L’émission de la petite radio < knowledge-tv.com>[i] du 23 juillet 2011 à 20h30, regroupant les témoignages d’Indignés de Metz, d’Avignon et d’Aix-en-Provence, ainsi que des organisateurs de la grande marche [ii], va servir de base à cet article qui se propose d’aller plus largement à la rencontre de cet incroyable mouvement, arrivé en France il y a maintenant trois mois.Grâce aux témoignages de l’émission précitée et à notre expérience aixoise, ainsi qu’aux témoignages qu’on trouve sur les sites internets qui accompagnent et commentent la grande marche, les bases et les lignes de force de ce mouvement se dessinent et se révèlent de plus en plus clairement au fil des rencontres, des interviews et des actions menées. Qu’est-ce qui fait se dresser à nouveau les Indignés, qu’est-ce qui les pousse à se mettre en route ? Quels sont leurs espoirs, leurs analyses, leurs valeurs ? D’où tirent-ils leur force ?
* Ce contre quoi les Indignéss’élèvent prioritairement, c’est tout ce qui représente l’argent et l’exploitation du peuple par la finance. Leur préférence va vers des actions de ridiculisation des banques et del eur souci d’argent.
« Toutesl es libertés sont démantelées au nom de la liberté du marché »
« Les États empruntent et sont notés pardes agences privées. La Grèce, par exemple, berceau de la Démocratie, se retrouve maintenant sous tutelle. Ce qu’elle vote n’a plus aucune valeur ».
Ils insistent sur le fait que l’argent doit être un moyen, un outil, mais en aucun cas une fin. Amasser de l’argent ne doit servir à rien.
«Ce n’est rien de plus qu’un couteau de cuisine, on ne passe pas sa vie à essayer de se procurer de nouveaux couteaux de cuisine !!! » Dans l’immédiat, il faudrait établir une limite supérieure de richesse.
Ladette, « elle est prévue pour nous maintenir en esclavage »
La croissance :« C’est l’assassinat du peuple. On n’a jamais eu autant de richesses,de pognon, mais les gens sont mis à la porte »
« Il faut enlever à la richesse et à l’oligarchie, le politique et lejuridique. »
Et lesIndignés de donner des exemples : « Une fête de quartier au Panierà Marseille ? À une heure du matin, les flics tapent sur les jeunes pour les disperser » ;« Quand on gaze les Indignés pour les déloger, alors qu’ils se contentent de parler, quel est l’espoir dans ce contexte, quel type de résistance opposer ?
Mais lesIndignés sont déterminés :
« C’est eux qui cèderont, pas nous » «Il faut résister. Un jour, les flics seront à nos côtés,car ils ont beaucoup de désillusion et ne sont pas heureux si on en croitleur taux de suicide »
Et ils ne se laissent pas déstabiliser pour si peu : « Si on met tant de soins à repousser les Indignés, c’est donc que ce mouvement a un poids et qu’il représente un danger. » « L’autre soir, un mec est arrivé, il a sauté sur un bout de pain. Ce n’est pas possible de voir ça !Les gens, quand ils auront faim, ils seront là ! »
* Au cœur de leur combat, défendre le bien commun pour tous : eau, énergie, services publics On parle beaucoup de Santé, (la santé aujourd’hui à x vitesses…) , de l’Éducation, priorité au logement, une place de choix doit être donnée à l’Éducation Populaire … Ils sont accueillantspour tous : « il n’est pas question pour eux d’exclure, mais d’inclure » (selon la formule de Jeremy Rifkin). Les vieux sont sur un pieds d’égalité avec les jeunes, les étrangers avec les natifs.
* Au point de vue politique, ils remettent fortement en cause la représentativité des élus et veulent une DémocratieRéelle Maintenant (c’est un de leurs premiers slogans)
En France, nous raconte un Indigné Parisien, s’est dessinée une cause commune autour d’une structure nationale enautogestion avec un fondement de style anarchiste et un slogan « Prends ta place » (qu’onretrouve souvent dans les écrits des marcheurs, de Toulouse à Berlin, en passant par l’Italie et sans oublier Buxelles dont les Indignés « préparent » l’accueil des marcheurs)
« On ne veut pas un gouvernement, mais une gouvernance, un collectif, pas un homme. »
Dans cette perspective, il s’agit de promouvoir la prise de parole publique. L’important, c’est d’ouvrir la discussion à tous et les décisions sont prises encommun. C’est pour cela aussi qu’ils mettent en avant le dynamisme du mouvement local (ce fut le cas à Aix oùles Indignés aixois ont préféré travailler sur Aix plutôt qu’aller rejoindre le mouvement de Marseille.) Les Indignés croient en une intelligence collective.Ils aiment le collectif. Ils sont persuadés qu’il y a quelque chose à faire, mais ensemble et en s’organisant. Ils soulignent le grand nombre d’alternatives possibles :« il y a autant de voies que de voix » dit un de nos Aixois.
