Rue89
Electrochoc 25/07/2013 à 14h36
Pour la deuxième fois en quelques mois, un dirigeant d’un parti de gauche tunisien a été assassiné ce jeudi à Tunis. Mohamed Brahmi a été abattu de onze balles tirées à bout portant alors qu’il sortait de chez lui, à la cité el-Ghazela, un mode opératoire qui rappelle l’assassinat de Chokri Belaïd en février dernier. Ses meurtriers ont pu s’enfuir en scooter et n’ont pas été identifiés.
Ce nouvel assassinat a provoqué de très vives réactions en Tunisie, notamment dans sa ville natale, Sidi Bouzid, le point de départ de la révolution de 2011, où le gouvernorat a été incendié, et à Tunis où une des rassemblements ont eu lieu.
Tous les partis membres de la coalition du Front populaire, auquel appartenait Mohamed Brahmi, ont appelé jeudi à :
- la désobéissance civile,
- la chute du gouvernement dominé par les islamistes d’Ennahdha,
- la dissolution de l’Assemblée nationale,
- la création d’un gouvernement de salut public,
- la grève générale « le jour de l’enterrement du martyr ».
Un couple recouvert du drapeau tunisien derrière l’ambulance transportant la dépouille de Mohamed Brahmi à Tunis jeudi (Lilia Blaise via Nawaat.org)
Agé de 58 ans, député élu à Sidi Bouzid, ancien président du mouvement Echaab (Peuple), Mohamed Brahmi avait récemment fondé un nouveau parti, Attayar Echaab (Courant populaire).
Militant de gauche depuis ses études, notamment dans un mouvement nassérien clandestin, Mohamed Brahmi avait été arrêté deux fois à l’époque de Ben Ali, en 1981 et 1986.
Cet assassinat survient le jour anniversaire de la proclamation de la République en Tunisie.
L’épouse et la fille de Mohamed Brahmi ont mis en cause les islamistes d’Ennahdha au pouvoir dans le meurtre de leur mari et père.
La radio Shems FM a mis en ligne une vidéo montrant l’émotion de l’une des filles de Mohamed Brahmi, dans laquelle elle s’en prend à Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahdha :
« Vous avez fait de nous des orphelins... L’assassinat de mon père ne passera pas comme ça.
Nous grandirons tout en aimant la Tunisie, et en haïssant Ennahdha et Rached Ghannouchi ».
La fille de Mohamed Brahmi jeudi, via Shems FM
Electrochoc en Tunisie
La nouvelle a fait l’effet d’un électrochoc en Tunisie, alors que le meurtre de Chokri Belaïd n’a toujours pas été élucidé. Une foule considérable avait participé aux funérailles du leader de gauche en février.
Le parallèle entre les deux meurtres est d’autant plus frappant que les deux hommes, comme le montre cette photo d’archives diffusée sur Twitter, étaient dans le même camp de l’opposition de gauche aux islamistes d’Ennahdha.
amia slim @_LamiaS
#Tunisie #belaid & #brahmi manifestant ensemble et tous deux assassinés à moins de 6mois d'intervalle pic.twitter.com/VgtxmvTYPS
Une foule s’est réunie spontanément sur l’avenue Habib-Bourguiba, au centre de Tunis, le point de ralliement de tous les rassemblements depuis la Révolution de 2011, pour exprimer sa colère. La police a fait usage de gaz lacrymogènes, tandis que des renforts ont été déployés devant le Ministère de l’Intérieur, interdit d’accès.
Au premier rang des manifestants, Basma Khalfaoui, veuve de Chokri Belaïd, dirigeant de gauche assassiné le 6 février dernier devant sa maison par des extrémistes religieux, a appelé à la chute du gouvernement et au départ d’Ennahdha, responsable à ses yeux de la situation sécuritaire difficile par laquelle passe le pays, rapporte le site tunisien Kapitalis.com.
Devant ministère de l’intérieur entouré de barbelés, selon Nawaat, la foule scande « dégage », « Ministère de l’intérieur, ministère terroriste », « Ghannouchi [leader d’Ennahdha, ndlr] assassin »
Nawaat ~ Tunisia @nawaat
Devant MI, La foule scande "dégage", "Ministère de l'intérieur, ministère terroriste", "ghannouchi assassin" #brahmi pic.twitter.com/ykUxWgQ50D
David Thomson, le correspondant de France 24, signale qu’une foule est également réunie devant l’hôpital où se trouve le corps de Mohamed Brahmi, et réclame le départ du pouvoir du parti Ennahdha.
