, 20 % sous une "forme grave". Seuls 3 % de ces cas d'abus ont été signalés à la police. Evoquant le secret entourant ces violences, la ministre de l'époque chargée des femmes et du développement de l'enfant, Renuka Chowdhury, avait alors fustigé une "conspiration du silence".
FAILLITE GÉNÉRAL DU SYSTÈME DE PROTECTION
Le rapport de HRW n'apporte pas de nouvelles données quantitatives mais se livre à une analyse qualitative du fléau. Il souligne deux niveaux d'échec : "L'échec dans la protection de l'enfant, et l'échec dans la réponse aux abus", indique Mme Ganguly. La faillite dans la protection a été illustrée par une affaire à forte résonnance médiatique qui a éclaté en 2012 dans l'Etat de l'Haryana, proche de New Delhi. Trois adolescentes étaient parvenues à s'enfuir d'un orphelinat pour sonner l'alarme sur les violences sexuelles qui y sévissaient.
Dépêchée sur place, une équipe de la Commission nationale pour la protection des droits de l'enfant (NCPCR, selon l'acronyme anglais) a découvert une situation "démente, incroyable", selon les termes d'un des inspecteurs. Des personnes extérieures à l'établissement venaient exploiter sexuellement les orphelins et même le gendre de la directrice était partie prenant aux abus. Signe de la faillite général du système, la directrice de l'orphelinat avait été sacrée "femme modèle de l'année" par l'Etat de l'Haryana. A l'instar de cet établissement, nombre d'institutions hébergeant des enfants vulnérables sont le théâtre d'abus. Un grand nombre d'entre eux ne sont pas répertoriés.
Le second niveau d'"échec" dénoncé par HRW tient dans la réponse inexistante ou inadaptée du système une fois les cas d'abus signalés. "Les enfants qui dénoncent courageusement des abus sexuels sont souvent éconduits ou ignorés par les policiers, le personnel médical et les autres représentants des autorités", déplore Mme Ganguly.
PRISE DE CONSCIENCE DE CES DÉRIVES AU SOMMET DE L'ETAT
Le rapport de HRW critique aussi la permanence d'un test médical – dit le "test du doigt" – ,"dépourvu de toute valeur scientifique" mais humiliant pour les plaignants. "Alors qu'il est assez difficile pour un enfant sexuellement abusé, ou pour ses proches, de se présenter pour demander de l'aide, les autorités indiennes, au lieu de traiter ces affaires avec sensibilité, les humilient souvent et les traumatisent à nouveau", dénonce Mme Ganguly.
Le rapport de HRW admet que la prise de conscience de toutes ces dérives est réelle au sommet de l'Etat indien. En 2012, le Parlement a adopté une loi sur la protection des enfants contre les délits sexuels (Protection children from sexual offenses Act). Mais l'organisation des droits de l'homme appelle à une "mise en œuvre adéquate de la loi et des autres textes existants". Afin d'en finir avec ce qu'un membre de la NCPCR impliqué dans l'inspection de l'orphelinat de l'Haryana appelle un "échec systémique".