18 mai 2015 | Par Benjamin Sourice
Le corbeau sous tous ses profils
Nous publions ici une enquête inédite sur le blog Imposteurs.org et ses auteurs anonymes, Anton Suwalki et Wackes Seppi, qui depuis 2007 dénigrent méthodiquement journalistes, lanceurs d'alertes, et autres « ayatollah de l'écologisme », au point de porter atteinte à l' e-réputation de ses cibles sur le web. [Cet article est une version éditée après mise à jour d'informations intervenues après la première publication, le 14 mai 2015]
En vitrine, le site Imposteurs.org et ses deux auteurs sous pseudo, Anton Suwalki et Wackes Seppi, aiment se voir comme les gardiens de la « Science, contre tous les charlatanismes et toutes les impostures ». Pourtant, sous la plume de ses rédacteurs anonymes, la page web est devenue une référence en matière de diatribe contre les « anti-OGM » et « le lobby bio », dont les porte-paroles sont systématiquement associés aux « pires des obscurantistes », tous ces « ayatollah de l'écologisme » et autres « fous du bio ». Des termes qui rappellent les attaques récentes de Xavier Beulin, patron du syndicat agricole FNSEA, contre les « djihadistes verts ».
Dès son lancement, la ligne éditoriale de nos blogueurs est claire et assumée : dénoncer le « génie de la com' » des « Anti-OGM » et s'en prendre à la crédibilité de « scientifiques de renom engagés contre les cultures d'OGM », tel Jacques Testart, Gilles-Eric Séralini, Vandana Shiva... Maître de conférence en génétique moléculaire, et grand pédagogue sur la vulgarisation des biotechnologies, Christian Vélot fait l'objet d'un acharnement tout particulier. Érigé en « porte-parole de l’obscurantisme », Anton Suwalki brocarde son « éthique de toc du lanceur d’alerte » et décerne régulièrement le prix du « Vélot d'or » à tous ceux dont les propos auraient tendance à critiquer la science sauce industrielle. En novembre 2010, un nouvel acolyte anonyme, Wackes Seppi, présenté comme « un ingénieur agronome à la retraite » et « contributeur de blogs » rejoint Imposteurs.org, inclinant un peu plus encore la ligne éditoriale dans un anti-écologisme outrancier.
Les deux portes flingues aiment aussi tirer sur tous ces « journalistes militants » qui « pérorent » et viennent « alimenter le fond de commerce des prêcheurs d'apocalypse », accusés de tartuferies « écolo bobo ». Leurs cibles préférées ? Marie-Monique Robin, qui est devenue leur bête noire depuis Le Monde selon Monsanto, prise à partie jusque sur ses pages personnelles par les blogueurs. Plus récemment, Paul Moreira a fait l'objet d'un article injurieux après la diffusion de son documentaire OGM, bientôt dans nos assiettes en septembre 2014. La traque se poursuit jusque dans les pages de Sciences & Avenir accusé de « propagande pour le bio » ou contre Stéphane Foucart, journaliste scientifique au Monde qui servirait du « militantisme en guise d'information ».
De l'artisanat à l'opération de propagande
Si lors de son lancement en 2007, le site relevait d'une entreprise artisanale dont les saillies laissaient de marbre les personnes ciblées, au fil des années il a pris une tournure plus inquiétante. A force d'acharnement répété dans de nombreux articles, ce blog en arrive à porter préjudice à l'« e-réputation » de lanceurs d'alerte et de journalistes qui s'inquiètent désormais de cette nuisance.
En effet, une mauvaise réputation en ligne peut constituer une atteinte grave à la crédibilité d'une personne en déstabilisant son « image publique ». Plus prosaïquement, par divers stratagèmes informatiques (google bombing, site miroir, dissémination d'hyperliens...), les auteurs du blog parviennent à hisser les articles d'Imposteurs.org parmi les premiers du classement des moteurs de recherche sur des requêtes concernant des lanceurs d'alertes, orientant ainsi le lecteur vers des contenus dénigrants. Ces stratagèmes informatiques demandent une certaine connaissance des mécanismes de référencement et quelques notions d' « e-réputation », une discipline généralement associée aux cabinets de communication et de lobbying.
