france24.com - Dernière modification : 15/11/2011
Aux élections de dimanche prochain, le Parti populaire est promis à une large victoire, et bénéficierait du rejet qu’inspirent les insuccès du socialiste Zapatero. Tant pis pour l'idéologie de gauche prônée par les "Indignados".
Les Espagnols sont-ils devenus schizophrènes ? Ou n’y a-t-il pas d’issue politique immédiate au mouvement des Indignés ? Né à Puerto Del Sol à Madrid et ancré idéologiquement à gauche, le vaste mouvement de contestation, qui prône plus de démocratie, s’est adjoint la sympathie d’une grande majorité de la population. Pourtant, l’électorat s’apprête à porter les conservateurs au pouvoir lors des élections générales de dimanche. D’après les derniers sondages, la droite bénéficie d’une avance d'environ 17 points.
"Ce n’est pas paradoxal", explique Adeline Percept, correspondante de FRANCE 24 à Madrid. "Le mouvement des Indignés est un mouvement de défiance envers le pouvoir en place, donc envers les socialistes". Étant donné la situation politique et économique actuelle, l’aspiration à une alternance toute pragmatique prédomine donc chez les Espagnols.
Ceux qui mènent la fronde dans les rues et défendent les idéaux de gauche auront plutôt tendance à s’abstenir de voter dimanche. Ils n’iront surtout pas soutenir le Parti socialiste, discrédité après sept ans au pouvoir.
"Il faut tout repenser"
Le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, porté à la tête du gouvernement en 2004, puis réélu en 2008, avait senti le vent tourner dès avril dernier, lorsqu’il annonçait qu'il ne se présenterait pas pour un troisième mandat. Puis en juillet, vaincu par la crise économique et par le mécontentement massif de la population, il avait décidé d’avancer de quatre mois les élections législatives et sénatoriales, initialement prévues pour mars 2012.
Le gouvernement de Zapatero est accusé d’avoir mal réagi et trop tard lorsque la tourmente financière de 2008 s’est transformée en crise économique. Le chômage atteint plus de 21 % de la population active en Espagne (30 % en Andalousie), les prévisions de croissance sont faibles (0,8 % pour la fin de l’année), et le secteur de l’immobilier est atone après avoir porté l’économie pendant une décennie.
"Des familles complètes sont au chômage, les gens n’arrivent pas à payer l’électricité", décrit Jose Miguel, l’un des leaders des Indignés à Monte Quinto, près de Séville. "On est fatigués par les problèmes de chômage, de logement, d’éducation… C’est toujours l’argent qui domine tous les gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche. Or notre ras le bol ne peut être résolu actuellement ni par les socialistes, ni par les conservateurs : il faut tout repenser."
Les Indignés de droite
Depuis le début du mouvement des "Indignados" au mois de mai, une grande majorité d’Espagnols adhère à leurs revendications. Soit en participant aux manifestations, soit en exprimant une sympathie sans sortir de chez eux. Or George Verstrynge, professeur de sciences politiques à l’université de Madrid, distingue deux types d'électeurs : "Ceux qui descendent dans la rue sont plutôt des électeurs de gauche, qui veulent changer le système, en ont assez de l’argent roi et des compromissions du Parti socialiste. Les Indignés qui restent dans leur salon sont plutôt des électeurs de droite, qui veulent surtout se débarrasser du gouvernement socialiste de Zapatero." D’après le politologue, le nombre d’Indignés de droite est aussi important que le nombre d’Indignés de gauche.
Les Indignés de gauche auraient tendance à s’abstenir de se rendre aux urnes, pour ne pas prêter leur voix au "système" et au bipartisme. Ou alors ils pourraient être tentés de voter pour des partis d’ultra-gauche ou régionalistes qui n’ont pas ou peu de représentation à l’Assemblée nationale.
Or la loi électorale en Espagne, inspirée de celle qui existe en Belgique, favorise le bipartisme (le Parti populaire et le Parti Socialiste) et empêche l'émergence des petites formations. "Il faut environ deux fois plus de voix à un petit parti pour décrocher un siège au Parlement, par rapport aux deux grands partis", explique George Verstrynge.
Mariano Rajoy, dit le hérisson
Si le raz-de-marée des conservateurs aux élections de dimanche semble incontournable, les conservateurs de Mariano Rajoy ne font pas rêver l’Espagne pour autant. "Rajoy, qui est surnommé le 'Hérisson', n’est pas très charismatique et n’a pas dit ce qu’il allait faire : si c'est de la rigueur et dans quelle mesure", résume Adeline Percept. Le Parti populaire est cependant réputé partisan du libéralisme (au meeting de Séville, le parti avait pour seul invité français Alain Madelin, chantre du libre-échange économique). Et sur le plan sociétal, le parti soutient des positions conservatrices : il s’est opposé à l’instauration du mariage gay et à la facilitation de l’avortement, permis par le gouvernement socialiste.
Le positionnement politique du Parti populaire va forcément hérisser le poil des "Indignados", et les manifestations post-scrutin promettent d’être houleuses. À défaut de pouvoir construire une représentation politique, les Indignés savent parfaitement se positionner comme force contestataire. "Dès que l’état de grâce sera passé, les manifestations du printemps risquent de reprendre de plus belle", prédit le politologue George Verstrynge.