Le samedi 12 décembre, au moment où les représentants des gouvernements du monde entier quitteront la COP 21, nous prendrons la rue pour porter une promesse, celle d’agir tant que les lignes rouges pour une planète juste et vivable seront franchies.
Tout montre aujourd’hui que l’accord de Paris sera insuffisant et que nous ne pourrons pas le laisser incontesté. En 20 ans de COP, les dirigeants du monde n’ont jamais réussi à réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre ni à assurer la pérennité d’une planète juste et vivable. Alors que les tractations s’enlisent, la COP 21 apparaît au grand jour comme le symbole de la collusion entre intérêts économiques et politiques, et de négociations incapables de répondre aux enjeux climatiques.
« Avoir le dernier mot », était l’intention affichée par la Coalition climat 21 pour la fin de la COP 21. Mais, aujourd’hui, le gouvernement français se sert de l’État d’urgence pour empêcher toute expression citoyenne dans les rues à la fin de la COP 21. Le 12 décembre, au moment où l’ONU annoncera les résultats de ses négociations marathon, nous refusons de rester à la maison en acceptant l’inacceptable et nous appelons à une journée de mobilisation massive au cours de laquelle plusieurs actions auront lieu :
9 h 30 : « Climate Justice for Peace »
« Climate Justice for Peace », mobilisation inédite où de multiples petites équipes se lanceront à la conquête des rues de Paris pour écrire, en se géolocalisant, le message « Climate Justice Peace ».
Une action symbolique « Lignes rouges » préparée depuis plusieurs mois et dans laquelle Attac est fortement impliquée. Nous rendrons un hommage digne et déterminé aux victimes du réchauffement climatique. Cette action, qui se déroulera dans un lieu symbolique de Paris, rappellera également qui sont les acteurs à l’origine du problème et qui continuent à bloquer toute action publique d’envergure sur la question du climat. Prévoir d’apporter quelque chose de personnel et d’esthétique de couleur rouge. Il peut s’agir d’un parapluie, d’une écharpe, d’une bannière ou de tout autre objet que vous jugerez approprié.
14 h : rassemblement pour déclarer l’état d’urgence climatique
Un rassemblement massif, pacifique et déterminé pour déclarer l’état d’urgence climatique, au Champ de Mars, devant la tour Eiffel auquel Attac s’est associé. De très larges chaînes humaines y porteront le message d’alerte et de mobilisation adressé aux peuples du monde. Pour plus d’informations.
Attac appelle les citoyen·ne·es à s’impliquer dans ce grand mouvement pour la justice climatique, un mouvement qui ne sera pas celui d’un seul sommet, mais bien celui qui imposera le changement nécessaire.
La première semaine de la COP21, des négociateurs venus de 195 pays se sont accordés sur un projet de texte adopté le 5 décembre. C’est sur cette base que planche une centaine de ministres pour élaborer un accord mondial sur le climat d’ici le 11 décembre. Que faut-il en attendre ? « Si, officiellement, un nombre croissant de pays s’est rallié à l’objectif de stabilisation à +1,5°C, les engagements qui sont sur la table des négociations, eux n’ont pas bougé d’un iota », déplore l’association des Amis de la Terre. Elle préconise plusieurs pistes d’actions pour construire le monde, soutenable, de demain.
+1,5°C ? Chiche ! Après une dizaine de jours de négociations, c’est aujourd’hui que Laurent Fabius doit mettre sur la table le texte quasi-finalisé qui préfigurera l’accord de Paris sur le climat. Depuis le début de la COP 21, et le discours de François Hollande, la France affiche une ambition renouvelée et feint de soutenir une demande clé des pays les plus vulnérables : stabiliser le climat à un maximum de +1,5°C par rapport au début de l’ère pré-industrielle. Du bluff ?
Depuis le milieu du XIXème siècle, la température moyenne du globe a déjà augmenté de +0,85°C. L’objectif fondamental de la Convention des Nations Unies sur le Climat est de ne pas dépasser un réchauffement moyen de +2°C d’ici la fin du siècle : or, un tel réchauffement aurait déjà des impacts majeurs sur la sécurité alimentaire, la stabilité des écosystèmes et entraînerait – de facto – la disparition des zones habitées proches du niveau actuel de la mer. Un risque inacceptable pour les pays exposés d’où l’appel à être plus ambitieux, et à fixer une limite de +1,5°C [1]. Précisons ici, que la science du climat n’est pas une science de l’exactitude mais un complexe jeu d’interactions et de probabilités : l’objectif est d’éviter à tout prix de franchir des seuils au-delà desquels la machine climatique s’emballerait. D’où l’importance d’agir au plus vite.
Écran de fumée
Or justement, c’est là que le bât blesse. La surenchère sur l’objectif de long terme de stabilisation du climat est un écran de fumée pour mieux masquer l’absence de volonté des pays développés à agir à court terme. Si, officiellement, un nombre croissant de pays s’est rallié à l’objectif de stabilisation à +1,5°C, les engagements qui sont sur la table des négociations, eux n’ont pas bougé d’un iota et – même s’ils étaient respectés – ils nous conduiraient tout droit à un réchauffement climatique d’au moins +3°C.
Le décalage est encore plus flagrant si l’on analyse les engagements annoncés par les pays développés à travers le prisme de l’équité c’est à dire en intégrant la responsabilité historique de chaque pays [2] S’ils étaient sérieux et responsables, les pays développés devraient s’engager à une réduction drastique de leurs émissions de l’ordre de 50 % d’ici 2020, 75 % d’ici 2025 et 90 % d’ici 2030 ! Cela impliquerait de bouleverser en profondeur l’ensemble des politiques publiques encadrant l’industrie, le commerce, l’habitat, le transport ou encore l’agriculture.
Contradictions françaises
Mais la France, comme la plupart des pays développés, continue de s’arc-bouter sur des modèles économiques obsolètes et de s’enliser dans ces propres contradictions. Alors que les scientifiques estiment qu’il faudrait laisser un tiers des réserves de pétrole, la moitié de celles du gaz et plus de 80 % de celles de charbon dans le sol [3], le Ministère de l’Écologie a délivré, deux mois avant le début de la COP 21, trois nouveaux permis de recherchepour des hydrocarbures.
