Agoravox -par Patrick Samba mardi 22 novembre 2011
Jour après jour depuis le vendredi 4 novembre, des Indigné(e)s occupent nuit et jour l’esplanade de La Défense. Au pied de l’imposante Grande Arche dont le gouvernement leur interdit l’accès, et surtout quand il pleut… Aujourd’hui cela fait donc un peu plus de deux semaines qu’ils l’occupent. Une occupation non-violente. Nuit et jour, malgré le froid, la pluie (seulement fifine jusqu’à présent), et le harcèlement de la Police. Une Police au départ extrêmement agressive. Mais sa violence n’est pas parvenue à entamer leur détermination. Malgré aussi l’impossibilité de s'abriter dans une tente ou sous une bâche ou même sous un carton, puisqu’elle tente souvent violemment de les déposséder du moindre carton pouvant leur servir de pancarte. De la violence pour un carton !... Ils dorment à même le sol ; quand ils dorment.
Et de plus en plus de gens ont connaissance de cette situation. Et pas seulement les riverains et employés des multinationales de la Finance et de l’Industrie. Car aujourd’hui un verrou a sauté : les média français commencent à parler de leurs compatriotes indignés. Pas toujours en des termes qui leur conviennent, mais l’essentiel est là, ils en parlent. Et phénomène encore plus essentiel, leur parole se délie.
Les analyses, ou plutôt les absences d’analyse des média.
Manquant encore d’imagination, de saine curiosité professionnelle, certains d'entre eux en sont encore à poser la question récurrente : « Pourquoi le mouvement des Indignés ne prend-il pas en France ? ». Pratiquement pas un journal, pas une radio, pas une télé qui n’ait posé la question. A laquelle en général ils ne tentent même pas de répondre. Et quand ils le font, la réponse est toujours la même.
La situation en France, selon eux, ne serait pas la même qu’ailleurs. Heureusement que nos experts en lapalissades sont là pour nous le faire savoir !... Mais alors que l’on pourrait s’attendre à ce qu’au moins ils nous précisent les différences chez nous des effets de la crise, leur traduction de la situation va dans un tout autre sens. Se gargarisant d’une autosatisfaction bien française, une des sources de l’arrogance nationale moquée de par le monde, ils avancent que la protection sociale y serait plus étoffée qu’ailleurs, offrant un airbag permettant d’amortir efficacement les divers chocs de la crise. Outre évidemment qu’il est un moyen de rassurer le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur, et donc de l’encourager à se satisfaire de son sort, l’argument tombe à l’eau. Pour la bonne raison que les effets de la crise, même s’ils peuvent être anticipés, chez nous dans l’immédiat ne sont pas encore perceptibles de manière massivement rigoureuse. Sauf si l’on possédait des actions. Mais peut-on alors parlé de rigueur, ou au contraire tout au plus d’amincissement, même s’il y a effectivement épreuve psychologique ? Et c’est bien cela qui fait la différence. A l’inverse de l’Espagne et des USA où les fameuses sub-primes, dépossédant nombre de propriétaires de leur logement, ont jeté un nombre important de familles à la rue. Ceci expliquant cela, à savoir une rage chez eux déferlant sur le pavé.
Accompagnant cette question, dont personne n’aura ignoré la dimension perfide, accourt systématiquement ce constat selon lequel les Indigné(e)s à La Défense seraient bien peu nombreux. On pourrait en effet avec eux en être confondu. Mais pas dans le sens où les média satisfaits de leur pertinente observation pourraient s’y attendre. Car encore une fois elle ne démontre que leur myopie. S’ils venaient sur place constater la réalité, ils s’apercevraient en effet qu’en dehors d’un noyau plus ou moins constant, un roulement très important y a lieu. Et 100 dormeurs par jour pendant 15 jours ne font pas 100 personnes mais plus d’un millier, près à se retrouver là au moindre trafalgar. Et il ne s’agit là que du nombre de dormeurs. Le Ministère de l’Intérieur, lui, est parfaitement au courant, qui filme en permanence …
Si on a la chance de pouvoir interroger un professionnel de l’information ailleurs que sur le parvis de La Défense, sur la raison de sa difficulté à quitter la chaleur cotonneuse de son bureau non encore fortement irradié, il arrive qu’on vous réponde : « Vous voyez le monde à travers le prisme des indignés. Mais le monde ne tourne pas autour de vos préoccupations. Le journalisme est avant tout une affaire de relativisme : on hiérarchise les infos, on établit des priorités, on essaie de rendre compte de la marche du monde, non pas à travers l'un de ses aspects, mais à travers plusieurs d'entre eux. On fait des choix. Alors certes, ceux-ci peuvent être discutés. On peut aussi considérer que ce qui vous parait à vous essentiel est certes intéressant, mais peut-être pas au premier plan dans la période actuelle ». Certes, mais qui a parlé de premier plan ? Ce dont, indigné, on parlait alors, c’était tout simplement d’une… totale absence de plan.
