Depuis le 15 mars et jusqu’au 28 juin, l’Hôtel de la Région PACA à Marseille offre une vue exceptionnelle sur les faits, les gestes et les visages des héros inconnus qui, depuis plus d’un an, font les révolutions arabes dans les rires et le sang.
Le 15 mars dernier nous étions au vernissage, un tout petit groupe de journalistes, principalement composé de photographes auteurs de quelques unes des 194 images exposées et de Jean-Pierre Perrin, grand reporter au quotidien Libération, rédacteur des textes qui éclairent le cheminement des évènements dans tous les pays arabes. Il y avait deux ou trois confrères locaux, mais j’étais, comme on dit sur la Cannebière, le seul « parisien » ! Aucun titre national n’avait daigné dépêcher ne serait-ce qu’un stagiaire pour le vernissage d’une exposition de cette ampleur sur un tel sujet ! Cela dit quelque chose sur la situation de la presse française.
Même les hebdomadaires qui se vantent d’être « culturels », n’ont, à l’heure où j’écris, osé affronter trois heures de TGV. Télérama que l’on trouve pourtant en bonne place dans une recherche Google sur «Printemps arabes à Marseille » n’offre en fait, si on à l’imprudence de cliquer, que quelques publicités sans grand rapport. De la pure escroquerie à l’audimat !
« L’analphabète de demain » écrivait déjà en 1928 Läzlo Moholy-Nagy « ne sera pas celui qui ignore l’écriture, mais celui qui ignore la photographie.»
Si je commence par un coup de gueule, c’est qu’à la lecture des commentaires qui suivent parfois les hommages aux reporters qui ont trouvé la mort sur ces terrains, je lis trop souvent la « connivence », le « corporatisme », bref la suspicion envers une profession qui serait proche, trop proche des élites et qui se complairait dans l’autocongratulation.
Disons le tout net, si l’on juge d’après « les retombées presse », Michel Vauzelle président de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur n’a pas l’air d’être en cour dans les rédactions. Pourtant son initiative de lancer un appel d’offres pour une telle manifestation dans ce port de la Méditerranée trop connu par ces faits divers ne manquait pas de panache, ni d’embûches. Quant au commissaire de l’exposition, Alain Mingam, ancien photographe récompensé par le World Press Photo, il a sûrement le tort, entre autres missions, d’avoir été rédacteur en chef des agences photo Sygma et Gamma. Cette somme d’incompétences notoires a dû dissuader les confrères de venir voir le travail. Et pourtant, il a surmonté les embûches !
« Qu’il dégage ! » crient les manifestants
Imaginez, à quelques centaines de mètres de la Gare Saint-Charles, en face de la célèbre Porte d’Aix qui est à Marseille ce qu’est l’Arc de Triomphe à Paris, mais en plus pacifique, l’édifice fut construit certes en l'honneur de Louis XIV, mais également en mémoire de la paix qui mettait fin à la guerre de l'indépendance américaine. Donc, en face de cette Porte d’Aix, la Région a construit son Hôtel qui abrite l’hémicycle où se réunissent les élus. Pour accéder à ce lieu démocratique par essence, les notables comme le public passent devant de très grands portraits d’inconnus des révolutions réalisés par le photographe Johann Rousselot.
Ensuite le visiteur de « Printemps arabes » se retrouve dans un enchaînement de couloirs et se croit tout à coup, au milieu d’une gigantesque manifestation grâce aux sons collectés et mis en boucle par Nicolas Mathias.
Asma, la passionaria de la Tunisie
Sur un fond rouge, de la couleur du drapeau tunisien et du sang des révolutionnaires, éclate littéralement le portrait d’une jeune femme : Asma. C’est l’œuvre d’un photographe tunisien Hamiddedine Bouali. Une photo prise lors d'une manifestation organisée le 19 février 2011 sur l'avenue Habib Bourguiba par des associations citoyennes pour la laïcité et la tolérance entre les religions. La photo a fait le tour du monde.
Hamiddedine Bouali est là, tout content d’entendre à nouveau les slogans et de constater que les revendications, « Emploi, Liberté, Dignité, Citoyenneté » sont écrits en français et en arabe. On poursuit la visite à travers deux grands sas où en vis-à-vis s’étalent des portraits de «héros inconnus» dus pour les couleurs au photographe Peter Hapak de Time Magazine et, en N&B, à Alfred Yaghobzadeh de Sipa press qui conserve quelques bosses des bastonnades auxquelles il a eu droit en Egypte.
S’ouvre alors devant le visiteur le grand hall de l’Hôtel de Région, plus de quarante mètres de long ! Mais l’attention est tout de suite retenue par deux grands écrans de télévision qui diffusent France 24, l’un en français, l’autre en arabe. Ce 15 mars, quand je visite les lieux, la Syrie s’étale sur les deux, et hélas, on sait que les massacres s’y poursuivent encore aujourd’hui. Autant dire que la scénographie de cette exposition ne sacrifie pas l’actualité à l’esthétique !
Rester dans l’actualité, avec une programmation sur deux mois et demi, tel est le défi qu’a relevé, et gagné, le commissaire Alain Mingam. Quand il m’a appris qu’il se lançait dans cette folle aventure, j’avoue avoir trouvé l’exercice « casse-gueule ». D’une part, la production photographique et télévisuelle sur tous ces évènements était déjà énorme. Et le flux n’a pas cessé, même si la répression en Syrie tempère les ardeurs. On peut parler en dizaines de milliers d’images disponibles et en centaines de milliers vues à un moment ou un autre : d’autre part, personne ne pouvait prédire ce qui allait se passer entre le projet de l’exposition, son vernissage et sa fermeture en juin !
