Cette décision historique n’a rencontré aucun écho dans les médias.
Souvent désigné comme la Suisse de l’Amérique du Sud, l’Uruguay a, de longue date, l’habitude de faire les choses à sa façon. Il a été le premier état-providence d’Amérique latine. Il dispose également d’une importante classe moyenne, ce qui est inhabituel dans cette partie du monde ; et on y trouve pas d’importantes inégalités de revenu, contrairement à ses très grands voisins du nord et de l’ouest : le Brésil et l’Argentine.
Il y a deux ans, durant le mandat du président José Mujica, l’Uruguay a été le premier pays à légaliser la marijuana en Amérique latine, un continent déchiré par le trafic de drogue qui engendre violence et corruption de l’État.
Aujourd’hui, l’Uruguay a fait quelque chose qu’aucun autre pays neutre de cette planète n’avait osé faire : il a rejeté les avances de la corporatocratie mondiale.
Le traité dont on ne prononce pas le nom
Au début de ce mois, le gouvernement de l’Uruguay a décidé de mettre fin à sa participation aux négociations secrètes relatives à l’accord sur le commerce des services (TISA pour Trade In Service Agreement). Après plusieurs mois de pression exercée par les syndicats et d’autres mouvements populaires, avec un point d’orgue lors de la grève générale sur ce sujet, la première de ce genre au monde, le président uruguayen Tabare Vazquez s’est incliné face à l’opinion publique et a abandonné l’accord commercial voulu par les États-Unis.
Bien qu’elle soit, ou plutôt parce qu’elle est symboliquement importante, la décision historique de l’Uruguay a été accueillie par un silence assourdissant. Au-delà des frontières du pays, les grands médias ont refusé d’évoquer ce sujet.
Ce n’est pas vraiment une surprise étant donné que le commun des mortels n’est même pas supposé connaître l’existence du TISA ; bien qu’il soit, ou plutôt, une fois encore, parce qu’il est sans doute le plus important volet de la nouvelle vague d’accords commerciaux internationaux. Selon Wikileaks, il s’agit « de la plus grande composante du trio de traités “commerciaux” stratégiques des États-Unis », trio qui inclut également le Partenariat TransPacifique (Trans Pacific Partnership ou TPP) et le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TransAtlantic Trade and Investment Pact (TTIP).
Le TiSA concerne plus de pays que le TTIP et le TPP réunis : les États-Unis et les 28 pays membres de l’Union Européenne, l’Australie, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa-Rica, Hong-Kong, l’Islande, Israël, le Japon, le Liechtenstein, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Pakistan, le Panama, le Paraguay, le Pérou, la Corée du Sud, la Suisse, Taiwan et la Turquie.
Ensemble, ces 52 pays forment le groupe joliment nommé des “Très Bons Amis de l’accord sur les Services” qui représente quasiment 70% du commerce mondial des services. Jusqu’à sa récente volte-face, l’Uruguay était censé être le 53e “Bon Ami”.
TiSA Trailer
Ces deux dernières années TiSA a pris forme à l’abri des portes hermétiquement closes de lieux hautement sécurisés partout dans le monde. Selon le texte provisoire de l’accord, le document est censé rester confidentiel et hors de vue de l’opinion publique pour au moins cinq ans après sa signature. Même l’Organisation Mondiale du Commerce a été écartée des négociations.
Mais grâce aux sites lanceurs d’alertes comme Wikileaks, les lanceurs d’alerte associés Press et Filtrala, des éléments cruciaux ont été dévoilés. Voici un bref aperçu de ce qui est connu à ce jour (pour plus de détails, cliquer ici, ici et ici) :
1. Le Tisa verrouillerait la privatisation des services – même dans les cas où les services privés échoueraient dans leur mission – ce qui signifie que les gouvernements ne pourraient jamais ramener l’eau, la santé, l’éducation et les autres services dans le domaine public.
2. Le TiSA restreindrait le droit des gouvernements signataires à réglementer des normes plus strictes d’utilité publique. A titre d’exemple, les réglementations environnementales, les autorisations d’établissements de santé et des laboratoires, les centres de traitement des déchets, les centrales électriques, les accréditations d’écoles et d’universités ainsi que les licences de diffusion seront concernées.
3. Le TiSA limiterait la capacité des gouvernement à réguler l’industrie des services financiers, à un moment où l’économie globale a encore de la peine à se rétablir d’une crise ayant comme cause principale la dérégulation financière. Plus précisément, cet accord une fois signé aurait les conséquences suivantes :
Restreindre la capacité des gouvernements à instaurer des limites à la négociation des contrats dérivés – ces armes de destruction financière massives non régulées ont participé au déclenchement de la crise financière globale de 2007-2008.
Exclure toute nouvelle réglementation financière n’allant pas dans le sens de la déréglementation. Les états signataires s’accorderont à ne pas appliquer de nouvelles mesures de politique financière qui contrediraient, d’une manière ou d’une autre, les mesures de déréglementation prévues dans l’accord.
Interdire aux gouvernements nationaux de contrôler le capital pour prévenir ou atténuer les crises financières. Les textes qui ont fuité interdisent toute restriction des apports financiers – utilisés pour éviter les variations rapides des devises, les bulles spéculatives et d’autres problèmes macroéconomiques – ainsi que sur les sorties de capitaux, utilisés pour empêcher la fuite soudaine des capitaux en temps de crise.
Exiger l’acceptation de produits financiers encore à inventer. Malgré le rôle essentiel qu’ont joué dans la crise financière les produits financiers nouveaux et complexes, le TiSA exigerait que les gouvernements autorisent la vente de nouveaux produits et services financiers, incluant aussi ceux encore inconnus, sur leurs territoires.
4. Le TiSA se propose de bannir toute restriction à l’accès aux données des flux transfrontaliers et de bannir toute obligation de localisation dans le pays des fournisseurs de services numériques. Une proposition des négociateurs US éliminerait toutes les conditions de transfert des informations personnelles vers un pays tiers, conditions actuellement en place dans l’UE dans le cadre de lois protégeant les données. Autrement dit, les multinationales auraient carte blanche pour s’immiscer dans chaque moment de la vie privée et professionnelle des habitants d’environ un quart des 200 pays du monde.
Comme je l’ai écrit dans LEAKED : les négociations secrètes permettent à Big Brother de s’étendre sur la planète, Si le TiSA est signé dans son contenu actuel – et nous ne saurons pas ce qu’il contient exactement avant au moins cinq ans après sa signature – nos données personnelles seront négociées sur le marché sans que nous en ayons connaissance ; entreprises et gouvernements pourront les conserver aussi longtemps qu’ils le souhaitent et les utiliser dans n’importe quel but.
5. En conclusion, le TiSA (avec ses traités frères TPP et TTIP) mettrait en place un système global cherchant à imposer aux 52 gouvernements signataires un cadre rigide de “lois d’entreprises internationales” destiné à protéger exclusivement les intérêts des entreprises et les déchargeant des risques financiers de leurs responsabilités sociales et environnementales. En bref ce serait le dernier clou dans le cercueil déjà bien déglingué de la souveraineté nationale.
Un précédent dangereux
Compte tenu de sa petite taille (3,4 millions d’habitants) et de son influence géopolitique ou géoéconomique limitée, le retrait de l’Uruguay de TiSA est peu susceptible de bouleverser l’avancement du traité. Les gouvernements des principales nations commerçantes continueront leurs discussions à huis clos et loin des regards indiscrets de ceux qu’ils sont censés représenter. Le congrès américain a déjà donné à l’administration d’Obama le pouvoir d’accélérer l’approbation des accords de libre-échange comme TiSA tandis qu’il est attendu de la Commission Européenne qu’elle fasse tout ce que la corporatocratie exige.
Cependant, commele soulignele rédacteur technologique Glyn Moody, la défection de l’Uruguay – comme le refus des Islandais d’assumer les dettes de ses banquiers voyous – est d’une énorme portée symbolique :
Celle-ci dit que, oui, il est possible de se retirer de négociations mondiales, et que ce soi-disant irréversible accord de marché, allant inexorablement de l’avant, peut être annulé. Cela crée un précédent important que d’autres nations commençant à douter du TiSA – ou peut-être du TPP – peuvent examiner, et peut-être même imiter.
Evidemment, les représentants des plus grandes corporations uruguayennes aimeraient en dire autrement. Cette décision du gouvernement, fondée sur « une discussion superficielle des implications du traité », a été l’une des plus grosses erreurs de ces dernières années,d’aprèsGabriel Oddone, un analyste de la firme de conseils financiers, CPA Ferrere.
Ce que Oddone omet soigneusement de dire, c’est que l’Uruguay est le seul pays au monde qui ait eu un débat public, superficiel ou non, à propos de TiSA et ses implications potentiellement révolutionnaires. Peut-être le temps du changement est-il venu ?