Là, où il faudrait mettre un terme aux pires pratiques des entreprises, la France leur déroule le tapis vert et leur ouvre les portes du Grand Palais : la présence d’Engie ou d’EDF comme sponsor de la COP 21, deux entreprises dont l’État français est actionnaire et dont les centrales à charbon représentent l’équivalent de plus de la moitié des émissions françaises de gaz à effet de serre [4] liées au secteur de l’énergie, est un camouflet aux pays les plus vulnérables. Les accords commerciaux conclus, ou en cours de négociation, entre l’Union Européenne, le Canada et les États-Unis constituent un appel d’air pour les bateaux chargés d’hydrocarbures extrêmement polluants, issus des sables bitumineux de l’Alberta. Faut-il en ajouter ?
Comment agir ?
Ce « schisme de réalité » – est pour reprendre l’expression proposée par Stefan Aykut et Amy Dahan [5] – est le principal défi auquel se heurte aujourd’hui la société civile. Alors quand la parole politique se délite au point de ne même plus faire un effort minimum de cohérence, comment agir ?
Partout dans le monde et en France, des alternatives se structurent, des initiatives citoyennes se multiplient, des entreprises s’organisent différemment et l’ensemble de ces actions participent à construire, dès aujourd’hui, le monde dans lequel nous voulons vivre demain. Ce qui est incroyablement porteur d’espoir, c’est que nous avons tout sous la main : nul besoin d’attendre des ruptures technologiques majeures pour s’approvisionner en énergie 100 % renouvelables comme le démontre avec brio le scénario Negawatt. L’enjeu, c’est d’arriver à accélérer au plus vite la diffusion et la normalisation de ces alternatives.
L’inertie des gouvernements n’est plus compatible avec l’urgence d’agir
Il y a encore 5 ans, habiter une maison en paille était une excentricité, aujourd’hui, ce type de construction est normalisé et accessible à tous. Le boom du covoiturage est en train de bousculer le mythe de la voiture individuelle et cela, en quelques années seulement. Au début des années 2000, les premières associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) sont apparues en France : aujourd’hui, il y en a près de 1600 et il n’est plus tabou de privilégier l’achat de produits locaux. Rien n’est impossible : la plupart des réacteurs nucléaires français ont été construits en moins de 10 ans et ont bouleversé la donne énergétique, l’histoire a montré comment des pays sont capables de profondément modifier leur appareil de production en basculant sur une « économie de guerre ». Pourquoi de tels changements ne seraient pas possible pour construire une « économie de paix » ?
Il n’est peut-être pas encore trop tard pour tenter de stabiliser le climat. Ce qui est sûr, c’est que l’inertie des gouvernements n’est plus compatible avec l’urgence d’agir : nous, ne pouvons compter que sur nous et notre capacité à organiser et accélérer les indispensables transitions dans les prochaines années. Le 12 décembre [6], plus nous seront nombreux à nous mobiliser, plus nous pourrons montrer la force de notre mouvement et notre détermination à ne pas leur laisser le dernier mot.
Sylvain Angerand, Coordinateur des campagnes pour les Amis de la Terre
Le 12 décembre, les négociations climatiques, dans le cadre de la COP21, sont censées se clôturer sur un accord. « Mais nous savons que l’avenir de la planète, et de celles et ceux qui y vivent, ne sera pas pour autant assuré », plaident plusieurs organisations de la Coalition Climat 21. « Le 12 décembre, le dernier mot ne sera pas dans la salle des négociations mais dans la rue ! ». Voici les quatre moments forts de mobilisation de la journée du 12 décembre qui vise à ouvrir un nouveau chapitre du mouvement pour la justice climatique, en 2016 et au-delà.
Au moment où l’ONU annoncera les résultats de ses négociations marathon, des mouvements de citoyens passeront à l’acte dans les rues de Paris et du Bourget pour porter plusieurs exigences : la réduction immédiate et drastique des émissions des gaz à effet de serre, l’abandon des fausses solutions pour se concentrer sur des solutions efficaces et renouvelables, le soutien à la transition écologique notamment dans les pays pauvres et vulnérables.
L’état d’urgence mis en place depuis les attentats du 13 novembre à Paris s’est traduit par l’interdiction des manifestations pour le climat. Quatre actions ont cependant été décidées par la Coalition climat 21, qui rassemble plus de 130 organisations de la société civile. A noter qu’une partie des grandes ONG n’appellent pas à certaines de ces actions, craignant leur caractère illégal. La première débutera dès 9h30 à l’initiative de l’association des Amis de la Terre. Ces derniers invitent à participer à l’action « Climate Justice for Peace ». Voici une vidéo qui résume les grands principes de cette action [1] :
Lignes rouges « infranchissables » dans Paris à midi
L’ONG 350.org appelle à ce que des milliers de personnes convergent et forment des lignes rouges dans Paris le 12 décembre à midi. « Les négociateurs sont arrivés à Paris avec des propositions d’engagements qui franchissent les lignes rouges garantissant la sécurité climatique et tout semble indiquer que l’accord final sera encore plus insuffisant pour répondre aux exigences de la situation, explique l’ONG. Nous devons continuer d’exiger des mesures réelles, même après la fin des négociations. Nous tracerons les lignes rouges infranchissables pour garantir la sécurité climatique et nous nous engagerons collectivement à agir pour les défendre. »
Le lieu sera communiqué dans les heures précédant l’action. Pour le connaitre, il vous faut vous inscrire en vous rendant sur ce lien: vous assisterez à une réunion pour savoir où vous devrez vous rendre. 350.org invite chaque participant à apporter quelque chose de personnel de couleur rouge. Il peut s’agir d’un parapluie, d’une écharpe, d’une bannière ou de tout autre objet que vous jugerez approprié.
Rassemblement à 14h sur le Champ-de-Mars
Plusieurs organisations [2]appellent« à un rassemblement massif, pacifique et déterminé déclarant l’état d’urgence climatique » le samedi 12 décembre à 14h à Paris, sur le Champ-de-Mars, devant la Tour Eiffel. « Nous sommes hautement préoccupé-e-s par le déroulement actuel de la COP21, soulignent-elles. Alors que ce sommet international avait pour mission d’aboutir à un accord permettant de stabiliser le climat, tout indique qu’il n’en sera rien. » Les engagements actés de réduction d’émissions de gaz à effet de serre mènent pour l’heure vers un dérèglement de plus de 3°C, faisant franchir les seuils irréversibles et incontrôlables d’emballement du climat.
