Dr Frau Pütt (archéologue)
Le Dr. Frau Pütt et les enfants syriens (DR)
A la mi-novembre, Jimma et ses six enfants sont arrivés à la frontière entre la Syrie et la Turquie. Les formalités destinées aux petits commerçants syriens sont rapides. Ces derniers achètent dans les villes frontalières turques les marchandises dont leurs compatriotes ont besoin.
Making of
« Dr. Frau Pütt est archéologue, spécialisée et mondialement reconnue dans la conservation des maisons traditionnelles en terre sèche. Ses recherches et ses conférences l’ont amenée à vivre en Syrie, dont elle a étudié l’architecture traditionnelle des maisons à coupoles, adoptée les coutumes et la langue.
“Elle vit à Berlin mais elle est restée en contact avec les famille syriennes avec qui elle a vécu avant le guerre, qui sont maintenant réfugiées au Liban, en Jordanie ou en Turquie.” Jean-Luc Masy, enseignant, l’a accompagnée en décembre afin de l’aider dans les démarche pour accueillir cette famille qu’elle à d’abord exfiltrée de Syrie puis aidé à s’installer à Killis. Il a transmis à Rue89 le témoignage de son amie. Rue89
Ce jour-là, lorsque j’ai pris sous mon aile la famille de Jimma, j’ai été étonnée par les paquets de couches, les casseroles et les plaques de cuisson à induction (une technologie recherchée car la Syrie a multiplié par dix le prix du gaz) qui ont franchi la frontière.
Les voitures sont surchargées à des hauteurs impressionnantes (y compris sur le capot et le pare-brise) de marchandises et des effets personnels des réfugiés, pour traverser le no man’s land de 300 mètres.
Après sept heures de patience pour les formalités à la frontière – les contrôles se font avec le soutien de l’opposition syrienne – la famille de Jimma arrivent dans la petite ville frontalière de Karkemish, du côté turc. Avec les passeports, ils sont rentrés dans le pays officiellement, sans ramper de nuit sous les barbelés.
Comme des dizaines de milliers d’autres Syriens, ils veulent se mettre à la recherche d’un endroit pour vivre en Turquie et ne pas avoir à passer l’hiver dans une tente de réfugiés. Ils ne passeront que quelques mois en Turquie et veulent le plus rapidement possible retourner dans leur village, à l’est d’Alep.
Une lointaine cousine qui s’est mariée dans un village près de la frontière turque nous accueille tous. Pour quelques jours seulement : elle vit très à l’étroit dans deux petites pièces. Le mari de la cousine dormira pendant ce temps dans son petit atelier, parce qu’il n’y a plus d’endroit pour dormir à la maison.
Plus de place dans l’école
S’ensuit une odyssée de plus de 1 800 kilomètres à travers la Turquie, à la recherche d’un logement abordable. Les longs trajets en bus sont nerveusement épuisants pour la mère et ses enfants, âgés de 4 à 15 ans.
Ils passeront deux semaines dans la ville d’Antalya, chez l’une de mes amies. Là-bas, nous prendrons conscience que le lieu de leur exil ne peut être que celui où ils pourront communiquer aisément en arabe et ou les enfants pourront aller dans une école de langue arabe. Nous revenons donc sur la zone frontière turco-syrienne, et nous trouvons un logement pour rester à Kilis.
Le poste frontière entre Kilis et Azaz a été un passage important entre la Turquie et la Syrie. Là où les camions étaient consignés à la frontière, c’est maintenant un centre de rétention de plus de 10 000 réfugiés syriens.
Les jumeaux Anas et Ayham, 11 ans, très fiers, veulent nous montrer où ils veulent aller le plus tôt possible : à l’école syrienne, située non loin de leur domicile. Nous avons rencontré sur la route de nombreux groupes d’enfants syriens, des livres à la main. L’école est située dans un immeuble de béton, en travaux.
Le gouvernement provincial a mis à disposition de l’école syrienne le rez-de-chaussée de ce nouveau bâtiment. Mais la famille, après quatre semaines d’attente, apprend du directeur qu’il ne pourra pas prendre les enfants à cause de la surpopulation.
Les 40 enseignants sont bénévoles, ce qui rend compliqué la survie de beaucoup d’entre eux. Ils sont aussi totalement dépassés avec parfois plus de 70 enfants par classe.
