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29 novembre 2013 5 29 /11 /novembre /2013 17:29

 

Source : rue89.com

 

 

Acte de propriété 29/11/2013 à 12h12
Envie de vivre ensemble : des amis ont co-construit un immeuble

Benjamin Belliot-Niget | Journaliste


 

Avec ses amis, Madeleine, Nantaise de 62 ans, a bâti un immeuble. Sorti de terre en 2011, ce projet de co-construction n’a pas été de tout repos.


L’immeuble Bab’El Ouest (Benjamin Belliot-Niget/Rue89)

Avec ses amis, Madeleine, Nantaise de 62 ans, a bâti un immeuble.
Portail orange vif, façade brute aux couleurs chaudes, mur du rez-de-chaussée pavé de verre bleu... le bâtiment est sorti de terre en 2011.

Dans le grisâtre quartier Mangin de Nantes, l’immeuble baptisé Bab’El Ouest est inratable. Pour ceux qui en connaissent l’histoire, il est encore plus spécial : il est né par la volonté d’un groupe de particuliers, et non d’un promoteur. C’est Thérèse et Madeleine, deux vieilles amies, qui en ont eu l’idée en 2004.

De la communauté à la coloc’

C’est chez Madeleine, au second étage de l’immeuble, qu’on se fait raconter Bab’El Ouest. Thérèse est là en voisine – elle habite la maison dans la cour. Madeleine, 62 ans, prof de maths tout juste en retraite, se souvient de 1972 quand elles vivaient sous le même toit.

« A l’époque, on partageait une maison à Doulon [quartier nantais, ndlr]. On n’appelait pas encore ça une colocation, on parlait plutôt de communauté.

On était profs, pions, étudiants, et chacun payait en fonction de ses revenus. Ça a duré jusqu’en 1978, et après chacun a mené sa vie. »

En 2004, après vingt ans loin de la région nantaise, Thérèse revient y vivre.

Habiter en ville, près des transports


Madeleine, dans son salon (Benjamin Belliot-Niget/Rue89)

Seule, l’assistante de direction propose alors à Madeleine, amie de trente ans dans la même situation, de s’essayer à la co-construction. Autour du projet se crée un groupe à géométrie variable. Thérèse raconte :

« Il y a des gens qui sont partis, d’autres qui sont arrivés. Mais on avait un noyau dur stable. Notre point commun, c’est qu’on avait tous déjà vécu des expériences de vie collective, nourries par autre chose que le simple critère d’économie. Le projet n’arrivait donc pas sur un terrain en friche. Et à ce moment, en 2004, on était tous locataires dans des choses pas très chères. On pouvait attendre sans que ce soit compliqué. »

Le groupe veut habiter en milieu urbain, à proximité des transports. Une vision écologique pour ceux qui préfèrent « densifier la ville » plutôt que d’utiliser la voiture.

« Il n’y a pas beaucoup de terrain avec 500 m² constructibles en ville ! Du coup, à chaque fois qu’on visitait un terrain, on calculait la surface possible.

Chaque terrain exigeait un plan différent, mais c’était assez vite réglé. Sur ce terrain, on avait le droit de construire en hauteur, car il y avait déjà des immeubles à côté. »

« Les banquiers ont été frileux »

Evidemment, avant toute pose de pierre, il a fallu les financements. Selon Madeleine, ce n’est ni plus facile ni plus difficile de présenter à son banquier une co-construction plutôt qu’un projet classique d’achat.

« C’est vrai que les banquiers ont été frileux. J’ai eu la chance que l’employée avec qui je traitais appréciait le projet. Elle a bien manœuvré pour faire accepter mon dossier.

Dans le groupe, il y a eu d’autres situations. Certains qui avaient pourtant 50% d’apport ont eu un mal de chien à avoir un prêt. »


Le salon bibliothèque de Madeleine (Benjamin Belliot-Niget/Rue89)

Mais la co-construction a de quoi séduire les financiers. Economie d’échelle oblige, on est censé gagner de l’argent (de 5% à 15% inférieur au neuf, théoriquement). Joint au téléphone, un agent immobilier du quartier jauge le prix final du T3 « très correct pour du neuf ».

Un seul nom sur le permis de construire

Sur le terrain du quartier Mangin, l’architecte engagé dans le projet (pour 95 000 euros) envisage un immeuble de cinq appartements, et une maison à la surface équivalente aux appartements. Mais le groupe se fait doubler par un promoteur. Un peu amer, la bande continue sa quête. Plus tard, ils apprennent que le promoteur ne donne pas suite. Ils reviennent vers le vendeur et font une nouvelle offre. Ils signent fin 2007 le compromis de vente (210 000 euros et 51 000 euros de frais de notaire).

Et il a dès lors fallu rentrer dans le dur. Avec ce premier écueil que peut être le permis de construire. Les édiles peuvent se montrer circonspects devant l’initiative d’un groupe de particuliers. Sans compter que le permis de construire n’est pas adapté à la co-construction, souligne Thérèse.