Les organisations pointent également « l’insuffisance criante de financements propres permettant aux pays et populations les plus vulnérables de se protéger contre les conséquences catastrophiques du dérèglement climatique en cours et à venir ». Elles demandent à signer et relayer la pétition appelant à ce rassemblement et à se mobiliser [3]. « Nous constituerons de très larges chaînes humaines, portant les messages d’alerte et de mobilisation que nous adresserons aux peuples du monde », précisent les organisations. Avec la volonté d’interpeller sans relâche au cours des années à venir « les dirigeants politiques et économiques en vue de changer le cours des choses pendant qu’il est encore temps ».
Rassemblement au stade Charléty à partir de 16h
Un rassemblement au Stade Charléty est prévu de 16h à 18h. Au programme : des prises de paroles, notamment de Naomi Klein et de concerts d’artistes d’Amérique Latine, d’Afrique et de France.
Pendant que les gouvernements du monde entier marchandent leurs niveaux de pollution « acceptables » à la conférence sur le climat au Bourget, la société civile a ouvert lundi 7 décembre sa « Zone d’action pour le climat » dans les espaces du 104, à Paris. Des organisations non gouvernementales, des associations, des curieux et des citoyens de tous les continents se lancent dans cinq jours de conférences, d’ateliers, de présentation de trouvailles écologiques, et de discussions autour des négociations officielles et des mobilisations. Reportage.
Trois conférences en même temps, une douzaine de conférences différentes par jour, des ateliers, des expositions, des projections… Au premier jour de la « Zone d’action pour le climat » (Zac), des centaines de visiteurs se pressent entre les multiples activités. Ici, on ne marchande pas au rabais les contributions que les pays industrialisés devront verser pour aider les plus vulnérables à faire face au changement climatique. On ne cherche pas à négocier à la hausse les températures acceptables pour l’avenir de l’humanité. Ici, on parle de l’assemblée des peuples pour la justice climatique, de démocratie énergétique, de l’impact des industries extractives sur les communautés ou de la justice raciale face au réchauffement de la planète. 150 activités sont organisées sur les cinq jours de la Zac, par des organisations venues du monde entier. L’espace, initié par la Coalition Climat 21, qui rassemble plus de 130 organisations de la société civile française, a pris place au 104, un espace culturel de l’Est parisien (voir le programme complet).
Système de recyclage infini de l’eau chaude de douche
Dans une petite salle, les représentants d’organisations du Nord et du Sud discutent de la suite à donner à cette dynamique de la société civile du monde entier pour la justice climatique. « Nous sommes en train de mettre en place une alliance de la société civile au Maroc pour la Cop 22, de 2016, pas seulement avec les associations environnementales, mais aussi avec les syndicats et les associations de femmes, explique Hamouda Soubhi, responsable au Forum social mondial et de la délégation de la société civile marocaine. La Cop, ce n’est pas une fin en soi. Mais il faut aider à faire entendre une autre voix du Sud dans ce mouvement. »
Le 104 grouille de monde. Au Médiacenter, l’équipe de radio Campus Paris prépare son émission quotidienne enregistrée tous les jours sur place. Au sous-sol, les ingénieurs bricoleurs de la POC21, ce collectif d’éco-inventeurs qui s’était réuni pendant un mois à l’automne dans les Yvelines (Voir notre article), exposent et présentent leurs trouvailles écologiques : vélos cargos, production de légumes à domicile, générateur électrique solaire mobile et modulable pour zones isolées… Jason, jeune ingénieur venu de Finlande, explique son système de recyclage infini de l’eau chaude de douche. Sur son smartphone, il montre des vidéos de ses systèmes expérimentaux de recyclage de l’eau. « En Finlande, je partage mon énergie entre ma startup et un Fablab, où je passe le plus de temps possible. » Des ateliers sont prévus tout au long de la semaine avec les éco-inventeurs, comme pour apprendre à imprimer en 3D un filtre à eau antibactérien.
Les nouvelles de la Cop ne sont pas bonnes
À 17 h, une assemblée générale commence. La nef centrale du 104 est noire de monde, la plupart assis sur le sol. Tous les jours en première partie, des représentants d’ONG discutent d’un aspect de la justice climatique. Aujourd’hui, c’est “Guerre, climat et antiterrorisme”. « Malheureusement, en France, le mouvement anti-guerre est extrêmement faible », regrette Juliette Rousseau, coordinatrice de la Coalition climat 21. Puis, des représentants d’ONG qui suivent les négociations officielles en rendent compte au public. Les nouvelles ne sont pas bonnes. Une ébauche d’accord a été adoptée samedi à mi-parcours de la Cop. « Le thème de l’énergie n’y est mentionné qu’une fois, c’est pour parler de l’agence internationale de l’énergie atomique, déplore Geneviève Azam, porte-parole d’Attac, face à l’audience. Ni les énergies renouvelables, ni les énergies fossiles n’existent dans le texte des négociations. Sur la question de savoir si l’accord sera contraignant, le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a précisé que cela ne signifierait de toute façon que contraignant nationalement, mais pas face à la communauté internationale. » Le public soupire. « Et les ONG sont reléguées dans les salles d’observations. Mais n’ont aucun pouvoir », rappelle Geneviève Azam.
Ici, les ONG et citoyens reprennent de la voix, et organisent les mobilisations à venir. Pour le 12 décembre, plusieurs actions sont prévues. Même si, en raison de l’état d’urgence, la mobilisation ne pourra pas prendre la forme d’un rassemblement dans la rue. En fin d’AG, un homme prend la parole dans le public : « L’État d’urgence interdit les manifestations, mais à un moment, il faut peut-être sortir de la légalité. »
Défendre l’huile de palme, verdir l’image des pétroliers, promouvoir le nucléaire, vanter les OGM ou le gaz de schiste... tout en conseillant des organisations écologistes ou en organisant la prochaine conférence sur le climat de Marrakech en 2016. Aucun scrupule ne semble rebuter le petit monde des cabinets de conseil en lobbying et relations publiques. Ces agences de communication jouent un rôle clé pour asseoir l’influence des milieux d’affaires, à l’abri des mécanismes démocratiques. Un nouveau rapport lève le voile sur ces mercenaires de la communication et de l’influence, qui aident les multinationales à prendre la main sur les politiques climatiques.
La Conférence climat bat son plein à Paris. Au-delà des séance de négociations intergouvernementales proprement dites, la « Cop » s’accompagne de son lot d’événements parallèles, de campagnes publicitaires, de salons commerciaux, de réceptions, de cocktails et de beaux discours. La conférence et ses à-côtés constituent une fantastique manne financière pour le petit monde des cabinets de conseil en communication, en « événementiel » ou en lobbying – souvent les trois à la fois. Leur rôle croissant illustre le poids acquis par les milieux d’affaires sur les politiques climatiques internationales.
