Dans le monde physique, les grandes manœuvres ont commencé. Alors que la justice a finalement tranché lundi 25 janvier, autorisant l’expulsion de onze familles et de quatre exploitants agricoles vivant encore sur la ZAD (zone d’aménagement différée, en langage officiel) de Notre-Dame-des-Landes. Le premier ministre Manuel Valls livrant dès le lendemain l’échéance de « l’automne » pour un « rendez-vous », où « toutes les mesures devront être prises pour donner une avancée décisive ».
En attendant, chacun semble désormais épier la tweetline de l’autre. En particulier lors des escarmouches, des poussées de fièvre générées par les aléas de l’agenda propre à ce dossier serpent de mer. Chaque parti guettant le moindre faux pas, immédiatement assorti de mesures de représailles. Ce phénomène fut flagrant lorsqu’un juge venu notifier trois expulsions exigées par le projet d’aéroport nantais se heurta à une foule de zadistes déterminés, le 22 septembre 2015.
Des zadistes fréquemment équipés de talkies-walkies leur permettant de s’extraire du radar des télécoms. Dans un contexte de pression médiatique forte, avec plusieurs caméras et micros sur le terrain. Et lorsque la radio France Bleu Loire Océan publia un tweet affirmant que les zadistes avaient jeté des fumigènes alors que les projectiles émanaient de gendarmes mobiles, des individus crevèrent des pneus dans la foulée, ceux de la voiture siglée France Bleu et celle de France 3.
Une mesure de rétorsion ? « Absolument pas », répond un insurgé présent ce jour-là.
« C’était juste très bien synchronisé car notre mode d’intervention est de mieux en mieux rodé. C’est normal qu’il y ait une communication interne sur 2 000 hectares [superficie totale de la zone à défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, la partie réellement contrôlée et gérée collectivement par les squatteurs se bornant à 200 hectares, ndlr]. Car on vit dans ce monde.
Et si la technologie est utilisée contre nous, c’est logique qu’on sache s’en servir pour se défendre. Si on ne le faisait pas dans des moments comme la venue du juge, on se ferait écraser. »
« Automédias »
Dans l’autre dimension, numérique, la ZAD dispose d’ailleurs aussi de relais éprouvés. D’abord le canal historique, celui de ZAD.nadir.org, avec son compte Twitter associé @ZAD_NDDL. Un site web qu’un autre zadiste rencontré sur place craint de se voir tôt ou tard mis en danger par la loi renseignement. Plus officieux, d’autres médias comme Indymedia ou Lundi.am, prompts à s’inscrire dans la contre-offensive face à leurs homologues « mainstream » s’avèrent de subtils alliés de la cause zadiste.
D’autant que la communauté reproche une collaboration parfois un peu trop poussée avec la police à certains médias locaux. Ou nationaux, quand l’usage de caméras cachées et le floutage sont peu en phase avec ses propres exigences existentielles. « Combinée au Web, la vérité est une arme puissante, Internet est un moyen de connecter entre elles des réalités décentralisées », s’enflamme le zadiste témoin de la venue du juge.
« Ils disent que je suis radical. Moi, je préfère me considérer comme informé. Etre informé t’amène à devenir radical selon leurs critères. Il peut m’arriver de passer dix heures sur Internet puis de ne plus y toucher parce que j’ai envie de faire autre chose. Je peux aussi très bien bouquiner toute une journée. »
La résistance à Notre-Dames-des-Landes a même engendré ses propres « automédias », dont la définition a été fixée dès 2011. « Cela peut être tout le monde ici, 200 personnes », poursuit l’occupant.
« Des gens qui ont envie de créer du contenu, des textes, des slogans, des images mais qui n’utilisent pas les médias traditionnels pour les propager. »
Sans oublier les grappes de comptes Twitter personnels, vigilants et réactifs, qui gravitent autour du noyau virtuel de la ZAD.