"Esclaves du 21ème siècle", peut-on lire sur la banderole du syndicat PAME, proche du parti communiste KKE, qui ouvre le cortège contre les nouvelles mesures d'austérité en Grèce, le 12 novembre 2015 à Athènes ( AFP / SAKIS MITROLIDIS )
Le gouvernement du Premier ministre grec Alexis Tsipras essuyait jeudi sa première grève générale, qui a été émaillée de quelques incidents et qui est soutenue par son propre parti, Syriza, opposé à de nouvelles mesures d'austérité.
Près de 20.000 personnes ont défilé dans Athènes à la mi-journée, selon les chiffres des autorités, et environ 8.000 à Thessalonique (nord).
Près de la place Syntagma, vers 11h30 GMT, un groupe d'environ 150 jeunes armés de barres de fer et de morceaux de marbre ont vandalisé des arrêts de bus et mis le feu à une voiture de la compagnie de télécommunications OTE, a constaté l'AFP, avant que la police ne réplique avec des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes.
Le mouvement, lancé pour 24 heures par les syndicats du pays, vise à protester notamment contre les hausses d'impôts et la réforme des retraites à venir. Il paralysait les administrations et les transports, y compris les vols intérieurs annulés par dizaines.
La police grecque prête à intervenir alors que certains manifestants ont jeté des cocktails molotov lors d'un rassemblement contre de nouvelles mesures d'austérité, le 12 novembre 2015 à Athènes le 12 novembre 2015 ( AFP / LOUISA GOULIAMAKI )
Les hôpitaux n'assuraient que les urgences. Les musées et les sites archéologiques étaient fermés, et les journalistes étaient aussi en grève.
Cette grève générale illustre la position ambiguë de M. Tsipras, qui s'était attiré cet été la fronde d'une grande partie de son parti Syriza et d'un cinquième de ses députés, après avoir signé un nouveau plan d'aide internationale. Au point qu'il avait dû démissionner en août, pour se faire porter de nouveau au pouvoir en septembre à la tête d'une majorité débarrassée de ses contestataires.
Mais même Syriza a appelé jeudi à participer à cette grève contre "les politiques anti-sociales, d'un néo-libéralisme extrême" menées par le gouvernement... Syriza. Un paradoxe très commenté sur les réseaux sociaux. "Je suis un peu perdu, là. On défile avec Alexis pour renverser Tsipras, ou avec Tsipras pour renverser Alexis?", se demandait par exemple un utilisateur de Twitter.
- 'Moyen Age' -
M. Tsipras lui-même avait qualifié en juillet le plan d'aide de "compromis douloureux" et de "retraite tactique" pour éviter au pays de faire faillite et de sortir de l'euro.
"Nous luttons contre des mesures gouvernementales qui perpétuent des relations sociales dignes du Moyen Age", assurait jeudi le principal syndicat du privé GSEE.
A Athènes, le premier syndicat à défiler était le PAME, proche du parti communiste (KKE). Le cortège rassemblait environ 10.000 personnes, selon la police.
Un homme assis dans la gare de Thessalonique, déserte en raison de la grève générale de 24 heures en cours en Grèce pour protester contre les nouvelles mesures d'austérité, le 12 novembre 2015 ( AFP / SAKIS MITROLIDIS )
Venait ensuite la manifestation des syndicats GSEE et Adedy (public), précédée d'un cercueil portant la mention "auto-entrepreneurs, techniciens, artisans", suivie d'un autre cortège rassemblant plusieurs milliers de personnes à l'appel des partis et mouvements de gauche, dont étaient issus les jeunes fauteurs de troubles.
Beaucoup de Grecs ont été déçus du virage effectué par le jeune dirigeant de gauche radicale.
Dans la manifestation du GSEE, Maria Athanassiadou, 63 ans, électrice du Pasok (socialistes), disait vouloir "protester contre le gouvernement qui nous prend pour des imbéciles". "Je suis retraitée et je n'ai aucune idée de ce que ma retraite va devenir", déplorait-elle.
Arrivé au pouvoir en janvier avec un programme anti-plan d'assistance, il a fini par accepter un troisième plan d'aide en juillet, d'un montant de 86 milliards d'euros sur trois ans, alors que les deux cures d'austérité imposées au pays en 2010 puis 2012 -en échange de 240 milliards d'euros d'aide- avaient déjà été très mal vécues.
La grève générale se déroulait précisément pendant une visite d'inspection à Athènes de représentants des créanciers du pays, Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international et Fonds européen de stabilité financière.
Le gouvernement Tsipras a déjà fait adopter de nombreuses mesures du plan conclu en juillet, mais il reste des points de friction qui retardent le calendrier du versement d'une tranche de deux milliards d'euros.
Le blocage concerne en particulier les saisies immobilières, au sujet desquelles Athènes est partisan de clémence, et le traitement des créances douteuses qui plombent actuellement le bilan des banques du pays.
Le ministre de l'Economie Georges Stathakis s'est cependant montré confiant mercredi, déclarant "que tous ces problèmes seront résolus d'ici samedi".
Plusieurs actions menées ce matin 12 novembre à Nantes et à Paris ont permis d’atteindre l’objectif : 196 sièges ont été récupérées. Autant que d’Etats présents à la COP 21. Et un message fort pour dire que l’argent de l’évasion fiscale pourrait servir à la lutte contre le climat.
Paris, reportage
Plusieurs actions citoyennes de réquisition de chaises se sont déroulées ce jeudi matin 12 novembre, dans des agences bancaires de Nantes et Paris. Elles ont permis d’atteindre l’objectif de 196 sièges confisqués d’ici la COP 21, en référence aux 196 Etats participant aux négociations.
Ces réquisitions, organisées par Action non-violente COP 21 (ANV-COP21), visent à dénoncer l’évasion fiscale en rappelant que l’argent caché par les banques dans les paradis fiscaux pourrait financer la lutte contre le changement climatique.
Une première action s’est déroulée ce jeudi à 9 h 30 dans une agence du Crédit agricole de Nantes. Cinq sièges ont été confisqués par une vingtaine de « faucheurs de chaises ».
Plusieurs actions on ensuite eu lieu à Paris. A 10 h, treize militants ont investi l’agence BNP République, où ils ont réquisitionné deux chaises. A 10 h 25, six autres sièges ont été confisqués dans une agence HSBC de Nation. D’autres ont été saisis à l’agence BNP Paribas Goncourt.
Ce n’est pas parce que l’objectif de 196 chaises saisies a été atteint que la mobilisation s’achève. Au contraire, les activistes appellent à « amplifier le mouvement » d’ici la COP 21.
Réquisition de chaises à HSBC Nation
Les chaises seront utilisées pour une action citoyenne pendant la COP 21...
Plus de 7000 initiatives se dérouleront, partout en France, du 14 au 22 novembre 2015, dans le cadre de la Semaine de la solidarité internationale, quelques jours avant le lancement de la Conférence sur le climat. « Consommer responsable, voyager autrement, épargner différemment, respecter l’environnement… Ces alternatives proposent aux citoyennes et citoyens de reprendre la main sur les choix de société possibles », explique Pascale Quivy, déléguée générale du Centre de recherche et d’information pour le développement (Crid).
Aujourd’hui, il est possible de s’engager dans des manières de vivre et d’agir qui inventent le monde de demain : consommer responsable, voyager autrement, épargner différemment, respecter l’environnement… Ces alternatives proposent aux citoyennes et citoyens de reprendre la main sur les choix de société possibles. Nos initiatives locales, loin d’encourager le repli sur soi ou la construction de barrières, proposent des solutions cohérentes et adaptées à la complexité des relations internationales : la solidarité internationale.
La solidarité internationale, c’est prendre acte des interdépendances entre les pays et les peuples. Il n’est plus possible d’ignorer les impacts globaux des décisions locales ou nationales, et donc leur responsabilité. La solidarité internationale est un moyen qui fédère et renforce les citoyennes et citoyens pour s’affirmer comme les véritables leviers du changement politique. La solidarité internationale c’est, enfin, en valorisant les relations égalitaires, directes et réciproques entre les femmes et les hommes, un objectif, une ambition, une conviction.
Les acteurs de la solidarité internationale portent à la connaissance des citoyennes et citoyens les inégalités entre les peuples et au sein des peuples et les sensibilisent à un exercice actif de la citoyenneté. Ils valorisent le partenariat réciproque comme base des relations internationales et comme moyen pour partager des compétences et des engagements, voire atteindre des objectifs communs. Ils contribuent ainsi à la prise de conscience de sociétés plurielles et dynamiques.
Les Nations-Unies ont placé l’année 2015 sous le signe du développement et de la solidarité internationale. En septembre, 17 Objectifs de Développement Durable ont été adoptés, visant à éradiquer la pauvreté, réduire les inégalités et préserver les ressources de la planète. En décembre, un accord devrait être trouvé pour lutter contre le changement climatique. Nous pouvons nous réjouir de cette première étape, mais nous savons aussi que, des objectifs à la réalisation, le chemin peut être long et les moyens insuffisants.
