Les militants qui squattaient le bocage recouvrant le site du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes ont été expulsés mardi 16 octobre, à grand renfort d’hélicos, de CRS et de gendarmes. Plus de 500 agents ont été engagés sur cette opération de grande ampleur qui a débuté aux petites heures du jour. Sept maisons et plusieurs campements constitués de cabanes, dont certaines arrimées aux arbres, de caravanes et d’habitats autoconstruits ont été évacués par la force.
Toutes ces habitations doivent être détruites afin d’en empêcher la réoccupation, a annoncé le préfet de Loire-Atlantique et de la région Pays de la Loire Christian de Lavernée. Ces démolitions pourraient prendre plusieurs jours. « On va changer de squatteurs », ironise Sylvain Fresneau, un agriculteur menacé d’expropriation.
Une partie du campement dit La Bellish, où Mediapart avait réalisé un reportage l’automne dernier, a brûlé lors de son évacuation. « Cette opération se justifie par la préparation des travaux qui doivent s’engager fin 2012, début 2013, notamment les premiers défrichages et les sondages archéologiques du terrain », explique le préfet.
Plusieurs dizaines de personnes sont concernées par cette expulsion – jusqu’à 150 en comptant les renforts de ces derniers jours, selon une militante. Toute la matinée et une partie de l’après-midi, des barricades ont flambé et quelques lacrymos ont été lâchées mais aucune arrestation n’était signalée en fin d’après-midi. Les occupants de la zone d’aménagement différé (ZAD) ont réussi à hacker la fréquence locale d’autoroute FM, sur 107.7, rebaptisée « Radio klaxon », pour y diffuser en direct des informations sur l’avancée des policiers (retrouver ici le récit de l'expulsion par les militants).
La semaine précédente, de premières évacuations, beaucoup plus discrètes, avaient déjà eu lieu. « C’est dur, c’est une défaite, réagit Geneviève Coiffard–Grosdoy, opposante de longue date, membre d’Attac et du comité d’organisation du Forum des projets inutiles et imposés (voir notre reportage à son sujet). Depuis le temps qu’on dit qu’on va contrer les forces de l’ordre par la résistance aux expulsions, on n’a pas pu. »
C’est l’approche de la trêve hivernale, qui débute le 1er novembre, qui a décidé de la date de cette opération policière de grande ampleur, coordonnée au niveau national, et en accord avec Matignon. Longtemps député-maire de Nantes et soutien historique de ce projet de nouvel aéroport, Jean-Marc Ayrault a quitté la veille Nantes où il avait passé le week-end pour un séjour privé. « Je vous corrige, ce n’est plus un projet, c’est une certitude », explique Jacques Auxiette, président de la région Pays de la Loire et président du syndicat mixte de l’aéroport.
Le chantier de l’aéroport stricto sensu n’est pas prévu avant fin 2015, début 2016, car toute une série de travaux doivent avoir lieu au préalable, notamment la construction de voiries.
À la suite d’une grève de la faim de plusieurs semaines d’agriculteurs refuzniks (voir ici notre reportage), un accord politique a été signé en mai entre les opposants et les collectivités locales impliquées. Il gèle les expulsions d’habitants présents sur le site avant la déclaration d’utilité publique (en 2008) tant que courent quatre recours juridiques (voir ici notre article sur ce dossier). Deux ont été jugés cet été ; celui qui conteste le refus d’abrogation de la déclaration d’utilité publique (DUP) devant le Conseil d’État devrait être jugé d’ici la fin de l’année. Ne resteront plus alors que des pourvois en cassation des propriétaires fonciers dénonçant les conditions d’expropriation, mais ils ne menacent pas la crédibilité du contrat de concession, insiste Jacques Auxiette. Les squatteurs de la ZAD avaient été exclus de cet accord, car ils occupent illégalement les lieux.
Sur le terrain, plusieurs personnes décrivent un durcissement des rapports avec la police depuis l’élection présidentielle. « Le changement est indéniable, ils ne tolèrent plus nos rassemblements et leur agressivité est manifeste, on sent une détermination à briser toute résistance », décrit Julien Durand, agriculteur retraité et pivot du mouvement. Un autre parle de « militarisation » de la zone.
Ce projet d’aéroport, vieux de plusieurs décennies (retrouver ici notre enquête)
Mais pour Jacques Auxiette, le financement public engagé est au contraire très raisonnable : 40 millions d’euros seulement pour la région entre 2011 et 2017, alors qu’elle en investit chaque année 600 millions. « Entretenir l’idée que ce aéroport peut être remis en cause, c’est de l’agitation inutile. » Porte-parole d’EELV, et vice-président de la région Pays de la Loire, Jean-Philippe Magnen n’en démord pas : ces expulsions marquent une volonté « d’accélération alors que l’on va rentrer dans un débat national sur les comptes publics et la révision du schéma national d’infrastructures de transport. Il y a la volonté d’imposer ce projet par l’évidence ». En août dernier, Delphine Batho, la ministre de l’écologie et de l’énergie, a manifesté son soutien à l’aéroport : « Je pense que c'est une infrastructure dont nous avons besoin. »
Le mouvement d’occupation a débuté il y a un peu plus de trois ans, initié par des militants d’inspiration libertaire opposés à l’aéroport et avides de terres cultivables libres pour y créer des communautés écologistes, autogérées et anti-autoritaires. Au fil du temps, des liens s’étaient tissés entre une partie d’entre eux et les riverains, essentiellement des agriculteurs. « Nous soutenons tous les occupants de la ZAD, ajoute Dominique Fresneau, porte-parole de l’ACIPA, l’association historique des opposants. Ils sont tous légitimes même s’ils ne sont pas légaux. »
Alors que les expulsions étaient toujours en cours, des opposants à l’aéroport tentaient de préparer le coup d’après : une campagne pour empêcher les démolitions, et pourquoi pas ensemencer de blé 250 hectares de parcelles. Certains rêvent déjà d’en récolter le foin au printemps prochain.