Edelman, Fleishman Hillard, gplus, Weber Shandwick, ESL & Network… Dans un nouveau rapport publié le 7 décembre (disponible seulement en anglais), le Corporate Europe Observatory (CEO) lève le voile sur ces « mercenaires » de la communication, prêts à servir toutes les causes, ou presque [1]. Relativement peu connus du grand public, ils constituent des rouages essentiels de l’influence et du lobbying des entreprises : « Ils arrangent des cocktails avec des hommes politiques. Ils organisent des conférences publiques où ceux qui sont responsables de la crise climatique peuvent socialiser avec qui sont en charge de la résoudre. Ils forment les cadres dirigeants des entreprises sur les meilleurs moyens d’influencer les politiques européennes. Ils redorent l’image de produits environnementalement destructeurs avec des publicités sur papier glacé, bien éloignées de la réalité des glaciers qui fondent et des forêts vierges qui brûlent. »
C’est vers eux que se tournent les milieux d’affaires pour promouvoir la cause du gaz de schiste, défendre un projet controversé, ou bien gérer un scandale, comme l’a fait Volkswagen après la révélation de ses tricheries massives sur la performance environnementale de ses moteurs. Dans le cadre de la COP21, elles sont mises à contribution par les gros pollueurs pour créer un « écran de fumée » sur leur responsabilité véritable dans la crise climatique, reverdir leur image, et promouvoir les « fausses solutions » qui leur permettront de continuer à engranger des profits sans remettre véritablement en cause leurs pratiques.
Havas fait la com’ du nucléaire, de l’huile de palme et de... Nicolas Hulot
Certains de ces champions du lobbying et des relations publiques sont des français, comme Publicis ou Havas. Cette dernière est contrôlée par le groupe Bolloré, et dirigée par Yannick Bolloré, fils du PDG du groupe. Havas conseille notamment Veolia ou EDF – mais aussi la Fondation Nicolas Hulot – sur leur communication dans le cadre de la COP21. L’agence est derrière les publicités controversées d’EDF sur son électricité « sans CO2 » car d’origine nucléaire, qui ont valu à l’entreprise un « prix Pinocchio du climat », trois plaintes devant le Jury de déontologie publicitaires et une autre devant le Tribunal de grande instance pour pratique commerciale trompeuse (lire notre article).
Havas a aussi été récemment missionnée par le Conseil malaisien de l’huile de palme pour mener une offensive de charme en France et en Belgique, avec pour slogan : « On dit tout et n’importe quoi sur l’huile de palme de Malaisie ». Site internet « éducatif », profils sur les réseaux sociaux, grand concours pour gagner un voyage en Malaisie : les grands moyens sont utilisés pour redorer le blason d’une industrie responsable d’une déforestation massive en Asie du Sud-est. La campagne conçue par Havas suit trois étudiants fictifs qui se rendent en Malaisie pour constater le véritable impact de l’huile de palme. Et y découvrent avec bonheur des orangs-outans jouant en liberté dans une forêt vierge intacte... Au même moment, desfeux de forêts gigantesques, dont l’industrie de l’huile de palme semble en partie responsable, ravageaient des milliers d’hectares de forêts en Indonésie – provoquant des émissions de gaz à effet de serre quotidiennes supérieures à celle des États-Unis ! – et détruisaient un tiers des habitats encore préservés des orangs-outans.
Autre exemple mis en avant par le Corporate Europe Observatory : Fleishman Hillard, l’une des principales firmes de relations publiques, avec un réseau d’une centaine de bureaux dans le monde entier. Ses discrets locaux parisiens (photographiés ci-dessous à l’occasion d’un « lobby tour » organisé par l’Observatoire des multinationales avec Corporate Europe Observatory [2]) sont situés rue de la Bienfaisance, dans le VIIIe arrondissement. La firme compte parmi ses clients plusieurs géants du secteur bancaire et pétrolier (dont BNP Paribas et Total), ainsi que Monsanto, qu’elle conseille pour redorer l’image des OGM en Europe. Fleishman Hillard est notamment derrière la création de GasNaturally, le méga-lobby européen de l’industrie gazière, présidé par un dirigeant de Total. GasNaturally est un grand promoteur du gaz de schiste et des subventions publiques au gazoducs et aux terminaux méthaniers. Son siège bruxellois est la même que celle de Fleishman Hillard...
La prochaine conférence climatique de Marrakech organisée par des PDG ?
La prochaine conférence climat, la COP22, doit se tenir dans un an à Marrakech. Les grandes entreprises françaises y seront probablement toujours très présentes, en raison de leur poids économique au Maroc. La Conférence elle-même sera organisée par Agence Publics, une « une agence conseil en communication d’influence, communication globale et événementielle ». Agence Publics était notamment impliquée dans la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012 [3], dans l’organisation de la visite officielle de François Hollande au Qatar en 2013, ou encore pour le Business and Climate Summit de mai 2015 à Paris (aux côtés d’Havas), un grand événement de lobbying et de communication des multinationales en prélude à la COP21.
Agence Publics a été récemment rachetée par ESL & Network, un autre cabinet français de consulting extrêmement influent, présent aussi bien à Paris qu’à Bruxelles. Leconseil stratégiqued’ESL & Network est présidé par Michel Pébereau, ancien PDG et Président d’honneur de BNP Paribas, et inclut les présidents de Michelin et Sanofi, les PDG de Vinci, Orange et Casino, le directeur général de l’entreprise chimique Solvay et président du lobby européen de la chimie Cefic Jean-Pierre Clamadieu – un inlassable promoteur du gaz de schiste –, ainsi qu’un dirigeant de Total, Philippe Boisseau. À son directoire siège Jean-David Levitte, ancien ambassadeur aux États-Unis et proche conseiller diplomatique de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. ESL & Network reste extrêmement discrète sur ses activités de lobbying. Grâce aux maigres informations disponibles dans le registre de transparence du Parlement européen, on sait cependant que son principal client à Bruxelles n’est autre que… Total.
