Source : leblogalupus.com
Politique monétaire. Raghuram Rajan estime que les banques centrales n’ont pas les outils adaptés à leur rôle.
Les demi-dieux de la finance se sont retirés sur leur Olympe, dans les Rocheuses. Les intervenants du marché attendaient impatiemment la bonne parole. Les économistes, analystes et autres experts qui ont suivi le sommet ont rivalisé de jeux de mots plus ou moins subtils. «Doux message du Grand Téton» qu’a osé un de mes collègues francophones d’une banque d’affaires britannique, est – à mon avis – celui qui mérite la palme cette année. Nul doute, le symposium de Jackson Hole, «Davos des banquiers centraux», a été l’événement à ne pas manquer de la semaine passée.
Mais la montagne a accouché d’une souris. Intitulée «Réévaluation des dynamiques du marché de l’emploi», la conférence se penchait sur la question suivante: pourquoi, cinq ans après la fin de la Grande Récession, les marchés du travail continuent à rester atones aux Etats-Unis, voire carrément déprimés en Europe dite périphérique?
Janet Yellen, la présidente de la Fed, nous a gratifié d’un numéro d’économiste à deux mains (selon la formule anglaise «on the one hand, on the other hand…») bien normand. Certes, il y a des éléments structurels qui permettent de comprendre pourquoi le chômage reste élevé malgré une politique monétaire ultra-expansive. Mais, comme il y a également des éléments cycliques, il convient de ne pas se précipiter dans une politique monétaire plus restrictive. Donc, on ne change rien, on laisse du temps au temps. La première hausse des taux n’interviendra au plus tôt que vers la mi-2015 et sera dépendante de l’évolution du marché de l’emploi… dont on ne sait pas vraiment comment il évoluera d’ici là.
Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), a , une fois de plus, longuement pontifié sur les causes structurelles du chômage en Europe. Rien de bien nouveau par rapport au message qu’il avait envoyé lors de la dernière annonce officielle de la BCE: «Il est assez clair que les pays qui ont entrepris un programme convaincant de réformes structurelles fonctionnent mieux – beaucoup mieux – que les pays qui ne l’ont pas fait ou qui l’ont fait dans une mesure limitée.» Suivez mon regard. Si la France stagne et que l’Italie en est à sa troisième récession depuis 2008, ce n’est certainement pas la faute à la politique monétaire, mais bien au manque de réformes.
Réformes structurelles par ci, réformes structurelles par là. N’y a-t-il vraiment pas d’autre explication que celle de l’absence de réformes au fait que l’Italie a actuellement un PIB réel inférieur à celui qu’elle avait en 2000? Ashoka Mody, jusqu’à récemment l’un des responsables de l’Europe au Fonds monétaire international (FMI), a osé affirmer, il y a quelques semaines, dans une interview au Daily Telegraph de Londres: «Réformer comme on l’entend de la part des élites européennes, c’est prendre ses désirs pour des réalités. En effet, la structure du marché de l’emploi ne diffère pas autant qu’on le croit entre l’Italie et l’Allemagne et il n’est pas plus facile d’embaucher et de licencier en Allemagne qu’en Italie.»
Le cru Jackson Hole 2014 n’a donc eu aucune saveur particulière. Ceux qui croyaient que la Fed ou la BCE dévoileraient des informations quant à l’évolution de leurs politiques monétaires réciproques – comme ce fut le cas en 2012 quand Ben Bernanke annonça le QE3 – ne peuvent être que déçus.
Ce n’était pas non plus le terrible cru de 2005, la célèbre fête d’adieu et de triomphe d’Allan Greenspan, où un seul homme osa briser l’euphorique consensus en questionnant avec prescience les risques de plus en plus importants concernant le système financier. Vilipendé à l’époque, Raghuram Rajan, devenu depuis président de la Banque centrale de l’Inde, fut l’un des très rares économistes à avoir anticipé la crise financière.
Les mots de la fin lui reviennent donc. Ils n’ont pas été prononcés à Jackson Hole, où il n’était pas sur la liste des participants, mais lors d’une interview avec le Financial Times, il y a deux semaines: «D’énormes responsabilités ont été transmises aux banquiers centraux afin de compenser, pour l’essentiel, les défaillances du système politique. Et mon souci est que nous n’avons pas suffisamment d’outils pour assumer cette responsabilité, mais nous ne sommes pas prêts à le dire. Par conséquent, nous usons jusqu’à la corde les outils existants, et cela peut créer bien plus de risques dans le système.» Enfin un banquier central suffisamment humble (ou naïf) pour avouer que malheureusement nous ne savons presque rien. Et donc que pas grand-chose est vraiment sous contrôle.
ANDREAS HÖFERT Chef économiste UBS Wealth Management/ AGEFI SUISSE
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