LEMONDE.FR | 22.12.11 | 10h21 • Mis à jour le 22.12.11 | 11h58
Manifestation à Paris d'opposants au texte de loi pénalisant la négation des génocides. AFP/MARTIN BUREAU
La relation franco-turque pourrait-elle être "sacrifiée pour de petits calculs électoralistes", comme s'en est inquiété, mardi 20décembre, le président turc Abdullah Gül ? A quelques mois des élections présidentielle et législatives, l'adoption d'une proposition de loi réprimant la contestation des génocides, dont le génocide arménien, procède à l'évidence, chez les responsables politiques, de la volonté de se concilier une communauté forte de plusieurs centaines de milliers de votants.
Candidat à l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy s'était "solennellement engagé à faire adopter un texte, voté en 2006, visant à réprimer la négation du génocide arménien", rappelle Pascal Chamassian, secrétaire national du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France. Estimée à près de 500 000 personnes, la communauté arménienne avait obtenu cet engagement des deux finalistes de l'élection présidentielle de 2007.
Cependant, après l'élection de M.Sarkozy, le texte adopté par l'Assemblée nationale en 2006 n'avait pas été transmis au Sénat par le gouvernement. Serge Lagauche, sénateur (PS) du Val-de-Marne, a déposé une proposition de loi identique au Palais du Luxembourg, mais la droite, qui y était alors majoritaire, l'a rejetée en mai 2011.
ACTIVISME DE FRANÇOIS HOLLANDE
Cet échec a cristallisé un sentiment de "trahison" au sein de la communauté, selon Ara Toranian, directeur du magazine Les Nouvelles d'Arménie. "Déjà en 2010, des câbles diplomatiques révélés par WikiLeaks nous apprenaient que, deux mois seulement après son élection, Nicolas Sarkozy envoyait Jean-David Levitte [conseiller diplomatique de l'Elysée] assurer Ankara que le texte mourrait au Sénat", rappelle-t-il. "Il n'aura même pas fallu deux mois à Nicolas Sarkozy pour trahir ses engagements envers la communauté arménienne de France", écrivait le journaliste dans une tribune publiée dans Le Monde du 28 décembre 2010.
Tandis qu'un divorce se dessine entre la communauté arménienne et le président de la République, François Hollande, candidat à la primaire socialiste, ne laisse pas passer l'occasion de séduire un électorat qui avait manqué à Ségolène Royal en 2007.
Il annonce, le 26septembre, après la victoire de la gauche aux élections sénatoriales, qu'il demandera à la nouvelle majorité sénatoriale de reprendre la proposition de loi votée par l'Assemblée nationale en 2006. "Nicolas Sarkozy sent la catastrophe", analyse François Pupponi, député (PS) du Val-d'Oise et maire de Sarcelles, où vit une importante population arménienne. Dix jours plus tard, en visite à Erevan, le président de la République s'engage dans la même voie.
"QUESTION ÉPIDERMIQUE"
A cette soudaine montée d'intérêt des deux favoris de la présidentielle, Patrick Devedjian, député UMP et président du conseil général des Hauts-de-Seine, reconnaît des "circonstances électorales, pour les uns comme pour les autres". L'ancien ministre ne croit pourtant pas à un vote communautaire dans les élections nationales.
"Traditionnellement, les Arméniens de France votent à droite, exception faite de quelques situations locales", estime, pour sa part, M.Pupponi.
Toutefois, selon M.Devedjian, les Arméniens de France sont unis "face au négationnisme". "C'est une question épidermique, qui touche au plus profond de chaque Arménien", observe Nathalie Krikorian-Duronsoy, philosophe, pour qui "les Arméniens seront extrêmement sensibles à l'adoption de ce texte".
Eric Nunès