« C’est vraiment une belle victoire », se réjouit Elise, alors que s’achève le Sommet citoyen pour le climat à Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Sous le soleil hivernal et en dépit de l’état d’urgence, plus de 30 000 personnes ont participé les 5 et 6 décembre à un village mondial des alternatives initié par le mouvement Alternatiba, un Climat Forum porté par la Coalition climat 21, et un grand marché paysan. « Nous avons eu la confirmation de la préfecture jeudi soir pour la tenue des 240 conférences », précise Justine, impliquée dans l’organisation. L’état d’urgence faisait peser une épée de Damoclès sur l’ensemble des événements, depuis les attentats du 13 novembre à Paris. La détermination des mouvements à « proposer des contenus en-dehors de l’espace officiel de la COP21 » a été fructueuse.
« Construire et avancer ensemble »
Près de 300 stands se sont installés dans les rues de Montreuil libérées des voitures. Alimentation et agriculture, climat et énergie, éducation et mobilité, droits, solidarités et migrations... Onze quartiers thématiques, ponctués d’ateliers pratiques comme des fablabs, des ateliers de réparation vélos ou d’édification de murs en paille. Reconnaissables à leurs gilets verts, un demi millier de bénévoles ont orienté les visiteurs au milieu des « vraies solutions à la crise climatique ». Alors que des trocs de graines s’organisent sur fond de batucada, une démonstration de construction en chanvre est à l’œuvre. Plus loin, un grand jeu de l’oie sur les banques éthiques et les monnaies locales attire les chalands. Ici et là, on expérimente, on joue, on chante et on débat, notamment sur le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes jugé
« climaticide ».
La spécificité de ce village mondial ? « Il rassemble des personnes venues de toutes les villes et régions qui ont initié la centaine de villages des alternatives créés depuis deux ans », précise Elise, l’une des coordinatrices. Chaque groupe local membre du mouvement Alternatiba est venu ce week-end présenter un projet issu de la dynamique locale. Celui de Saint-Quentin-en-Yvelines a par exemple présenté Enercity78, leur coopérative citoyenne de production
d’énergie.
Un sommet international pour lutter contre l’évasion fiscale
Point d’orgue symbolique du village éphémère : la tenue du « sommet des 196 chaises ». Comme vous l’a relaté Basta ! ces derniers mois, un mouvement de réquisition citoyenne de chaises au sein d’agences bancaires dénonce l’évasion fiscale. Alors que les 196 États (et groupe d’États) de la 21e conférence des parties sur le changement climatique (COP21) communiquent sur leurs difficultés à trouver des financements pour l’adaptation climatique des pays du Sud, les mouvements sociaux rappellent que cet argent se trouve dans les paradis
fiscaux.
Ce 6 décembre, ce sont donc 196 délégués de la société civile du monde entier, représentant une diversité de cultures et de mouvements engagés dans la lutte contre les dérèglements climatiques, qui ont siégé à Montreuil. Ils ont proclamé les « solutions des peuples pour financer la transition » : taxe sur les transactions financières, taxe carbone, restructuration des dettes publiques, désinvestissementdes combustibles fossiles... Ce sommet s’est conclu par un appelà étendre au plan international la réquisition citoyenne de chaises [1].
Rendez-vous le 12 décembre
C’est à la Parole Errante, un espace culturel alternatif, que se clôt le sommet citoyen. Pour le mouvement Alternatiba, ces deux journées sont la preuve que « la société civile mondiale met déjà en œuvre des milliers d’alternatives concrètes permettant de résoudre la crise climatique ». Alors que les négociations au Bourget ne semblent pas se diriger, pour l’heure, vers un accord ambitieux et contraignant, Juliette Rousseau, coordinatrice de la Coalition Climat 21 met l’accent sur l’importance de faire grandir un véritable mouvement pour la justice climatique. « Dans ces moments d’adversité absolue, il nous faut pousser la transition dans nos pratiques, souligne t-elle. La question de fond, c’est comment on veut vivre tous ensemble dans un futur désirable ». Une question épineuse : le soir-même, le parti politique le plus hostile à l’écologie et au « vivre ensemble » arrivait en tête du premier tour des élections régionales.
La prochaine mobilisation est fixée le 12 décembre à midi à Paris, au lendemain de la clôture de la COP21. A l’initiative de l’ONG 350.org, des milliers de personnes portant un vêtement de couleur rouge devraient converger vers un lieu symbolique de Paris « dans une action de solidarité pacifique et stimulante ». Ce rassemblement doit former une ligne rouge géante symbolisant les limites à ne pas franchir pour protéger le climat [2].
Sortie le 2 décembre 2015 (1h 58mn) Directed by Cyril Dion, Mélanie Laurent Avec unknown actors Genre Documentaire Nationality Français
Et si montrer des solutions, raconter une histoire qui fait du bien, était la meilleure façon de résoudre les crises écologiques, économiques et sociales, que traversent nos pays ? Suite à la publication d’une étude qui annonce la possible disparition d’une partie de l’humanité d’ici 2100, Cyril Dion et Mélanie Laurent sont partis avec une équipe de quatre personnes enquêter dans dix pays pour comprendre ce qui pourrait provoquer cette catastrophe et surtout comment l'éviter. Durant leur voyage, ils ont rencontré les pionniers qui réinventent l’agriculture, l’énergie, l’économie, la démocratie et l’éducation. En mettant bout à bout ces initiatives positives et concrètes qui fonctionnent déjà, ils commencent à voir émerger ce que pourrait être le monde de demain…
Pour accéder au programme et horaires du Sémaphore :
À l’occasion des « négociations » sur le climat qui se déroulent actuellement à Paris et au Bourget pour la COP21, je vous propose de partager ma semaine au cœur des mobilisations citoyennes et des mouvements sociaux.
Samedi 5 décembre : Ouverture du Village mondial des alternatives et du Sommet Citoyen pour le Climat »
À la sortie de la station de métro « Mairie de Montreuil » à 13h, me voilà débarqué au cœur de ce « Village mondial des alternatives » sur la place de la mairie, pour le week-end du 5-6 décembre 2015. Alors que la veille, les représentants de la société civile se sont faits expulser par les forces de l’ordre française du salon « False solutions COP21 », |1| l’ambiance est tout autre place Jean Jaurès. Ici, de réelles solutions à l’initiative d’indépendants et de PME locales et internationales sont présentées. Une multitude de stands nous propose des alternatives pour des domaines aussi variés que l’éco-habitat et les maisons en paille, l’énergie, le transport ou encore la promotion de l’agriculture paysanne, gage de souveraineté alimentaire. Les allées du village sont combles et l’ambiance y est clairement conviviale entre consommation de produits équitables et discussions éclairées sur les alternatives à entreprendre pour mener une transition à la fois écologique et sociale. L’appel à la convergence y est d’ailleurs clairement déclaré à travers la tenue d’une table ronde sur « Les alternatives et résistances au changement climatique du local au global et la construction d’un mouvement pour la justice climatique ».
