Céline, 20 ans, en grève depuis un mois, tient une pancarte disant « Après le pain, l'éducation est le premier besoin d'un peuple » (Clément Baudet)
(De Montréal) Jeudi, ils étaient 300 000 à protester contre l'augmentation de 75% des frais d'université d'ici 2017 annoncée par le gouvernement libéral de Jean Charest.
Dans cinq ans, la facture aura ainsi triplé, avoisinant les 3 700 dollars (2 800 euros) par semestre : une mesure qui va accroître l'endettement des étudiants et réduire l'accès à l'université.
« Je ne serais pas allé à l'université »
Sophie, 21 ans, étudie l'anthropologie à l'université de Montréal. Avec une mère enseignante en arrêt de travail depuis quatre ans et un père concierge, ses parents sont « trop riches pour le gouvernement » : « Je n'ai droit à aucune bourse. »
Pour financer ses études, elle travaille 20 heures par semaine dans une pâtisserie. Un job qu'elle a arrêté il y a six mois lorsqu'elle a eu la mononucléose. Son grand père, décédé il y a peu, avait épargné pour ses petits enfants : « Depuis le mois de janvier, je vis là-dessus. »
Ses parents ne peuvent l'aider financièrement, mais elle ne voulait pas s'endetter en prenant un prêt. « Je suis un cas parmi tant d'autres », répète-t-elle.
« Si la mesure sur les frais de scolarité avait été adoptée avant, je n'aurais pas pu aller à l'université ! »
Sophie va passer au travers de la hausse mais sa petite sœur de 12 ans devra s'en remettre à la prévoyance de son grand-père pour financer ses études.
Un carré rouge, symbole de la lutte contre la hausse des frais de scolarité, épinglé sur un manteau (Clément Baudet)
« Prendre exemple sur la France et l'Allemagne »
Chaque jour, de nouvelles manifestations sont organisées et les assemblées générales bourgeonnent sur les différents campus à Montréal. La Coalition large pour une solidarité syndicale étudiante (Classe) revendique la mise en place d'une gratuité scolaire. Jeanne Reynolds, porte-parole, confie :
« Le gouvernement compare toujours avec la moyenne canadienne [5 366 dollars, soit 4 000 euros]. Nous voulons prendre exemple sur les pays scandinaves, sur la France et l'Allemagne, qui ont des frais de scolarité très bas. »
Malgré le refus du gouvernement d'annuler l'augmentation des frais, la mobilisation ne faiblit pas. Dimanche 19 mars et jeudi 22 mars, plusieurs milliers de personnes ont envahi les rues de Montréal. Et les professeurs sont de plus en plus nombreux à les soutenir.
20 000 dollars pour une licence
Guy Bourbonnais, 60 ans, musicien, manifeste le 12 mars 2012 à Montréal (Clément Baudet)
Céline Lafontaine enseigne la sociologie à l'université de Montréal. Elle est signataire, avec 1 600 collègues, du manifeste contre la hausse. Tous protestent contre la marchandisation de l'éducation et l'alignement de l'université sur le modèle de l'entreprise.
D'après les estimations [PDF] de l'Iris, ce sont 30 000 étudiants qui risquent d'être privés d'accès à l'université. Une question de budget qui « touchera essentiellement les classes moyennes ».
Céline s'est elle aussi endettée pour ses études : 20 000 dollars (15 000 euros) pour une licence, un prêt étudiant gelé à 6% qu'elle rembourse encore. Selon elle, l'endettement des étudiants va devenir un grave problème :
« On peut difficilement contribuer à la vie sociale avec ce fardeau. »
En 2005, selon Statistique Canada, 57% des diplômés avaient fait appel à un prêt pour financer leurs études, et 27% des étudiants étaient endettés à plus de 25 000 dollars (19 000 euros).
De nombreux Français immigrés
Le gouvernement justifie la hausse par une augmentation de financement. Mais « les bourses ne compenseront pas la hausse », précise-t-elle.
Céline Lafontaine n'est pas pour la mise en place d'une gratuité scolaire car les frais de scolarité lui permettent de rémunérer une dizaine d'étudiants sur le campus (assistanats de cours, projets de recherche).
Parmi eux, de nombreux Français immigrés finissent leur doctorat comme Nicolas :
« Il y avait trop peu de financements en France, mais avec la hausse des frais, je n'aurais pas pu faire ma thèse au Québec. »
« Il faut se battre pour conserver nos études accessibles et de haut niveau », renchérit Céline. « Les deux prochaines semaines sont cruciales pour le mouvement. »
En 2005, le gouvernement était revenu sur la réforme des prêts et des bourses suite à la colère étudiante.
Valérie et Marie-Eve manifestent à Montréal (Clément Baudet)