Et les Indigné(e)s, eux, ils en pensent quoi ?
Pour les Indigné(e)s les choses sont très simples. Pour eux qui vivent les évènements en direct, la cause de l’absence de « prise » dans la population est double.
Elle est objectivement liée au silence des média et à la répression policière. Cette dernière étant la seule jusqu’à ces jours récents à avoir été - et parcimonieusement - relatée par ces mêmes média (et quand elle ne le fut pas alors de manière tronquée) décourageant de fait un peu plus, et cette fois-ci par la peur, toute velléité de mobilisation. Tout le monde le sait, c’est une chose de ne parler que de la violence policière et une autre d’en parler au cœur d’une information plus globale, et ainsi de la relativiser.
La répression policière ne doit surtout pas être minimisée sous prétexte d’une comparaison avec celle qu’ont subi nos concitoyens du monde arabe. Si elle n’a rien de comparable, il n’en reste pas moins que les charges violentes, les coups de matraque et autres coups, les jets de gaz lacrymogène directement dans les yeux, un coup de pied dans le visage (la jeune grecque Nikki), une luxation d’épaule (Antonio), un hématome sous-dermique abdominal (Michel), entre autres (et je ne parle pas de mon propre cas), sont totalement intolérables dans des pays européens dits civilisés dans lesquels la liberté d’expression est un des piliers de la démocratie et un droit inaliénable garanti par la Constitution, qui plus est quand on en use de manière non-violente.
Il va falloir que ça s’arrête, et les journalistes dans l’affaire ont un rôle à jouer. S’ils avaient été plus nombreux à faire leur travail, bien des abus auraient été évités du seul fait de leur présence. Il va falloir que ça s’arrête parce que je ne veux pas, et aucun démocrate ne le veut, apprendre la mort de l’un d’entre nous. Et en l’occurrence de Max menacé de mort mercredi 16/11 à La Défense par un policier qui ne restera pas anonyme. Lequel lui aurait affirmé qu’« ils étaient plusieurs à vouloir lui faire la peau, mais que c’est lui qui le tuerait ». Sa faute, sa « provocation » ? Avoir chanté pendant des heures à la sortie du métro de La Défense : « Travaille, consomme, et ferme ta bouche », sa version soft du slogan préféré des Indigné(e)s français, lequel se hurle en ces termes : « Travaille, consomme, et ferme ta gueule ! » ?
Le silence des média et la répression policière, certes, mais n’y-a-t-il rien d’autre ?
Et la résignation ? Ne faut-il pas interroger cette résignation profonde très brutalement fixée en chacun d’entre nous au lendemain de l’échec cuisant de la contestation massive de la réforme des retraites ? Sinon comment peut-on comprendre le rejet par les Indigné(e)s français(es) des institutions politiques et syndicales (et non pas de leurs militants), alors qu’à l’inverse des espagnols se mesurant eux en multitude, ils ne peuvent compter que sur un faible nombre de mobilisés effectifs ?
Et cette résignation est redoutable. On ne la lève pas d’un simple claquement de doigt. Mais en revanche quand elle sera levée…Et il vaudrait mieux qu’elle ne le soit que de manière progressive. Car elle le sera, inexorablement. Le processus actuel n’est pas mondial par hasard. La tentation pour le gouvernement serait de chercher à l’étouffer « dans l’œuf » comme il l’a déjà dit. On a vu le résultat. Or la coquille des œufs est déjà brisée, et le retour en arrière est désormais impossible. Il suffit pour s’en convaincre d’observer le crédit de sympathie dont bénéficie le Mouvement. Les policiers rasent le camp de La Défense ? Dès les premières heures de la journée la solidarité a déjà fait son œuvre et les stocks renouvelés. Quel plus grand plaisir y-a-t-il après une nuit passée dans le froid et le vent, avec parfois un peu de pluie, sans la protection d’un toit de fortune, que de se réveiller en trouvant du café chaud offert par les habitants proches de La Défense, ainsi que des croissants et pains au chocolat encore chauds, déposés en général par des femmes, parfois habillées de tailleur qu’elles n’ont manifestement pas acheté à Prisunic, et cela avant de rejoindre leur bureau bien chauffé mais glacé de La Défense ?