Aujourd’hui, je peux dire que cette exposition est une réussite exceptionnelle parce que les thématiques développées permettent de rendre compte de ce qui s’est passé et de ce qui se passe. Dans cet immense hall, le côté gauche est occupé par une thématique par pays : Syrie, Lybie, Tunisie, Yémen, Bahreïn. Au milieu de ces cinquante-cinq mètres linéaires de cimaises, dix mètres sont consacrés à l’implication des réseaux sociaux.
Face à cela, sur l’autre pan, à droite, trois thèmes forts : les immigrés, les jeunes et les femmes. Quinze à vingt photographies par thème - ou l'on trouve quelques images d'Algérie et du Maroc - montrent les visages et les actions de ces populations. Les textes de Jean-Pierre Perrin et d’Hala Kodmani racontent, expliquent. Les web-documentaires intégrés dans les panneaux montrent le mouvement, restituent les cris, les espoirs et les douleurs.
Les lecteurs de Mediapart pourront y retrouver les vœux de bonne année 2012 de Moncef Marzouki, président de la République tunisienne, recueillis par Sophie Dufau et Edwy Plenel. J’en retiens cette phrase qui résonne particulièrement après l'exploitation des meurtres de Toulouse et de Montauban :
« Ce que j'aimerais souhaiter au peuple français pour 2012 ? Que cette année ne soit pas trop dure pour lui au plan économique et social, je sais que vous avez aussi vos ennuis, que les élections se passent bien et que, mon dieu, certains politiciens n'utilisent pas trop la carte de l'islamophobie car ce serait vraiment un choix qui n'aurait aucune valeur. La France n'est grande que dans la mesure où elle reste le pays d'accueil, le pays de refuge, le pays de la tolérance, le pays de la diversité culturelle et je souhaite effectivement que ces élections se passent au mieux sans que nos concitoyens ou les étrangers en fassent les frais, surtout qu'aujourd'hui de l'autre côté de la Méditerranée les peuples arabes se réveillent à la dignité. »
Devant le panneau des femmes, le lendemain matin du vernissage, j’ai vu la première visiteuse, une femme, une mère certainement, se mettre à pleurer. « Excusez-moi » me dit-elle en sortant de sa manche un mouchoir brodé « C’est de voir tout ça… Et d’être ici… J’aimerais tant être là-bas… » Elle ne pouvait m’en dire plus. Je l’ai laissé à son émotion, connaissant un peu les divers déchirements qui peuvent traverser les maghrébins vivant en France. D’ailleurs était-elle arabe, berbère, européenne, musulmane, juive ou chrétienne, je ne peux dire, n’ayant pas comme nos ministres ces à priori de faciès si souvent trompeurs.
« Une onde de choc sans précédent depuis l’effondrement de l’Empire Ottoman » Jean-Pierre Perrin
« Le 17 décembre 2010, à Sidi Bouzid en Tunisie, l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, jeune diplômé et chômeur, concourt au déclenchement de la révolution tunisienne. Il s’ensuit une vague de révoltes qui va parcourir le monde arabe jusqu’à certains Etats du Golfe.» a rappelé Michel Vauzelle dans son discours inaugural
« Très rapidement, les manifestations, essentiellement non violentes, gagnent les pays voisins, l’Égypte et la Libye. Les peuples se soulèvent contre des régimes dictatoriaux et la corruption de leurs dirigeants. Ces révoltes prennent de court non seulement les régimes de ces pays, mais aussi les chancelleries occidentales généralement assurées de la solidité des gouvernements en place. Ces révoltes soudaines étaient pourtant nourries d’un long mécontentement, de frustrations, d’une aspiration trop longtemps comprimée à la liberté. La chute rapide des présidents tunisien et égyptien, considérés comme des remparts contre l’islamisme radical, a pris au dépourvu nombre de capitales qui ont tardé à réagir. »
On ne saurait mieux dire, quand depuis un an les milliers de morts s’accumulent en Syrie et, qu’au tout début de décembre 2010, une ministre de la France ne trouvait rien de mieux à offrir à la Tunisie que « notre savoir-faire » en matière de répression… Lucas Dolega, le jeune photographe de l’agence EPA atteint par une grenade lacrymogène issue vraisemblablement de « notre savoir-faire », a payé de sa vie l’efficacité de la répression.
« Cette exposition offre l’originalité de confronter toutes les écritures journalistiques, documentaires, photo journalistiques, sur tout support jusqu’aux réseaux sociaux pour nous maintenir en état de vigilance sur Internet comme dans l’urgence de toutes les solidarités. » a déclaré Alain Mingam qui, outre d’être commissaire de l’exposition, est membre du conseil d’administration de Reporters sans frontières. Il a voulu dédié la manifestation à tous les confrères morts dans l’exercice de ce métier depuis le début de ce « Printemps arabe ».
