Face aux manifestations du 27 février dernier (grève reconductible de 3 jours de l’EAC et grève des syndicats des dockers du port de Limassol et Larnaca), le Parlement ne s’était pas trouvé de majorité pour adopter le texte initial ( 25 pour, 25 contre, 5 absentions, il fallait une majorité de 29 pour l’adopter). Dès le lendemain le gouvernement a présenté sa démission. C’est sur cette situation pour le moins inhabituelle que les médias ont fait le silence complet en totale complicité avec la Troïka.
Malgré le refus exprimé dans la rue par la population, les députés chypriotes viennent d’adopter le 4 mars, à 30 voix contre 26, une loi qui n’est qu’une version à peine modifiée de celle qu’ils avaient eux-même rejetée la semaine précédente et qui aboutit à la privatisation des principaux services publics (EAC - électricité, CYTA - télécoms et CPA - l’Autorité des ports). Cette nouvelle mouture de la loi affirme garantir l’emploi des salariés de ces entreprises mais personne n’y croit sérieusement.
Le vote de la loi conditionnait l’octroi d’une nouvelle tranche de 236 millions du prêt de 10 Mds € accordé par la Troïka en mars 2013.
Les causes de la crise chypriote sont parfaitement identifiées :
1) Un système bancaire hypertrophié échappant à tout contrôle. Les banques, qui disposaient de liquidités considérables fournies par les « marchés financiers », ont parié imprudemment sur des investissements risqués.
En 2012, les banques chypriotes ont spéculé sur la restructuration de la dette grecque (40 % de leurs engagements extérieurs), ce qui leur a coûté 4,5 Mds €, soit l’équivalent d’1/4 du PIB et a précipité la faillite de ce secteur hypertrophié (dont les actifs représentent 7 fois le PIB du pays).
Ces pertes privées se sont transformées en peu de temps en dettes publiques. Ces dettes sont totalement illégitimes et doivent être annulées tout comme celles qui découlent du plan d’aide !
En 2009 et 2010, la dette publique de Chypre n’était que de 52,4 % et de 60,8 % du PIB alors qu’en zone euro elle était de 80% en 2009 et 86,5 % en 2010.
En Allemagne, elle était de 74,5 % en 2009 et 82,5 % en 2010.
Aujourd’hui, avec le sauvetage du secteur bancaire, la dette publique est montée à 114,1% du PIB fin 2013 et le chiffre de 123 % est attendu pour 2014.
2) Une fiscalité très avantageuse pour les entreprises : l’impôt sur les sociétés, qui était jusqu’au mémorandum au taux officiel de 10 % n’a été relevé qu’à hauteur de 12,5 % (pas de quoi résoudre le déficit budgétaire).
Pour obtenir le plan d’aide de 10 Mds€ de la Troïka (9 Mds€ de la BCE et 1 Mds€ du FMI), le gouvernement chypriote a accepté également la restructuration de son système bancaire, une baisse des dépenses publiques de 10 % et la privatisation des principaux secteurs publics de l’île.
Le FMI lui-même, représenté à Chypre par un ancien cadre de Lehman Brothers, reconnaît l’inefficacité économique de telles mesures. Le but du FMI n’est pas d’apporter un soutien à la population chypriote mais de protéger et garantir les intérêts des créanciers ! C’est pourquoi les agents du FMI doivent être chassés de Chypre tout comme les représentants de la Commission Européenne et de la BCE !
Outre le risque évident d’accroissement du chômage (prévu à 19,4 % en 2014), les Chypriotes craignent une envolée des prix alors que les salaires et pensions ont déjà baissé de 20 % en un an. La mobilisation populaire pratiquement ininterrompue depuis des mois va bien au-delà des seuls secteurs professionnels concernés.
Des poubelles apportées par la population s’entassent devant les agences bancaires. Il y a des coupures régulières du courant électrique et le peuple fait le siège du Parlement et des bâtiments officiels. Tous les secteurs professionnels du privé comme du public sont présents autour du Parlement et manifestent leur opposition au plan d’ajustement structurel de la Troïka.
Le CADTM considère :
que toute la dette de Chypre à l’égard de la Troïka est illégitime et odieuse, elle doit être entièrement annulée ;
que le plan d’austérité imposé par la Troïka doit être abrogé.
La population ne veut pas payer pour les spéculateurs et le 1 % le plus riche. La solidarité internationale doit s’organiser au plus vite pour soutenir cette lutte exemplaire.À son niveau, le CADTM s’y emploiera.
Photo : CC - Eu Council Eurozone
Discussion avant que la réunion ne commence : Christine LAGARDE, Directrice du FMI ; Thomas WIESER, President du EFC (Economic and Financial Committee, institution européenne) et Michael SARRIS, Ministre des Finances de Chypre (à droite).
Source : cadtm.org