En 2011, une étape est franchie quand le site d'information en ligne Contrepoints.org, d'obédience néolibérale et libertarienne (façon Tea Party américain), invite nos deux blogueurs à s’épancher dans ses colonnes. Nouvelle maquette et audience élargie, mais dans la ligne rien ne change : on retrouve les mêmes attaques ad-hominem ! Par la suite, tous les articles d'Imposteurs.org seront publiés en double sur le site de Contrepoints. Là encore, l'utilisation d'un site miroir est en réalité une technique de référencement internet, permettant notamment de multiplier les sources et de contourner la censure.
Wikipédia, l'encyclopédie du greenwashing ?
Enfin, la dernière étape pour porter atteinte à l'e-réputation consiste à altérer les biographies de personnalités sur l’encyclopédie participative Wikipédia, en usant de ces blogs comme autant de « sources d'informations » reprise dans la fiche. Le procédé est redoutable car il transforme une simple note de blog, anecdotique et biaisée, en vérité encyclopédique à laquelle le grand public s'arrêtera s'il ne prend pas soin d'analyser la source indiquée.
Karg Sé, un autre « ingénieur agronome-halieutique » anonyme et habitué des blogs écolophobes comme alerte-environnement.fr, où il échange régulièrement avec Wackes Seppi et Anton Suwalki, s'est fait une spécialité des « guerres d'édition » sur les sujets touchant à l'écologie sur Wikipédia. Se vantant de « faire la chasse aux perturbateurs endocriniens », il encourage ses camarades à « être présent sur Wikipedia, très utilisé par les élèves et les étudiants, et très important pour contrer la propagande médiatique » - comprendre les alertes environnementales -, sourçant régulièrement ses propos à partir du blog Imposteurs.org.
Mais comment donc, une poignée d'auteurs, couverts par l'anonymat, ont-ils réussi à monter durant sept longues années une telle campagne de dénigrement utilisant des techniques modernes de lobbying viral ?
L'imposture d'Imposteurs.org
Notre enquête a permis de reconstituer une véritable cartographie du lobby OGM, allant d'acteurs associatifs à des professionnels du secteur agricole, soutenus par des lobbyistes professionnels et aguerris impliqués de longue date dans la « querelle des OGM ».
Intéressons nous d'abord à l'initiateur du blog, le ci-nommé Anton Suwalki qui a toujours fait preuve d'un certain enthousiasme pour les écrits de l'Association Française pour une Information Scientifique (AFIS). Or si l'AFIS a toujours gardé une distance sanitaire avec les propos outranciers d'Imposteurs.org, le site a bien été lancé par un administrateur de cette association. Notre investigation a permis de découvrir qu'Anton Suwalki se nomme en réalité Stéphane Adrover. Statisticien à l'INSEE, son Cv ne révèle aucune qualification particulière en matière de biologie, d'agriculture ou de journalisme malgré ce que l'anonymat lui permettait de sous-entendre sur ses compétences.
Loin de n'être qu'un sympathisant, Stéphane Adrover est adoubé par les membres de l'AFIS après le lancement du blog en rejoignant le Conseil d'administration de l'association en 2008, poste qu'il occupera jusqu'en 2012.
Selon lui, suite à la publication de notre enquête, il ne s'agissait là que d'un « nom de plume au même titre que des journalistes », il nie avoir « cherché une quelconque immunité derrière l’anonymat », mais nous noterons cependant que c'est la première fois que Stéphane Adrover adossait publiquement son costume d'Anton Suwalki sur son blog comme ailleurs sur la toile.