Un monde plus juste et plus durable
De plus, rien ne sera possible sans la sensibilisation et la mobilisation des citoyens, sans la promotion des multiples initiatives qui se développent partout sur notre territoire. Qu’il s’agisse d’alternatives aux causes du changement climatique, d’actions de solidarité avec les migrants ou du développement du commerce équitable (parmi bien d’autres exemples), elles contribuent à un monde plus juste et plus durable.
La Semaine de la solidarité internationale (SSI), qui chaque année mobilise davantage d’acteurs, constitue un temps fort indispensable pour multiplier et faire connaitre ces initiatives auprès du plus grand nombre. Cette année encore, du 14 au 22 novembre 2015, pour cette 18ème édition de la SSI, partout en France, bénévoles et salariés, vont se retrouver, partager et échanger autour des clés de compréhension des enjeux globaux.
C’est grâce à cette dynamique collective et festive, que cet événement national participe à la mise en œuvre d’un monde plus durable, juste et solidaire ! Les Nations-Unies ont placé l’année 2015 sous le signe du développement et de la solidarité internationale. En septembre, 17 Objectifs de Développement Durable ont été adoptés, visant à éradiquer la pauvreté, réduire les inégalités et préserver les ressources de la planète.
Pascale Quivy, déléguée générale du Centre de recherche et d’information pour le développement (Crid)
Toutes les informations et le programme, sur cette page.
Le traité de libre-échange Tafta serait une aubaine pour la croissance et l’emploi, promet la Commission européenne. Ce n’est pas ce que pensent nombre de dirigeants de petites et moyennes entreprises en Europe, notamment en Allemagne et en Belgique. Ils se rendent comptent que les mirobolantes promesses de croissance et d’exportations profiteront principalement aux multinationales. La plupart des PME européennes et leurs salariés en pâtiraient. En Allemagne, en Autriche, et en Belgique, des groupements de PME se mobilisent carrément contre le Tafta.
« Nous savons que les petites entreprises et les territoires dans lesquels elles opèrent ont des chances d’être parmi les plus grands gagnants de cette accord. » La commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, met tout en œuvre pour convaincre les petites et moyennes entreprises européennes des bienfaits du traité transatlantique de libre-échange Tafta (TTIP en anglais) [1]. Ce traité est en cours de négociation entre la Commission européenne et Washington.
« Le niveau d’information des PME sur ces négociations est extrêmement faible. Elle ont très peu participé aux travaux en amont des négociations. Mais depuis un an, la Commission européenne mise sur le soutien des PME pour renforcer le camps des promoteurs du traité. A chaque fois qu’elle le peut, elle met en avant les bénéfices promis aux PME », constate Mathilde Dupré, chargé de campagne à l’institut Veblen pour les réformes économiques, qui vient de publier un rapport sur le Tafta et le PME [2] Problème pour les néolibéraux : la nouvelle stratégie de communication de la Commission passe de moins en moins auprès des patrons des PME européennes. Ils sont de plus en plus nombreux à afficher leur scepticisme, voire carrément leur opposition au traité de libre-échange.
« Le Tafta ne profiterait pas du tout aux PME, c’est plutôt le contraire »
« Les responsables politiques autrichiens ont d’abord dit que le Tafta allait profiter à la croissance et créeraient des emplois. Quand des études ont montré que ce n’était pas assuré, ils ont ensuite dit que ce serait bon pour les PME. Là, j’ai eu le sentiment qu’on me prenait pour une imbécile », témoigne Lisa Muhr, gérante d’une petite entreprise autrichienne de mode, qui compte 23 salariés et œuvre en faveur du commerce équitable. En juin, elle a lancé avec une poignée d’autres entreprises autrichiennes l’initiative “PME contre Tafta” (KMU geegn TTIP). Le mouvement rassemble aujourd’hui 1600 entreprises. « Nous travaillons en coopération avec des sous-traitants mauriciens, mais en commerce équitable. Le Tafta au contraire, encourage une baisse des standards écologiques et sociaux. Alors qu’il faudrait au contraire les élever, pour tous les produits. »
L’initiative des PME contre Tafta essaime aussi en Allemagne. Constitué en septembre, un collectif compte 1700 entreprises signataires, de divers secteurs : machine-outil, métallurgie, textile, alimentaire, consulting… « Le Tafta ne profiterait pas du tout aux PME. C’est plutôt le contraire, critique Gottfried Härle, directeur d’une brasserie de bière dans le sud-ouest de l’Allemagne et cofondateur de l’initiative outre-Rhin. Des éléments centraux de l’accord comme la protection des investisseurs, l’unification des normes et l’ouverture des marchés publics servent avant tout les intérêts des grands groupes ».
En Allemagne, en Autriche, en Belgique : les PME contre Tafta
Même le très puissant groupement allemand des moyennes entreprises, le BVMW, a pris ses distances avec le Traité de libre-échange. L’organisation qui représente 270 000 entreprises du Mittelstand, l’épine dorsale de l’industrie allemande, a catégoriquement refuséle mécanisme de règlement arbitral des conflits d’investissements prévu initialement dans l’accord. Et il a soulignéà de nombreuses reprises les conséquences négatives possibles du traité sur les PME. En Belgique aussi, l’organisation patronale francophone UCM a exprimé son opposition au Tafta.
« Notre conseil d’administration en a débattu et c’est à l’unanimité qu’il a estimé que les PME wallonnes et bruxelloises n’ont rien à gagner de ce traité. Au contraire, dans sa forme actuelle, il présente des dangers », a conclu l’organisation en mai. Rien de tel chez les patrons français qui, pour l’instant, adhèrent au traité sans se poser de questions : la CGPME (Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises) « est globalement favorable à la mise en place d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis » [3]
Pourtant, les patrons de PME européennes et leurs salariés ont des raisons d’être sceptiques. « Sur les 20 millions de PME européennes, la part de celles qui exportent au-delà des frontières de l’Union ne dépasse pas 13 %. Parmi elles, la part des revenus provenant des exportations hors UE n’excède pas 10 % », souligne le rapport de l’institut Veblen. En France, la part des entreprises exportatrices est l’une des plus faible : « Les entreprises exportatrices représentent 4,6 % de l’ensemble des entreprises françaises », pointe la Banque publique d’investissement [4]. Plusieurs facteurs pourraient les pénaliser face à la concurrence venue des États-Unis : les disparités de salaires, en moyenne 30 à 40 % inférieurs aux États-Unis, le niveau inférieur des régulations dans de nombreux domaines et le coût plus faible de l’énergie.
« Des risques pour les structures économiques régionales »
Certes, « les entreprises qui exportent pourraient profiter d’une hausse de la demande », concède la rapport. « Ces résultats positifs sont bien mis en avant dans les rapports de la Commission européenne. Mais ces mêmes rapports passent complètement sous silence les effets contraires et les risques liés par exemple à l’accroissement des importations bon marché en provenance des États-Unis, notamment dans les services, les moteurs de véhicules, les produits chimiques, ceux issus de la métallurgie… ». Des secteurs qui font par exemple le succès de toute une partie de l’économie allemande.
« Il y a des risques pour les structures économiques régionales, estime le brasseur allemand Gottfried Härle. Nous voulons un débat équilibré et ouvert sur le sujet. Jusqu’à maintenant, les études réalisées s’adressent uniquement aux PME tournées vers l’export. » C’est la cas d’un enquête de la Commission européenne, réalisée au printemps auprès d’un échantillon de PME. En juillet, le comité social et économique européen ne disait pas autre chose : il regrettait qu’aucune étude d’impact précise, par secteur et par État membre, n’ait été lancée pour évaluer l’effet potentiel du traité sur cette catégorie d’entreprises. En attendant, les PME allemandes et autrichiennes contre le Tafta demandent l’arrêt immédiat des négociations.
Rachel Knaebel
Photo : CC Global Justice Now (manifestation à Londres en 2014)
La justice américaine demande des comptes à ExxonMobil sur le réchauffement climatique
Le Monde.fr | • Mis à jour le | Par Stéphane Lauer (New York, correspondant)
ExxonMobil a-t-il été suffisamment transparent vis-à-vis du public et des investisseurs à propos de l’impact de ses activités sur le réchauffement climatique ? C’est en résumé le sens de l’assignation adressée, mercredi 4 novembre, par le procureur de New York, Eric Schneiderman, au géant du pétrole. La procédure est inédite et pourrait ouvrir un vaste front juridique pour toutes les entreprises qui vivent des énergies fossiles.
La justice exige ainsi d’ExxonMobil de lui fournir un certain nombre de documents, courriels, rapports financiers, afin de vérifier si la compagnie pétrolière, par le lobbying qu’elle a pu exercer ces dernières années, n’a pas cherché, d’une part, à masquer les conclusions des scientifiques sur le changement climatique, et, d’autre part, n’a pas manqué à ses obligations en n’alertant pas ses actionnaires sur les risques pesant sur les activités de l’entreprise et de sa capacité à continuer à utiliser des énergies fossiles.