Les Indignés se voient aussi comme une convergence entre les différentes luttes : « Tous les problèmes sont liés. Aujourd’hui, il y a des gens engagés dans l’écologie, dans la politique, nous, nous faisons convergence, carrefour » « Il nous faut donner un sens à ces mots-là : Liberté, Égalité, Fraternité. »
* C’est ce qu’on retrouve dans les valeurs qu’ils défendent.
La solidarité est,pour les Indignés, une valeur évidente. Pour eux, chacun a droit à l’assistance de la collectivité et ils dénoncent le qualificatif honteux d’ « assistanat ».
Une de leurs valeurs essentielles, mais plus encore, une de leurs grandes qualités est l’écoute des autres, de leurs différences, de leurs propositions.
Ils ont la concurrence en horreur, tout comme la compétition : ce qui les intéresse,c’est la complémentarité, la complicité, la confiance …Ils affirment qu’ « on doit faire confiance au potentiel des gens, confiance à l’autre » « Les gens sont merveilleux » Les Indignés soulignent, tous, le plaisir qu’ils ont à se retrouver, échangeret découvrir les autres.
Ils sont fondamentalement non-violents et persuadés que
« Le succès du mouvement tiendra à sa non-violence »
« On n’est pas des agités. On ne hurle pas pour n’importe quoi, on dénonce des choses insupportables, des injustices criminelles. »
Ils ne supportent pas « la légitimisation de l’inacceptable »
Comme pendant à leur amour du collectif, les Indignés mettent en avant la Responsabilité de chacun. Et ils sont tous d’accord là-dessus : « on ne peut compter que sur nous-mêmes ». À la 1 ère question du reporter de knowledge : « vous voulez changer quoi ? » un jeune Indigné répond : « nous-mêmes d’abord. Nous n’avons pas de conseils à donner. Nous sommes, nous faisons. À chacun de faire selon sa conscience »Ainsi ils sont d’avis, que « L’oligarchie, il vaut mieux l’ignorer que la combattre »Il faut « être autonome et essayer de s’émanciper. À chacun ses besoins »
Ils veulent construire « à-côté », « en parallèle ». Ce qui veut dire aussi que chacun essaie de vivre en accord avec les valeurs qu’il défend.
« Maintenant que la loi ne protège plus le faible, on est obligé de désobéir. »
C’est, à mon avis, ce subtil équilibre entre individuel et collectif, entre détermination et écoute de l’autre (prise en compte de tous les autres et pas seulement de ceux qui pensent comme eux), entre ce qu’ils sont et ce qu’ils font, entre local et global qui faitleur force et leur cohérence.
Pour eux s’indigner, c’est réfléchir à ce qui nous entoure et le début de la Révolte. C’est aussi dénoncer : « on va faire de la dénonciation une valeur positive et, dans ce domaine, avec ce qui se passe, on ne manque pas de matière, on a le choix du roi … » « » Il y a eu beaucoup d’échanges justement autour des mots Indignation,Révolte, Résistance, (voire Révolution, mais secondairement).
À propos du seul mot « Indigné », il y a déjà beaucoup de choses à dire. En consultant les différents sites, on constate que le mot allemand pour lesIndignés est : « die Empörten », qui porte aussi la dimension de rébellion et de révolte et que le mot anglais « Outraged » porte davantage la dimension de l’offense subie dans sa dignité, dans sa fierté. Et si on se réfère à la définition du mot français « indigné », on y trouve toutes cescomposantes. Stéphane Hessel savait bien ce qu’il voulait dire et les Indignés l’ont bien compris !
Qui adit que, lorsqu’on était indigné, il suffisait de rester assis sur sa chaise ? Se mettre en route pour faire 1500 Km à pied, c’est rester assis sur sa chaise ? (voir la note 2 en fin d’article)
La Résistance est, pour eux, un droit depuis longtemps (ils en appellent aux Anciens, aux XVIIe, XVIIIe, XIXe siècles) quand le pouvoir devient tyrannique. Quand le pouvoir devient-il tyrannique ? C’est à chacun de le décider par rapport aux valeurs qui sont les siennes. Aux yeux des Indignés français, on a trop longtemps assimilé le mot Résistance à quelque chose d’extrême, au combat total, comme dans les années 40-45. Du coup on a laissé passer des choses énormes et pris beaucoup de retard et, aujourd’hui, on en est à un point culminant. La grande Résistance, on n’en a plus trop les moyens. On en est plutôt au stade de la Révolte. Mais c’est ce qui fait aussi que chaque petite chose, chaque petite résistance, compte. Il y a nécessité de résister au pouvoirde l’argent, au féodalisme et à l’oligarchie. Il y a de vraies raisons de résister, car la société est criminelle, « comme les nazis » n’hésitent pas à dire certains.