David Thomson @_DavidThomson
Devant l'hôpital, une foule demande "la chute du régime" et accuse Ennahda #Tunisie pic.twitter.com/OHa5vp6Ix1
« Une photo circule »
Un autre témoin à l’hôpital raconte sur Twitter qu’il y a « un monde fou à l’hôpital Mahmoud-Materi. La colère et l’incompréhension sur tous les visages ».
Firas Guefrech @gFiras
Un monde fou à l'hôpital Mahmoud Materi.. La colère et l'incompréhension sur tous les visages.. pic.twitter.com/UxDAuak4wA
Sur Twitter, un internaute rapporte que « les médias veulent filmer le corps du martyre... Une photo circule... Atroce et non publiable ».
Bassem Sabry باسم @Bassem_Sabry
#Tunisie RT @gFiras: Les médias veulent filmer le corps du martyre.. Une photo circule.. Atroce et non publiable.. pic.twitter.com/sajMmNZbQR
Selon Mosaïque Radio, le siège du parti Ennahdha au pouvoir a été incendié jeudi à Meknessi, dans la province de Sidi Bouzid dont était originaire Mohamed Brahmi. A Sidi Bouzid même, des affrontements ont éclaté entre manifestants de gauche et forces de l’ordre devant le siège du gouvernorat qui est en flammes, selon Nawaat.
Le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid est en feu. (SBZone via Nawaat.org)
La puissante centrale syndicale tunisienne UGTT a de son côté décrété une grève générale vendredi 26 juillet, en signe de protestation.
« Tomber dans le piège de la violence »
La Présidence de la République tunisienne a réagi jeudi après-midi en condamnant l’assassinat de Mohamed Brahmi, appelant les Tunisiens « à ne pas tomber dans le piège de la violence ».
Le site Nawaat.org fait observer que le communiqué du président Moncef Marzouki fait également référence « à la situation de l’Egypte où la violence a pris le pas sur le processus démocratique ».
Alors que les dirigeants de l’opposition tunisienne devaient se réunir en urgence jeudi après-midi au siège d’un des partis pour décider de leur attitude, des appels ont été lancés à la démission d’un député d’Ennahdha, Sabhi Atig, qui, il y a dix jours, avait déclaré que le « sang devait couler » pour défendre le régime contrôlé par les islamistes.
Pour sa part, le député du Bloc démocratique, Iyed Dahmani, a annoncé qu’il démissionnerait de l’Assemblée nationale après le meurtre de son collègue Mohamed Brahmi.
Sur les réseaux sociaux, d’autres voix appellent les députés d’opposition à e faire autant, et le site tunisien Business News annonce que l’opposition démocratique se dirige effectivement vers une démission collective, au risque de provoquer l’effondrement du processus de transition.
La propre fille du leader assassiné a demandé à l’opposition de présenter sa démission pour faire chuter le gouvernement. Elle a affirmé que son père avait l’intention de le faire mais il a été tué avant cela.
Selon Nawaat, Rached Ghannouchi, le leader du parti Ennahdha, a pris la parole jeudi après-midi pour condamner lui aussi le meurtre et appeler à la création d’une « coalition nationale contre la violence » :
« C’est un meurtre contre l’Etat tunisien et la démocratie. On cherche à travers ça à mettre la Tunisie dans l’instabilité et pousser les Tunisiens à s’accuser les uns et les autres. » (…)
« Ceux qui ont commis ce meurtre sont les opposants de la démocratie. La révolution tunisienne était pacifique, on cherche a la rendre sanguinaire alors que nous sommes en train de finir la Constitution et mettre en place les institutions qui vont mener le pays vers des élections libres… » (…)
« Nous demandons la mise en place d’une coalition nationale contre la violence. »
L’Elysée condamne « avec la plus grande fermeté »
A Paris, François Hollande, qui se trouvait il y a peu en Tunisie, a lui aussi condamné « avec la plus grande fermeté », le meurtre du dirigeant de gauche.
Élysée ✔ @Elysee
Le président de la République condamne avec la plus grande fermeté l'assassinat à #Tunis du député Mohammed BRAHMI pic.twitter.com/AxQdSyOWHa
Publication: 11/07/2013 12h39 CEST | Mis à jour: 11/07/2013 12h39 CEST