La justice s’intéresse notamment au financement par ExxonMobil de recherches climatosceptiques qui visaient à nier le changement climatique. L’assignation s’appuie sur le Martin Act, une législation datant de 1921, propre à l’Etat de New York, qui octroie des pouvoirs discrétionnaires très étendus au procureur pour lutter contre la fraude financière. Cette loi interdit notamment « toute fraude, tromperie, dissimulation, suppression, faux semblant » ou « toute fausse représentation ou déclaration » et donne à l’Etat toute latitude pour mettre au jour ces manquements.
Le document, qui comporte dix-huit pages, vise à décortiquer la façon dont le groupe a communiqué ces dernières années vis-à-vis de toutes les parties prenantes : clients, investisseurs et même salariés. La procédure n’a rien d’un exercice de style. D’ailleurs, en son temps, l’ex-procureur de l’Etat de New York (entre 2006 et 2010) Andrew Cuomo, désormais gouverneur, avait utilisé le Martin Act pour contraindre des centrales à charbon à changer leur communication financière à propos des risques sur le changement climatique.
Par ailleurs, leNew York Timesa révélé jeudi que Peabody Energy, le plus gros producteur de charbon américain faisait l’objet depuis deux ans d’une enquête similaire. La procédure est toujours en cours.
« Ils ont nié la science »
Depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, la pression de plusieurs associations de protection de l’environnement, de scientifiques, de parlementaires et aujourd’hui de candidats à l’élection présidentielle américaine, est devenue de plus en plus forte pour que la justice lance une enquête afin de confondre les groupes pétroliers à propos de leur discours sur le réchauffement climatique.
Hillary Clinton, la favorite de l’investiture à la primaire démocrate, a ainsi déclaré, fin octobre, lors d’un déplacement dans le New Hampshire (nord-est des Etats-Unis), qu’ExxonMobil devrait faire l’objet d’une enquête, indiquant qu’il « existe beaucoup de preuves qu’ils ont trompé les gens » à propos du changement climatique. Son principal challenger, Bernie Sanders, sénateur du Vermont, a envoyé une lettre dans le même sens à la ministre de la justice, Loretta Lynch. Les représentants démocrates de Californie, Mark DeSaulnier et Ted Lieu, se sont joints à ces demandes il y a quelques jours.
Celles-ci font suite à deux enquêtes, l’une du siteInsideClimate, l’autre du Los Angeles Times, qui affirment que des chercheurs d’ExxonMobil, à la fin des années 1970 et 1980, avaient averti les dirigeants de l’entreprise de la menace que faisait peser le changement climatique sur les activités de la compagnie pétrolière. Mais celle-ci avait ensuite coupé les budgets de recherche dans ce sens pour au contraire fonder sa communication sur les doutes qui entourent la responsabilité humaine dans l’accélération du phénomène.
Le cofondateur du site écologiste 350.org, Bill McKibben, mène depuis plusieurs semaines des actions pour attirer l’attention sur les manquements auxquels ExxonMobil se serait livré. Il a notamment publié plusieurs tribunes dans le magazine américain The New Yorkeret dans le quotidien britanniqueThe Guardian. « Exxon savait tout ce qu’il y avait à savoir sur le changement climatique il y a des décennies et, au lieu de nous alerter, ils ont nié la science et ont fait obstruction à la lutte contre le changement climatique », explique M. McKibben.
« Nous rejetons catégoriquement les allégations selon lesquelles ExxonMobil a arrêté les recherches sur le changement climatique », a fait savoir un porte-parole du groupe, ajoutant que la compagnie pétrolière avait publié des dizaines d’articles scientifiques sur le sujet, et avait prévenu les investisseurs des risques climatiques.
En attendant, cette enquête fait planer sur l’industrie pétrolière le risque de procès en série, sur le modèle de ceux qui ont coûté des dizaines de milliards de dollars au secteur du tabac, il y a quelques années.
Stéphane Lauer (New York, correspondant) Correspondant à New York
Aux antipodes des logiciels dits « propriétaires », les « libristes » défendent des ressources informatiques développées collectivement et utilisables par tous. Loin de se contenter d’enchaîner les lignes de codes, ces passionnés sont devenus des acteurs incontournables des combats citoyens.
« FBLB a un problème, il n’arrive pas à afficher l’agenda du libre sur son site web ! » Une tasse de potage aux cèpes agrémenté de croûtons à la main, les yeux rivés à son écran d’ordinateur, Manu suit avec attention la conversation qui se déroule sur IRC (Internet Chat Relay, un protocole de communication textuelle instantanée). À côté de lui, Magali analyse la scène : « L’agenda du libre recense tous les événements, réunions, conférences, festivals, en lien avec les logiciels libres. Pour l’améliorer, nous organisons des discussions sur IRC afin que les utilisateurs nous fassent remonter les bugs et nous proposent de nouvelles fonctionnalités. »
Magali, administratrice à l’April, à Parinux et à Liberté 0, et Manu.
Comme tous les jeudis soirs, les deux « libristes » retrouvent d’autres compères du groupe francilien d’utilisateurs de logiciels libres Parinuxau 38 de la rue Saint-Sabin, dans le XIe arrondissement de Paris. Lors de ces « soirée de contribution au libre », ils participent à l’enrichissement de ces ressources logicielles développées collectivement et utilisables par tous. Le réseau d’éducation populaire Framasoftdénombre plus de 1.600 logiciels libres, parmi lesquels le navigateur web Firefox développé par Mozilla, le lecteur multimédiaVLC, la suite bureautique OpenOffice et le système d’exploitation Linux, pour ne citer que les plus connus. Sans oublier SPIP, le système de publication sur Internet qu’utilise Reporterre.
Une soirée de contribution au libre organisée par Parinux.
L’organisateur de ces soirées, Emmanuel Seyman, a découvert Linux pendant ses études d’informatique à la fin des années 1990. « Ce qui m’a frappé, c’est la quantité de logiciels disponibles et cette communauté qui passait son temps à améliorer les outils et à aider des autres à s’en servir, se souvient-il. Après quinze ans à utiliser des logiciels libres, résultants de travaux faits par d’autres, il est normal que je contribue. »
Emmanuel Seyman, ex-président de Parinux et organisateur des soirées de contribution au libre.
Les quatre libertés du logiciel libre
Mais au fait, qu’est-ce qu’exactement un logiciel libre ? « C’est un logiciel qui donne quatre libertés : la liberté d’exécuter le programme, de le copier, de le modifier et de le redistribuer », répond Sébastien Broca, sociologue et auteur de l’Utopie du logiciel libre, dont la version intégrale est disponible en téléchargement.. Cette définition implique que le code source du logiciel, sa « recette de cuisine » comme l’appelle le chercheur, soit accessible – ce qui n’est pas le cas dans les logiciels dits « propriétaires », développés par de grandes firmes comme Microsoft.
Sébastien Broca, auteur de l’Utopie du logiciel libre.
Lorsque les premiers ordinateurs sont apparus, leurs utilisateurs s’échangaient librement leurs programmes. Mais à partir des années 1970, les premiers éditeurs de logiciels se sont orientés vers la vente de licences d’utilisation. Le mouvement du logiciel libre est né au début des années 1980, en réaction à ce processus de privatisation. Sa figure de proue est Richard Stallman, développeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il a lancé en 1984 le projet GNU, un système d’exploitation entièrement libre, et créé en 1989la licence publique générale (GPL). « Elle protège les quatre libertés du logiciel libre avec une clause supplémentaire : elle oblige tous les utilisateurs à utiliser les mêmes libertés dans les versions ultérieures. C’est le copyleft, en opposition au copyright », explique Sébastien Broca.
Richard Stallman lors de la fête de l’Humanité en 2014.
« Logiciel libre » versus « open source »
Aujourd’hui, dur de s’y retrouver entre « libre » et « open source ». L’expression « open source » apparaît à la fin des années 1990. Elle désigne les mêmes logiciels respectant les quatre libertés, mais la philosophie qu’elle véhicule est différente. « Les partisans de l’open source mettent en avant les avantages techniques et économiques de ces logiciels, plus performants et permettant une mutualisation des moyens, analyse le sociologue. Alors que pour Richard Stallman, le plus important est le respect des libertés et le mouvement social qui entoure le logiciel libre. » C’est peu de dire que cette nouvelle manière de voir a fait des petits. Apple par exemple, a bâti son système d’exploitation sur laBerkeley Software Distribution (BSD), une famille de systèmes d’exploitation libres.
Eric (ESR) Raymond, promoteur de l’idéologie « open source », développée dans son essai La Cathédrale et le Bazar.
