Une quarantaine de citoyens réclament en justice les éventuelles informations les concernant contenues dans les fichiers de renseignement. Le 9 octobre, le Conseil d'État a ordonné au ministère de l'intérieur de lui communiquer toutes les données concernant un ancien élu écologiste.
De façon non concertée, une quarantaine de citoyens français mènent une course de fond devant la justice administrative pour savoir s’ils sont fichés par les services de renseignement et pour accéder aux informations les concernant. Malgré plusieurs décisions favorables du tribunal administratif puis de la cour d’appel de Paris, l’État ne lâche rien, faisant systématiquement appel devant le Conseil d’État au nom de la sécurité nationale.
Depuis août 2008, Raymond Avrillier, ex-élu grenoblois écologiste de 67 ans, cherche à récupérer les informations le mentionnant dans les archives de la Direction de la surveillance du territoire (DST), des Renseignements généraux (RG) et les fichiers de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui leur a succédé. Ancien requérant contre le réacteur nucléaire Superphénix, à l’origine de l’affaire Carignon qui fit tomber pour corruption en 1994 le maire RPR de Grenoble et ministre de la communication du gouvernement Balladur, puis de l’affaire des sondagesde l’Élysée, ce retraité savoyard a quelques raisons objectives de penser que les services ont pu s’intéresser à lui. Ne serait-ce que parce que le préfet de l'Isère lui a attribué en 2008 le titre de maire adjoint honoraire de Grenoble, « ce qui suppose qu'il se soit fait communiquer les éléments RG me concernant et prouve donc l'existence a minima d'un dossier me concernant à la préfecture de l'Isère».
Mais le ministère de l’intérieur refuse au motif que toute communication, même celle de sa simple présence ou pas, «porterait atteinte aux finalités» du fichier Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et des intérêts nationaux (Cristina), tenu par la DGSI.
Le 9 octobre 2015, le Conseil d’État a donné un mois au ministère de l’intérieur pour lui communiquer, et à lui seul, les informations qu’il détient concernant Raymond Avrillier ou «tous éléments appropriés sur leur nature et les motifs fondant le refus de les communiquer» afin de «lui permettre de se prononcer en connaissance de cause sur la légalité de ce dernier». Seuls les juges auront accès à ces «éléments», qui ne pourront «être communiqués aux autres parties, auxquelles ils révéleraient les finalités du fichier qui ont fondé la non-publication du décret l'autorisant».
C’est une atteinte au principe du contradictoire qui garantit que tout élément produit en justice soit communiqué à l’adversaire et puisse faire l’objet d’un débat. «Il faut faire sacrément confiance à son juge, remarque Serge Slama, maître de conférences en droit public à l’université Paris Ouest-Nanterre. C’est un contentieux surréaliste. Le citoyen se retrouve dans un flou total : il attaque un fichage, dont il ne sait même pas s’il existe, dans un fichier dont il ne connaît pas le contenu, puisque le décret l’autorisant n’a pas été publié, et le juge va vérifier ce contenu au vu d’une finalité elle aussi inconnue.»
De son côté, Raymond Avrillier commence à trouver la plaisanterie un peu longue : «2008-2015, un septennat de procédure pour accéder à mes propres données !» D’autant que le risque est réel qu’au terme de ce parcours d’obstacle, la justice française se contente de lui indiquer que l’État a eu raison de ne lui communiquer aucun élément.
Sous des aspects un peu ardus, c’est une vraie question démocratique qui est en jeu : l’ensemble des éléments touchant les services de renseignement relèvent-ils du secret de la défense nationale et peuvent-ils échapper à tout réel contrôle de la justice ? Pour les fichiers intéressant la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, la loi prévoit un « droit d’accès indirect ». Un magistrat de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) vérifie à la place du citoyen ses données et demande au besoin leur modification. Mais il faut à la Cnil l’autorisation du service gestionnaire du fichier, ministère de l’intérieur ou de la défense, pour communiquer au citoyen le résultat de ses investigations. À chaque fois, la réponse est négative : la Cnil indique avoir procédé aux vérifications demandées et... ne pas pouvoir apporter de plus amples informations.
Saisi à propos d’un refus d’accès au système d’information Schengen, le Conseil d’État avait jugé en novembre 2002 que « lorsqu’un traitement intéresse la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, il peut comprendre, d’une part, des informations dont la communication à l’intéressé serait susceptible de mettre en cause les fins assignées à ce traitement et, d’autre part, des informations dont la communication ne mettrait pas en cause ces mêmes fins». C'est-à-dire que l'État doit distinguer dans ses fichiers entre ce qui est communicable et ce qui ne l'est pas. Ce principe de divisibilité vaut également pour les fichiers de renseignement : en juillet 2003, le Conseil d'Étata donné raisonà un membre de l'église de scientologie qui réclamait les informations le concernant contenues dans les fichiers des services des RG.
Le 4 juillet 2013, la cour administrative d’appel a donc estimé que ce principe s’appliquait également au fichier Cristina de la DGSI et que cette dernière devrait y effectuer un tri entre ce qui relève du secret-défense et ce qui n’en est pas. Mais le ministère de l'intérieur a fait appel. « Plutôt que de prendre acte d'une jurisprudence établie qui garantit le droit des personnes, un gouvernement de gauche, qui n'avait pas de mots assez durs contre les fichiers de Sarkozy, essaie de revenir en arrière », regrette Virginie Gautron, maître de conférences en droit public à l'université de Nantes.
Pour le ministère de l’intérieur, toute information détenue par la DGSI est a minima classifiée confidentiel-défense et incommunicable au quidam. C’est une interprétation très extensive de l’arrêté du 27 juin 2008qui accompagne la création de ce « FBI à la française » voulu par Nicolas Sarkozy. Celui-ci impose une classification pour «toutes instructions, tous renseignements et tous documents ou supports relatifs aux missions, aux objectifs, à l'organisation et au fonctionnement de la direction centrale du renseignement intérieur». Pas moins, mais pas plus. «Ils ont dû saisir un élément dans mon dossier qui relève du secret de la défense nationale et décider que cela l'emporterait pour l'ensemble de mes données», explique Raymond Avrillier.
Sous le même prétexte, l’État avait refusé en 2008 de publier le décret autorisant la création du fichier Cristina, géré par la DGSI, qui a repris les données de l'ex-DST, ainsi qu'une partie de celles des ex-RG. La Cour européenne des droits de l'homme a déjà censuré plusieurs fichiers de renseignement étrangers au motif de la non-publication des textes les instituant. Selon un arrêt de la Cour, la population est en effet en droit de connaître « le genre d’informations pouvant être consignées », « les catégories de personnes susceptibles de faire l’objet des mesures de surveillance », « les circonstances dans lesquelles peuvent être prises ces mesures », leur « durée de leur conservation », et quelles sont « les personnes autorisées à consulter les dossiers ». Ce qui n'est pas le cas en France, qui risque donc à terme elle aussi une condamnation.
Le dossier de l’ancien élu écologiste Raymond Avrillier est le premier mais pas le dernier à atterrir devant la plus haute juridiction administrative. Le Conseil d’État devrait se prononcer d’ici quelques mois sur 13 autres recours, dont celui de Camille Polloni, journaliste de Rue 89, et d’Eva Ottavy, ex-salariée de Migreurop. Selon le dernier rapport de la Cnil, pour la seule année 2014, 33 citoyens ont déposé un recours devant la justice administrative pour savoir s’ils étaient fichés par les services de renseignement. Ce fichage peut avoir des impacts directs sur leur vie professionnelle.
Le contradictoire bafoué
En juin 2012, Eva Ottavy, 35 ans, s’est ainsi vu refuser par la direction chargée de l’immigration au ministère de l’intérieur la carte d’accès aux zones d’attente aéroportuaires indispensable pour son travail au sein de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé). «L’administration a indiqué à l’Anafé qu’une enquête était nécessaire au vu des informations qu’elle avait reçues, explique la jeune femme. Nous nous sommes dit que j’étais fichée par les services.»
Eva Ottavy pense que ce fichage présumé remonte au procès de sans-papiers accusés d'avoir incendié le Centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes, en février 2010. «J’avais suivi l’ensemble des audiences en première instance et en appel pour le réseau Migreurop, se souvient-elle. C’était assez chaud, nous étions accompagnés par les CRS à la sortie du palais de justice de Paris et il était évident qu’il y avait aussi des agents de la DCRI.» Eva Ottavy a fini par obtenir sa carte en 2013, mais aimerait «toujours comprendre ce qui s’est passé ».« Être fichée est une chose, mais là, ça m’interdisait de faire mon travail !» s'exclame-t-elle.
