Le parquet de Paris a annoncé dans un communiqué mardi 19 mars l'ouverture d'une information judiciaire contre X, notamment pour blanchiment de fraude fiscale, dans l'affaire concernant Jérôme Cahuzac, entraînant la démission du ministre délégué au budget. Celui-ci a réaffirmé son "innocence" et dénoncé le "caractère calomniateur" de l'accusation selon laquelle il a détenu un compte à la banque suisse UBS.
Une enquête préliminaire pour blanchiment de fraude fiscale avait été ouverte le 8 janvier pour déterminer y voir plus clair dans les affirmations de Mediapart selon lesquelles le ministre délégué au budget aurait détenu dans les années 2000 un compte en Suisse. Selon le site, ce compte aurait été clos en 2010 et les avoirs transférés, par des montages complexes, à Singapour.
En presque trois mois d'enquête, les policiers spécialistes de l'investigation fiscale ne se sont pas contentés d'éclaircir le mystère de ces quelques minutes de bande audio laissées fortuitement sur un répondeur. Ils ont également convoqué plusieurs témoins - des proches de Jérôme Cahuzac, des rivaux de Villeneuve-sur-Lot, les journalistes de Mediapart - pour essayer d'en savoir un peu plus sur l'existence ou non de ce compte suisse et la nature des fonds qui auraient transité dessus. "L'un d'entre eux a indiqué qu'il lui avait été rapporté que les sommes versées sur ce supposé compte proviendraient de laboratoires pharmaceutiques", précise le parquet.
Outre le blanchiment de fraude fiscale, le parquet évoque dans son communiqué la "perception par un membre d'une profession médicale d'avantages procurés par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la Sécurité sociale, blanchiment et recel de ce délit".
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- Comment va se dérouler la procédure judiciaire ?
Dans son communiqué, le parquet de Paris estime qu'il fallait "un cadre procédural plus approprié au regard de la complexité des investigations à diligenter", notamment en Suisse et à Singapour". Mercredi matin, les juges d'instruction Roger Le Loire, doyen du pôle financier, et Renaud Van Ruymbeke, deux magistrats du pôle financier du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris, ont été désignés dans ce dossier, a-t-on indiqué auprès du secrétariat de la présidence du TGI.
Les deux magistrats vont avoir la possibilité de lancer différentes commissions rogatoires, notamment en direction de la Suisse et de Singapour, où l'ancien ministre du budget est soupçonné de détenir ou d'avoir détenu des comptes bancaires.
Les témoignages recueillis par les enquêteurs ont aussi conduit le procureur de Paris à rédiger une demande d'entraide pénale internationale. Sa lettre, adressée au procureur général du canton de Genève, est partie le 12 mars. Cette démarche est indépendante de l'assistance fiscale administrative lancée par Bercy il y a quelques semaines et sur la base de laquelle le Journal du dimanche, sans toutefois citer le document, affirmait mi-février que Berne avait répondu négativement à la question " M. Cahuzac [était] il ou non titulaire d'un compte ou l'ayant droit économique d'un compte ? " entre 2006 et 2010. François Molins a eu connaissance de ce document, mais " dans le cadre d'une procédure pénale ", il n'a valeur que d'un " simple renseignement ".
Lorsque les Suisses lui répondront, le parquet transmettra ces informations au juge qui sera libre de compléter cette demande ainsi que de transmettre une lettre similaire aux autorités de Singapour. C'est dans ce paradis fiscal que, selon Mediapart, Jérôme Cahuzac aurait transféré ses fonds après avoir " fermé [son compte] lors d'un déplacement " à " Genève début 2010 ".
Les juges d'instruction vont également pouvoir réinterroger des témoins, soit ceux déjà entendus lors de l'enquête préliminaire, soit des nouveaux. Ils pourraient convoquer Jérôme Cahuzac.
- Quelles sont les issues possibles pour Jérôme Cahuzac ?
Les juge ont alors quatre possibilités. S'ils estiment disposer de charges concordantes à l'encontre de M. Cahuzac, ils peuvent le mettre en examen. Il peuvent également le mettre sous statut de témoin assisté, de témoin ou classer l'affaire sans suite.
- Que risque Jérôme Cahuzac s'il est mis en examen ?
Le code pénal prévoit une peine maximum d'emprisonnement de cinq ans et une amende de 375 000 euros pour le blanchiment de fraude fiscale. C'est moins que pour la fraude fiscale en tant que telle, qui peut entraîner jusqu'à sept ans d'emprisonnement et 1 million d'euros d'amende.
- Qu'est-ce que le blanchiment de fraude fiscale ?
"Le blanchiment consiste à réinjecter dans l'économie le fruit d'une opération illégale, en l'occurrence des sommes d'argent gagnées grâce à de la fraude fiscale", explique au Monde.fr Vincent Drezet, secrétaire général de Solidaires Finances public, principale organisation syndicale de Bercy.
"Si, sur un revenu de 100 euros, on ne déclare que 20 euros, dissimulant le reste par des opérations opaques, en le plaçant par exemple dans un paradis fiscal, on soustrait donc des sommes à l'impôt. A un moment, ce revenu ressort, pour acheter une voiture ou un appartement, et on a donc de l'argent qui a été blanchi parce qu'il a toutes les apparences de la légalité, alors qu'il est issu d'une fraude fiscale."
Paradoxalement, le "blanchiment de fraude fiscale" ne nécessite pas forcément que la personne ait été condamnée initialement pour fraude fiscale. "Il suffit que soient établies les éléments constitutifs de l'infraction initiale ayant procuré les sommes litigieuses." Dans le cas présent, il faudra que l'enquête apporte tout de même la preuve que Jérôme Cahuzac a bien détenu un compte en Suisse (ce qui n'est pas illégal), et qu'il s'en est servi pour faire de l'évasion fiscale.
- Une question de prescription ?
Le délai de prescription pour la fraude fiscale court à partir des faits, il est de trois ans en général (dix ans dans certains cas liés aux paradis fiscaux). Or, selon Mediapart, Jérôme Cahuzac aurait eu son compte depuis plus de quinze ans, et l'aurait clos en 2010. En ce qui concerne le blanchiment de fraude fiscale, le délai de prescription ne démarre qu'au moment de la découverte des faits. Cela permet donc de contourner une éventuelle prescription, note M. Drezet.
Si l'enquête démontrait l'existence d'un compte à Singapour, la question de la prescription ne se poserait plus de fait.