Pour Sébastien Broca, le logiciel libre s’apparente aux « biens communs du savoir » décrits par l’économiste états-unienne Elinor Ostrom : « Le logiciel libre est un bien commun parce qu’il présente trois caractéristiques : l’existence d’une ressource, le logiciel ; un système de droits et d’obligations régissant l’utilisation de cette ressource, déterminé par des licences spécifiques comme la GPL ; et un mode de gouvernance, avec des communautés qui s’organisent pour prendre en charge et améliorer la ressource. »
Ces modes de gouvernance sont multiples. « L’association qui gère le logiciel de production de sites web SPIPpar exemple, est restée dans une démarche très militante, observe Sébastien Broca. A l’inverse, les personnes qui développent Linux sont souvent des salariés de grandes entreprises comme Samsung. »
Modalités de participation multiples
Par exemple, n’importe quel internaute peut contribuer à OpenStreetMap, base de données cartographique libre lancée en 2004 par l’ingénieur britannique Steve Coast. Les modalités de participation sont multiples : le contributeur peut compléter la carte à partir d’une photo aérienne, enregistrer ses trajets à pied, en vélo ou en voiture grâce à un GPS, ou préciser des points d’intérêt (nom de rue, passage piéton, toilettes publiques, magasin accessible au personnes handicapées, etc.). « Comme ça, la sensibilité de chacun peut s’exprimer, souligne Gaël Musquet, porte-parole et ex-président de l’association OpenStreetMap France. On voit émerger ce que j’appelle des “troubles obsessionnels cartographiques”. Certains naturalistes vont jusqu’à préciser l’essence des arbres plantés le long des routes. Moi, ce sont les défibrillateurs ! Le résultat est une carte d’une très grande richesse, mise à jour de manière quasi instantanée si le paysage change. » Autre avantage, la communauté, bénévole, cartographie volontiers des lieux jugés inintéressants ou « peu rentables » par Google Maps, par exemple. Aujourd’hui, OpenStreetMap compte 2,2 millions de contributeurs enregistrés. « En France, 150 à 200 personnes cartographient quelque mille kilomètres chaque jour », précise Gaël Musquet.
Gaël Musquet, porte-parole et ex-président d’OpenStreetMap.
Mais pour éviter la pagaille, cette communauté s’est fixée des règles précises. Elle communique grâce à une mailing-list et sur IRC. Un wiki, document collaboratif, décrit les règles de contribution préalablement votée (comment on cartographie une voie de bus, une route, un point de recyclage). Quand les contributeurs n’arrivent pas à se mettre d’accord – la cartographie est un exercice éminemment politique - un vote est organisé. « Ça arrive en cas de conflit, explique Gaël Musquet. Par exemple, on s’est rendus compte que le nom de Jérusalem n’arrêtait pas d’être changé – une fois en arabe, une fois en hébreu, et ainsi de suite. Du coup, on a demandé à tout le monde de voter, puis l’association a figé le nom de la ville. » Idem pour le conflit entre la Russie et l’Ukraine, la frontière entre l’Algérie et le Maroc, etc.
Une ONG,Humanitarian OpenStreetMap Team (HOT), a même été créée après le séisme de janvier 2010 à Haïti. Elle permet de mobiliser les contributeurs pour qu’ils recartographient au plus vite les lieux d’une catastrophe, de sorte que les humanitaires aient des cartes mises à jour des réseaux routiers, des hôpitaux et des pharmacies. « Nous avons renouvelé ces actions pour l’épidémie d’Ebola et le séisme au Népal », sourit le porte-parole.
« Défendre nos libertés numériques
Car le mouvement du libre, loin de se cantonner à des lignes de code, est un acteur incontournable de combats citoyens. Ses valeurs de coopération et de partage des connaissances amènent les libristes à faire cause commune avec des associations de domaines très différents...
#COP21 : 18H DE GAV POUR GASPARD GLANZ À STRASBOURG, EN MARGE D’UNE ACTION PACIFIQUE
il y a 19 heures
Fondateur de la société Taranis, Gaspard Glanz a passé 18h en garde à vue pour avoir filmé une action pacifique en marge de la COP21 à Strasbourg, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui, mais sans qu’on lui restitue son matériel. Récit d’une garde à vue hors-normes …
Jeudi 6 Novembre 2015 : Je suis contacté via Twitter par un groupe que je connais et qui est en lien avec des actions du type écologiques et climatiques, à Strasbourg et dans sa région. Sans préciser de qui il s’agit car il y a enquête, je peux dire que nous avons affaire aux plus pacifiques des activistes que vous pouvez rencontrer sur le marché : visages découverts, petit nombre, résistance passive, des « écolo-tranquillou », ne représentant un danger éventuel que pour des germes de toffus. On est très, très loin de l’image des black-blocs évoqués dans le cadre de la COP21.
On me donne donc rendez-vous pour une action préparant la #COP21 : voler les chaises dans des banques pour dénoncer l’évasion fiscale, pacifiquement et dans le but d’attirer l’attention de la population sur « la COP ». On comprend alors le choix d’une banque à un carrefour stratégique de la ville, au milieu des trams et en pleine heure de pointe : le but des activistes était de faire de la communication, pas de se constituer un stock de chaises. Action dont l’appel était d’ailleurs national, elle n’était pas propre à la ville de Strasbourg et a été communiqué à la presse locale. Je n’étais pas le seul journaliste prévenu.
Vendredi 17h25 : Le rendez-vous de l’action est donné à l’arrêt de Tram « Alt Wilmarik - Vieux marché aux vins ». S’y présente un petit groupe d’une dizaine de militants démasqués et ne portant que des pin’s « Action Climat », ni drapeaux, ni pancartes.
Je sers la main à ce que je pense d’abord être un collègue journaliste discutant de l’action avec une activiste, un calepin et un stylo en main. Il s’avère qu’il s’agit en vérité d’un officier des renseignements généraux.
C’est une petite précision importante pour la suite de l’histoire : je m’étais donc identifié comme un journaliste avant même le début de cette action, auprès d’un représentant de l’état chargé précisément de collecter des renseignements. Je lui ai laissé ma carte de visite avant de comprendre qu’il était un officier des RG …
17h30 : Le petit cortège se met en branle. Il se sépare et prend des rues différentes.
17h35 : Tout le monde se retrouve dans la banque désignée, un Crédit Agricole qui fait le coin de la place de l’homme de fer. Les manifestants entrent sans cris et sans aucune violence, la porte étant ouverte. Certains s’emparent des chaises, d’autres lisent un tract de revendication aux hôtesses de l’accueil. Celles-ci demandent la restitution des chaises, mais c’est trop tard, des militants sont déjà debout dessus pour lire un tract à la foule qui s’agglutine peu à peu autour de la banque. La responsable appelle la police.
17h37 : Des employées de la banque sortent pour saisir les chaises et les ramènent à l’intérieur. Sans bousculade. La scène restant assez ubuesque au regard de la concentration de la foule présente, complètement ébahie par la situation.
17h38 : La police arrive en force. Six, peut-être huit Scenics de la Police Nationale débarquent devant la banque en bloquant la circulation des trams. Tous les policiers sortent en même temps des voitures. Alors même que certains activistes portent encore des chaises sur leurs têtes au milieu des policiers, ceux-ci se ruent dans la banque en passant à coté d’eux : c’est la pagaille.
À ce moment précis je suis entre les deux rails de tram de la ligne B, en plein espace public et à plus de quinze mètres de la banque. Mon but est d’avoir un plan large de la banque, des voitures de police et des militants quittant les lieux avec une chaise comme butin.
Je suis toujours en train de filmer, quand un officier suivi de quatre policiers se ruent sur moi et me saisissent par les bras. Ils me soulèvent du sol et je vole droit vers l’intérieur de la banque. L’Officier de Police Judiciaire (OPJ) me dit « montre-nous tes images ». Je précise ma qualité de journaliste, il me répond « je m’en fou, on veut voir ça ! ».
17h40 : On procède à mon contrôle d’identité et alors qu’il y a encore des clients au guichet. Une cliente s’offusque de mon arrestation, c’est une vieille dame venue déposer des papiers à l’accueil : elle est sortie instantanément de la banque par la police. Une petite foule s’agglutine maintenant à l’extérieur, devant les vitrines, ayant assisté à des parties de la scène et essayant de comprendre ce qu’il se passe, ils sont rapidement refoulés par les policiers restés à l’extérieur, qui établissent un périmètre autour de l’agence.
Je refuse de donner mes images en évoquant la liberté de la presse. Je demande la permission d’appeler un avocat. Deux policiers me tancent : « On est pas dans un « James Bond », c’est pas l’Amérique. Ici, c’est nous les shérifs ». J’ai déjà l’instinct que la nuit va être longue, James Bond étant Britannique …
On me demande ma carte de presse. J’explique que je n’en ai pas le droit à cause de mon statut de gérant d’entreprise (une situation dénoncée par de nombreux syndicat de journalistes à commencer par le SPIIL et le SNJ), ce qui ne m’empêche pourtant aucunement de filmer au nom de ma société de production en mission pour un ou d’autres médias (c’était d’ailleurs le cas pour cette action). Je leur donne ma carte de visite. « Je peux aussi en imprimer une. […] Si tu n’as pas de carte de presse, tu n’es pas journaliste. ». C’est faux …
17h45 : On me notifie mon placement en garde à vue et on m’emmène directement à l’Hotel de Police, le commissariat central de Strasbourg. Entouré de policiers, je n’oppose pas de résistance, on ne me met pas les menottes.