Ambiance festive au Village mondial des alternatives.
Quelques rues plus loin, nous retrouvons le « Sommet Citoyen pour le Climat » qui a pris place dans le lycée Jean Jaurès du quartier, spécialement ouvert à cette occasion. Cet espace dédié aux ateliers et aux conférences accueillait bon nombre d’intervenants. L’éventail très large des sujets abordés exprimait à quel point le changement climatique est une question qui concerne l’ensemble de la société. Guerre, accords de libre-échange, luttes locales des femmes, impacts du réchauffement en fonction des zones géographiques, agro-industrie et autres agro-carburants ont été très largement traités lors de ce sommet.
Le CADTM était lui aussi représenté puisque Sushovan Dhar (CADTM Asie) et Nicolas Sersiron (CADTM France) ont traité de la question de la dette écologique dans une salle de classe pleine pour l’occasion. Alors que Nicolas Sersiron a abordé la dette écologique de manière plus large au travers du pillage des ressources naturelles entrepris par les grandes puissances économiques depuis la découverte « des nouveaux mondes » à l’époque de Christophe Colomb jusqu’à aujourd’hui, Sushovan Dhar nous a parlé de cette problématique en Inde mettant en relief les divergences entre les personnalités politiques indiennes et la population. Si ces classes dirigeantes proclament, à juste titre, ne pas être responsables des émissions de gaz à effets de serre contrairement aux pays industrialisés, en réalité, elles protègent ce système qui leur permet de garder le contrôle du pouvoir et de leurs intérêts au détriment des populations locales directement impactées par une pollution massive et une agriculture aussi intensive que destructive, menant quotidiennement des paysans à mettre fin à leurs jours face à des conditions de travail toujours plus nocives pour leur santé.
Nicolas Sersiron, Sushovan Dhar et Tsutomu Teramoto parlent de la dette écologique.
Ensuite, retour au village mondial des alternatives, où la tenue d’un stand nous a permis d’être au plus proche de la population et de nous rendre compte que le CADTM et la reconnaissance des dettes illégitimes, illégales, odieuses et insoutenables, rencontraient un écho de plus en plus important, la proximité à la fois géographique et temporelle du cas de la Grèce n’y étant probablement pas étrangère. Pour finir, instant détente autour des concerts organisés sur la place Jean Jaurès.
Dimanche 6 décembre : Multinationales au banc des accusés et les #Faucheurs de Chaises à l’honneur
Lors de cette seconde et dernière journée du Sommet Citoyen pour le Climat et du Village mondial des alternatives, le CADTM, en tant que signataire de la campagne « Stop corporate impunity » (Arrêter l’impunité des entreprises), était invité à prendre la parole pour parler des audits de la dette au sein de l’atelier « Souveraineté des peuples VS Architecture de l’impunité ».
Dans un premier temps, de nombreux représentants de pays impactés par les projets destructeurs des multinationales ont pris la parole successivement. Joseph Purugganan, de Focus on the Global South, a abordé l’impact de l’extraction minière aux Philippines, Lucile Daumas, d’ATTAC/CADTM Maroc, évoqué l’impact de Veolia sur l’accès à l’eau et à l’électricité pour les populations tandis que Humberto Piaguaje, d’UDAPT-Équateur, revenait sur l’affaire Chevron en Équateur.
Monica Vargas (à gauche – TNI) lors de l’atelier Souveraineté des Peuples VS Architecture de l’impunité.
La seconde partie du séminaire était, elle, consacrée aux alternatives existantes et à développer, pour que les multinationales répondent de leurs actes, que les populations soient dédommagées et que de nouveaux modèles, à la fois égalitaires et responsables de l’environnement, soient mis en place. Alors que Themba Nthavela, représentant de la Via Campesina en Afrique du Sud, plaidait pour une souveraineté alimentaire au travers de l’aqua-agriculture comme une alternative pratique affrontant l’impunité des entreprises et le changement climatique, les membres de la campagne nous présentaient le « Traité des peuples » qui doit permettre aux populations du monde entier de se voir reconnues et de pouvoir défendre leurs droits face aux transnationales. |2|
À la fin de cet atelier qui a rencontré un franc succès, je me dirigeais de nouveau rapidement place Jean Jaurès pour assister au « Sommet des 196 chaises réquisitionnées par le collectif #Faucheurs de Chaises ».
Ce mouvement, lancé afin de dénoncer l’évasion fiscale soutenue par de nombreuses banques par l’intermédiaire des paradis fiscaux qu’elles entretiennent et le manque de financement pour limiter le changement climatique, a occupé une place centrale dans le déroulement de la journée avec des interventions successives de personnalités reconnues des mouvements sociaux, telles que Susan George (ATTAC), Bill McKibben (350.org), ou encore Lidy Nacpil (Jubilée Sud).
Puisque « un petit dessin vaut mieux qu’un long discours », je vous laisse sur ces images où 196 délégués internationaux de la société civile étaient ainsi réunis et assis confortablement pour profiter de ce moment et appeler à ce que des milliers de citoyens continuent à réquisitionner des chaises tant que les paradis fiscaux n’auront pas été fermés et que l’argent nécessaire au financement de la justice climatique n’aura pas été rassemblé.
Les chaises réquisitionnées s’offrent une petite danse à Montreuil…
…et une petite danse en leur honneur, entourée par les 196 représentants de la société civile, installées confortablement.
A lire attentivement : pendant qu’à Paris, on fait semblant de vouloir combattre le changement climatique, à Genève, dans le plus grand secret, se négocie une « libéralisation » des services qui va en sens opposé :
Wikileaks dévoile comment TISA dérégulera les politiques énergétiques
La grande arnaque du réchauffement climatique
Récente divulgation d'un texte relatif à l’ACS, qui limite le contrôle de l’Etat sur les ressources naturelles.
A l’heure où les Chefs d’Etat s’apprêtent à négocier un accord international à Paris contre le réchauffement de la planète, leurs négociateurs sur le commerce se réunissent quant à eux à Genève afin de mettre sur pied, dans le plus grand secret, un nouvel accord de libre-échange qui pourrait venir renforcer l’exploitation des énergies fossiles et exacerber le changement climatique.