La liste est longue et nous les avions pourtant tous en tête, eux qui n’étaient plus là : Lucas Dolega d’EPA, Ahmed Mohamed Mahmoud d’Al-Ahram, Jamal Al-Sharabi d’Al-Masdar, Karim Fakhrawi fondateur du quotidien Al-Wasat, Tim Hetherington de Vanity Fair, Anton Hammer photographe indépendant, Chris Hondros de Getty images, Mohamed Al-Nabbous de Libya Al-Hurra, Ali Hassan Al Jaber d’Al-Jazeera, Hassan Al-Wadhaf d’Al-Hurra, Shoukri Ahmed Ratib Abu Bourghoul - Al-Thawra Wael Mikhail de Christian Dogma TV et Gilles Jacquier de France 2, Marie Colvin du Sunday Times… Et Rémi Ochlik de l’agence IP3 Press, ce jeune espoir du photojournalisme qui ne participera pas à la remise des prix du World Press Photo dont il est lauréat cet année.
Maintenant, j’espère vous avoir faire comprendre qu’aligner 194 photographies commentées et savamment entourées de web-documentaires dans une exposition d’actualité, c’est non seulement exceptionnel, mais c’est aussi au prix de vies, pour témoigner d’autres vies. J’espère vous avoir fait comprendre mon coup de gueule de début d’article, et qu’avec moi, vous penserez que tous les quotidiens et tous les hebdomadaires auraient dû, devraient rendre compte de cette exposition. Si la presse papier perd tant de lecteurs, c’est peut-être aussi parce qu’elle croit que Marseille est trop loin de Lyon, de Bordeaux, de Paris… Alors que la jeunesse sait bien qu’il n’y a qu’une heure d’avion de Marseille à Tunis, comme de Paris à Marseille!
Finissons sur une note optimisme et un rendez-vous de rattrapage : le 21 mai prochain, Françoise Joly et Guilaine Chenu qui présentent chaque jeudi l’émission « Envoyé Spécial » sur France 2, animeront avec Alain Mingam sous l’égide de RSF un débat en hommage à leur reporter Gilles Jacquier tué en Syrie ainsi qu’à tous les confrères victimes de ces conflits.
J’emprunte ma conclusion au discours d’Alain Mingam : Henri Cartier-Bresson avait pour habitude de dire que « la photographie c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le coeur. C’est une façon de vivre ».
L’exposition « Printemps arabes » s’inscrit pleinement dans cette ligne.
Pratique
Exposition Printemps arabe
Du 15 mars au 28 juin
Hôtel de Région, 27, place Jules Guesde 13002 Marseille
Métro Jules Guesde
Entrée libre du lundi au vendredi 9 h-19 h
fermeture exceptionnelle les 11, 12 et 13 avril 2012 ainsi que les jours fériés
Tél. 04 91 57 52 11
Remerciements aux participants de l’exposition
Les photographes : Hamiddedine Bouali, Eric Bouvet, Alain Buu, Patrick Chauvel, Pedro Da Fonseca, Lucas Dolega, Antoine Gyori, Peter Hapak, Olivier Jobard, Augustin Le Gall, Emilio Moneratti, Rémi Ochlik, Caroline Poiron, Johann Rousselot, Alfred et Raphaël Yaghobzadeh, Yuri Kozyrev
Avec les quatorze photographes rassemblés par l’agence Noor au Caire : Mohamed Messara/EPA, Algeria, Maher Malak Iskandar, Egypt, Mohammed El Mashad, Egypt, Fadi Ezzat, Egypt, Muhammad Abdel Ghany, Egypt, Myriam Abdelaziz, Egypt/France, Amira Murtada, Egypt, Sardasht Aziz Mahmoud, Iraq, Anas Damra, Jordan, Abdellah Hiloui, Morocco, Chafik Arich, Morocco, Aymen Omrani, Tunisia, Yusef Ajlan, Yemen, Jameel Subay, Yemen
Sans oublier tous les envoyés spéciaux de l’agence Reuters , Estelle Veret, avec Goran Tomasevic (Serbie), et Patrick Baz et ses collègues de l’AFP.
Les réalisateurs : Amal Ramsis avec Arte et Jean –Michejl Rodrigo( Mecanos Production), Sofia Amara avec Arte et Marc Berdugo( Magneto Presse), Manon Loizeau avec Capa, Julien Pain - Best of des Observateurs de France 24, Nathalie Lenfant – France 24, Sophie Dufau de Mediapart, Jean -Marie Fardeau et Valérie Lombard - Human Rights Wacht, Pascal Manoukian . CAPA, Steeve Baumann – « L’effet papillon » Canal + et Capa, Paul Moreira , Premières lignes
Architecte- scénographe :Maddalena Giovannini
Les chercheurs : Vincent Geisser de l’Institut français du Proche-Orient, Myriam Catusse et Stéphanie Latte-Abdallah de la Maison méditerranéenne des Sciences de l’homme à Aix-en-Provence
Maddalena Giovannini ; architecte scénographe
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« www.a-l-oeil.info » ?
« A l’œil » s'intéresse essentiellement au photojournalisme, à la photographie comme au journalisme, et à la presse en général. Il est tenu par Michel Puech, journaliste honoraire (carte de presse n°29349) avec la collaboration de Geneviève Delalot, et celle de nombreux photographes, journalistes, iconographes et documentalistes. Qu'ils soient ici tous remerciés. Tous les textes et toutes les photographies ou illustrations sont soumis à la législation française, en particulier, pour les droits d'auteur. Aucune reproduction même partielle n'est autorisée hormis le droit de citation.