La journaliste Camille Polloni, 29 ans, suit quant à elle depuis 2009, pourLes Inrocks puis pour Rue 89, les questions de police et de libertés. Poussée par «un mélange de curiosité et de soupçons que certaines rencontres professionnelles avaient pu faire l’objet d’une surveillance et être consignées», elle tente depuis près de quatre ans de récupérer toute information la concernant dans les fichiers de renseignement des ministères de l’intérieur et de la défense. Elle informe régulièrement les lecteurs des péripéties de ce parcours du combattant. Même si la journaliste reconnaît n’avoir subi aucun préjudice direct d’un éventuel fichage, celui-ci pose des problèmes évidents pour la protection de ses sources et donc la liberté d’information. «Cela pourrait conduire à les identifier et porter atteinte à leur sécurité», souligne Camille Polloni.
Mais, au lieu de jouer en sa faveur, sa profession constitue aux yeux du ministère de la défense un argument de plus pour lui refuser toute information. Dans un mémoire cité dans cet article, le ministère estime «logique» ce refus, «sans préjudicier à la liberté de la presse qui n’est nullement en cause », au vu du « caractère sensible des sujets librement traités par Mme Polloni, aussi bien que le profil des personnes avec lesquelles elle a pu être en contact dans le cadre professionnel».
Son avocat, Me Camille Mialot, juge cette argumentation «scandaleuse», d’autant plus qu’elle est signée «d’un membre du Conseil d’État en détachement au ministère de la défense». «En fichant des journalistes, il n’est plus besoin de les mettre sur écoute, puisqu’on sait en vous suivant qui vous rencontrez», relève-t-il. Au vu de la jurisprudence de la Cour européenne, « très protectrice du secret des sources», la France risque selon lui «une condamnation européenne du fait de l’inaction du Conseil d’État à protéger les libertés fondamentales».
Pour ces 13 citoyens, le tribunal administratif de Paris a ordonné à l’État, dans une série de jugements prononcés fin 2014 et début 2015, de lui communiquer les éléments les concernant dans les fichiers des divers services de renseignement ou, «le cas échéant», de justifier «la nature des pièces écartées et les raisons de leur exclusion». L’État a fait appel. Le 25 juin 2015, la cour d’appel administrative de Paris lui a donné tort :
«Si les ministres se prévalent du caractère indivisible des informations contenues d’une part dans les fichiers de la DCRI, devenue la direction générale de la sécurité intérieure, d’autre part dans les fichiers de la DRM, de la DGSE et de la DPSD du ministère de la Défense, et s’ils font valoir que l’autorité gestionnaire d’un fichier de souveraineté est autorisée par la loi et le décret à ne communiquer aucune information tenant au contenu ou à l’existence même de données concernant un individu, eu égard aux finalités de renseignement du fichier ou pour des motifs tenant à la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique, ces circonstances ne peuvent faire obstacle à la communication au juge des informations utiles à la solution du litige lorsque cette communication est la seule voie lui permettant d’assurer l’effectivité du contrôle juridictionnel», a rappelé la cour d’appel. Bien décidés à ne tolérer aucune brèche dans le mur du secret-défense, les ministères de l’intérieur et de la défense ont porté l’affaire devant le Conseil d’État.
Dans un rapport d’information sur les filières djihadistes, les sénateurs se sont eux aussi inquiétés en avril 2015 de ces «risques juridiques qui peuvent amener les services à dévoiler leurs techniques d’investigation». Heureusement, la récente loi sur le renseignement du 24 juillet 2015 verrouille les possibilités de recours du citoyen, mettant ainsi le holà à cette dangereuse guérilla juridique !
Désormais, le Conseil d’État sera la juridiction administrative compétente «en premier et dernier ressort» en matière de renseignement, qu’il s’agisse de techniques de surveillance ou de fichiers. Ces affaires seront jugées par une formation spécialisée, composée de trois magistrats habilités au secret de la défense nationale, dont le président sera nommé par le premier ministre. Ces trois magistrats et leurs collaborateurs auront accès aux fichiers de renseignement, mais auront interdiction de révéler au requérant s’il y «figure ou non». En cas de données «inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées, ou dont la collecte […] est interdite», ils pourront toutefois demander aux services de les corriger ou de les effacer et d'en informer le requérant «sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale».
De même, concernant les techniques de surveillance, en cas d’absence d’illégalité constatée, le requérant sera juste informé que tout est en règle, « sans confirmer ni infirmer la mise en œuvre d'une technique». Dans le cas contraire, les juges pourront ordonner la «destruction des renseignements irrégulièrement collectés» et en informer la personne concernée «sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale».
Officiellement, il s'agit de créer un véritable«contrôle juridictionnel»sur les techniques spéciales de surveillance utilisées par les services de renseignement (sonorisations, écoutes, Imsi-catcher, etc.). «Aujourd’hui, le contrôle juridictionnel des activités de renseignement est parfois contrarié lorsque le juge n’a pas accès à certains documents couverts par le secret de la défense nationale», argueJean-Jacques Urvoas, président socialiste de la commission des lois, dans son rapport d'avril 2015. Pour la juriste Virgine Gautron, la loi introduit « certes quelques avancées, car le ministère de l'intérieur ne pourra plus refuser de donner des informations aux magistrats sous prétexte de secret-défense, mais l'atteinte au principe du contradictoire est telle qu'il n'y a pas en France de droit au recours effectif ! ».
Le décret, signé le 1er octobre 2015 par le premier ministre Manuel Valls et sa garde des Sceaux Christiane Taubira, qui préciseles conditions kafkaïennes de ce contrôle juridictionnel, bafoue en effet le principe du contradictoire. Le citoyen n’aura pas accès aux documents couverts par le secret de la défense nationale produits pour sa défense par l’État ou la Commission de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Cette exclusion ne se limite pas au secret-défense, elle concerne également les écrits qui «confirment ou infirment la mise en œuvre d'une technique de renseignement», «divulguent des éléments contenus dans le traitement de données» ou «révèlent que le requérant figure ou ne figure pas dans le traitement».
De plus, dans ce cas, le requérant ne pourra assister aux débats et n’aura pas accès aux conclusions du rapporteur public. « On voit mal comment une personne pourrait argumenter pour sa défense à partir du moment où elle ne dispose d'aucune information », souligne Viriginie Gautron. Bref, il lui faudra faire une très grande confiance au Conseil d’État…
Les plans se précisent pour une journée mémorable dans les rues de Paris le 12 Décembre.
Une coalition diverse et puissante, regroupant des organisations de toute l’Europe, s’est mis d’accord sur un plan d’action pour le 12 décembre. Lorsque que le sommet sur le climat se terminera, nous ferons entendre notre voix. Notre message est clair: nous sommes ceux et celles que nous attendions: ensemble, nous pouvons faire en sorte de ne pas franchir les lignes rouges qui représentent le minimum nécessaire pour une planète vivable.
Certains iront vers le centre de Paris, tandis que d’autres encercleront le centre de conférence où les chefs d’Etat seront réunis afin que notre message soit entendu par tous.
En dépit de nombreuses promesses, le gouvernement français et la mairie de Paris refusent de coopérer et mettent des bâtons dans les roues de la société civile. Après des mois de travail de la Coalition 21 qui représente 130 organisations, les autorités ont refusé que la Marche Mondiale pour le Climat passe dans le centre de Paris. De plus, les visas nécessaires à des personnes venant de l’étranger, et en particulier des régions les plus touchées par la crise climatique, n’ont toujours pas été délivrés. Enfin, elles refusent d'aider à trouver des hébergements pour les milliers de personnes qui veulent se rendre aux mobilisations.
La COP21 ne marquera qu’une première étape dans la mobilisation de notre mouvement. La lutte devra continuer et s’intensifier. L’accord négocié à Paris sera certainement très en-deçà des impératifs de la justice climatique et des connaissances scientifiques. Néanmoins, l’industrie fossile fera tout pour empêcher qu’il soit concrètement appliqué.
Si nous voulons un traité juste et ambitieux sur le climat, le mouvement global pour la justice climatique doit continuer sans relâche à confronter les multinationales du charbon, du pétrole et du gaz et leurs soutiens. Nous sommes ceux qui peuvent défendre les lignes rouges au-delà desquelles la planète n’est plus vivable.
C’est pour cela que nous nous centrons nos efforts sur le jour suivant la fin des négociations. C’est le moment où nous montrons aux chefs d’Etat et à l’industrie fossile que nous avons le pouvoir de vraiment faire bouger les choses.