Ordis recyclés
« Même si certains mouvements de militants adoptent une grande distance vis-à-vis du numérique, les marges, d’où les nouvelles idées ont tendance à émerger, sont toujours mieux à même d’en saisir les enjeux que le cœur du réacteur public », constatait, quelques jours seulement après la venue du juge, Laure Belot à Bouvron, à quelques pixels de Google Maps seulement de la ZAD.
« Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si je suis ici », remarquait l’auteure de « La Déconnexion des élites » (éd. Les Arènes, 2015), invitée à donner une conférence par le conseil de développement de Loire-Atlantique.
« Pour conserver le pouvoir, les élites utilisent la com’. Ou le contrôle, à travers la volonté de surveiller les gens. Mais le lien entre les gens est en train de changer. »
Les modes de vie évoluent tout aussi radicalement. Mais habiter des cabanes n’empêche pas d’avoir des clefs USB plein les poches ni d’aller recharger son ordinateur portable dans certains points stratégiques, où les murs sont « en dur ». Des endroits où s’empilent des carcasses d’unités centrales plus ou moins désossées, ateliers où plusieurs postes permettent l’accès libre à Internet.
« Vivre entre quatre murs, c’est mieux pour faire durer le matériel », explique notre zadiste féru d’informatique.
« Cela permet aussi de sortir de ce concept d’obsolescence programmée qui détruit actuellement la planète et constitue un des plus puissants moteurs du capitalisme. L’idée, c’est de redonner vie à des objets abandonnés dans des poubelles derrière des magasins informatiques ou électroniques.
Quelquefois, des machines sont jetées simplement parce qu’il y a une rayure dessus. Il y a aussi de grandes entreprises qui donnent leur matériel à des associations lorsqu’elles renouvellent leur parc, il suffit de faire une demande. »
Les nouveaux outils des autorités
Bien avant l’état d’urgence, les pouvoirs publics ont de toute façon commencé à prendre très au sérieux l’activisme en ligne. Le compte Twitter de la police nationale 44 est par ailleurs le premier du genre en nombre d’abonnés, tandis que la gendarmerie de Loire-Atlantique poste depuis plusieurs mois des messages sur sa page Facebook.
Les forces de l’ordre se préparent aussi à franchir un palier supplémentaire avec le dispositif Neogend, actuellement expérimenté dans le Nord mais destiné à être déployé dans toute la France en 2017. Gendarmes et policiers intervenant sur le terrain bénéficieront de smartphones et tablettes sécurisés qui leur permettront d’accéder de manière fluide à de nombreux fichiers.
Autre innovation qui risque de donner des sueurs froides aux insurgés du bocage : les unités d’intervention pourront désormais être toutes géolocalisées selon un battement de 30 secondes. De quoi faciliter la tâche des états-majors qui pourront les faire converger plus facilement sur leurs objectifs
Déconnecter la ZAD ?
Cette prise de conscience, globale, de l’importance d’occuper le terrain numérique, date probablement des premières vagues d’expulsions en octobre 2012. « C’est à ce moment que notre site web a le mieux révélé son utilité », explique notre interlocuteur de la ZAD.
« Grâce à lui mais aussi aux listes d’e-mails, aux réseaux sociaux, au téléphone bien sûr, une foule importante a commencé à se mobiliser. L’été d’avant, nous étions une trentaine de personnes sur place. Du jour au lendemain, quand le processus d’expulsion a commencé, nous nous sommes retrouvés dix fois plus, 200 à 300, puis 1 000, 2 000 personnes. »
Tout récemment, les organisateurs de la dernière mobilisation de masse, sur le Pont de Cheviré près de Nantes le 9 janvier, ont annoncé jusqu’à 20 000 manifestants. Un rassemblement largement structuré et préparé en amont via le Web.
Le pouvoir sait donc que s’il veut définitivement couper l’herbe sous le pied au mouvement d’opposition à l’aéroport, il devra d’abord le déconnecter. Et que ce ne sera pas tâche aisée.
Source : http://rue89.nouvelobs.com