Et il n’est question là que de la sympathie du quartier…
Et ne parlons pas de celle de certains gendarmes et policiers. On leur parle. On la connait. Regardez les vidéos et le nombre de ceux, conscients des termes de la Constitution, qui retiennent leurs collègues voulant bouffer de l’Indigné(e). Mais ils ne disent pas encore « non », et notamment aux atteintes à la liberté d'expression, et contrairement à certains je n’irai pas prôner l’estime pour l’ensemble d’entre eux sans aucune distinction.
Une libération de la parole et de l’indignation.
L’impact psychologique et politique de l’occupation de La défense ne requiert pas forcément un grand nombre d’Indigné(e)s très déterminés. Car elle se veut avant tout un acte de résistance symbolique. Un acte dans la réalité de relations physiques, conviviales (ce qui ne veut pas dire sans conflit), voire charnelles, les pieds sur la terre d’un espace public libre, avec échange de regards, et pas seulement une action virtuelle derrière un écran d’ordinateur. Et un symbole est parfois bien plus dur qu’une matraque et plus puissant qu’un bataillon de CRS. Un symbole c’est un fil rouge et blanc auquel sont accrochés des ballons de baudruches colorés tenus par quatre clowns remontant à reculons les marches de La Défense et faisant reculer trente policiers « revêtus d’uniforme de brutalité »… (cf le début de la vidéo)
Quand les brigands sont vêtus d'uniformes de brutalité - Paris - YouTube
Et cette sympathie commence désormais à s’afficher dans les médias.
LCI De quel droit la police... ? 16_11on Occupy France - live streaming video powered by Livestream
Il y a quelques jours quatre magazines et reportage télé ont offert une place aux indignés :
La Nouvelle Edition - CANALPLUS.FR
Les indignés - ARTE
Videos - C à vous - France5 (à 16 min 57)
Émission Face à l'actu
Cette sympathie est née du sentiment que le courage et la détermination des Indigné(e)s de La Défense, l’affirmation de leur dignité, sont en train de laver l’affront, l’humiliation qu’ont vécu les manifestants de l’automne 2010 de la part des thuriféraires de l’oligarchie financière, des patrons d’industrie et des idéologues ultralibéraux à la pensée cupide matinée de fascisme larvé. Une parmi les multiples atteintes à notre dignité. Mais pas la moindre. Parce que, oui, aujourd’hui la coupe étant plus que pleine, et son contenu fortement irradié, elle déborde. Et nous « ON JOUE PLUS » !
Si ce mouvement ne devait parvenir qu’à libérer la parole et permettre à l’indignation collective de s’exprimer, il aura déjà atteint là un but essentiel.
Mais soyons en sûr ils ne se laisseront pas faire. Ils en ont les moyens. Ils paieront des porte-parole éloquents s’affichant indignés pour se répandre sur les plateaux télé ou radio afin de discréditer le mouvement par des propos outranciers ou scandaleux. Sans compter ceux qu’il ne sera même pas nécessaire de payer. Et cela d’autant plus facilement que les Indigné(e)s n’ont pas de porte-paroles officiels, de leaders patentés. Comme tout le monde sera susceptible de pouvoir prendre la parole, non pas au nom des Indigné(e)s, mais au nom de la dignité, des journalistes à l’éthique chancelante ou corrompue ne manqueront pas d’ouvrir leur micro aux manipulateurs. Mais les mensonges et les manipulations ne porteront plus, car si les auditeurs et les téléspectateurs ne pourront distinguer à la voix ou à l’apparence entre un vrai indigné et un manipulateur, ils feront vite la différence entre les mots du mensonge assénés depuis tant d’années et ceux de l’indignation.
SOUVENT QUAND L’ARGENT PARLE, LA VERITE SE TAIT.
SOUS LES PAVES, LE POTAGER !
PAS DE FUKU SHEZ MOI !
LE NUCLEAIRE TUE, ET D’ABORD LA DEMOCRATIE !
ARRET DE LA CONSTRUCTION DE L’EPR DE FLAMANVILLE !
EVA JOLY, INDIGNE-TOI !