Même si c'est long, faut le lire, pour plusieurs raisons.
D'abord c'est digne de respect : des citoyens (ils se définissent ainsi, me cassez pas les pieds...) se penchent de manière indépendante sur les faits, avant et après, pour faire un travail que ne font pas les institutions qui devraient le faire.
Ensuite c'est accablant et si le policier lambda qui a lancé la grenade n'est pas excusé de son geste imbécile, l'enquête remonte parfaitement la chaîne de responsabilité et d'illégalité jusqu'à Valls et Cazeneuve. Des autorités qui invoquent à cor et à cri la défense de la loi et de la démocratie les piétinent sans vergogne.
Pour finir, le mécanisme par lequel les responsables se dérobent, avec l'appui de la presse aux ordres et la lenteur servile de la prétendue justice.
A Sivens, j'ai appris que le corps de Rémi était toujours à la morgue, en attente "d'analyses complémentaires"....comme si la cause de la mort n'avait pas été connue à l'instant même ou la grenade a éclaté.
Leur mépris des gens n'a d'égal que leur connerie...infinie!
Suite aux événements qui ont provoqué la mort de Rémi Fraisse dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, la Ligue des droits de l’Homme a constitué en novembre 2014 une Commission d’enquête citoyenne visant à recenser systématiquement les faits liés à cet événement, à analyser son contexte et à porter ainsi un éclairage sur les conditions qui ont conduit à la mort de ce jeune militant écologiste sur le site de Sivens.
Mobilisant une vingtaine de personnes, cette Commission a procédé, sur la période d’une année, à une trentaine d’auditions sur les lieux même de l’événement et à proximité, auprès de personnes ayant été directement ou indirectement les protagonistes de ce drame, qui ont bien voulu répondre à ses questions (« zadistes », responsables associatifs, élus, témoins directs des événements du 25 octobre et de la période qui les a précédés). Ce travail a été complété par la lecture et le visionnage critiques de l’ensemble des écrits et documents audiovisuels publics et privés disponibles concernant cette affaire.
Le rapport s’attache à l’historique du projet de barrage, aux conditions de gestion du dossier et de la décision publique, ainsi qu’au jeu des différents acteurs impliqués. Dans une deuxième partie, il considère l’ensemble des violences commises sur le site dès la mise en œuvre du chantier, tant celles commises sur les forces de l’ordre que celles perpétrées par ces dernières à l’encontre des opposants au barrage. Le rapport examine de façon particulière le contexte spécifique du décès de Rémi Fraisse et particulièrement les conditions d’intervention des agents et des autorités responsables du maintien de l’ordre. Enfin, il revient sur ce qu’ont été les réactions des autorités étatiques et judiciaires dans les heures et les jours qui ont suivi cette mort.
Se décalant très sensiblement des informations et des rapports précédents qui ont pu être diffusés durant toute la période considérée, et à l’occasion même des faits, ce rapport d’enquête les éclaire d’un jour original en les passant tant au crible du droit qu’à celui des pratiques démocratiques et citoyennes. Il se conclut par une série de préconisations, à partir de l’analyse critique développée.
Daniel MERMET à l’Olympia, le 29 octobre 2014, pour les 20 ans des Ogres de Barback :
Texte de Daniel Mermet en hommage à Rémi Fraisse pour les 20 ans des Ogres de Barback par Sylvain Cauvin
Il y a juste un an, Rémi Fraisse, 21 ans, était tué dans le dos par une grenade offensive lancée par un gendarme sur le site du barrage de Sivens dans le Tarn. Un an après, la lumière est loin d’être faite sur ce meurtre. Selon la LDH, « la survenance d’un drame et la mort d’un homme étaient dans la logique du dispositif mis en place. »
La Ligue des Droits de l’Homme vient de publier un rapport sur les circonstances de la mort de Rémi Fraisse. Elle dénonce le choix « délibéré » de « l’autorité politique » de faire exercer « par les forces de l’ordre un niveau de violence considérable » pour évacuer les opposants du site. « Déficit démocratique » dans la décision de construction du barrage, « gestion catastrophique des opérations de maintien de l’ordre » et « désinformation organisée ».
La commission, composée d’une vingtaine de membres, s’est basée sur l’exploitation d’articles, blogs, vidéos et l’audition de 34 « militants zadistes, responsables politiques et associatifs locaux », témoins « de l’ensemble ou de certains événements » survenus sur la zone. Le président du conseil général du Tarn, le préfet et le commandant de gendarmerie n’ont pas souhaité être entendus, déplore-t-elle.
Ce rapport de 75 pages est accablant pour les forces de l’ordre. « Traîner par terre les manifestants sans ménagement, les pousser dans les fossés ou dans les ronces, leur donner des coups de pieds ou de matraque lorsqu’ils sont bloqués au sol, leur faire des clés de blocage des membres jusqu’à provoquer des luxations… Ces pratiques semblent avoir été fréquemment utilisées par les forces de l’ordre à l’encontre des opposants au barrage, quels qu’ils soient : occupants du site, habitants, syndicalistes ou élus s’opposant au projet de barrage », explique le rapport.
« La survenance d’un drame et la mort d’un homme étaient dans la logique du dispositif mis en place »
Témoignage :
« En arrivant à la maison des druides, nous découvrons des gendarmes qui avaient rassemblé les affaires de tous ceux qui occupaient la maison, et y ont mis le feu. Nous les insultons alors de "cerfs-volants" (entendre cerveaux lents), et face à nos insultes, ceux-ci se préparent pour nous charger mais sans pour autant faire une quelconque sommation. Lorsqu’ils commencent à avancer, je m’enfuis mais trébuche sur une chicane. Je me relève mais étant dès lors à leur portée, je suis frappée dans l’omoplate, dans la cuisse gauche. Face à la dureté du choc, je tombe. Au sol, ils continuent de me frapper avec une matraque. J’hurle. Ils me font une clé de bras et me traînent par les cheveux. Après m’avoir traînée sur plusieurs mètres, quelqu’un m’attrape et me met la lumière dans la figure en disant « alors, c’est qui cette petite merde que vous m’amenez ? »… Une fois allongée, ils mettent leurs chaussures sur ma nuque et sur mes membres (articulations des bras, des jambes) en m’insultant continuellement de « petite pute », de « connasse », de « femelle »... À cet instant, tremblante, je me pose sincèrement la question de savoir s’ils vont me taper, voire me violer. Ils me fouillent et laissent tout sur place sauf le talkie-walkie que je n’ai jamais retrouvé depuis... D’autres gendarmes en treillis m’amènent alors menottée dans le dos… je suis toujours tremblante et en état de choc. Un gendarme du PSIG de Gaillac me met finalement les menottes devant et me signifie mes droits, m’énonce que je suis placée en garde à vue. »
Le rapport ne minimise pas non plus les violences des opposants du site, expliquant néanmoins que si « certains opposants ou prétendus tels, présents sur le site le 25 octobre » (20 à 30 personnes), étaient venus « pour en découdre avec les forces de l’ordre », ils avaient « des moyens matériels limités qui, à l’exception de quelques rares engins incendiaires », n’étaient « pas de nature à mettre sérieusement en danger les forces de l’ordre ».
« Nous avons vraiment peur que ça recommence », a dit Benoît Hartmann, porte-parole de France Nature Environnement, estimant que les pouvoirs publics, dont le Premier ministre Manuel Valls, « poussent à la violence et aux crimes » à Notre-Dame-des-Landes. « Ils sont en train de provoquer les conditions idéales d’une violence extrême. »
LES DEUX ENTERREMENTS
À la mémoire de Rémi Fraisse
Voilà deux enterrements, deux enterrements qui tombent nez à nez, face à face.
Le premier c’est un enterrement très important. C’est le patron de Total, mort accidentellement.
Hommage de la nation unanime, hommage de tous les médias, hommage de la terre entière.
Le deuxième enterrement c’est l’enterrement de Rémi. Rémi Fraisse, 21 ans, tué par une grenade offensive tirée par un gendarme lors d’une manif contre le barrage de Sivens.
Une grenade tirée dans le dos.
Hommage beaucoup moins vibrant.
Le Premier ministre parle de casseur, on parle de malheureuse bavure, on dit que si l’on veut mourir pour des idées, il faut assumer.
À l’enterrement du patron de Total (on ne l’a pas beaucoup souligné), il y avait des oiseaux, des oiseaux endeuillés, des mouettes, des goélands, tout en noir, le noir de la marée noire, le noir de l’Erika, le naufrage pour lequel TOTAL a été condamné.