Albert Jacquard, le généticien « indigné » de 86 ans, publie un livre avec Stéphane Hessel (« Exigez ! Un désarmement nucléaire total », Stock) et votera Mélenchon. Il a décidé de le faire savoir.
« Mes forces sont déclinantes », reconnaît le vieil homme. Parfois comparé à un « abbé Pierre laïc », il vient d’être mis à la retraite forcée de la radio (il animait une émission sur France Culture jusqu’à récemment). Sa voix peine à se faire entendre, mais il a encore beaucoup à dire :
« J’ai envie d’écrire “désapproprions-nous”, disons à tous les humains que rien sur la Terre ne leur appartient. »
Au soir de sa vie, le scientifique apparu sur les écrans télé lors de la réquisition de l’immeuble de la rue du Dragon par Droit au logement, à Paris en 1994, vient aussi de sortir un livre de souvenirs, « Dans ma jeunesse » (Stock).
Il y explique « comment on devient soi-même » et revient pour la première fois sur l’accident de voiture qui l’a défiguré à l’âge de neuf ans.
Un tram a percuté la voiture familiale. Son frère de 5 ans et ses grands-parents sont morts, son père a été blessé. Voici comment il décrit l’événement :
« Un choc de fin du monde, suivi d’un silence qui semble définitif. J’ouvre les yeux et me vois moi-même debout au milieu de la route ; dédoublé, je suis à la fois cet enfant blessé, extérieur à lui, figé comme une image, et moi qui le regarde, incapable, durant un court instant, d’un mouvement ou d’une sensation, mais contraint d’accepter l’irréparable : mon univers vient, en un instant, d’être bouleversé. »
Ce livre-là, il a eu « de la peine » à l’écrire, confie-t-il :
« Je ne savais pas que ça me libérerait. Ça m’a transformé de le dire. »
Il voit dans son alliance avec Stéphane Hessel l’occasion de donner plus d’audience à ses opinions anciennes sur le nucléaire :
« On est en train de suicider l’humanité et personne ne réagit ; c’est monstrueux. »
Albert Jacquard serait-il en train de transformer l’indignation du nonagénaire en programme politique, de faire une OPA sur la campagne présidentielle ? Pas si vite. L’utopiste a juste décidé d’expliquer sur qui se portera son choix.
Rue89 : Si vous étiez candidat à l’élection présidentielle, quel message porteriez-vous ?
Albert Jacquard : Je serais le candidat des mutations, pas le candidat des crises. Moi, je pense que la crise n’existe pas. Une crise, par définition, ça passe. On dit bien une crise de toux, de larmes... Là, elle n’est pas destinée à passer. On édulcore l’événement en faisant comme si elle allait disparaître.
Là, on est dans une mutation, un appel au renouveau, c’est-à-dire que ce qui était bon avant ne l’est pas nécessairement après, c’est une occasion extraordinaire de tout changer. Il est normal de revoir le système économique, sanitaire... Or, dans cette campagne, personne ne profite de l’occasion pour définir ces mutations. Les politiques ont peur du changement, ils n’y croient pas.
Cette campagne parle peu d’utopie et beaucoup de chiffres.
C’est une vraie maladie ces chiffres. Si j’allume la télé, il ne se passe pas trois minutes sans qu’il y ait un pourcentage d’augmentation qui diminuera, comme l’autre jour Sarkozy nous a expliqué que ça baissait, ce qui signifiait que ça montait... On a une fascination pour les nombres car on croit qu’ils permettent d’accéder à la vérité.
Néanmoins, le chiffre de la dette est une réalité....
Je voudrais bien la définir cette réalité. Pourquoi on n’en parlait pas il y a dix ans ? Je crois que le moment grandiose où on a oublié les nombres, c’est à la Libération : on a supprimé certains critères économiques comme l’inflation, et on s’en est sorti. Le Conseil national de la résistance était une utopie totale... Réalisée !
Que pensez-vous des candidats ?
Ma sympathie va naturellement à François Hollande. L’autre [Nicolas Sarkozy, ndlr], on ne peut pas lui faire confiance, il se moque du monde de façon éhontée, il a dit tout et son contraire.
Je me suis trouvé en sa présence, invité par un ami à la remise d’une Légion d’honneur. On m’a présenté à lui, il m’a serré la main et a tourné la tête. Il aurait pu avoir envie de me connaître, mais non. Il n’est même pas poli, et j’ai senti une espèce de mépris de sa part. On ne sent aucun souffle.
Et Hollande ?
Ce n’est pas l’homme d’un grand souffle. Au premier tour, il y a Mélenchon. Je voterai pour lui, même en ayant le sentiment de ne pas faire mon devoir qui serait de voter pour Hollande afin d’éviter que Sarkozy revienne. Je suis sensible à sa vigueur, à sa façon de me faire penser à Jaurès. J’espère ne pas faire une sottise au premier tour en laissant Sarkozy trop devant.
Mélenchon, il a une bonne tête, aucun doute, il a une sincérité qui est le contraire de ce que provoque Sarkozy. Si j’avais pu, je serais allé à La Bastille.
L’élection est très personnalisée...
C’est dommage. Apparemment, on a besoin d’un grand homme. Mélenchon, c’est un tribun, voire un populiste, mais pourquoi pas écouter le peuple ?
