Est-le fait du hasard ? Toujours est-il que la concomitance de l'élection présidentielle américaine et l'annonce, mardi 6 novembre, par le gouvernement israélien, de la construction de 1213 nouveaux logements de colons à Jérusalem-Est, assure à ce dernier une large immunité en termes de réprobation internationale. Il n'y a pas si longtemps, une telle relance du programme immobilier dans les territoires censés constituer un jour l'Etat palestinien, aurait provoqué une avalanche de condamnations, tant à Washington que dans les capitales européennes.
Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, n'aura pas manqué de remarquer que l'annonce, fin octobre, de la construction de quelque 1500 logements en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, n'avait suscité aucune réaction d'une administration Obama immergée dans la campagne électorale américaine, pas plus que celle de la création – pour la première fois en sept ans –, de deux nouvelles colonies juives non autorisées.
Tout se passe comme si les dirigeants israéliens avaient décidé de mettre les bouchées doubles avant l'annonce des résultats d'un scrutin peut-être susceptible de changer la tonalité des relations israélo-américaines : s'il est réélu, Barack Obama exercera-t-il davantage de pressions sur Israël, afin de l'amener à une attitude plus conciliante vis-à-vis des Palestiniens ? Sans surprise, ceux-ci ont dénoncé, mardi, cette fuite en avant vers la colonisation, laquelle justifie, selon eux, leur démarche politique aux Nations unies.
CHRONIQUE D'UN AFFRONTEMENT ANNONCÉ ?
"Cela nous motive à réclamer tous nos droits en allant à l'ONU pour obtenir le statut d'Etat non membre", a commenté Nabil Abou Roudeina, porte-parole de Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne. Chronique d'un affrontement annoncé ? Alors que M. Nétanyahou réunissait mardi son cabinet de sécurité afin d'envisager une série de sanctions pour répliquer à l'initiative palestinienne, son ministre des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, mobilise les ambassadeurs israéliens en Europe, avec pour objectif de les inciter à délégitimer la démarche de M. Abbas auprès de l'ONU.
Les Israéliens sont d'autant plus encouragés dans cette voie qu'ils ont successivement obtenu le soutien des "grands" pays de l'Union européenne, tels la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la France et l'Italie, lesquels font de facto chorus avec la position des Etats-Unis (et d'Israël). En substance : la reconnaissance d'un Etat palestinien ne peut être que l'aboutissement de négociations directes israélo-palestiniennes.
Le cas de la France est à cet égard exemplaire. Lors de la visite de M. Nétanyahou à Paris, le 31 octobre, le président François Hollande avait repris presque mot pour mot les propos de son hôte : la France souhaite "la reprise – sans conditions – des négociations" entre Israéliens et Palestiniens, et constate "la tentation de l'Autorité palestinienne d'aller chercher à l'Assemblée générale des Nations unies ce qu'elle n'obtient pas dans la négociation".
CONFORTÉ DANS SA DÉTERMINATION
C'était là un double camouflet pour les Palestiniens : d'abord parce qu'ils demandent l'arrêt de la colonisation pour reprendre des négociations avec Israël (ce que M. Nétanyahou qualifie de "conditions") ; ensuite, parce que M. Hollande semblait signaler ainsi son opposition à la démarche onusienne. A l'aune de l'une des propositions du candidat socialiste à la présidence de la République – "je soutiendrai la reconnaissance internationale de l'Etat palestinien" -, on mesure le chemin parcouru...
Les Palestiniens ont tiré de cet aggiornamento diplomatique de l'Europe, et de la détermination israélienne, la conclusion qu'ils n'ont plus rien à perdre. "Peu importe les pressions auxquelles nous faisons face, nous ne reviendrons pas sur notre décision", a assuré Saëb Erakat, principal négociateur palestinien, ajoutant : "nous ne cherchons pas la confrontation avec l'Amérique ou à isoler Israël, mais à isoler les colonies et l'occupant israélien, et à affirmer le principe de deux Etats".
Mahmoud Abbas ne peut que se sentir conforté dans sa détermination par la réaction de M. Nétanyahou aux propos qu'il a tenus à la chaîne 2 de la télévision israélienne. Au cours de cette interview, qualifiée d'"ouverture politique" par de nombreux observateurs et responsables politiques israéliens, M. Abbas a pris deux engagements, l'un clair, l'autre plus ambigu : le premier est qu'il ne laissera pas se développer une troisième Intifada et un retour à la violence tant qu'il présidera l'Autorité palestinienne ; le second est qu'il ne peut envisager de revenir vivre dans sa maison d'enfance de Safed (au nord d'Israël), puisque celle-ci est aujourd'hui située en Israël.
M. ABBAS NE RENONCERA "JAMAIS AU DROIT AU RETOUR"
Cette remarque, trop vite interprétée comme un renoncement au droit au retour des réfugiés palestiniens – l'un des principaux enjeux du conflit –, a déclenché une cascade de réactions contradictoires : le président israélien Shimon Péres, ainsi que le ministre israélien de la défense, Ehoud Barak, ont salué les déclarations "courageuses" de M. Abbas. M. Nétanyahou et le Hamas, pour des raisons différentes, les ont au contraire fustigées, le premier ministre dénonçant la duplicité du président de l'Autorité palestinienne, et le second l'accusant de brader un droit historique du peuple palestinien.
En Israël, l'ancien premier ministre, Ehoud Olmert, et l'ancienne présidente du parti Kadima (centre-droit), Tzipi Livni, ont immédiatement accusé M. Nétanyahou de torpiller, une fois de plus, les chances de relancer le processus de paix. Mahmoud Abbas a été obligé de faire une mise au point, assurant qu'il ne renoncera "jamais au droit au retour". L'incident doit être ramené à sa juste proportion : MM. Barak et Olmert, ainsi que Mme Livni, cherchent à marquer des points contre M. Nétanyahou, dans le cadre de la campagne électorale israélienne.
De même, Mahmoud Abbas ne cache pas qu'il souhaite peser, à sa manière, sur l'issue du scrutin : lorsque, le 14 octobre, il a assuré qu'en 2008 deux mois de négociations supplémentaires avec M. Olmert (alors premier ministre) auraient suffi pour conclure un accord de paix, il n'ignorait pas qu'il donnait un coup de pouce à l'intéressé, qui hésite toujours à se lancer dans la campagne électorale pour tenter de reconquérir son poste de premier ministre. Quant au droit au retour des réfugiés palestiniens, il ne peut être abandonné à ce stade, pour une raison simple : c'est un élément essentiel de l'inévitable marchandage politique qui se déroulera lorsque les négociations israélo-palestiniennes auront repris.