(De Berlin) Dimanche 10 janvier, la police de Cologne a indiqué en fin d’après-midi qu’elle avait enregistré plus de 516 plaintes liées aux incidents qui ont eu lieu lors de la nuit du réveillon. Environ 40% des plaintes visent des infractions d’ordre sexuel.
En réaction à ces violences de masse dans diverses villes allemandes, la chancelière Angela Merkel a plaidé, samedi 9 janvier, pour un durcissement des règles d’expulsion des demandeurs d’asile et du droit pénal en matière sexuelle.
La police a ajouté ce week-end que les suspects étaient « majoritairement des personnes originaires d’Afrique du Nord », des « demandeurs d’asile ou des personnes, qui se trouvent en Allemagne en situation illégale ». Un groupe de personnes assez vague, mais dont la définition laisse croire à certains qu’il s’agirait de migrants majoritairement syriens arrivés cette année, malgré l’absence de preuves concrètes.
Soupçon médiatique infondé
Comme après les attentats de novembre, j’ai contacté Monis Bukhari, le modérateur du groupe Facebook La Maison syrienne en Allemagne, pour connaître le ressenti des réfugiés syriens face aux violences qui ont eu lieu.
Au téléphone, Monis Bukhari me raconte d’abord que les réfugiés syriens se sont rendu compte des incidents du Nouvel An en même temps que tout le monde lorsqu’ils ont lu ou vu les informations dans les médias arabes ou grâce à la version arabe de la Deutsche Welle :
« Les Syriens ont eu très peur et ils sont encore choqués car la majorité des médias ont mentionné les migrants et les Syriens dans les premières informations. Les Syriens eux-mêmes ont commencé à croire que des Syriens étaient impliqués alors que la police n’avait rien dit dans ce sens. Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a toujours pas de preuve. »
Jeudi 7 janvier, Die Welt titrait « la majorité étaient des demandeurs d’asile fraîchement arrivés » et rapportait les propos des policiers qui disaient avoir contrôlé en majorité des Syriens.
Ni une, ni deux, certains twittos français ont fait le lien entre « contrôle d’identité » et culpabilité de viols à Cologne, y compris des journalistes (bon, rien de très étonnant de la part de Valeurs actuelles).
Un complot de Pegida ou d’Assad ?
Comme dans la foulée des attentats du 13 Novembre, avec l’affaire du passeport syrien indestructible, ces premières informations ont semé la confusion et participé à l’élaboration de théories complotistes. Monis Bukhari ajoute :
« Cette nuit-là, à cause du passeport syrien qui avait été retrouvé, beaucoup ont pensé qu’il s’agissait d’un complot pour faire du mal aux Syriens. Aujourd’hui, c’est pareil. Les Syriens se demandent si [le mouvement allemand d’extrême droite, ndlr] Pegida ou le régime de Bachar el-Assad ne sont pas derrière tout ça. »
Les soupçons sur le régime syrien sont dus au fait, selon lui, que « l’agence russe RT a été la première à sortir cette information en disant que 1 000 migrants étaient à l’origine de ces crimes ». Effectivement, la chaîne russe n’a pas hésité à faire le raccourci entre les 1 000 personnes alcoolisées qui jetaient dangereusement des pétards devant la gare de Cologne et les suspects de type arabe ou nord-africain qui ont commis des agressions, tels qu’ils sont cités dans les communiqués de la police.
Nouvel an à Cologne : un millier de migrants agressent sexuellement des femmes https://francais.rt.com/international/13232-allemagne-millier-migrants-agressent-sexuellement-femmes-nouvel-an …
Les Syriens accusent les Maghrébins
Parmi les nombreux commentaires postés sur le groupe Facebook, beaucoup nient que des Syriens aient pu participer à ces violences. Le modérateur rapporte les témoignages de compatriotes présents ce soir-là devant la cathédrale de Cologne et qui accusent les Arabes originaires du Maghreb :
« Sur le groupe Facebook, des Syriens qui étaient à Cologne ce soir-là racontent qu’ils ont vu des gens du Nord-Ouest de l’Afrique boire de l’alcool, commettre des vols et entourer les femmes pour les agresser. Le problème c’est que nous les Syriens, on ne sait pas faire la différence entre un Marocain ou un Tunisien. Mais certains ont reconnu les gangs qui ont fait ça. »
Dimanche 10 janvier, la police de Cologne a indiqué qu’elle avait arrêté un homme de 19 ans de nationalité marocaine, qui serait coupable du vol d’un téléphone portable appartenant à une femme de 23 ans. La veille, la police avait également arrêté un suspect marocain en possession de lettres sur lesquelles étaient maladroitement traduites des « phrases de drague » telles que « gros seins », « je veux fucker » et d’autres mots crus.
Comment dire son soutien ?
Les incidents du Nouvel An, tout comme les attentats de novembre, participent à la stigmatisation des réfugiés en Allemagne, selon Monis. Ces événements ont d’ailleurs déjà des conséquences sur la vie de certains Syriens et sur le regard que leur portent les Allemands. Il me rapporte l’histoire d’une Syrienne, qui avait l’habitude de prendre le café tous les jours avec ses voisins et qui ont cessé de la voir depuis la nouvelle année.