Avec Sarkozy, on est sûr d’avoir l’horreur, avec Hollande on aura sans doute des choses moins grandioses, mais qui sait ?
Vous prônez toujours une décroissance joyeuse ?
Oui, et je ne serais pas triste qu’on supprime Las Vegas. En tant qu’espèce consciente, nous pouvons développer une réflexion sur l’objectif : pourquoi Las Vegas ? La dernière fois que je suis passé aux Etats-Unis, j’ai été frappé de voir que toute la côte Est était éclairée en continu de New York à Boston. Mais pour quoi faire ? Ce gâchis d’énergie pourrait être supprimé.
Il faut réfléchir ensemble : à qui appartient le pétrole ? Dire qu’il appartient à Abu Dhabi est ridicule, il appartient aux 7 milliards d’hommes. Les ressources ne peuvent être que mondiales.
Pourtant, au sommet de Copenhague, en 2009, les Etats ont été incapables de se mettre d’accord...
Il faut réessayer, que les égoïsmes nationaux disparaissent. On en est loin si on regarde l’Europe ces temps-ci. De toutes façons, ou bien c’est la fin totale avec la guerre nucléaire, ou bien on admet qu’il faut tout repenser.
Philippe Poutou et Olivier Besancenot en meeting à Paris, le 12 avril 2012 (Gonzalo Fuentes/Reuters)
Sitôt passée l’émission de France 2 « Des paroles et des actes », on a vu fleurir tweets et articles présentant Philippe Poutou comme un ovni. C’est vraiment manquer de culture politique. Si Poutou est un objet volant – ou du moins un peu planant –, il est tout à fait identifié. Sa galaxie d’origine, c’est la galaxie Krivine et ses innombrables (et souvent brillants) satellites.
S’il est une qualité qu’on prêtera volontiers à la LCR (on me pardonnera de continuer à employer l’appellation historique du NPA, je suis sans doute trop vieux pour changer), c’est de ne manquer ni de créativité ni de suite dans les idées.
Avec une admirable constance, la LCR vient encore de mettre sur orbite une belle trouvaille, sans doute appelée à devenir aussi culte que l’ont été le facteur Besancenot ou les pique-niques sauvages chez Leclerc.
Le produit de l’année – qui n’en finit pas de nous rejouer, émission après émission, un remake réussi de « Monsieur Smith au Sénat » – s’appelle Philippe Poutou. Un joli coup qui répond à deux obsessions anciennes de la mouvance trotskiste : la constante mise à jour de son image et la quête d’une « authentique » identité ouvrière.
« C’est quoi l’idée ? », avait coutume de demander le fameux publicitaire Philippe Michel, lui-même ancien compagnon de route des situationnistes. L’idée, c’est créer régulièrement de nouvelles passerelles entre un corpus marxiste par définition un peu figé et la mentalité – mouvante – de l’époque. Remarquable travail d’adaptation au temps qui passe qui suppose de capter, comme peu savent le faire, les aspirations, les goûts, les modes, le vocabulaire des nouvelles générations.
Ce que Pujadas releva assez finement quand il fit observer au candidat du NPA que son parti ne s’en prenait jamais à la société de consommation – « justement, on aimerait bien consommer ! » répondit Poutou.
On aurait pourtant tort de croire que le matérialisme historique serait devenu un matérialisme tout court. Il a simplement besoin, pour rester vivant (sinon vivace), de faire corps avec son époque et de paraître toujours à l’aise dans ses baskets.
La LCR, c’est un peu le Serge Gainsbourg de la politique.
A chaque fois qu’on croit qu’elle appartient définitivement au passé, elle ressuscite avec une nouvelle figure et à peine le temps de dire « ouf », c’est déjà nous (nous les commentateurs, les journalistes, les politiciens mainstream...) qui apparaissons ringards.
« Les trotskistes », expliquait il y a quelques années Basile Karkinski à Christophe Nick, « ont une prétention ridicule : être l’état-major d’une révolution sans troupes. » Tous les efforts de Poutou et de ses « copains » visent à faire mentir l’allégation.
Pour cela, il leur faut sans cesse agréger de nouvelles bonnes volontés, fraîches, combatives, disposées à animer les luttes présentes et futures dont émergera – peut-être – une société enfin affranchie du joug des rapports de production. C’est cela, l’idée de la candidature Poutou.
Le bilan de ses décennies d’activisme révolutionnaire apparaît bien incertain. Mais dans l’intervalle – et la prestation télévisée du réparateur de chez Ford en est un très beau témoignage –, la LCR aura formé des générations de cadres à manier avec dextérité une dialectique d’autant plus sophistiquée qu’elle prend les atours de la plus ingénue naïveté.
Sauf, d’ailleurs, quand on commence à parler boutique (typiquement : « faut-il s’allier avec le Front de Gauche ? ») : dans ces moments-là, curieusement, les presque trente ans d’expérience militante de Philippe Poutou semblent revenir au galop.
Le plus étonnant avec le candidat du NPA, c’est qu’il en fait tellement pour apparaître léger et spontané que plus personne ne semble plus en mesure de soupeser le poids du bagage (historique, philosophique, politique...) qu’il porte.
Témoin, cet échange avec l’inénarrable Nathalie Saint-Cricq, qui fait mine de s’effaroucher de ses projets de réquisitions. Incroyable, un trotskiste qui nous parle de réquisitions ! Encore une qui n’a pas lu les points 7, 8 et 9 du programme de transition.