18h00 : J’arrive dans un couloir d’attente au rez-de-chaussée de l’Hotel de Police, en face des bureaux des Officiers de Police Judiciaire (OPJ). J’attends ma notification d’entrée en garde à vue. Dans le couloir trône un plan de Cannabis récemment déraciné qui empeste assez fortement, ce qui rend hilare mon escorte.
J’ai toujours avec moi le sac contenant tout mon matériel professionnel (caméras, cartes mémoires, batteries, filtres, ect …). L’OPJ qui a procédé à mon arrestation sort du bureau, il me demande mon sac. Je refuse. Il me l’arrache brutalement des mains et s’enferme dans le bureau avec. Trois policiers m’empêchent physiquement d’entrer dans ce bureau, en me menaçant de me menotter à ma chaise.
J’en appelle à la liberté de la presse, je demande que l’on contacte d’abord un avocat avant de procéder à la saisie de mon matériel professionnel qui est censé être protégé par des conventions et par la Constitution Française ! C’est trop tard, ils ont saisi mon sac de force, tout simplement. Je respire profondément.
Il y avait là un officier en civil, visiblement un roublard de la police judiciaire (PJ) n’ayant rien à voir avec mon cas. Il a assisté à toute la scène et quitte les lieux en me jetant un regard assez évocateur : « quel merdier ! ». Des yeux grands ouverts de compassion et le front plissé de mépris, une forme de dégoût pour ce qu’il venait de voir. Quelque chose n’allait pas ici, et sentait bien plus fort que le plan de Cannabis.
18h30 : Je suis reçu par un officier de police judiciaire (OPJ) particulièrement laid (désolé), désagréable et pressé. Il me fait assoir et me demande de signer mon PV d’entrée en garde à vue pour « vol aggravé en réunion avec violence », qui comprend deux feuilles, dont l’une contient le numéro d’un de mes proches. Je lui demande d’abord ce que cela implique de refuser de signer ce PV. Il me répond : « ça ne change rien ».
Je lis néanmoins le PV de deux pages dans le but de le signer. Je fais alors remarquer à l’OPJ que celui-ci n’a pas correctement écrit le numéro de la personne de ma famille à contacter. Il rectifie sur l’ordinateur et imprime 8 feuilles, qu’il agrafe en un seul morceau et me demande de signer à nouveau. Ce n’est plus le même PV, je le vois immédiatement aux nombre de phrases écrites en gras sur la première page.
Je me mets à lire ce « nouveau PV » quatre fois plus épais, mais il me l’arrache des mains au bout de cinq seconde et déclare aux autres policiers présents dans la pièce : « OK les gars, il refuse de signer et il veut gagner du temps. Vous me le descendez au sous-sol. ». Je viens de passer moins de trois minutes dans ce bureau, c’était la dernière fenêtre donnant sur l’extérieur que je vais voir pendant les quinze prochaines heures.
Sans avoir le temps de broncher je suis déjà au sous-sol du bâtiment, à retirer ma ceinture, mes lacets, à me faire arracher mes bracelets aux ciseaux, avant de me faire confisquer mon téléphone alors qu’il s’agit aussi d’un matériel considéré comme professionnel pour un journaliste. Je suis à demi-rassuré car il est éteint, crypté, récemment réinstallé après une remise à zéro complète. Il ne contient aucune photo ni aucune information importante mise à part mes contacts. Et ils n’ont pas le mot de passe. Good luck boys.
Aux alentours de 18h30 : J’entre dans la cellule numéro 5. Ça sent l’urine à vomir. Il y a des flaques de projections d’excréments humains qui dégoulinent de la vitre en plexiglas qui me sépare du couloir. C’est un espace de 3m2 comprenant en guise de lit un tapis de sol type matelas de gymnase, sale. Tous les quartiers de la ville sont « représentés » sur les murs « Elsau, Neuhof, Meinau, Cronembourg … », il y a un drapeau de la Géorgie et un mec a du passer trois jours à retirer la peinture de la porte pour graver « PKK » avec ses ongles. On ne m’a pas toujours pas servi d’eau depuis mon interpellation, alors que j’en ai déjà demandé à trois reprises. J’observe ma nouvelle chambre d’« Hotel » de Police et je fais le tour de mon champ de vision à travers la vitre.
J’arrive au moment des repas, on me sert un plat de raviolis déjà ouvert. Je n’y toucherai pas. C’est de toute façon déjà une mauvaise idée de manger un produit pré-fabriqué et donc hypersalé alors que je suis en déshydratation : je n’ai aucune idée de quand je vais voir la couleur de mon premier verre d’eau. En 18h de garde à vue, je n’aurai droit au total qu’à 4x20cl d’eau dans un gobelet en plastique (dont un au moment de la rédaction de mon PV d’audition à 22h40). On est loin du litre quotidien minimum recommandé mais enfin, passons, ça donne moins envie d’aller aux toilettes (j’ai eu le droit de m’y rendre deux fois en 18h).
Un peu avant 19h00 : On me demande si je veux jeter ma nourriture non consommée. Je déclare que non, l’odeur des raviolis froids étant moins insupportable que celle de l’urine et des excréments, merci. C’est aussi l’heure de mon premier verre d’eau !
Aux alentours de 20h00 : L’ambiance s’électrise, c’est l’heure de pointe dans la « cave du comico » J’essaie de m’occuper, tentant de faire des profils psychologiques de gens que je peux apercevoir, qu’ils soient détenus ou gardiens, comme on me l’avait appris en cours de criminologie à l’université Rennes 2. On dirait un véritable zoo humain, avec ses cages, ses cris et des surveillants qui regardent certains détenus comme des bêtes.
Dans la cellule à ma gauche il y a un jeune homme d’une vingtaine d’année souffrant visiblement de troubles bi-polaires sévères. Il passera les prochaines heures à jongler entre se fracturer les mains, la tête et les pieds contre la porte de sa cellule, puis à pleurer en appellent sa mère et en se roulant par terre. De l’autre coté il y a un gamin de 15 ans deux fois plus petit que les policiers qui l’ont arrêté. Il a une coupe de cheveux en iroquois et n’hésite pas à la ramener, avec un accent alsacien prononcé, auprès de ses potes logés dans les « chambres » d’à coté.
Au loin une bande entière a due être interpellée car elle invective sans arrêt les policiers. Ça hurle, ça provoque, ça frappe dans les portes, les murs tremblent. Et on finit par s’habituer à l’odeur. Le vrai risque c’est de s’emmerder et de voir le temps s’allonger, car il n’y a aucune indication temporelle dans le sous-sol. Aucune montre. On est éclairé en permanence par un néon de couleur froide.
Entre 20h00 et 21h00 : C’est l’heure de la relève chez les officiers en charge des détenus de la GAV. On se salue, on plie ses affaires, on se passe les dossiers. Un détenu particulièrement bruyant n’arrête pas d’appeler une des policières « pute », et ce depuis de longues minutes. « Éh ! Pute ! Tu vas pas nous laisser maintenant !? Mais pute, part pas, revient ! ». Elle lui répond pour la première fois : « Ferme ta gueule. ». Les portes grondent dans tout le sous-sol. Un détenu interpelle « Éh, surveillant, je veux pisser ! ». Celui-ci ne lui prête pas attention. Les portes grondent à nouveau. « Éh pute ! Tu reviens demain, hein !? ».
20h40 : Je rencontre mon avocat commis d’office dans une pièce du sous-sol, nous avons 30 minutes et il n’a pas le droit de contacter qui que ce soit de ma part. Il chuchote. C’est un jeune mais il a tout de suite l’air très compétent et rodé à l’exercice de la GAV. Il commence par croire à la lecture du PV que je suis complice et me conseille de ne rien déclarer.
Puis il m’écoute et comprend rapidement que la situation est bien différente. Il me dit au contraire de répéter tout ce que je viens de lui dire à l’OPJ qui va me faire rédiger le PV de garde à vue, mais en essayant de le faire « d’une manière beaucoup plus cool, si possible ». Promis Maitre, vous avez raison, je vais me calmer.
Mais je ne dois pas m’attendre à sortir d’ici avant le terme de ma garde à vue. Retour dans la cage numéro 5.
Vers 21h00 : L’équipe de nuit se met en place. Elle procède à la fouille de tous les détenus présents et des cellules, en plus de nouveaux arrivants. Je dirai qu’en une quinzaine d’heures passées au sous-sol, j’ai vu entrer une vingtaine de personnes supplémentaires (certains ne restant que quelques heures). Surtout le vendredi soir et le samedi matin tôt. Deux détenus ont fait venir des traducteurs depuis leurs consulats ou de leurs ambassades (mais ils ne sont pas sorti pour autant).