Sur le groupe des Syriens en Allemagne, plusieurs manifestations de soutien ont été organisées, même si l’adhésion n’est pas totale, comme l’explique Monis Bukhari :
« Certains Syriens ont décidé d’organiser des manifestations de soutien pour s’excuser auprès des Allemands, même s’ils ne sont pas convaincus que des Syriens aient pris part au chaos dans les villes allemandes. D’autres, comme moi, pensent qu’il ne faut pas s’excuser pour quelque chose que nous n’avons pas fait, mais nous devons soutenir toutes les manifestations qui dénoncent ces agressions. »
Cette mobilisation a aussi lieu sur les réseaux sociaux, où des hommes et des femmes postent des photos d’eux-mêmes tenant une pancarte dénonçant le sexisme en arabe et en allemand, via le hashtag en allemand #SyrerGegenSexismus (#LesSyriensContreLeSexisme).
De manière plus surprenante, Monis Bukhari a décidé de détourner le hashtag #Rapefugee (#RéfugiéVioleur), utilisé par des militants d’extrême droite sur les réseaux sociaux pour désigner les « réfugiés violeurs » du réveillon :
« Je suis un Syrien réfugié en Allemagne et j’ai honte des viols. Je demande aux autorités de condamner ces violeurs à la plus grande peine #Rapefugee. »
I'm Syrian refugee in Germany and I'm ashamed of rape, I ask the authorities to treat those rapists for the maximum punishment #Rapefugee
Il nous explique sa démarche :
« Le hashtag #Rapefugee a été lancé par l’extrême droite. Comme ça ne servait à rien que je réponde à ces personnes, qui m’auraient forcément attaqué sur Internet, j’ai décidé d’utiliser leur hashtag en publiant mon message et j’ai encouragé les Syriens à faire pareil en postant des messages en allemand et en anglais. »
Des commentaires haineux
Après la médiatisation des incidents de Cologne, de nombreuses personnes n’ont pas hésité à demander des comptes sur Facebook aux organismes qui viennent en aide aux réfugiés. Le plus souvent ces remarques sont publiées dans les commentaires.
Jointe par messagerie Facebook, la plateforme Flüchtlinge Wilkommen (Bienvenue aux réfugiés), qui met en relation des réfugiés avec des personnes prêtes à les héberger, raconte :
« Comme vous pouvez le voir, les gens parlent des événements constamment dans les commentaires, quel que soit le sujet du post. Nous supprimons les commentaires inappropriés, c’est-à-dire les contenus insultants, menaçants ou qui font l’apologie de la violence. Tout le reste est conservé mais nous ne leur répondons pas. »
Même constat chez l’ONG Flüchtlinge helfen (Aide aux réfugiés), qui reçoit également de nombreux commentaires haineux, qu’elle supprime à chaque fois. Une tâche qui prend du temps et dont elle se passerait bien :
« Nous sommes avant tout une page qui s’occupe des réfugiés et qui se concentre sur cette mission. Nous ne sommes pas une page de débat. Nous avons clairement pris position : ces incidents sont inacceptables et devront être poursuivis devant la justice. Mais il y a trop d’émotion en ce moment et nous ne voulons pas y prendre part. »
Si ces associations ont décidé de modérer en silence, la page Facebook officielle de l’Office fédéral pour la migration et les réfugiés a décidé de répondre aux commentaires à l’aide de ce message standardisé et prudent :
« Salut [...], les évènement de Cologne sont graves. L’enquête de police sur les incidents est toujours en cours – on ne sait toujours pas si des réfugiés se trouvent parmi les délinquants. La police et la ville de Cologne vont certainement prendre les mesures nécessaires, pour protéger la population. Lors de la procédure de demande d’asile, la reconnaissance en tant que réfugié est exclue si le demandeur d’asile est considéré pour des raisons graves comme un danger pour la sécurité de la République fédérale d’Allemagne ou pour la société, parce qu’il a été condamné à une peine d’emprisonnement d’au moins trois ans pour une infraction criminelle ou pour une infraction particulièrement grave. »
La vidéo pédago de youtubeuses
Ce week-end de nombreuses associations ont également décidé de partager la dernière vidéo YouTube du duo germano-syrien Deutschland für Anfänger (L’Allemagne pour les débutants). Isabella Müller-Reinhardt et Abir Alhaffar y rappellent gravement, en alternant en allemand et en arabe, que des femmes ont été agressées dans de nombreuses villes d’Allemagne la nuit du réveillon.
Elles invitent les témoins de ces scènes à aider les policiers avant d’insister sur le droit des femmes en Allemagne :
« Une valeur importante en Allemagne est qu’ici les femmes ont les mêmes droits que les hommes. Les femmes mais aussi les petites filles doivent être traitées avec respect, quelle que soit leur nationalité ou leur religion. »
Source : http://rue89.nouvelobs.com