C’étaient des oiseaux du parti des oiseaux, le parti des djihadistes verts. Djihadistes verts oui, c’est l’expression de Xavier Beulin de la FNSEA. Rémi Fraisse était un djihadiste vert, Rémi Fraisse aimait les oiseaux.
Ces deux figures en quelques heures sont devenues les symboles du présent, deux symboles irréconciliables.
Et là attention camarade, il faut choisir ton camp : l’assassinat ou l’accident.
L’oligarchie a choisi, le pouvoir a choisi la magouille, le cynisme, la violence et tout ce qui dégoûte et qui fait gonfler les voix dans les voiles de la Marine.
Alors, choisis ton camp camarade. Non, tu ne peux pas choisir les deux. Il n’y a pas d’arrangement, choisis ton camp et cours.
Dans le Finistère, une usine méconnue fabrique grenades et balles, utilisées pour la répression policière, et qui souvent, tuent et blessent. Contre cette usine de mort, manifestations et débats ont eu lieu ce week-end. Reporterre y était.
Pont-de-Buis (Finistère), reportage
Peint sur une toile de quatre mètre de large, le visage de Rémi Fraise avec la mention « Rémi, présent dans nos luttes » ouvrait le campement sur une butte face à l’usine Nobel Sportde Pont-de-Buis. Un périmètre de cent hectares collé au bourg, où se fabriquent des grenades lacrymogènes et des munitions de lanceurs de balle de défense. Du matériel utilisé pour la répression des manifestations, à Sivens ou à Notre-Dame-des-Landes, au Burkina Faso, au Bahreïn et partout en France. Et aussi dans ce petit bourg du Finistère où la poudrerie royale a été fondée par Colbert sous le règne de Louis XIV.
Les trois jours « de rencontres et d’actions », du vendredi 23 octobre à dimanche 25, initiés par des militants de l’Ouest, Rennes et Nantes, des zadistes et des Finistériens, ont vu la police faire de la poudrerie un camp retranché, interdisant toute approche de l’usine. Par trois fois, les manifestants, 300 à 500 selon les jours, ont buté devant les camions grilles de la gendarmerie barrant les ponts d’accès et les carrefours.
Les deux premières fois, les manifestants ont tourné le dos à ces blocus policiers fortement gardés. Vendredi après midi, une conférence de presse de « l’assemblée des blessés par la police » et de leurs familles s’est tenue devant les camions blindés de la gendarmerie, avec pour toile de fond ces hautes barrières posées contre le droit constitutionnel de manifester.
Samedi soir, dans la nuit, devant une autre route menant à l’usine Nobel Sport, des témoignages, aussi déterminés que drôles, ont été lus au micro, relayés par une sono mobile. Des témoignages d’ados de Notre-Dame-des-Landes et de sexagénaires italiens du Val de Suse qui luttent contre le percement du tunnel du Lyon Turin. Ecoute attentive, inattendue, aux flambeaux éteints, des tracasseries de la police et des ripostes narquoises de ceux qui refusent de subir ces présences militaires.
Un bourg meurtri dans sa mémoire
On pourra bientôt y ajouter les voix d’habitants de Pont-de-Buis, pas du tout hostiles aux jeunes manifestants, et plutôt surpris de voir leur bourg quadrillé par les gendarmes. Ils voient d’un bon œil ces trois jours contre une usine qui a tué et mutilé des ouvriers depuis des années : trois morts, quatre-vingt blessés, et des dizaines de maison détruites dans un rayon de 900 mètres lors d’une explosion en 1975. Un mort en 2006. Trois blessés graves en 2014. Sans parler des bras arrachés, des doigts coupés, des intérimaires blessés et dont les témoignages ont été ravivés par ces trois jours...
Même ceux qui y ont travaillé à temps plein ne défendent pas l’emploi dans cette usine dangereuse. « Mon oncle a vu sa deux-chevaux voler en l’air en 1975, expliquait la veille ce retraité sur un marché. Mon frère, mon beau frère et moi, on y a travaillé. Mais vous avez raison de manifester... » Devant un stand de crêpes à Châteaulin, la discussion s’engage : « Mais si on arrête les armes, qu’est ce qu’on y fera ? - Bah, après la Guerre de Quatorze, toutes les usines qui fabriquaient des obus et du matériel militaire se sont bien reconverties. Alors... ».
L’armement entre la blessure et la mort
Tuer et mutiler, c’est aussi un des thèmes récurrents des évolutions du maintien de l’ordre dans le monde qui auront été largement discutées et commentées, avec une documentation précise, lors des rencontres dans le campements à un kilomètre du bourg. La notion d’« armement rhéostatique » qu’évoque dans un livre récent le sociologue Mathieu Rigouste, a été commentée : elle cache sous les mots techniques une gradation de la dangerosité des armes, de la blessure légère à la mort. Développant une version froide, industrielle, de l’offre et la demande, le marché fait du client (les polices du monde), un partenaire réceptif aux propositions des fabricants.
Au rassemblement, la mère de Quentin Torselli, Nathalie a témoigné : « Mon fils a été mutilé par un tir de flashball au cours d’une manifestation contre Notre-Dame-des-Landes en février 2014. Il a perdu un oeil. L’enquête a prouvé qu’il était isolé et ne représentait pas une menace. »
D’où ces débats sur l’utilité, comme en Palestine, d’enquêter sur les implications économiques des entreprises, précédant la demande des Etats de réprimer désormais dans les corps. Cette notion de punition individualisée, de blessure personnelle trouve sa tragique illustration avec les mutilés à l’œil par balles de caoutchouc présents ce week-end, et l’évocation constante de la mort de Rémi Fraisse l’an dernier dans un bois du Tarn.
Gaza, Belfast, Soweto, mêmes combats
Dans la paille d’un hangar agricole monté sur place aux côtés de trois barnums, la projection d’un film sur l’armement israélien, The Lab, du réalisateur indépendant israélien Yotam Feldman, a montré l’absence de frontière entre technique d’opération militaire et répression civile, ce que l’euphémisme technocratique appelle la « gestion démocratique des foules ». Les techniques de répression se montrent évolutives, en expérimentation permanente, en Irlande du Nord dans les années 1970, en Afrique du Sud de l’Apartheid et depuis des années en Palestine.
Après le film, on a discuté des luttes actuelles dans le Finistère, des convois qui convergeront vers Paris pour la COP 21, des partages de savoir sur les premiers soins à prodiguer dans les manifestations, on a lu des textes de femmes contre les armes, chanté et lancé des montgolfières en papier.
Malgré les nombreux contrôles routiers, des manifestants ont réussi à introduire des armes factices
Un camp autogéré, autonome pour tous ses repas grâce au soutien de deux cantines volantes venues de Rennes et de Brest, a posé « un acte de résistance à l’écrasement policier », dit un jeune femme venue de l’est de la France. Et ce un an après le meurtre de Rémi Fraise, omniprésent dans les discussions et les slogans, ponctués de « Ni oubli ni pardon ». Des Britanniques, des Québécois et des Espagnols étaient venus à Pont-de-Buis, attentifs à ce déplacement des mobilisations vers les usines d’armement à la dimension internationale évidente. « L’usine Nobel Sport réalise 90% de sa production pour l’export », dit un militant de la région.
Une fausse charge sur dix mètres
Après les prises de parole de l’Assemblées des blessés, des lectures du vécu d’habitants de la ZAD nantais ou de la vallée italienne du Val de Suse, les manifestants ont abandonné le face-à-face avec la police après avoir jeté quelques cailloux, deux cocktail molotov contre un camion grille et des feux d’artifice croisés avec les trajectoires de fumées de lacrymogènes. Sans autre dégât que matériel. Sans blessé. Sans arrestation.
Le dimanche, pour contourner le blocage policier des routes, la troupe de manifestants a franchi un viaduc et coupant par les champs et les bois, et s’est retrouvé dans un champ en pente face à l’entrée de l’usine toujours bien gardée, survolé par l’hélico de la gendarmerie omniprésent pendant ces trois jours.
Toute la journée, un hélicoptère de la gendarmerie surveille le rassemblement
Là, toujours dans le souci d’être imprévisible et sans volonté d’en découdre, une discussion s’est tenue en cercle, accroupi dans la terre caillouteuse du champ, pour décider d’une fausse charge sur dix mètres en rang serrés, déclenchant le recul des CRS et gendarmes mobiles à soixante mètres de là.