De l’Australie à la Suisse, en passant par les Etats-Unis et l’Europe, les 23 négociateurs de l’ACS débattent des clauses contraignantes « privant les législateurs du droit de différencier le solaire du nucléaire, l’énergie éolienne du charbon, ou le géothermique de la fracturation hydraulique », en instaurant un principe de « neutralité technologique ». Il semble que la rencontre, qui se tient à Genève du 30 novembre au 4 décembre, poursuivra les débats sur les « Services environnementaux », un point qui avait déjà été discuté au mois d'octobre.
D’après Victor Menotti, auteur de cette étude, ce projet d'Annexe entend « réduire la souveraineté des Etats au regard des ressources énergétiques, en contraignant les gouvernements à mettre en place des marchés libres pour les fournisseurs étrangers de services liés à l’énergie, les privant ainsi de leur droit de tirer les bénéfices de l’exploitation des ressources énergétiques au niveau national ».
D’après le site Web dédié au commerce de la Commission européenne, « l’UE tentera de mettre fin à la discrimination à l’encontre des fournisseurs étrangers de services environnementaux. Cela implique de faire tomber les barrières existantes – pas uniquement de s'abstenir de mettre en place de nouvelles restrictions. »
« C’est la grande arnaque du changement climatique. A l’heure où des objectifs modestes sont actuellement débattus dans la capitale française, les moyens de les atteindre sont quant à eux négociés à Genève dans l’intérêt des plus grandes entreprises de la planète », a déclaré Rosa Pavanelli, la Secrétaire générale de l’ISP. « Les raisons pour lesquelles nos gouvernements cherchent à dissimuler ces négociations en les menant dans le plus grand secret, apparaissent de plus en plus évidentes. »
Rosa Pavanelli a appelé les gouvernements à publier l’intégralité des textes. « Il est scandaleux de devoir compter sur Wikileaks pour nous tenir au courant de ce que nos gouvernements trament en notre nom. »
Mais il en va de même de la négociation du grand marché transatlantique (Tafta ou TTIP). L’article 37 du mandat européen de négociation relatif à l’énergie, est rédigé comme suit : « L’ Accord comprendra des dispositions concernant le commerce et les aspects liés à l’investissement en ce qui concerne l’énergie et les matières premières. Les négociations devraient viser à assurer un environnement commercial ouvert, transparent et prévisible en matière d’énergie et à garantir un accès libre et durable aux matières premières. »
Il s’agit de mettre fin à une règle multiséculaire selon laquelle le sous-sol n’appartient pas aux individus mais à la collectivité ; il s’agit de renoncer à la souveraineté des Etats sur leur sol et leur sous-sol pour la donner aux firmes privées ; il s’agit de retirer aux Etats le pouvoir de fixer le prix des produits énergétiques sur le marché national.
Telle est la volonté du gouvernement français (et des 27 autres) qui a apporté son plein appui à cet article du mandat européen de négociation avec les USA.
Comment encore faire confiance à des gouvernements qui font exactement le contraire de ce qu’ils disent ? Et à des partis politiques qui agissent de même ?
Auteur, philosophe, conférencier, agriculteur, Pierre Rabhi sème depuis plusieurs années sa conception du monde et de la nature. Face à l'urgence climatique, il dénonce l'inefficacité des grandes messes internationales, à l'instar de la COP21, qui selon lui, "manipule les esprits". Il appelle à la conscience et à l'action citoyenne pour faire bouger les lignes et ainsi se réapproprier la vraie valeur de la vie.
Acteurs de l'économie-La Tribune : Quel est votre regard sur les événements tragiques qui ont touché Paris le 13 novembre dernier ?
Pierre Rabhi. Je suis ulcéré comme beaucoup de gens et je condamne fermement cette violence. Elle est planétaire et terrible. L'humanité doit de toute urgence suffisamment évoluer pour éradiquer toute violence, et pour cela, il faut changer de processus, en allant vers une plus grande reconnaissance de l'autre.
Ces violences sont, en général, reliées à des contentieux larvés, construits au cours de l'histoire : la colonisation, l'humiliation, la non-reconnaissance, l'iniquité mondiale.Toutes les sept secondes, selon les experts de l'ONU, un enfant meurt de faim. Pourtant, la planète est suffisamment riche pour que ce fléau ne se produise pas.
L'humanité est de nos jours confrontée à une mutation sans précédent. Et dans ces bouleversements, nous devons garder le cap, c'est-à-dire, construire une fraternité humaine en adéquation et en relation avec la nature, le berceau indispensable à tous êtres humains et toutes créatures.
Justement, la Cop 21 est censée éviter le pire en limitant à 2°c le réchauffement climatique. Vous êtes très pessimiste concernant cette conférence...
Je n'attends pas grand-chose de ces sommets internationaux. Ces rencontres sont censées rassembler des autorités afin qu'elles prennent des décisions importantes concernant notre rapport à la vie et à la nature. Mais depuis des années, aucune grande mesure ne sort de ces grandes messes.
L'inefficacité de ces rendez-vous du type de la COP21 - au-delà du danger qu'ils font courir à la planète,- engendre un autre mal : celui d'une manipulation de l'opinion. Les décideurs font croire à la population qu'ils s'occupent de ces grands enjeux climatiques, mais ils n'apportent pas une réponse à la hauteur de la gravité de la situation.
Le problème réside dans la division entre la nature et nous. Nous sommes la nature, et l'écologie devrait ainsi être la chose qui concerne absolument tout le monde, du président de la République au balayeur. Sauf qu'aujourd'hui, il y a un clivage initié par l'être humain. Il s'est ainsi installé dans un statut dans lequel il s'est donné tous les droits contre la nature. Avec un mot d'ordre : pillons et détruisons.
Pourtant, sur l'échelle du temps, si nous reprenons un ratio temporel de 24 heures, l'Homme n'est présent sur la planète que depuis une ou deux minutes. Et dans ce très court instant, l'Homme est devenu un fléau pour la planète. Mais aussi pour lui-même. Il est son premier fléau.
Les discours dominants portés par les grands États et leurs responsables politiques ne sont, pour le moment, que très rarement suivis d'actes majeurs. Quels sont les blocages que vous avez identifiés ?
La première nécessité et d'analyser où se trouve désormais l'autorité. La finance s'est accaparée cette autorité et cette toute-puissance dans le monde. De ce principe d'argent roi, concentré dans les mains d'une caste qui décide, se trouve les limites du pouvoir politique. Les responsables, pourtant élus, ont ainsi un espace de décision mince.