« Comme on ne pouvait pas avoir une parcelle divisée, il fallait que tout soit à un seul nom. Ça a été moi. S’il y avait un pataquès, c’était tout pour moi. »

Et aucun « pataquès » n’est arrivé. Pourtant, la co-construction, ce n’est pas facile. Déjà car il n’y a pas de dispositif législatif adéquat : la loi Chalandon de 1971 renvoie aux oubliettes le statut de coopérative d’habitants.

En gros, si l’on veut construire à plusieurs particuliers, on se voit conseiller la constitution d’une société civile immobilière, qui en 2007 implique une TVA à 19,6%.

Niveau droit, « on picore à droite à gauche ! »

Une autre solution existe, c’est l’indivision pour l’achat et la construction, suivie d’un basculement vers un régime de copropriété classique. L’indivision est une solution plus avantageuse fiscalement mais évitée par les notaires. Le risque de capotage fait que nombre d’entre eux se protègent en refusant d’enregistrer cette opération.

Les Nantais finissent par trouver leur salut chez un notaire sarthois. Il confirme le caractère pionnier de la co-construction.

« Pour chaque habitat groupé, on cherche quel instrument du droit est le plus adapté à la situation. On défriche, on picore à droite à gauche ! »

« Ce n’est pas vivre en communauté »

Dans la cour de l’immeuble sont installés des petits gradins et une table de ping-pong. L’espace de vie déborde des appartements, et c’est bien l’intention de départ. N’employez pas le terme de communauté : probablement coupable de porter un parfum hippie, il est réfuté par Madeleine.

« Vivre les uns à côté des autres, ce n’est pas vivre en communauté. Chacun peut avoir son autonomie, on n’est pas dans la fusion. Rien n’est programmé, à part le compost qu’on va donner à une association tous les mardi. Et aussi les petits cinés qu’on se fait parfois, avec un vidéoprojecteur acheté en commun. Mais on ne fait rien d’extraordinaire niveau voisinage ! C’est possible d’être locataire ici et de ne pas se mêler à la vie collective. »

Si utopie déçue il y a eu, c’est sur le plan écologique. Les porteurs du projet auraient voulu faire plus, regrette l’ancienne prof de maths investie dans diverses causes militantes.

« Nos échecs s’expliquent toujours de la même façon : pas les sous. Initialement, on avait fait des recherches pour chauffer de façon écolo. Géothermie, aérothermie, poêle centralisé à copeaux, c’était trop cher. Il faut savoir que si vous faites un poêle collectif, vous n’avez pas droit à des aides. »


Chez Madeleine, le poêle à bois (Benjamin Belliot-Niget/Rue89)

Il faut savoir faire des compromis

Avec ses économies financières autant qu’énergétiques, la co-construction semble être dans l’air du temps. Rejoignant les problématiques d’habitat groupé et participatif, elle suscite bien des envies. Mais sur beaucoup de projets lancés, peu aboutissent. Madeleine a son idée sur les raisons :

« Les jeunes qui se lancent dans ces projets ont des situations de vie plus instables, dans la vie de couple ou dans le boulot. Ça rend les choses plus difficiles à durer. Nous, on est des quinquas, voire plus ! Quand on a construit, on avait le temps d’attendre, un boulot fixe, des réseaux conséquents, des ressources. Et puis on était dans le compromis. Par exemple, il a fallu renoncer à certains aspects écologiques pour aller au bout. »

Exemple de réussite sollicité par les médias, Bab’El Ouest l’est aussi par les collectivités. Thérèse évoque cette nouvelle expertise avec mesure.

« Nous ne sommes pas un modèle, plutôt une expérience qui peut bénéficier à d’autres. C’est une bonne chose que nous soyons sollicités par les mairies, car sans elles le modèle n’est pas généralisable. Tout n’est pas simple non plus, car le temps des municipalités n’est pas celui des particuliers. »

Les choses vont peut-être bouger encore plus en amont. Le projet de loi Alur, en débat actuellement au Parlement, veut permettre la réalisation d’opérations immobilières groupées.

Acte de propriété (part de Madeleine)

T3 de 73 m² et 29 m² de terrasse à Nantes, immeuble de 2011.

L’achat : 178 000 euros
  • Apport personnel : 70 000 euros
  • Somme empruntée : deux prêts contractés en 2008. Le premier de 23 000 euros est issu de son PEL. Le second est un prêt conventionné modulable se montant à 85 000 euros. Ils ont été regroupés et renégociés en 2013 sous un prêt unique à 2,9%. Elle rembourse 1 014 euros par mois pour un emprunt qui court sur encore treize ans.
Charges : 304,30 euros par mois
  • Charges de copropriété : 75 euros par mois

Electricité de l’espace commun, assurance de copropriété, entretien et frais liés à l’ascenseur, et eau.

  • Electricité : 24,89 euros par mois

Madeleine n’a que peu d’électroménager.

  • Bois pour le poêle : 9,4 euros par mois

Consommation d’une stère et demi par an.

  • Gaz (cuisine) : 3,5 euros par mois

Une bonbonne de 20 euros tous les six mois.

  • Assurance logement : 19,5 euros par mois (234 euros par an)
  • Taxe d’habitation : 90,2 euros par mois (1 082 euros par an)
  • Taxe foncière : 81,9 euros par mois (982 euros par an)

 

 

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