La charge, hilare, a aussitôt reflué. Le grenadage massif du champ qui a suivi n’a pas gêné les manifestants, faisant aussitôt une « retraite stratégique » par les bois, la fumée de lacrymogène revenant plutôt vers les casques des soldats de l’ordre. A un carrefour, au-dessus d’une maison d’habitation, l’échange de jets feux d’artifice colorés contre lacrymo tombant en cloche dans une prairie et effarouchant les vaches n’aura duré qu’un gros quart d’heure.
Concerto de sèche-cheveux contre l’obsolescence programmée
Transformer de vieux objets d’électroménager en instruments de musique : voilà la recette secrète du « circuit bending ». Reportage dans un atelier organisé au centre Pompidou, à Paris.
Sur la grande table rouge, un fer à repasser, des sèche-cheveux, un presse-agrumes et des mixeurs un peu vieillots. On se croirait dans une fin de brocante ou près des containers pour électroménager d’une déchèterie.
Pendant trois heures, ces breloques vont être malmenées par une douzaine de jeunes gens, bidouilleurs ou amateurs, qui vont insérer de nouveaux circuits électroniques dans leur ventre et les transformer en instruments de musique.
« Circuit bending »
Le chef d’orchestre de l’atelier, organisé à la bibliothèque du centre Pompidou, à Paris, c’est Sylvain Buffet, alias Bitcrusher. A la place de la baguette, il guidera ses élèves d’un soir avec un fer à souder. Un peu plus d’étain à gauche, faites vibrer les fils électriques, musique !
Bon, avant d’entendre réellement un son sortir du presse-agrumes, quelques travaux pratiques s’imposent. Les participants, studieux, lisent les fiches d’explications conçues par l’association Dataglitchqui promeut la pratique du circuit bending– cette musique conçue à partir de court-circuits d’objets électroniques – et dont Sylvain Buffet fait partie, passionné depuis dix ans.
Les premières gouttes d’étain tombent sur les circuits imprimés, qui entreront dans la composition du fer à repasser musical de Nicolas, 31 ans :
« On va le sacrifier ! »
Un participant de l’atelier au centre Pompidou avec un circuit imprimé - Robin Prudent/Rue89
Ce dernier semble manier avec dextérité le soudage des fils. Les regards se tournent vers lui :
« Tu as déjà soudé, toi ?
– Oui, j’ai fait option S électronique au lycée, mais j’ai eu 5 au bac. »
L’atelier ressemble à un cours de techno avec des élèves un peu plus vieux et beaucoup plus motivés. Quelques précautions sont prises pour éviter tout accident. Les câbles d’alimentation des objets sont coupés et on éloigne les prises qui pourraient faire sauter les plombs de tout le centre Pompidou.
Déjouer les fabricants
L’étape suivante, c’est de désosser l’électroménager pour récupérer seulement son enveloppe, ses boutons et changer son cœur : le circuit électronique.
Mais la partie n’est pas aisée. Malgré la grande mallette d’outils sur la table et les différents tournevis, les fabricants ont réservé quelques surprises à ceux qui tenteraient de réparer un objet.
Un mixeur qui passe un sale quart d’heure - Robin Prudent/Rue89
Partout, des « vis de constructeurs » : conçues pour empêcher d’ouvrir les objets, elles ne correspondent pas aux standards. Dans ces cas, il faut sortir la perceuse.
A l’intérieur de ces objets, les circuits imprimés sont de plus en plus petits, soudés par des machines. C’est pour cela que Sylvain Buffet, sound designer pour jeux vidéo dans la vie professionnelle, privilégie les jouets des années 80 :
« On ne peut plus rien faire avec les composants d’aujourd’hui ! »
Réanimer les objets cassés
Cette obsolescence programmée est d’ailleurs un délit punide deux ans de prison et 300 000 euros d’amende par la loi de transition énergétique, définitivement adoptée en juillet 2015.
Mais le cadre juridique restera toujours moins efficace que les mises en application citoyennes comme celles-ci.
Une douzaine de participants à l’atelier de circuit bending à Paris - Robin Prudent/Rue89
La discipline, créée aux Etats-Unis dans les années 70, a déjà pris de l’ampleur en France avec plusieurs disques et des dizaines de concerts depuis quelques années.
Entre deux coup de ciseaux pour adapter les fils électriques à la taille des objets rapportés par les participants, Sylvain Buffet parle de cette passion, qui a envahi son corps – sous forme de tatouages de circuits électroniques :
« Ce sont des sons qui n’existent pas dans le commerce, qui sont uniques, c’est ça l’intérêt. Ma spécialité, c’est de court-circuiter des anciens jouets qui produisaient déjà du son. »
Trois heures de soudure
Sur son site personnel, il présente avec beaucoup de détails tous ses instruments : un pistolet laser, une vieille consoleNintendo Nes, unsèche-cheveux. Pour chacun d’entre eux, on peut connaître le son qu’il produit et ses caractéristiques, parfois étonnantes.
Ce jeudi soir, il a apporté avec lui un vieil aspirateur orange. Le top, avec une douzaine de boutons à activer, un vrai synthétiseur-aspirateur qui peut même faire stroboscope pour mettre l’ambiance sur scène. Les participants de l’atelier vont tenter de l’amadouer, sans grand succès. Car il faut de la dextérité, comme si vous mettiez un violon dans des mains novices.
Des participants à l’atelier de circuit bending à Paris - Robin Prudent/Rue89
21h30, les haut-parleurs du centre Pompidou annoncent la fermeture imminente du musée. Rares sont les participants à avoir fini d’assembler tous les morceaux de leur nouvel instrument. Quelques tests sur l’ampli, des branchements à refaire et... un son.
Et même plusieurs, avec trois interrupteurs qui permettent de le moduler. Un vieux téléphone fixe et un mixeur plongeur sont les premiers produits d’électroménager à prendre vie ce soir.
Il ne reste plus qu’à réviser son solfège et faire vibrer toute la cuisine.
L’aéroport deNotre-Dame-des-Landes, la « ferme des mille vaches », le centred’enfouissement des déchets nucléaires de Bure… La lutte contre des projets d’infrastructure jugés inutiles ou destructeurs pour l’environnementreste très vive. Des groupes de contestation, souvent composés d’écologistes, de militants hostiles au système capitaliste, de riverains ou d’élus locaux, se structurent sur le terrain et s’entraident pour défendreparfois vigoureusement des espaces qu’ils considèrent en danger.
Un an après la mort de Rémi Fraisse, tué par un gendarme dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014 lors d’une manifestation d’opposants à la construction d’un barrage à Sivens (Tarn), où en est-on des « zones à défendre » (ZAD) et des procédures juridiques dans les conflits environnementaux ? Tour d’horizon de huit projets emblématiques.
C’est le plus ancien des « grands projets inutiles imposés » contestés en France, puisque le dossier de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) est ouvert dès 1963. La « zone à défendre » — dérivée de la « zone d’aménagement différé », décrétée en 1974 — est, depuis sesdébuts, en 2009, la mère de toutes les ZAD apparues depuis en France. La zone de 1 650 hectares doit abriterla nouvelle aérogare, les deux pistes et les parkings de l’aéroport du Grand-Ouest, filiale de Vinci-Airports. Un projet qui entraînerait la disparition de terres agricoles et de zones humides. Regroupés notamment dans l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projetd’aéroport, les opposants proposent une alternative : le réaménagement de l’actuel aéroport Nantes-Atlantique, une solution moins onéreuse, selon eux, pour l’Etat, pour les collectivités locales et pour les contribuables.
A la suite de l’échec de l’opération « César », en octobre et novembre 2012, qui devait permettreaux gendarmes mobiles d’évacuer la ZAD, le gouvernement a nommé une commission du dialogue et des experts, notamment sur les dossiers sensibles que sont les compensations pour la destruction de zones humides et le déménagement d’espèces protégées. En 2012, le gouvernement s’était aussi engagé à ne pas commencer le chantier tant que tous les recours ne seraient pas épuisés.
Alors que le premier ministre a, à de nombreuses reprises, rappelé « l’engagement de l’Etat pour ce projet », annonçant que les travaux allaient débuterincessamment, plusieurs procédures restent en cours. Depuis avril 2014, la France est sous le coup d’une mise en demeure de l’Europesur « l’absence de certaines évaluations d’impact environnemental ». La préfecture doit encore publierun arrêté dérogatoire pour une espèce protégée, le campagnol amphibie, que les opposants prévoient de contester. Les expropriations et les expulsions, nécessaires pour commencer les travaux, seront aussi difficiles en raison de la trêve hivernale (du 1er novembre au 31 mars). Et quand le gouvernement décidera d’évacuer la ZAD, il restera alors à « convaincre » des centaines de zadistes et des milliers de soutiens de quitterleslieux.