Par ailleurs, au sein même de la sphère politique, la question climatique est substituée, depuis de nombreuses années, à d'autres priorités, à l'instar du chômage. La question du climat passe également au second plan lorsque les luttes politiques, où triomphe parfois la démagogie aux dépens du réalisme, prennent le dessus, avec pour dessein de répondre à une logique personnelle de réélection électorale.
Pourtant, face à ces blocages, nous pourrions commencer à modifier la société dès demain.
Quels sont les moyens disponibles, selon vous, afin de bousculer ces paradigmes établis ?
L'un des enjeux majeurs résulte de l'éducation de nos enfants. Celle-ci devrait se focaliser, non pas sur la compétition, mais sur la sociabilité et la solidarité. En très peu de temps, nous pourrions créer des êtres solidaires, et non pas opposés.
Le système actuel de l'école introduit immédiatement la notion d'antagonisme, en poussant les enfants vers un élitisme insatiable. Cette conception est nauséabonde. D'une part, elle pare l'enfant d'angoisse. D'autre part, l'enfant est ainsi préparé à avoir une perception de l'autre comme l'antagoniste étant celui qu'il faut dominer.
Ce balancier entre dominant et dominé est une aberration au regard de l'histoire. Il y a toujours eu une catégorie opprimée, qui s'est ensuite révoltée contre son oppresseur. Puis, l'opprimé devient oppresseur. Il faut donc changer totalement de schéma.
Vous prônez particulièrement l'action locale et citoyenne pour changer le modèle. Celle-ci, aussi dynamique soit-elle, ne se heurte-t-elle pas à un niveau décisionnel qui étouffe, à un moment donné, toutes perspectives profondes de changement ?
Nous, simples citoyens, avons un pouvoir énorme, qui par notre action peut avoir des répercussions majeures. Mais nous ne l'exerçons pas. Nous devons aller vers un comportement frugal.
Certaines multinationales sont par leurs activités nocives à notre planète. Mais ces mêmes entreprises que nous pointons du doigt, nous les nourrissons tous les jours. Certes, il y a des faits que je ne peux pas renier. Je suis également en cause sur certains comportements, lorsque, par exemple, je fais le plein d'essence de ma voiture. Mais il y a des espaces dans lesquels je peux prendre des initiatives personnelles. C'est à ce titre que je parle de sobriété.
En devenant "simples", nous pouvons ainsi poser des soucis aux multinationales. En effet, elles fonctionnent sur une approche subliminale, qui est de mettre l'individu psychologiquement dans le manque. La marge du superflu qu'elles engendrent est sans limites. C'est face à cette tentation que grâce à notre comportement, nous pouvons jouer un rôle majeur. "Est-ce que je me comporte avec simplicité et sobriété qui me permet de répondre à mes besoins légitimes, où suis-je dans l'avidité permanente ?
La sobriété peut être heureuse, apporter de la joie en marquant un palier de satisfaction. Or nous sommes dans une société qui s'appuie sur l'insatiabilité avec le credo du "toujours plus". Que ce soit au niveau de l'État ou de l'individu, le gaspillage est énorme. Ce comportement n'a pas pour seule conséquence, notre personne, mais il se répercute sur l'autre. Notre gaspillage peut affamer notre voisin. Il y a tout un pan de l'humanité qui est dans la précarité, et nous, on fabrique 30 à 40 % de déchets.
La solution est donc, selon vous, en chacun d'entre nous...
La solution se construit en chacun de nous. Si nous ne nous mettons pas dans une logique de transformation raisonnée et bénévole, celle-ci s'imposera à nous. Quel que soit le chemin, nous allons vers la précarité. Il faut, selon moi, la choisir et non pas la subir, en l'ordonnant, l'organisant pour qu'elle ne soit pas douloureuse. Mais la précarité, ce n'est pas ne rien avoir, c'est simplement posséder l'indispensable.
Pour atteindre cette sobriété, vous prôner notamment l'agroécologie. De plus en plus de personnes s'en réclament. Comment observez-vous cette évolution ? Redoutez-vous un risque de récupération, à l'instar de ce qui s'est fait pour l'agriculture biologique ?
Il y a toujours un risque. Dans mon dernier livre (La puissance de la modération, Hozhoni Eds), j'ai souhaité rappeler d'une manière claire, l'éthique et les fondements de l'agroécologie. Au-delà de son ambition initiale, être pourvoyeuse de produit bio, elle est avant tout une éthique. Elle impose de cultiver en conscience.
La dimension spirituelle est évacuée de notre monde. Nous devons retrouver le ressentiment que nous fassions partie de quelque chose qui est complexe, mais porteur d'une forme d'intelligence, c'est-à-dire l'esprit, sans pour autant comprendre le tout. L'agro-écologie permet cela.
Vous êtes à la fois agriculteur, écrivain, poète...que vous permettent ces multiples casquettes ?
L'agroécologie est une activité tangible, qui ne brasse pas à l'infini des théories. J'ai cette chance l'a pratiquer, c'est-à-dire d'être en mouvement. Cette activité est un test quotidien, alors que la société d'aujourd'hui est beaucoup trop dans les concepts. On brasse, on brasse, et pendant ce temps-là, le bateau coule.
Le dilemme est désormais le suivant : sommes-nous capables de changer l'histoire par une approche tangible de la réalité des choses, où allons-nous gloser alors que nous faisons naufrage?
Il est absolument nécessaire qu'aujourd'hui, dans la façon dont nous considérons la vie, elle puisse s'incarner dans nos gestes quotidiens ; et l'agriculture est magnifique pour cela, car elle permet de vivre. Sans elle, tout est fini.
Comment transmettre les valeurs que vous prônez vers d'autres domaines d'activités. Tout le monde ne peut pas revenir à l'exploitation de la terre...
Le grand problème de la société, aujourd'hui, c'est qu'elle est hors sol. L'individu est concentré dans des villes de plus en plus gigantesques, éloignant ainsi davantage les populations des problématiques de la vie.
Prenons un exemple extrême. Pendant les guerres, tout le monde se souvient du cousin à la campagne. Il était pourtant jusqu'alors catégorisé comme le "pauvre type" qui n'a jamais réussi. Sauf, qu'en réalité, c'est lui qui détient la vie. Le réalisme aujourd'hui, c'est une écologie pratique, qui incarne la vie.