Qu’est-ce que j’aurais aimé que Poutou lui réponde que la propriété privée, eh bien ce n’était pas forcément quelque chose d’absolu, même d’ailleurs pour certains grands précurseurs du libéralisme économique (pour un David Hume, une simple « fiction utile »)...
Mais c’eût été mettre en œuvre une culture devenue indésirable et risquer d’instaurer avec les téléspectateurs une distance que le candidat n’a de cesse de vouloir abolir.
Nicolas Sarkozy visite ce samedi en fin de matinée un campus privé d’écoles d’informatique. Un étudiant d’Epitech, l’une de ces écoles du Kremlin-Bicêtre, souhaitant garder l’anonymat « par peur d’être sanctionné », nous a transmis un e-mail envoyé la veille par la direction du groupe d’enseignement aux étudiants pour les appeler à « faire le meilleur accueil à notre Président » et à « être à la hauteur ».
Pourtant, selon notre étudiant, les risques de débordement sont plutôt limités :
« Il semblerait que les étudiants soient plutôt enthousiastes à l’idée
de rencontrer monsieur Sarkozy. En revanche, je perçois ce message comme une menace, et il n’est pas approprié. [...] On nous empêche ainsi de manifester nos opinions. »
Dans son message, le vice-président du groupe Ionis Education se félicite d’abord de la visite du candidat UMP :
« L’accueillir dans nos murs a un sens profond pour nous : la reconnaissance de nos écoles comme étant un lieu essentiel du numérique pour préparer l’industrie de demain. »
Il exhorte les étudiants à recevoir le Président avant le candidat :
« En démocratie, le Président que nous recevons, fût-il en même temps candidat, est toujours l’élu des Français. A ce titre, il a droit à notre respect, quelles que soient nos opinions. »
Puis demande aux élèves d’être « à la hauteur de ce [qu’ils ont] toujours été : des élèves passionnés, inventifs, curieux, qui participeront dans l’avenir à façonner un monde meilleur, ouvert, transparent et connecté ».
Quelle est la raison d’être de ce message ? Eviter que les étudiants ne s’en prennent au Président ou tout simplement se féliciter de sa visite ? Nous avons tenté en vain de joindre la direction du groupe Ionis Education.
L’Appel pour une meilleure qualité de l’information : François Bayrou, Jacques Cheminade, Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon et Philippe Poutou soutiennent l’Appel des Indignés du Paf
Indignés par les dérives accumulées des médias dans le traitement de l’information, des citoyens ont crée en décembre un collectif débattre de la question des médias en France. Ils s’appellent « les Indignés du PAF (et des médias) ». Après moultes rencontres et débats, ils ont rédigé un « Appel pour une meilleure qualité de l’information » autour de 4 principes fondamentaux:
1. Associer les citoyens au fonctionnement des médias via les organes de régulation
2. Réformer structurellement le secteur des médias pour plus de transparence, d’indépendance éditoriale, politique et économique
3. Repenser la politique de soutien au secteur pour favoriser le pluralisme et l’innovation
4. Eduquer aux médias dès le plus jeune âge
Pour « Les Indignés du PAF », la nécessité d’une action se justifie par l’inaction des organes de régulation et par le refus des médias d’accepter la critique citoyenne. Ils veulent des médias libres, indépendants, transparents et pluralistes et souhaitent que les journalistes cessent d’être victimes des maux qui les minent profondément et nuisent à leur crédibilité : l’auto-censure et le manque de moyens (en temps, notamment). Les propositions mentionnées dans « l’Appel des Indignés du PAF pour une meilleure qualité de l’information » vont dans ce sens avec une détermination bienveillante. L’Appel est consultable sur le site www.lesindignesdupaf.org où celles et ceux qui veulent soutenir les « Indignés du PAF » peuvent le signer.
Les candidats à la Présidentielle ont tous été interpelés sur la question et :
Soutiennent le mouvement et l’Appel:
- François Bayrou (MoDem): soutient le mouvement, son porte-parole média, Yann Wehrling signe l'Appel
- Jacques Cheminade (Solidarité et Progrès): soutient et signe
- Eva Joly (EELV): soutient et signe
- Jean-Luc Mélenchon (Front de Gauche): soutient le mouvement (l'a annoncé publiquement au Bataclan), son porte-parole Jean-Michel Grémillet signe l'Appel
- Philippe Poutou (NPA): soutient et signe
Soutient le mouvement, mais en attente de réponse quant à l’Appel :
- François Hollande (PS) : soutient le mouvement, pas encore de réponse sur l’Appel
Soutient le mouvement, mais ne signe pas l’Appel :
- Nathalie Arthaud (LO): soutient le mouvement, mais trouve l'Appel trop timide
Autres :
- Nicolas Sarkozy (UMP): considère que sa Présidence a démontré son attachement à la Liberté de la Presse, ne signe aucun appel
- Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République): pas de réponse
- Marine Le Pen (FN): pas de réponse
En quelques jours, plus de 400 personnes (citoyens/usagers des médias, professionnels, artistes, …) ont également signé l’Appel des Indignés du Paf
(et des Médias) !