* C’est pour cette raison que, chaque jour, les Indignés réfléchissent à de nouvelles actions, ne serait-ce que « parler à son voisin dans le bus, comme on ne sait plus le faire »
Ou simplement être heureux, alors qu’on nous rend malheureux. Il ne faut pas céder aux passions tristes (ils citent Miguel Benasayag[iii])et se dire qu’on est impuissant. « On veut être des militants joyeux » Sur ce point-là, ils sont tous d’accord. Tant qu’on n’a pas essayé une action, on ne peut pas savoir si elle est possible ou non. Voici un de leurs autres mots d’ordre favoris : « On ne savait pas que c’était impossible, alors on l’a fait » !!!
Ils acceptent que cette démarche prenne du temps « C’est un autre système qu’on veut, une Démocratie, pas du résultat, mais de la Palabre, de la Paroleet ça demande du temps » « On a été trop souvent habitués à répondre à un schéma, qui venait d’en haut, on n’a pas pris de temps pour faire la Démocratie. » Les marcheurs espagnols écrivent aussi que
« S’ils vont doucement, c’est qu’ils veulent aller loin » D’ailleurs, ils ont comme souci de rencontrer les Indignés locaux surleur passage et d’échanger avec eux, voire de les encourager …et c’est ce qu’ils essaient de faire à chaque étape. « On construira tout le temps le monde de demain » disent-ils encore, « nous n’avons pas la solution, c’est une démarche en cours de construction »
* Les Indignés veulent l’Unité Européenne, mais l’Unité Européenne des révoltes, qui sont partout, parfois encore sourdes ; ils citent en vrac l’Irlande, l’Angleterre, L’Espagne, Le Portugal, « on veut tous plus de justice, ça se mesurera à l’échelle européenne »
« L’Union Européenne d’aujourd’hui est la tête pensante de la globalisation, qui est toutle contraire de la Démocratie ». « Le Parlement n’a pas droit à la parole dans les crises, c’est un alibi pour faire croire à la Démocratie »
« Banque européenne et FMI sont dans la conspiration et le dérèglement total »
* En ce qui concerne les alternatives, les Indignés ne sont pas à la traîne. Ils se proposent, et nombreux sont ceux qui le font déjà, de promouvoir ce qui sort du système de la valeur marchande pour prendre une valeur d’échange :
AMAP(associations pour le maintien d'une agriculture paysanne) : « à l’AMAP où je fais mes courses, les prix sont compétitifs et ils sont de qualité, etil n’y a ni bip, ni caissière », SEL (système d’échanges local.) « Même si l’URSSAF essaie de dire que c’est du black, non, c’est comme cela qu ‘il faut résister. »
LesIndignés entendent faire attention à ce qu’on « fait avec leur fric » et veulent privilégier les coopératives, les assurances mutuelles et essayer de vivre le plus possible en autarcie.
«Quand on veut acheter moins cher,attention aussi à ceux qui sont au bout de la chaîne et qui fabriquent ce produit moins cher ».
Les Indignés veulent s’indigner enfaisant leurs courses, dans leur boulot, en famille. « On a peut-être plus de pouvoir avec notre argent (en tant que consommateur) qu’avec notre bulletin de vote »
Comme on l’a vu, les Indignés ne manquent pas non plus d’humour :
« On en a assez qu’au global,ils nous dirigent comme des bœufs et qu’au local, ils nous pompent comme des vaches … »
* Comment parlent-ils des futures générations, dans le contexte actuel ?Autant les Indignés ont confiance en l’Homme, autant ils se méfient de notre société actuelle. « Moi, je ne ferai pas de môme, tant que la société ressemblera à ça. L’éducation, la télé reproduisent ce schéma et sont en grandesouffrance. On leur coupe les vivres. Il s’agit de sélectionner des «élites».Il y a des gens qui résistent dans l’Éducation Nationale mais pas assez. »
* Pour ce qui concerne l’avenir du mouvement, on l’a vu, les Indignés sont confiants et déterminés. Mais ils savent aussi que la tâche sera rude :« Quand on veut changer les choses, il y a l’angoisse de la feuille blanche, on en est là, mais le chemin se fera en marchant. »
« Désobéir, c’est ‘chaud’ ; Il faut que nos idées fassent leur chemin et il faut tenir à nos convictions »
« Notre force c’est aussi l’endurance, c’est la première fois que ça m’arrive : depuis 36 jours, je tiens le pavé. Des germes de ces idées nouvelles sont là, partout. À nous de préparer le terreau. »
À la fin des interviews, les reporters de la petite station radio télé knowledge se présentent eux-mêmes comme appartenant à une petite station alternative et résistante, qui interview toutes les résistances. Ils remercient les Indignés de leur avoir montré unvisage de la Résistance : eux, en revanche, leur donnent un conseil :« filmez-vous vous-mêmes, interviewez-vous. Faite-vous connaître et faites-nous passer vos enregistrements : on est là pour vous diffuser. »
CentParoles est là aussi pour parler des Indignés et leur donner la parole.Indignés, lecteurs de Mediapart, n’hésitez pas à mettre votre grain de sel : laissez-nous vos commentaires, vous nous aiderez à mieux informer !
PourCent Paroles
Christiane