On procède à la fouille de ma cellule et à une deuxième « palpation de sécurité » depuis mon arrivé au sous-sol. Il faut le préciser, désolé de vous décevoir, mais on ne m’a jamais mis un doigt dans le c… pendant la GAV. C’était une fouille poussée, comme vous pouvez en subir une dans un aéroport, sauf que vous avez les deux mains contre le mur.
Je n’ai jamais été frappé et les gars en charge de la surveillance de la GAV, ceux qui sont en contact avec les détenus, sont restés corrects. Ce n’était pas le cas de leurs chefs mais en ce qui me concerne la détention s’est passée sans violences physiques directes. Je n’ai pas constaté de violences physiques sur d’autres détenus non plus.
Vers 22h00 : J’ai le droit à la visite médicale. Le médecin me met rapidement torse nu et regardant mon dos, il touche un endroit précis et me répond : « qu’elle marque d’anti-douleurs vous prescrit-on ? ». Pas d’ambiguïté : j’ai besoin de ces médicaments car j’ai le dos explosé. Ils m’ont été prescrits vers 22h pour une prise censée être immédiate. Il faudra pourtant que je joue au détenu en frappant pendant 20 minutes sur mon plexiglas englué d’excréments, pour qu’on daigne me les apporter … trois heures plus tard, vers 1h00 du matin.
Je demande au médecin de constater que je n’ai aucune blessure visible sur le corps, dans le cas ou je subirai par la suite un interrogatoire plus « poussé ». Il m’explique qu’il n’en a pas les pouvoirs, mais il me souhaite bonne chance.
À 22h40 : C’est l’heure du procès verbal (PV) de garde à vue. On me monte à l’étage ou m’attend mon avocat commis d’office. Il n’a pas le droit de parler pendant l’audition, il peut simplement poser des questions à la fin. Mais il a le sourire et l’OPJ à l’air plutôt sympathique, il semble même un peu surpris de me voir là. Les deux ont discuté avant que j’arrive, cela se voit sur leurs visages. Je n’en ai alors aucune idée, mais les réseaux sociaux et les médias parlent déjà de mon arrestation et de mon placement en GAV.
Je raconte ce qu’il s’est passé. Je refuse de répondre à une seule question : « Pouvez-vous identifier, ou nous communiquer des informations sur les manifestants qui ont procédé à cette action ? ». L’OPJ est réglo et MERCI, il tape vite au clavier. Après la rédaction, il finit par plaisanter sur le contre-sommet de l’Otan en 2009 à Strasbourg : « Vous savez, moi je ne sors pas souvent des bureaux. Et à l’Otan, j’ai été déçu. C’était pas grand chose finalement ! ». J’ai failli étouffer. Ce contre-sommet est dans le top 3 des manifestations les plus chaudes que j’ai eu à couvrir en France ces dernières années. Mon avocat relance avec humour « Vous deviez vous attendre à tellement pire, qu’au final vous avez un peu déchanté sur la réalité des faits, non ? ».
Mon esprit est soudain obnubilé par la situation actuelle et toute la paranoïa qui se met en place autour de la COP21 et des blacks blocs. Finalement je comprends que les similitudes sont fortes entre le contre-sommet de l’Otan de Strasbourg en 2009 et la COP21, sur le plan du déploiement sécuritaire. Et que c’est sûrement de cette expérience que doit se servir la police pour mettre en place sa stratégie anti-émeute lors de la COP21. C’est aussi la première fois que je prends conscience de pourquoi je suis encore là, ici et maintenant.
Je retourne en cellule à 23h45.
2h30 : On me réveille brusquement en frappant à ma porte avec la clef métallique. « Prise d’empreintes ! ». C’est malin comme timing, je n’ai pas eu le temps de conclure un cycle de sommeil complet de 90 minutes, je suis donc défoncé par la fatigue et les médicaments. Manque de bol pour eux, le journalisme est un métier fatiguant, ça entraine bien.
L’officier prend ma taille, il réalise trois photos (de face, de profil et de demi-profil), puis il retourne à son ordinateur. J’en profite pour lui signaler que j’ai réalisé une prise d’empreintes complètes pour mon passeport biométrique il y a moins d’un an, et que ces choses là n’ont pas tendance à changer. Il ne me répond pas.
La clim est réglée à fond sur « froid » et elle me souffle dans l’arrière du cou. Je fais la remarque. « Elle est cassée. On a le même problème et ça nous fait chier aussi » dit l’officier. Sauf que la télécommande est sur la table et qu’on peut régler les lamelles de la soufflerie vers le haut manuellement. Finalement ce n’est pas si mal, le coup de fouet du froid me réveille un peu plus.
C’est alors qu’il sort deux cotons-tiges d’un kit stérile et là je dis : « Niet. C’est hors de question ! Je ne suis inculpé de rien et vous n’aurez pas mon ADN. ». Il est surpris mais s’arrête et range le kit. Il me déclare que je risque un an de prison et je ne sais plus combien de milliers d’euros d’amendes, mais surtout de rester en GAV pendant encore beaucoup plus longtemps. « C’est Niet. Non négociable. ». L’officier me ramène en cellule sans même prendre mes empreintes, ce qui m’a surpris. En fait, c’est bien mon ADN qu’il voulait.
Un peu avant 4h00 : Deuxième verre d’eau. J’essaie de dormir. Des gamins mineurs débarquent dans les cellules, amenés par la brigade canine. Ils se toisent en permanence. Ça repart en fanfare dans tout le sous-sol mais je parviens à me rendormir (j’ai eu des petits frères). On me propose une couverture sale mais je préfère avoir froid, merci.
Un officier de la brigade canine met sa caméra portative « Exavision » à recharger en USB sur l’unité centrale d’un PC qui est placé exactement de l’autre coté du couloir, en face de ma cellule. L’objectif est braqué sur moi et il permet de voir l’intégralité de l’intérieur de ma cellule. Cette caméra restera là jusqu’à ce que je quitte ma garde à vue (longue à recharger dites-donc !), sans jamais que je sache si elle était allumée, ou pas. Mais ne prenez pas un cameraman pour un imbécile.
Vers 6h45 du matin : On me réveille encore en frappant à la vitre. Cette fois c’est pour me demander mon mot de passe de téléphone. Je refuse fermement. L’officier me menace d’une prolongation de la garde à vue, mais repart énervé avec mon téléphone, qui reste verrouillé. Plus tard je découvrirai que c’est la seule fois ou il a été allumé de toute ma garde à vue. Je sais aussi que cinquante cinq mètres de distance et 8m de dénivelés séparent le bureau ou était stocké mon téléphone par l’OPJ, de ma cellule. Big brother is watching you, bro.
Pour information et à l’attention de nos lecteurs les plus inquiets. À l’exeption des images tournée ce jour là, les données de la société Taranis n’ont jamais été saisies dans cette affaire, ni même mises en danger. Il n’y a pas eu de perquisition, pas de brèche dans notre système de sauvegarde sécurisée puisqu’il n’est pas connecté à Internet, il n’y avait pas de données sensibles dans le téléphone, mon ordinateur n’était pas dans le sac, les cartes mémoires étaient vierges et effacées selon la plus haute mesure de sécurité connue : l’écriture de 9 passes de zero sur les anciennes données.
7h30 : Les détenus se réveillent, les petits déjeunés sont servis. 23 grammes de glucides répartis en deux fausses galettes bretonnes faites d’un peu de blé et de beaucoup d’adjuvants alimentaires en E, et d’une brique de 25cl de jus d’orange contenant 12 grammes de glucides dont 9 de sucres. Les galettes étant immangeables même en se forçant, je me contente de la moitié d’une et du jus de fruits. Ça fait déjà du bien. C’est aussi le dernier verre d’eau de ma garde à vue.
8h00 : On me redemande mon mot de passe de téléphone. Cette fois et perdant légèrement patience, je réponds en sifflotant la marseillaise. Les officiers repartent en levant les yeux au ciel. Je me rendors.
Vers 9h30 : On me sort de cellule et on me rend mes affaires. Me sachant libre, j’ose déclarer que tout cela est assez moche pour la liberté de la presse, déclarations qui excitent les détenus autour. On me répond : « vous referez vos lacets dehors ». Direction le bureau d’un nouvel officier de police judiciaire, dans lequel j’aperçois le sac contenant mon matériel.
On m’autorise à l’ouvrir pour récupérer mes batteries USB et mes cables, mais pas la caméra, ni le sac. J’en profite pour faire un « checkup » rapide de mon matériel (en essayant en vain de subtiliser la carte mémoire), et je remarque que l’écran est brisé. On me déclare que la caméra ne me sera pas rendue pour l’instant.