Ce projet de barrage de 8,5 millions d’euros dans la vallée du Tescou, non loin de Gaillac, dans le Tarn, n’aurait sûrement pas autant retenu l’attention nationale si un militant écologiste, Rémi Fraisse, n’avait trouvé la mort sur le site, tué par une grenade lancée par un gendarme mobile dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014.
Dénonçant le projet initial — une retenue d’eau de 1,5 million de m3 essentiellement destinée à irriguerdes cultures de maïs —, les opposants se sont manifestés en occupant la forêt de Sivens durant seize mois. Les tensions sont apparues dès que les travaux de défrichement ont débuté, le 1er septembre 2014. Plusieurs dizaines de zadistes ont alors pris possession des lieux, installant chapiteau et caravanes. De leur côté, des agriculteurs emmenés en particulier par les Fédérations des syndicats d’exploitants agricoles du Tarn et de Tarn-et-Garonne, ont aussi fait monterla pression, encerclant la ZAD durant plusieurs jours, menaçant ses occupants et leurs sympathisants et faisant craindrede sévères affrontements.
En janvier 2015, des experts mandatés par la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, ont préconisé notamment de réduirel’emprise du barrage à 750 000 m³, une solution retenue par le conseil départemental du Tarn, maître d’ouvrage. Mais avant d’envisager le retour des engins de chantier dans la vallée du Tescou, le conseil départemental doitdéfinir un « projet de territoire » et réunir les protagonistes du dossier autour d’une table. Il attend aussi d’être remboursé des sommes dépensées « en pure perte » pour les travaux déjà réalisés ou encore pour le nettoyage du site, un engagement de Ségolène Royal pour inciterle conseil départemental à abandonnerle projet initial.
En décembre 2007, le conseil municipal de Roybon — un village de 1 300 habitants dans l’Isère — approuve le choix du promoteur immobilier Pierre et Vacances d’implanter un grand Center Parcs dans la forêt voisine. Le spécialiste de l’immobilierde tourisme veutpouvoirrecevoir jusqu’à 5 620 personnes dans près de 1 000 cottages répartis autour d’une infrastructure aquatique et de commerces, ainsi que 2 000 places de parking, le tout sur 202 hectares, dont une centaine d’hectares de zones humides. Mais l’opposition de pêcheurs, de riverains et d’écologistes va progressivement monter et s’exprimer. Certains prennent la défensedes espèces protégées de la forêt, d’autres dénoncent l’artificialisation d’une aire d’infiltration d’eau de bonne qualité qui alimente des villes de la Drôme.
Les premiers arbres commencent néanmoins à tomber en octobre 2014, dans le chantier placé sous bonne garde. Le 30 novembre, des zadistes occupent la maison forestière proche du site.
C’est la justicequi va stopperles travaux de défrichement. Le 26 novembre, la Fédération Rhône-Alpesde protection de la nature et l’association Pour les Chambaran sans Center Parcs déposent des recours au tribunal administratif de Grenoble. En vain. La Fédération de la Drôme pour la pêche et la protection du milieu aquatique obtient, elle, gain de cause en arguant qu’un projet de cette ampleur aurait dû être soumis à la commission nationale du débat public. Le 16 juillet 2015, après plusieurs appels jusque devant le Conseil d’Etat, le même tribunal a annulé un arrêté préfectoral autorisant la destruction de zones humides, considérant que les mesures compensatoires prévues étaient insuffisantes. Mais la bataille juridique n’est pas terminée.
Le projet du Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) vise à enfouirdans le sous-sol de la commune de Bure (Meuse), les 80 000 m3 de déchets hautement radioactifs et à vie longue (des centaines, voire des millions d’années) produits par le parc électronucléaire français. Un réseau de 15 km2 de galeries doit être creusé dans l’argile, à 500 mètres de profondeur, pour abriter 240 000 « colis » radioactifs. Le coût final de l’installation, chiffré en 2005 à 16,5 milliards d’euros et réévalué en 2009 à 36 milliards d’euros, n’est toujours pas connu.
Les riverains, de nombreuses associations locales, ainsi que les mouvements antinucléaires, sont mobilisés depuis que l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a été chargée, par une loi de 1991, d’étudier « la faisabilité » d’un stockage profond et de rechercherun site d’enfouissement. Ils refusent de voir s’installer, en pleine campagne, une « poubelle nucléaire», ou encore un « cimetière radioactif ». Durant l’été 2015, les opposants ont installé à Bure un « camp anti-autoritaire et anticapitaliste ».
Après avoir construit un laboratoire souterrain, l’Andra veut désormaispasserà la phase industrielle. Elle prévoit de déposerune demande d’autorisation de création du Cigéo en 2017, suivie d’une enquête publique, pour une mise en service en 2025. Une « phase pilote »est prévue avant le début de l’exploitation du site, qui s’étalerait sur cent ans.
Le projet de la ferme dite « des mille vaches » remonte à 2009. A cette date, un entrepreneur du Nord qui a fait fortune dans le BTP, Michel Ramery, décide de créerune exploitation laitière en rupture totale avec le modèle français d’élevage familial. Il s’associe à cinq producteurs de lait au sein de la société civile Lait Pis Carde pour constituerson cheptel. Il obtient en mars 2013 le permis de construirepour sa ferme, sise à Drucat, dans la Somme. Elle doit comprendre une étable de 1 000 vaches associée à un bâtiment pouvant abriter 750 génisses et un méthaniseur de 1,3 mégawatt. Mais la société d’exploitation de la ferme, la SCEA Côte de la justice, n’obtient une autorisation que pour un cheptel de 500 vaches.
Les riverains du projet se sont interrogés sur son impact. Ils se sont regroupés progressivement, à partir de 2011, au sein d’une association baptisée « Novissen » (Nos villages se soucient de leur environnement), créée par Michel Kfoury. Depuis plus de quatre ans, elle multiplie les démarches et les manifestations pour ouvrir le débat etfaireappliquer la loi. Elle a été rejointe par la Confédération paysanne, un syndicat agricole qui a fait de la « ferme des mille vaches » le symbole d’une industrialisation de l’agriculture qu’elle dénonce.
Le débat a été relancé par la Confédération paysanne vendredi 23 octobre. Le syndicat a publié une lettre ouverteau ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll. Il s’étonne de la décision prise par la préfecture de la Somme d’ouvrir le 2 novembre une enquête publique en vue d’autoriser l’extension du cheptel à un troupeau de 880 vaches. Car les autorités publiques ont constaté, le 9 juin, que l’exploitation de M. Ramery comptait 796 vaches, soit 296 de plus que le seuil fixé, de 500. Depuis, le cheptel n’a pas été réduit malgré la mise en demeure prononcée le 1er juillet et la décision de condamner M. Ramery àverserune amende. Neuf militants de la Confédération paysanne, jugés en appel pour avoir démonté des installations sur le site, ont vu leur condamnation confirmée mais leur peine allégée le 16 septembre.
Né dans les années 1990, ce projet vise à relier Lyon (Rhône) à Turin, enItalie, par une nouvelle liaison ferroviaire, destinée en particulier à réduire de 40 % le fret routier en le reportant vers le rail. La partie dite transfrontalière entre Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie) et le val de Suse, dans le Piémont italien, fait 65 km, dont 57 km de tunnel.
Autant dire que c’est un projet très cher. Le tronçon internationalest estimé par l’accord intergouvernemental franco-italien du 30 janvier 2012 à 8,5 milliards d’euros. Il doit être financé par l’Europe à hauteur de 40 %, par l’Italie (35 %) et par la France (25 %, soit 2,1 milliards d’euros). Au total, la Cour des comptes estimait le coût global du chantier, y compris les accès, à 26,1 milliards d’euros en août 2012.
L’opposition à ce mégaprojet s’est manifestée avec force du côté italien, en particulier par le mouvement No TAV (No al treno ad alta velocita, « non au train à grande vitesse »), et notamment avec la mobilisation de plusieurs dizaines de milliers de personnes en 2005. Versant français, l’opposition, plus calme et plus modeste, est emmenée par des associations écologistes et par certains élus locaux. Elle dénonce les coûts jugés exorbitants, une phase d’enquête publique altérée par les conflits d’intérêts, la présence de la mafia du côté des constructeurs italiens, la baisse du trafic de marchandises sur l’axe Est-Ouest et elle propose d’aménager la voie déjà existante. Le président de la République,François Hollande, a annoncé le début effectif des travaux « à partir de 2016 ».