Wackes Seppi : « spécialiste des semences », héros « solitaire de l'écriture »
Poursuivons nos révélations avec le cas du second comparse, le sulfureux Wackes Seppi, dont nous avions pensé un temps qu'il s'agissait de M. Guy Waksman, ingénieur agronome retraité, mais de nouveaux éléments apparus suite à la publication de l'enquête nous ont contraint d'admettre que nous avions fait fausse route et d'éditer ce papier à la lumière de nouvelles recherches. C'est d'ailleurs, M. Waksman, en se défendant qui nous a mis sur la piste de l'identité réelle de Wackes Seppi dans la gazette de l'AFIA du 14 mai 2015. Il y écrit : « je n'ai absolument pas les qualités scientifiques de biologiste de Wackes Seppi, très bon spécialiste des semences, et je serais bien incapable d'écrire les articles de haut niveau qu'il écrit. »
Contacté par nos soins, celui-ci nie être l'auteur d'Imposteurs, mais dit « connaître Wackes Seppi ». Il précisera dans sa gazette du 18 mai 2015 : « je n'ai jamais écrit sous un pseudonyme, bien que dans certains cas, j'aurais mieux fait… Ceci dit, je comprends bien les personnes, tel Wackes Seppi, qui le font : besoin de préserver leur vie privée ou professionnelle, astreinte au devoir de réserve des fonctionnaires qu'ils soient nationaux ou internationaux notamment. » Notre fonctionnaire national, il s'appelle Stéphane Adrover aka Anton Suwalki, mais Wackes Seppi serait aussi lié à un « devoir de réserve » au niveau international ? Intéressant point commun entre ces auteurs si discrets sur leur identité…
Cessons là le suspense ! Wackes Seppi est effectivement un fonctionnaire onusien retraité du nom de André Heitz, comme nous le démontre cette fiche de l'Agence Science Presse (Canada) où les deux noms apparaissent associés. On le retrouve par ailleurs sur le même site dans un trilogue avec Anton Suwalki et Marcel Kuntz, ex-président de l'AFIS, échangeant sur « l'absence de problème sanitaire lié à la consommation à long terme de nourriture dérivée d’OGM. ».
M. Heitz a fait la plupart de sa carrière (1975-2000) au sein de l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV), une organisation intergouvernementale, sous contrôle de l'ONU, qui a été fondée en 1961 pour coordonner la mise en œuvre au niveau international des droits de propriétés intellectuels des obtenteurs végétaux et des grands semenciers. Après la révision de 1991 dont Heitz a été l'un des acteur comme directeur-conseil de l'agence, l'UPOV se donne notamment pour mission « d'examiner diverses possibilités de protection juridique des innovations dans les domaines du génie génétique et de la biotechnologie » au moment où les premières plantes génétiquement modifiées, et brevetés à ce titre, apparaissent sur le marché vers 1996. Notons cependant que l'UPOV est avant tout un organisme inter-étatique, et qu'à ce titre ses politiques sont le résultat de négociations et de consensus entre Etats.
L’UPOV œuvre en contact étroit avec l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) que M. Heitz rejoint en 2000. Il finit sa carrière au poste taillé sur mesure de directeur de coordination du nouveau bureau de l'OMPI ouvert à Bruxelles en 2004, avant d'être fermé en 2008, après « les résultats d'une évaluation et d'un processus de rationalisation des bureaux extérieurs ». Sa mission est détaillée dans une feuille de route de l'OMPI : « renforcer ses contacts et ses liens de réseau avec la communauté internationale de la propriété intellectuelle,[...], les grandes entreprises et les ONG. Ils contribuent à la réalisation des objectifs de programme, notamment en ciblant les principaux décideurs du secteur public et du secteur privé, les personnalités influentes et les commentateurs, ainsi que le grand public. » Bref, un travail de relations publiques à la hauteur des stratégies mises en place par les cabinets de lobbying qui pullulent à Bruxelles.
A la retraite après la fermeture de son bureau, à partir de 2010 M. André Joseph Léon Heitz peut désormais enfiler à loisir son costume de Wackes Seppi, ou « Joseph le garnement » en alsacien, sa région d'origine. Interrogé sur sa double identité et ses motivations personnelles, M. Heitz n'a pas donné suite à nos questions. Offusqué par notre enquête, mais gardant son masque, Wackes Seppi nous répond dans les colonnes de Guy Waksman, et se décrit comme « un solitaire de l'écriture […] propulsé par l'auteur du billet en discussion [NDLR moi même] dans un vaste complot ».Cependant,Wackes Seppi par la profusion de ses prises de paroles, ses échanges avec d'autres auteurs évoqués ici, est tout sauf isolé. Sa langue verte et son verbe fleuri d'OGM, ont propulsé la figure de Wackes Seppi au rang de personnage emblématique de cette galaxie d'amateurs de l' « écolo-bashing » et pourfendeurs des « obscurantistes anti-progrès ». Point n'est ici question d'un « grand complot », mais bien de l’œuvre d'une poignée de militants pro-biotechnologie, petites mains du lobby OGM, qui ont séquestré le rationalisme et la parole scientifique.
Ultra-libéraux et lobbyistes aux manettes ?