Beaucoup d’enfants sont traumatisés et se referment sur eux-même, d’autres sont si agités qu’il faut constamment intervenir et déranger le cours. Le soutien psychologique est totalement absent. Il est néanmoins important pour les enfants de vivre une journée d’école avec d’autres enfants, de se socialiser à nouveau, apprendre de nouvelles choses et de sortir du cocon familiale. Le plus difficile c’est pour Aziza, 15 ans, qui doit rester à la maison car trop âgée pour être élève dans cette école, très contrariée que son niveau scolaire syrien ne soit pas disponible à Kilis.
Eviter à tout prix les camps de réfugiés
Nous nous dirigeons vers un parc équipé d’une aire de jeux afin d’y distraire les enfants. Ravis qu’ils se défoulent un peu, leur mère Jimma profite de ce moment pour aller s’entretenir avec d’autres femmes syriennes : elles sont toutes heureuses d’échapper à leurs petits appartements. Ici, elles échangent des infos sur la situation de leur région d’origine et sur les endroits où obtenir de l’aide.
Jimma apprend ainsi que chaque après-midi, dans le parc central de Kilis, est distribué un repas chaud pour les réfugiés syriens. Il leur est encore difficile de montrer publiquement qu’ils ont besoin d’aide. Ils veulent éviter à tout prix de devoir aller dans un camp de réfugié. On leurs fournirait sans aucun doute la nourriture, les soins médicaux et les écoles pour leurs enfants, mais ils auraient alors le sentiment de perdre leur liberté et c’est tout ce qui leur reste.
La famille de Jimma reste dans son modeste appartement toute la journée, suivant l’information sur la chaîne “Halab al-Yom”, “Alep – aujourd’hui”, et tous aspirent au retour dans le village. Bien que Ayhem et Anas, en allant chercher le pain, aient été les témoins directs d’un bombardement par les troupes gouvernementales sur le lycée de la petite ville voisine, ils espèrent toujours que cela n’empêchera pas leur retour à la maison.
Leur région d’origine, depuis la mi-2012, est sous le contrôle de l’armée d’opposition. Un coup de téléphone de parents qui ont trouvé refuge au Liban, confirme les craintes de Jimma : les salafistes Jabhat al-Nosra ont pris le contrôle de son village. Avec eux, la jeune Miriam de 12 ans avait déjà eu, il a quelque temps une expérience douloureuse : sans foulard, elle n“était plus autorisés à sortir dans la rue.
La politique de prise de contrôle militaire des différentes régions et la répartition des zones sous contrôle, par l’opposition entraîne des représailles de la part du gouvernement. Et puisque l’on sait par des espions que des hommes armés choisissent des écoles vides comme abris, tout cela alors entraîne les bombardements par l’armée gouvernementale de ces lieux, des maisons du village voisin ont déjà été détruites par des raids aériens.
La vie quotidienne dans une ville turque
Malgré le danger pour la mère et ses enfants il leur tarde de retrouver leur maison en Syrie. La mère est inquiète, car il est maintenant temps de semer le blé ? Son beau-frère peut-il le faire seul ? Jimma essaye constamment d’appeler ses proches en Syrie, mais presque toutes les tentatives sont vouées à l’échec. Pas de réseau.
Il y a quelques jours, à 3 heures du matin, le téléphone a sonné. Il a sonné une seule fois – c’est le code pour leur faire savoir que la personne désire qu’on la rappelle. Par crainte de mauvaises nouvelles de sa famille, elle a appelé Mme S. ensuite. Mais elle ne sait toujours pas qui a essayé ce soir-là de la joindre. Les renseignements par des parents qui ont fui vers le Liban, n’ont apportés aucun éclaircissement.
Kilis était autrefois une ville très religieuse, de nombreuses mosquées avec de gracieux minarets de l’ère ottomane en témoignent. Il semblerait qu’aujourd’hui 2 300 familles syriennes vivent à Kilis. Heureux d’être en mesure de lire quelque chose, je montre aux enfants où les commerçants ont suspendus des notes en arabe aux fenêtres.
