Le 22 février 2014, lors de la manifestation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, trois jeunes hommes avaient été grièvement blessés à l’œil par des tirs de lanceur de balles de défense (LBD), et l'un d'eux avait même été éborgné. Au total, six manifestants blessés avaient déposé plainte contre X... Selon Ouest-France, ces six plaintes ont toutes été classées sans suite. « Nous ne disposons pas d'éléments permettant de caractériser une infraction », a déclaré le 7 avril 2015 Brigitte Lamy, la procureure de la République de Nantes, au quotidien breton. Nous n'avons pas pu joindre la procureure. La justice avait été beaucoup plus diligente pour les manifestants accusés de violence. En juillet 2014, selon notre enquête, plus d'une trentaine de militants avaient déjà été interpellés et jugés, souvent en comparution immédiate.
Le premier blessé, Quentin, un charpentier cordiste de 29 ans, a perdu son œil à la suite d'un tir policier vers 19 heures place de la Petite-Hollande, alors qu’il cherchait à se replier face à un barrage de CRS, selon son témoignage. Le jeune homme, qui vit maintenant avec une prothèse oculaire, a récemment reçu un avis de classement sans suite. Dans cette lettre datée du 17 mars 2015, la procureure de la République de Nantes affirme que « les faits ou les circonstances des faits n'ont pu être clairement établis par l'enquête » et que les « preuves ne sont pas suffisantes pour que l'affaire soit jugée par un tribunal ».
Tir de Flash-ball (LBD) sur Quentin Torselli par blogbreil
« Quid des vidéos et des témoignages accablants pour la police ? », s'interroge dans un courriel sa mère, Nathalie Torselli. Sur une vidéo filmée par un photographe indépendant, on voyait notamment des CRS et un camion à eau poursuivre, gazer et asperger d'eau à haute pression des manifestants qui tentaient de secourir Quentin Torselli, blessé quelques instants plus tôt.
Le deuxième blessé, Damien, 29 ans, a lui aussi été atteint à l’œil, tout près de la place de la Petite-Hollande. Depuis, il voit « juste des ombres ». Lorsque nous l'avons joint ce 7 avril, il n'était pas encore au courant que sa plainte avait été classée. « C'est une blague ?, dit-il, choqué. Moi, j'attendais mon avis à victime (indiquant l'heure et le jour de l'audience - ndlr) ! » Coffreur maçon, le jeune homme dit avoir désormais le statut de travailleur handicapé. « J'essaie de refaire ma vie, mais j'ai dû me ré-acclimater, je n'ai plus aucune vue en perspective et c'est difficile au niveau boulot », dit Damien.
Un troisième jeune homme, Emmanuel, 24 ans, avait été touché à l'œil droit, vraisemblablement par un tir de lanceur de balles de défense. Contacté par Mediapart, il indique n'avoir lui non plus pas encore reçu l'avis de classement sans suite. Ce cuisinier originaire du Finistère était venu chercher du travail à Nantes. Il avait reçu un projectile au visage près du CHU de Nantes, chuté et perdu connaissance. « J'ai retrouvé entre 3 et 5 dixièmes de vision », affirme Emmanuel. Interrogé par Mediapart en avril 2014, le directeur départemental de la sécurité publique de Nantes assumait : « Ceux qui prennent le risque de s’en prendre aux forces de l’ordre s’exposent eux aussi à des dommages corporels. »
Depuis 2004, une trentaine de personnes ont, selon notre décompte, été grièvement blessées par des lanceurs de balles de défense en France. Mais au total, seuls deux policiers et un gendarme ont été condamnés. Le 2 avril, un policier qui avait grièvement blessé au visage Geoffrey Tidjani, un lycéen, avec un tir de lanceur de balles de défense 40 (LBD 40), a été condamné à un an de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis) pour usage disproportionné de la force et faux. Il s'est vu également signifier une interdiction de travailler dans la police pendant un an et de porter une arme pendant deux ans.