Mail: contact@lesindignesdupaf.org
Twitter: @indignesdupaf
Site: lesindignesdupaf.org
Page Facebook: les Indignés du Paf
Pour signer l'Appel: http://lesindignesdupaf.org/appel_indignes_du_paf/
Pour la première fois, une commission administrative du ministère du travail a admis ce jeudi le lien entre l’activité professionnelle et le suicide d’un de ses agents. En l’occurrence Luc Béal-Rainaldy, un inspecteur du travail qui s’était tué en se jetant du 5e étage dans les locaux mêmes du ministère à Paris, le 4 mai 2011. Le ministère a confirmé jeudi à Mediapart que Xavier Bertrand allait « suivre » la décision de la commission de reconnaître ce drame en accident de service – l’équivalent de l’accident du travail pour les fonctionnaires.
Dans la foulée, le suicide de Romain Lecoustre, un jeune inspecteur du travail qui s’était donné la mort en janvier dernier, pourrait lui aussi être reconnu le 19 avril prochain comme étant lié à son activité professionnelle. Il s'agirait alors d'une double première : le ministère n’avait jamais reconnu un lien entre le suicide d’un agent et son travail.
Les réorganisations se succèdent depuis plusieurs années dans cette administration, et les organisations syndicales pointent régulièrement la « politique du chiffre ».
Selon le relevé de conclusions, la commission a reconnu que la « conjugaison de l'activité professionnelle et syndicale » de cet inspecteur du travail avait été la « cause principale de son effondrement dépressif ayant abouti à son passage à l'acte mortel ». Le 22 mars dernier, la même commission avait pourtant refusé de statuer, suscitant l’inquiétude des proches du défunt. « C’est un énorme soulagement pour nous et sa famille, mais c’est aussi une surprise, compte tenu de la façon dont les choses étaient engagées : le ministère nous renvoyait sans cesse vers cette commission, or ces commissions ne sont pas adaptées à de tels dossiers. Les médecins qui y siègent ne connaissent pas bien les risques psychosociaux », déplore Dominique Maréchau, responsable national du Snutefe-FSU, le syndicat dont Luc Béal-Rainaldy était un dirigeant.
Ces derniers jours, les syndicats craignaient un refus. Ils avaient du reste appelé à manifester jeudi devant les locaux où se tenait la commission, comme ils l’avaient déjà fait le 22 mars dernier. Avec le ministère, le ton était brutalement monté. Dans un courrier envoyé mercredi 12 avril aux « membres de l’Inspection du travail » (cliquer ici pour le télécharger), Xavier Bertrand avait accusé les organisations syndicales de « vouloir se placer sur un terrain politique », d’« invoquer ces deux suicides pour dénoncer les mesures prises dans le cadre de la politique du travail » et de privilégier la « confrontation » à la « négociation ».
Depuis plusieurs semaines, l’intersyndicale ne relâchait pas la pression sur le ministère, souhaitant qu’il reconnaisse directement le lien entre ces drames et l’activité professionnelle. Le suicide de Luc Béal-Rainaldy, en mai 2011, avait créé un émoi profond. La mort par pendaison, en janvier 2012, d’un de ses collègues du Nord, Romain Lecoustre, âgé de 32 ans, avait à nouveau révélé le malaise d’une partie des agents. Depuis, le ministère était en ébullition. Les actions se sont multipliées, en province ou à Paris. Des cahiers de doléances recensant la souffrance quotidienne des agents sont remontés d’un grand nombre de départements. La protestation a enflé jusque dans les messageries électroniques, les agents n’hésitant plus à détailler leur quotidien au travail, comme l’a raconté Rue 89.
Sauf surprise, la commission de réforme du Nord devrait elle aussi reconnaître la mort de Romain Lecoustre, le 19 avril prochain. Ce jeune inspecteur du travail de 32 ans, sorti major de sa promotion, avait beaucoup souffert dans le cadre de son activité professionnelle. En poste à Arras avant d’être muté à Lille, quelques mois avant sa mort, il avait laissé quantité de lettres et de messages électroniques où il exprimait son malaise.
Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), transmis à sa hiérarchie du ministère en décembre 2011, décrivait en huit pages implacables une « situation de souffrance au travail que sa hiérarchie n'a pas su éviter, voire a renforcée » et mettait directement en cause son supérieur de l’époque. En juillet 2011, Romain Lecoustre avait déjà tenté de mettre fin à ses jours. Cette tentative de suicide a d’ailleurs été reconnue comme un accident de service après sa mort. Fin mars, la commission de réforme du Nord avait pourtant refusé de se prononcer et demandé une expertise psychiatrique, décision qui avait suscité l’incompréhension de sa famille.
« Au vu de la nouvelle de cet après-midi, on voit mal comment l’avis pourrait être négatif pour Romain Lecoustre », dit Dominique Maréchau. Jeudi après-midi, les collègues de Luc Béal-Rainaldy ont célébré la nouvelle. Avec retenue. « Cela ne nous le ramènera pas, dit Lydia Saouli. Mais cette décision, c’est au moins la reconnaissance que Luc est mort à cause de ce qui s’est passé dans ce ministère, où il était entré à 19 ans. »
LE MONDE | 13.04.2012 à 14h34
Par Frédéric Lemaître
Quand Angela Merkel est arrivée au pouvoir, en 2005, ils n'existaient pas encore. Sept ans plus tard, ils pourraient s'imposer comme la quatrième, voire la troisième force politique allemande. Avec leur nom venu d'ailleurs, les Pirates ont, pendant plusieurs années, fait figure d'objet politique non identifié. Là où ils se présentaient aux élections locales, revendiquant essentiellement le téléchargement libre et gratuit sur Internet, leurs scores ne dépassaient qu'exceptionnellement 2 %. Trop peu pour que la branche allemande d'une organisation née en Suède en 2006 soit véritablement prise au sérieux.