Je demande alors un PV ou n’importe quel papier écrit stipulant que la saisie de ce matériel a été opéré par l’OPJ, précisant donc dans quel cadre, vu que je ne suis pas poursuivi. Et je ne sais pas, un papier de sortie de GAV, peut-être ?!
La réponse est négative et on me jette carrément dehors de force, escorté manu-militari jusqu’à l’accueil de l’Hotel de Police. « Tu dégages maintenant ! ». J’ai reçu alors mon premier coup de pied aux fesses depuis l’école primaire.
À 9h50 : Je suis libre. Au chômage technique. Et je ne sais pas … révolté ?
Au delà de toute les autres considérations levées par ces faits, je n’ai qu’une seule obstination pour l’instant : « rendez-moi ma caméra, c’est du vol ».
Vous m’avez déjà privé de liberté et tenté de me faire collaborer de force, en vous jouant du droit, de la constitution, des conventions et de votre mission. Mais vous ne m’empêcherez pas de faire mon métier !
Après une action de militants contre une banque, la police arrête… un journaliste
Les militants d’ANV COP21 à la sortie du crédit agricole. Pas de chance, c’est le journaliste qui s’est fait prendre (Photo collectif ANV COP 21)
Un journaliste collaborateur de Rue89 Strasbourg, Gaspard Glanz, a été arrêté par la police et placé en garde à vue alors qu’il filmait l’action d’un collectif dénonçant l’évasion fiscale.
À l’approche de la conférence mondiale sur le climat COP 21, la police semble plus tendue qu’à l’accoutumée. En témoigne la mésaventure qui est arrivée à Gaspard Glanz, journaliste et collaborateur régulier de Rue89 Strasbourg. Il a été arrêté et placé en garde à vue pendant 18 heures alors qu’il était en train de réaliser un reportage sur une action « de désobéissance civile » du collectif Action non violente COP21, vendredi 6 novembre.
Cette opération nationale visait à voler des chaises dans les banques françaises pour dénoncer l’évasion fiscale des banques ou de leurs filiales. Ces pratiques « [nuisent] aux efforts engagés dans la lutte contre le changement climatique » dixit le collectif, à un mois de la conférence des nations unies sur le climat (COP 21) de Paris.
Une poignée de minutes
À Strasbourg, 14 militants se sont rendus à l’agence du Crédit agricole, place de l’Homme de Fer, en fin d’après-midi. Après une brève confrontation avec les employés à l’extérieur, les manifestants se sont emparés de plusieurs chaises. Ils ont brièvement fait une déclaration dessus leurs prises et devant les passants avant de se disperser à l’arrivée des forces de l’ordre. Ils n’ont finalement réussi qu’à conserver une seule chaise. D’après un participant, tout a duré une poignée de minutes.
Alors que Gaspard était en train de filmer la scène, des policiers se sont rabattus sur lui et l’ont emmené dans l’agence bancaire. Lors du contrôle d’identité, Gaspard Glanz a indiqué aux agents de police qu’il était journaliste. On lui demande sa carte de presse mais gérant d’une agence de presse, il n’en a pas puisqu’elle est réservée aux salariés. Un policier lui répond que s’il n’a pas de carte de presse, il n’est pas journaliste, ce qui est faux.
On lui demande alors de montrer les images qu’il avait commencé à enregistrer. Devant son refus, il est emmené à l’Hôtel de police et placé en garde à vue à 17h45 pour « vol en réunion ». Arrivé au commissariat, son sac contenant sa caméra lui est retiré. Après un procès verbal qu’il n’a pas le temps de lire, il est emmené vers 18h30 dans une cellule du sous-sol du commissariat.
18 heures de garde à vue… pour rien
Avisés par la police en tant qu’employeur, nous confirmons auprès d’un officier de permanence la profession de Gaspard Glanz et les raisons pour lesquelles il était présent au moment de l’action du collectif. Nous demandons dès cet instant sa libération mais on nous répond que « l’enquête suit son cours ».
La veille à Bordeaux, un militant a passé 7 heures en garde à vue après une action similaire à la Société générale. Gaspard Glanz sera finalement gardé à vue 18 heures dans les geôles de l’Hôtel de police pour n’être libéré que vers 8h samedi. Les policiers lui rendent son sac, mais refusent de lui restituer sa caméra. Il constate à cet instant que l’écran de contrôle est brisé. Aucune charge n’est retenu contre lui, aucun document justifiant la réquisition de son matériel ne lui est communiqué, malgré sa demande. Il n’aura eu accès à aucun avocat.
Au nom de Rue89 Strasbourg, nous dénonçons l’entêtement des policiers à aller jusqu’au bout de la procédure alors qu’il était clair dès les premières minutes que Gaspard Glanz n’était pas impliqué dans l’action visant l’agence du Crédit Agricole. Nous ne comprenons pas bien pourquoi il a été jugé utile de le priver de sa liberté, de le ficher et de lui faire subir toute la violence d’une garde à vue nocturne. Nous dénonçons également l’exploitation des images filmées par la police, ce qui nous semble être une violation du droit de la presse.
Sylvie* ne s’attendait pas à trouver la brigade anti-criminalité devant son domicile. Ce 5 novembre, à 11h, cette femme de 59 ans est arrêtée et placée sept heures en garde à vue. Motif : sa participation le matin même, avec 21 autres militants, à une réquisition de cinq chaises dans une agence de la Société générale de Bordeaux. Un braquage citoyen : cette action répond à un appel à la désobéissance civile, lancé par plusieurs personnalités, pour « en finir avec l’évasion fiscale » et dégager des financements publics « pour des politiques de transition écologique et social » [1].
L’objectif est de réquisitionner 196 chaises au sein des banques qui comptent des filiales dans les paradis fiscaux : une chaise pour chaque État et groupe d’États représentés au sein des négociations sur le climat lors de la COP21. Les chaises « réquisitionnées » serviront à organiser une action pour dénoncer l’immobilisme des États et mobiliser les citoyens sur le sujet. Pourquoi la Société générale est-elle visée en particulier ? Selon le Tax Justice Network, la banque française a « multiplié par trois le nombre de ses filiales situées dans des paradis fiscaux », détenant désormais 787 sociétés « offshore », rappellent les Amis de la Terre dans un communiqué (lire notre enquête : Évasion fiscale, fraudes et manipulations : découvrez le casier judiciaire de votre banque).
« Les moyens déployés pour des chaises sont ahurissants »
En réaction à la réquisition de ses chaises, l’agence bordelaise a déposé plainte pour « vol en réunion », indiquent les policiers de la Bac à Sylvie au moment de son arrestation. Elle est la seule militante interpellée à l’issue de l’action, réalisée une heure plus tôt à visage découvert. Propriétaire de la camionnette dans lequel ont été placées les cinq chaises, elle a probablement été identifiée par sa plaque d’immatriculation. « La seule question qui préoccupait la police, c’était qu’elle puisse donner l’identité des gens ayant procédé à la réquisition des chaises », indique un proche, contacté par Basta !. « Elle a rappelé qu’elle agissait dans le cadre d’une action civique et citoyenne et n’a pas donné les noms. Ils sont revenus à plusieurs reprises pendant la garde à vue lui poser la même question. »
Une perquisition de son domicile, en présence de Sylvie, a lieu l’après-midi en vue de vérifier si les chaises sont chez elle. Aucune ne s’y trouve. Sylvie est finalement libérée à 18h sans poursuite immédiate. La police annonce continuer l’enquête pour identifier les mystérieux participants à l’action et retrouver le précieux butin... « Les moyens déployés suite à cette réquisition de chaises sont ahurissants », déplore son entourage. « On aimerait une réaction aussi incisive pour lutter contre l’évasion fiscale. » En France, la fraude fiscale représente un manque à gagner pour les fonds publics de 60 à 80 milliards d’euros, et atteindrait 2000 milliards d’euros au niveau européen.
Vingt réquisitions similaires de chaises ont été menées dans des agences de BNP ou de HSBC, pour un butin de 109 chaises. Avec un message : « L’argent pour le climat existe, il est dans les paradis fiscaux ». Les dangereux braqueurs à visage découvert de ces précédents hold-up ont été convoqués à demultiples reprises au commissariat, en particulier les militants de l’association Bizi !, à Bayonne, suite à une réquisition au sein d’une agence HSBC. « On attend de voir quand la police mettra les mêmes moyens pour lutter contre les banques qui organisent l’évasion fiscale et qui privent les finances publiques de milliards d’euros. On voit qu’il y a deux poids deux mesures selon qu’on réquisitionne des chaises à visage découvert, où qu’on vole des milliards », s’insurge Jon Palais, porte-parole d’Action non-violente COP21.
[Mise à jour le 6 novembre à 12h30] Deux nouvelles actions des faucheurs de chaises ont eu lieu ce matin, l’une à Marseille et l’autre à Nancy, portant le compteur à 132 chaises sur les 196 visées.