Au pays des haras, pur-sang et déchets automobiles ne font pas bon ménage. A Nonant-le-Pin, dans l’Orne, la vie des 500 habitants a vu sa quiétude troublée par la construction d’un centre de stockage de résidus de broyage automobiles et de déchets industriels non dangereux de l’entreprise Guy Dauphin Environnement (GDE), spécialisée dans le recyclage.
Le site, qui devait être le plus grand centre de déchets automobiles en Europe, avec une capacité de 2,3 millions de tonnes, n’a ouvert que deux jours, du 22 au 24 octobre 2013. Il s’est vu bloqué par des opposants au projet : des riverains, des élus locaux et des représentants de prestigieux haras, inquiets d’une possible pollution des eaux souterraines et des terres, qui font la réputation de l’élevage. L’ouverture de ce site a fait l’objet de multiples recours juridiques.
Dernier épisode en date : après la visite de la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, à la fin d’août, le préfet de l’Orne a pris le 25 septembre 2015 en urgence un arrêté interdisant à la société d’apporter des déchets sur le site, qui présente des « malfaçons ». GDE a alors déposé un recours devant le tribunal administratif de Caen. Le 22 octobre, la justice a suspendu l’arrêté préfectoral, autorisant de fait GDE à exploiter sa décharge. Les défaillances du site, estime le juge, « ne concernent pas [le] centre de tri ». Etant donné les promesses du directeur général de GDE, Hugues Moutouh, de n’ouvrir dans l’immédiat « que le seul centre de tri », il n’y a « pas de danger grave et imminent » pour la santé publique. La société promet de nestockerles déchets qu’à partir de janvier, après des travaux qui doivent commencer « la semaine prochaine ». La cour administrative d’appel de Nantes doit se prononcer, peut-être avant la fin de l’année, sur l’autorisation d’ouverture du site.
La ferme des Bouillons
A Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime), la vieille ferme des Bouillons a failli disparaîtrepour laisserla place à une grande surface de plus sur les hauteurs de Rouen. En 2012, Immochan, la filière immobilière du groupe Auchan, l’avait achetée aux héritiers d’un exploitant mort. Ses projets ont été contrecarrés par Philippe Vue, un ancien permanent des Verts, rapidement rejoint par des irréductibles décidés à ne pas une nouvelle fois laisser disparaître des terres agricoles au profit de zones commerciales, qui ne manquent pas dans l’agglomération.
L’Association de protection de la ferme des Bouillons s’est rapidement installée dans les lieux. Elle y a organisé de nombreux festivals, desdébats et des ateliersd’éducation à l’environnement, s’attirant de la sympathie chez les Rouennais et un soutien de la Confédération paysanne et de la Fondation terre de liens.
En 2015, l’association cherchait àinstallersur ces quatre hectares de terres un agriculteur bio professionnel. C’est alors qu’Immochan a vendu la ferme à un concurrent. Les occupants de la ferme ont été évacués manu militari le 19 août. Dans les jours qui ont suivi, les forces de l’ordre ont aussi expulsé le campement que les protestataires avaient installé à deux pas de la ferme. Depuis son assemblée générale du 17 octobre, l’association s’est mise en quête d’une autre terre agricole près de la capitale de la Haute-Normandie.
En Espagne, deux ans de prison pour d’anciens banquiers
LE MONDE ECONOMIE | • Mis à jour le | Par Sandrine Morel (Madrid, correspondance)
Devant le siège de la Banque d'Espagne, à Madrid. DOMINIQUE FAGET / AFP
Deux ans de prison. Le verdict a été prononcé, jeudi 22 octobre, contre quatre anciens directeurs de la banque régionale espagnole NovaCaixaGalicia, accusés de s’être attribués des parachutes dorés alors même que l’établissement financier se trouvait au bord de faillite.
Les quatre banquiers n’iront probablement pas en prison car ils n’ont pas d’antécédents pénaux. A condition toutefois qu’ils restituent les 19 millions d’euros qu’ils avaient perçus de manière « indue » et s’acquittent d’une amende de 75 000 euros chacun.
La sentence vient confirmerle pillage dont ont été victimes les cajas, ces caisses d’épargne semi-publiques au cœur de la crise bancaire qui a secoué l’Espagneentre 2008 et 2013. Pour partir avec une confortable préretraite, les dirigeants de NovaCaixaGalicia, établissement né de la fusion de deux cajas, avaient modifié leurs contrats alors même que l’Etat avait déjà dû injecterdes fonds poursauverl’établissement de la faillite.
Une « farce »
Le scandale est d’autant plus grand que la banque avait auparavant vendu des milliers d’actions préférentielles – produits financiers complexes et risqués – à près de 40 000 petits épargnants qui pensaientfaireun placement sûr, parmi lesquels des enfants ou des personnes âgées, parfois analphabètes, qui signaient d’une simple croix ou de leur empreinte digitale.
Au total, le gouvernement espagnol a injecté via le Fonds de restructuration bancaire (FROB) 9 milliards d’euros dans la banque de Galice, minée par une gestion désastreuse et une forte exposition à la bulle immobilière. Nationalisée et assainie, elle a été revendue fin 2013 pour à peine 1 milliard d’euros au groupe vénézuélien Banesco.
Pour toutes ces raisons, l’association de clients de banques et d’assurances Adicae a annoncé son intention de déposerun recours contre un verdict qu’elle considère comme une « farce ». Elle estime que les dirigeants méritent d’être condamnés pour « escroquerie » et doivent « aller en prison ».
Falsification, détournement, corruption…
De nombreux procès contre des banquiers sont attendus dans les prochains mois. L’an dernier, plusieurs responsables de Caixa Penedès ont déjà été condamnés à deux ansde prison, pour « administration déloyale », pour avoirempoché 30 millions d’euros d’épargne retraite. Actuellement, une vaste enquêtejudiciaire porte sur les conditions d’entrée en Boursede Bankia, la banque issue de la fusion, en 2010, de sept caisses d’épargne. Elle a depuis reçu 23 milliards d’euros d’aide publique pour ne pas sombrer et contraint l’Espagne à demander à Bruxelles en 2012 une aidede 40 milliards d’euros. Plus d’une trentaine de responsables de Bankia sont mis en examen, dont son ancien président, par ailleurs ex-directeur général du Fonds monétaire international(FMI), Rodrigo Rato, accusé d’escroquerie, falsification, détournement de fonds, corruption et fraude fiscale dans « l’affaire Bankia » et ses ramifications.
Des accusations de « falsification comptable » touchent aussi des dirigeants de Banco de Valencia, la CAM ou de Caja Castilla-La Mancha. « Le FROB a présenté une quarantaine de plaintes devant le parquet », résume le ministre de l’économie, Luis de Guindos. Pour sauver une douzaine d’établissements financiers, l’Espagne a injecté plus de 56 milliards d’euros dans le secteur durant la crise et ne détient plus que des participations dans Bankia. Le sous-gouverneur de la Banque d’Espagne et président du FROB, Fernando Restoy, a estimé en avril que 40 milliards d’euros de ces aides ne pourront jamaisêtre récupérés.
Des soldats israéliens s'élèvent contre les injustices faites aux Palestiniens
Par LEXPRESS.fr avec AFP , publié le
Une quarantaine de soldats de réserve de la plus prestigieuse unité de renseignement militaire israélien ont décidé de ne plus en endosser l'uniforme pour ne plus avoir à participer aux injustices commises selon eux contre les Palestiniens
C'est l'une des plus importantes expressions d'objection de conscience depuis des années en Israël. "Nous, anciens de l'unité 8200, réservistes mobilisés ou mobilisables, déclarons que nous refusons de prendre part à des actions contre les Palestiniens et de continuer à être instrumentalisés pour renforcer le contrôle militaire sur les Palestiniens dans les territoires occupés", écrivent 43 officiers et soldats signataires d'une lettre adressée au Premier ministre et au chef d'état-major israéliens.
"Nous ne pouvons plus continuer à servir ce système et à dénier leurs droits à des millions de personnes tout en gardant bonne conscience", disent les signataires.Publiée moins de trois semaines après la guerre dans la bande de Gaza, la lettre est sans lien avec elle. Mais elle est un pamphlet contre la politique globale du "régime" et les pratiques du Renseignement mises au service de cette politique.