Mais tout a basculé le 18 septembre 2011. Profitant d'une campagne ratée des Verts et de l'effondrement du Parti libéral (FDP) lors de l'élection du maire de Berlin, les Pirates obtiennent 8,9 % des voix et font leur entrée au Parlement de cette ville qui a le statut d'Etat-région. Une première dans l'histoire du pays. Plus que Klaus Wowereit, le maire SPD réélu, ces jeunes gens aux cheveux souvent hirsutes, immanquablement vêtus d'un tee-shirt noir avec, sous le bras, l'indispensable ordinateur portable, sont les véritables vainqueurs de ce scrutin local.
Depuis la confirmation de leur popularité dans la Sarre où, le 25 mars, les Pirates ont obtenu 7,4 % des voix, le doute n'est plus permis. Les Pirates, qui s'apprêtent à siéger également dans les Parlements régionaux du Schleswig-Holstein et de Rhénanie-du-Nord-Westphalie à l'issue des élections locales les 6 et 13 mai, s'installent dans le paysage politique national. A dix-huit mois des élections générales prévues pour l'automne 2013, certains sondages les créditent de 12 % des voix, à peine moins que les Verts.
Depuis six mois, ces enfants d'Internet, qui n'avaient que les mots "transparence" et "participation des citoyens" à la bouche, travaillent d'arrache-pied pour paraître crédibles même si, pour le moment, leur popularité s'explique en partie par leur amateurisme revendiqué. D'où le sentiment qu'ils donnent parfois de céder à une tentation populiste. Fort de plus de 22 500 adhérents (dont la moitié depuis septembre 2011), le réseau se mue peu à peu en parti, tout en évitant de tomber dans les mêmes travers que les partis traditionnels.
Des tensions apparaissent déjà entre les purs et durs, fiers de leur amateurisme et de l'absence de leaders médiatiques, et quelques élus qui voient les limites de ladite transparence, les inconvénients du "basisme" de l'organisation, qui leur interdit de s'exprimer "en tant que responsables" et regrettent de n'avoir rien à dire sur des thèmes comme la politique fiscale ou l'intégration européenne.
"A la différence des partis politiques extrémistes qui apparaissent en Europe, les Pirates expriment un ras-le-bol du coeur même de la société allemande, frustré par le débat politique", analyse Stefan Seidendorf, politologue à l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg. De fait, les sondages montrent que les Pirates séduisent surtout les abstentionnistes et les jeunes, mais attirent également les électeurs écologistes déçus par l'embourgeoisement de leur parti et des libéraux désespérés par la quasi-disparition du Parti libéral.
Leur leader en Rhénanie-du-Nord-Westphalie n'est pas un jeune geek féru d'informatique, mais un quinquagénaire spécialiste des questions de communication. Signe sans doute du relatif optimisme de la société allemande, où le taux de chômage (environ 6,5 %) est au plus bas depuis vingt ans, la formation politique qui monte ne s'adresse donc pas aux exclus mais aux diplômés et aux urbains. Un de ses points faibles : les femmes, nettement sous-représentées parmi les candidats du parti aux élections locales. Outre le téléchargement gratuit sur Internet, les Pirates plaident, au nom de la transparence, pour une démocratie directe.
Ils sont le seul parti allemand où le statut de délégué n'existe pas et où chaque adhérent peut assister au congrès et postuler à une fonction dirigeante. Bien sûr, la plupart de leurs réunions ne sont que virtuelles. Les Pirates préconisent, par ailleurs, un revenu minimum d'existence et la gratuité des transports en commun à l'échelon local. Cela les classe plutôt à gauche de l'échiquier, mais, au nom de la liberté individuelle, ils s'opposent à toute politique des revenus redistributive et se méfient de l'Etat.
D'ores et déjà, les Pirates ont une influence sur la politique allemande. Les Verts, en perte de vitesse depuis quelques mois, s'en veulent de n'avoir pas vu grandir ce mouvement porteur d'espoirs et de valeurs qu'eux-mêmes incarnaient il y a trente ans. Tous les partis réfléchissent à mieux utiliser Internet pour communiquer avec leurs adhérents et le reste de la société. Surtout, la percée des Pirates au niveau national, en affaiblissant principalement les Verts, rend de plus en plus aléatoire une alternance de gauche en 2013.
Si les élections avaient lieu aujourd'hui, le SPD et les Verts obtiendraient, ensemble, environ 40 % des voix. A peine plus que la CDU de Mme Merkel (37 %). Résultat : l'hypothèse d'un troisième gouvernement Merkel, avec comme allié soit le Parti social-démocrate soit les Verts se renforce. Pour le moment, nul n'envisage de gouverner avec les Pirates. Eux-mêmes reconnaissent ne pas être encore mûrs pour le pouvoir. Mais nul ne les attaque non plus de front. Comme s'il était dangereux d'insulter l'avenir.
Correspondant à Berlin
Frédéric Lemaître
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