Enfin, c'est en cherchant à définir les liens qui unissent les deux principales vitrines de cette entreprises de dénigrement, Imposteurs et Contrepoints, qu’apparaît un nouveau personnage jusqu'alors discret sur la scène des promoteurs des biotechnologie en France, mais dont l'implication semble avoir été stratégique. Il s'agit de Jean Paul Oury : docteur en histoire des sciences, il est également l'auteur d'une publication au Presse Universitaire de France sur « La querelle des OGM » (PUF, 2006) et participe à de nombreuses reprises aux publications de l'AFIS, notamment en 2007 au moment du lancement du blog Imposteurs.org. Selon lui, l'opposition au OGM « dans sa forme la plus violente, est une action “terroriste” qui se manifeste par la destruction des expériences, aussi bien en laboratoire que dans les champs : c’est la stratégie [...] “barbare” des fauchages. » Nous retrouvons donc à nouveau la rhétorique de l' « écoterrorisme », cet élément de langage à répéter à outrance par les communicants jusqu'à le banaliser dans l'opinion.
Non seulement, M. Oury est un fin connaisseur du débat sur les OGM, mais il est dès 2008 un lobbyiste chevronné, spécialiste en « stratégie digitale » et e-réputation au sein du cabinet Image et stratégie où il est employé jusqu'en 2013. L'agence se nommait précédemment Ligne 42 avant son rachat fin 2008, or à l'époque où le cabinet recrute Jean Paul Oury comme consultant, il a pour « directeur conseil » une certaine Armelle de Kerros, ancienne directrice de communication de Monsanto France, comme le confirme un ancien Cv que nous avons pu nous procurer. Ces deux là ont donc travaillé dans le même cabinet de lobbying, mais impossible de savoir s'ils ont monté des opérations contre les anti-OGM, ni le degré de leur collaboration.
Il semblerait que M. Oury ait également fait profiter les auteurs d'Imposteurs.org de son réseau personnel pour intégrer les pages de Contrepoints.org. En effet, il a été Vice-président du micro-parti politique « Alternative Libérale », un courant libertarien français dissout en 2011. Or, le site Contrepoints, vitrine des ultra-libéraux français, est aussi dirigé par un ancien de AL qui a fait liste commune avec M. Oury, Guillaume Kalfon, qui fut jusqu'en 2014 directeur de publication de Contrepoints.org et président de l'association Libéraux.org qui détient le journal libéral en ligne. C'est donc probablement par ces appuis que les deux comparses Anton Suwalki et Wackes Seppi sont devenus membres de la grande confrérie des pourfendeurs d'écologie dans les cercles ultra-libéraux français.
Riposte juridique
« Les chiens aboient, la caravane passe » dit un proverbe arabe. Longtemps ignorés par les personnes qu'ils ciblaient, ne souhaitant pas leur offrir le luxe d'une publicité à bon compte, Stéphane Adrover et André Heitz ont pu continuer sans entrave leur travail d'atteinte à la réputation de lanceurs d'alerte et de journalistes pendant toutes ces années.
La situation vient pourtant de changer avec le dépôt successif de deux plaintes en diffamation ces derniers mois. En septembre 2014, le généticien Christian Vélot déposait une plainte contre « Anton Suwalki » et le site Contrepoints.org pour un article intitulé « Faucheurs de porte-vigne transgéniques de Colmar : Christian Vélot, porte-parole de l’obscurantisme » depuis retiré du site libéral. Contacté par un « officier de police judiciaire », Stéphane Adrover n'a pu que confirmer être l'auteur de ce billet, ajoutant « assumer intégralement ses propos sur le plaignant [i.e C. Vélot] » et les maintenir en ligne sur son propre site Imposteurs.org.
Le journaliste et réalisateur de documentaire Paul Moreira (Canal Investigation et Cash Investigation) a lui aussi déposer une plainte contre X pour diffamation contre Imposteurs.org suite à un billet attaquant violemment son reportage OGM, bientôt dans vos assiettes (Canal +, sept 2014). Rédigé par Wackes Seppi, également visé par la plainte, le titre du post était « Patrick Moore dit de Paul Moreira : « un c... fini », démontrant s'il en était encore besoin la ligne éditoriale insultante de ce blog.
Maintenant que les véritables imposteurs ont été démasqués, c'est donc à la justice de s'emparer de l'affaire afin de juger des responsabilités de chacun.
Source : http://blogs.mediapart.fr/blog/benjamin-sourice