Dans un magasin, un jeune syrien de 10 ans est appelé en tant que traducteur, car le vendeur ne nous comprend pas. Il est ici depuis six mois, où il a rapidement appris le turc et il fait aussi le balayage, le tout pour un salaire de misère : 20 livres turques par semaine. Pourtant, il est fier de contribuer au revenu familial.
Les prix ont triplé
Dans les ruelles en retrait de la route principale, on aperçoit de typiques cours orientales derrière les façades des maisons closes. La plupart des habitants de Kilis résident aujourd’hui dans des immeubles de deux, trois ou quatre étages – le niveau des prix a triplé en raison de la forte demande des réfugiés syriens. Alors qu’il y a cinq mois les appartements meublés bien équipés pouvaient se louer pour 200 livres turques (environ 90 euros), la famille de Jimma, début décembre, n’a pas pu trouver un logement pour moins de 600 livres turques.
Lors de la vague de froid de cette nouvelle année, les températures descendirent à -3°C la nuit. A cause des chauffages au bois traditionnellement employé, la ville est recouverte d’un épais nuage de fumée qui irrite la gorge et les muqueuse du nez. Même les maisons plus récentes sont chauffées au bois et au charbon. Une méthode de chauffage coûteuse, car il utilise un feu qui chauffe le salon et la chambre de la famille de Jimma, pour 4 euros par jour.
Les oliviers dans la région ont été taillés après la récolte et ils fournissent au boulanger de grandes quantités de branches nécessaire au fonctionnement de leur four traditionnel. Ce sont les jumeaux qui sont responsables d’aller chercher le pain chaque matin et il leur est facile de trouver les endroits où il y a une boulangerie : c’est là où il y a un énorme tas de branches d’olivier. Même s’ils apprécient la variété des pains turcs, ils sont ravis de tomber par hasard sur une boulangerie annonçant à l’extérieur en arabe qu’ils ont du pain frais à la syrienne.
L’hospitalité turque et les niveaux de prix
Lors d’une de nos longues promenades à explorer ce nouvel environnement, les enfants attirent mon attention sur quelque chose : on peut reconnaitre à partir de la position d’une parabole satellite où vivent les Syriens et les Turcs. C’est très important quand les nécessités de la vie vous font rechercher des compatriotes.
Un repas (DR)
Même au sommet de la vielle maison délabrée, deux pièces et une cuisine, dans laquelle vivent dix-huit membres de la même famille syriennes, il y a une parabole. Une jeune femme de la famille que nous avions rencontré la veille dans la cour de récréation me disait :
‘Peu importe la pauvreté pour les réfugiés syriens, la réception de la chaîne syrienne est vitale.’
Pour manger (le niveau des prix en Turquie est relativement élevés), les réfugiés peuvent travailler à Kilis dans tous les emplois possibles permanents ou temporaires ou doivent compter sur les envois de fonds de parents à l’étranger.
Beaucoup de réfugiés supportent mal leur situation actuelle, car les prix étaient beaucoup moins chers en Syrie avant le début de la guerre civile. La famille de Jimma a connu un grand moment de bonheur, un après-midi, quand un organisme de bienfaisance a sonné à la porte et leur a offert deux couvertures. Il y a deux semaines c’était une organisation maltaise qui leur avait apporté des vestes chaudes et des chaussures.
La gentillesse et l’accueil
Ce qui est très surprenant pour nous Occidentaux, c’est la gentillesse et l’accueil du peuple turc avec les Syriens. Les voisins de la famille apportent presque quotidiennement à Jimma un peu de leur propre repas. Une entraide de voisinage comme j’ai pu la rencontrer parfois en Allemagne.
Deux jours plus tard, le propriétaire de l’épicerie du coin et sa femme sont à la porte avec deux bols de soupe de maïs doux pour les enfants et Jimma. Vous connaissez ce plat que l’on nomme ‘Achoura’ en Syrie, que l’on cuisine dans les occasions particulière ou religieuses et est distribué aux autres. Selon la tradition, après le déluge, quand l’inventaire de l’arche fut fini, Noé fit préparer ‘Achoura’.
Actuellement la famille tente de nouveau de franchir la frontière et de se réinstaller à Killis ; des visas d’un an seront demandés et les enfants scolarisés dans l’école syrienne. Une demande de visa de réfugiée est en cours en Allemagne pour Aziza, qui ne peut plus être scolarisée à Kilis à cause de ses 16 ans