La charge de la NSA israélienne
Dans ce courrier, il est question de mise sous surveillance de millions de Palestiniens sans distinction, jusque dans leur vie privée. Ces refuzniks (terme désignant des Israéliens refusant de servir) dénoncent "la persécution politique" à laquelle participe leur activité d'espionnage; des tribunaux militaires rendant leurs jugements sans que les Palestiniens aient accès aux preuves rassemblées contre eux et des agissements montant les Palestiniens les uns contre les autres.
Ils s'en prennent plus largement à la règle militaire sous laquelle des millions de Palestiniens vivent depuis plus de 47 ans ainsi qu'à la colonisation et à l'hypocrisie d'une politique invoquant les nécessités de sécurité pour se justifier. L'armée a nié la réalité de ces accusations et a affirmé dans un communiqué ne "pas avoir d'informations selon lesquelles des violations spécifiques mentionnées dans cette lettre ont eu lieu".
Ce "manifeste des 43" émane d'une unité qui, par la force des choses, sort rarement de l'ombre. L'unité 8200 est un service d'élite du renseignement militaire. Spécialisée dans la cyberdéfense, chargée des écoutes, elle est souvent comparée à la NSA (National Security Agency) américaine.
Dans un pays où l'armée joue un rôle prééminent et où l'opinion a très majoritairement soutenu la récente guerre à Gaza, la dernière manifestation marquante d'objection de conscience remonte à 2003, lors de la seconde Intifada. Vingt-sept pilotes de l'armée de l'air avaient refusé de mener des opérations de liquidation dans les Territoires palestiniens.
La Coalition Climat 21, « l’un des plus grands regroupements pour la justice climatique qui aient été mis en place », a prépare des mobilisations pendant la COP21. L’artiste et activiste John Jordan dévoile les grandes lignes des actions visant à « avoir le dernier mot ».
Figure des milieux alternatifs depuis une vingtaine d’années, John Jordan fait la jonction entre le monde de la création et celui de l’activisme. Après un parcours dans l’art et le théâtre, il a impulsé le mouvement altermondialiste Reclaim the streets en Angleterre, avant de cofonder puisde déserter l’armée des clowns, dont les brigades de joyeux activistes ont essaimé dans le monde. Depuis quelques années, il est installé en Bretagne, et pilote avec Isabelle Frémeaux le Laboratoire d’imagination insurrectionnelle (Labofii), une sorte d’incubateur d’idées mêlant activisme politique et création artistique. Rencontre avec un personnage hors cadre et hors norme, au cœur du bocage de Notre-Dame-des-Landes.
John Jordan.
Reporterre - Pourquoi mêler art et activisme ?
John Jordan - Je pense qu’on doit toujours renouveler les formes que prennent les luttes. L’État et la police s’adaptent souvent ; il faut sans cesse nous réinventer. L’armée des clowns est née de cette réflexion. Le personnage du clown est désobéissant, il questionne toujours le pouvoir. Et il est un être hypersensible. Pour moi, le militantisme commence avec la sensibilité, aux injustices par exemple. Par ailleurs, le temps militant et le temps artistique sont très différents. Dans le militantisme, tout va vite car il y a urgence à agir. Il en va autrement pour le temps artistique : tu peux passer des années sur une recherche. Depuis 20 ans je tente de mêler art et activisme, d’appliquer le côté créatif et artistique à l’action directe et à la désobéissance civile. Aujourd’hui, avec le Labofii, on essaye de créer des formes d’actions belles, inattendues, nouvelles. Et efficaces.
Quelle différence fais-tu entre action directe et désobéissance ?
L’action directe, c’est le fait d’agir directement sur un problème : si tu vois des gens à la rue, tu n’écris pas une lettre à ton élu, tu agis toi-même et tu ouvres un squat. La désobéissance civile est souvent plus symbolique. Par exemple, lors de la lutte pour les droits civiques aux États Unis, le boycott des bus était de l’action directe alors queles marches de Selmaétaient, selon moi, de la désobéissance. Dans le cadre de la conférence sur le climat en décembre à Paris, on utilise le terme de désobéissance civile, car les actions vont entrer plutôt dans ce cadre .
Sur la COP justement, quels sont les objectifs de la Coalition Climat 21 ?
La Coalition Climat 21est un des plus grands regroupements pour la justice climatique qui aient été mis en place, avec environ 150 organisations, ONG, syndicats ainsi que des groupes plus radicaux, comme Climate Justice Action (CJA). Trois moments sont prévus: une grande marche le 29 novembre, un week-end de présentation des alternatives les 5 et 6 décembre, et une journée d’actions le 12 décembre. Dès à présent, il est clair que les gouvernements sont en train de négocier un accord au rabais : il n’aura pas pour objectif de plafonner le réchauffement planétaire à 2°C, comme c’est nécessaire, mais probablement plus. L’objectif de la Coalition est d’avoir le dernier mot, car c’est le peuple qui a les solutions, et sûrement pas les gouvernements, achetés par les multinationales du pétrole, de la croissance, etc. Rappelons que la COP est financée par 35 sponsors dont Engie, Nissan, EDF, Suez...
Qui compose Climate Justice Action ?
CJA est un réseau de mouvements écologiques radicaux. Il y a des gens issus des Camps climat, de Blockupy, des personnes et des mouvements qui luttent contre des grands projets inutiles et imposés… C’est vraiment la base anticapitaliste du mouvement.
Concrètement, qu’est ce qui se prépare ?
Tout simplement la plus grande action de désobéissance menée pour le climat !
Au-delà de la marche appelée par la Coalition le 29 novembre, des groupes comme CJA, Attac, 350.org, ou la Confédération paysanne ont pris en main des actions prévues à la fin de la COP. Le pire serait que le 12 décembre, François Hollande parade dans les médias en disant qu’il est l’homme qui a sauvé la planète, alors qu’en 20 ans, les émissions de CO2 ont augmenté de 63 %. Le 12 décembre va matérialiser notre refus par une action autour des Red lines (télécharger à droite le document de présentation, en anglais), ainsi qu’avec un autre outil, les Climates Games.
Red Lines TOCHANGEEVERYTHINGWEHAVETOSTEPOUTOFLINE
Qu’est-ce que les Red Lines ?
Les Red Lines, c’est l’idée des « lignes rouges » qu’on ne peut pas franchir, qui définissent les limites nécessaires et minimales pour une planète juste et vivable. Chacun au sein du mouvement vient avec ses propres lignes, comme par exemple, « pas de marché carbone », ou encore « ne peut pas dépasser 1,5 °C de réchauffement »… Concrètement, le projet est de faire exister ces lignes avec des structures gonflables. On va encercler la COP avec des milliers de corps désobéissants, bloquer les routes et le transport pendant la dernière plénière. Nous voulons détourner l’attention médiatique des négociations vers les mouvements. Car la COP va être la grande fausse solution.
Et les Climates Games ?
Il s’agit d’un outil ludique développé il y a deux ans à Amsterdam par un groupe qui s’appelle Groen Front. Cet outil mélange l’Internet et la rue, et l’un de ses buts est d’amener de nouvelles personnes à la désobéissance et l’action directe. En amont, nous avons regroupé des artistes, des activistes, des hackers, des codeurs et des designers pour améliorer l’outil lors de trois sessions. Il y aura des équipes constituées en groupes affinitaires, et une carte sur le Web mise à jour par les joueurs. Et il y a des cibles. Chaque équipe définit sa cible et son action, puis en fait mention sur la carte. En face, il y a l’équipe bleue (la police), et les joueurs sont invités à indiquer les positions des bleus sur la carte. On a aussi imaginé des prix pour l’action la plus drôle, celle la plus inattendue, ou la plus efficace. C’est le côté pédagogique pour montrer comment élaborer une action efficace.
Des limites ont-elles été posées pour ces actions ?
Le mode d’action choisi, c’est la désobéissance créative, et il doit respecter la vie. Pour la journée du 12 décembre, il y a un consensus d’action, écrit et validé collectivement par 150 organisations, qui propose un cadre de désobéissance déterminée mais non-violente. Pour les Climate Games, il y a une équipe modératrice, et on sera un peu obligés de poser des règles. Tout dépend de la façon dont sont imaginées les actions : si elles sont ludiques et créatives, elles seront mises en lignes. Il ne s’agit pas d’une question morale, mais pour nous protéger, afin d’être encore en capacité de continuer dans les années à venir.
« Conscientiser les gens ne suffit pas, il faut créer des leviers qui influent sur les profits »
Quelle perspective ce mouvement a-t-il après la COP ?
La COP n’est qu’une étape. En 2016, nous avons prévu de mener une série d’actions de masse contre les infrastructures des énergies fossiles et les grands projets inutiles. Il y aura des grandes journées de blocages massifs prévues au printemps...