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14 mars 2016 1 14 /03 /mars /2016 16:35

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

Ce que disent les insurgés du hashtag
14 mars 2016 | Par christian salmon
 
 
 

Le succès de la pétition « Loi Travail : non, merci ! » et l’explosion du hashtag #OnVautMieuxQueCa dépassent l’enjeu du débat sur la réforme du code du travail. Loin des conservatismes, les insurgés du hashtag éclairent une vérité masquée : le travail est une planète où l'on se fait trop souvent humilier.

« Un million de signatures sur Internet, une manifestation partie de la base, des mouvements citoyens qui se créent un peu partout… C'est multiple, multiforme, inclassable », analysait à chaud la députée écologiste Isabelle Attard, présente à la manifestation du 9 mars. Inclassable, insaisissable, débordant de toutes parts la routine des revendications catégorielles, les prévisions de la police et les évaluations blasées des JT au soir des manifestations, la marguerite de la protestation contre la loi sur le travail a fini par éclore au moment où l'on ne l’attendait plus, passé le dernier virage du quinquennat, dans ce suspens des agendas politiques qui précède sous la Ve République le lâcher des ambitions présidentielles.

Les états-majors politiques toujours prêts à parier sur la peur du chômage, la précarité des emplois, la division des syndicats pour gagner la paix civile, n’en sont pas revenus : c’était le premier mouvement social contre un gouvernement socialiste. Manuel Valls s’efforça comme à son habitude de refiler le mistigri de l’archaïsme aux opposants au projet de loi. Il décrivit le conflit, sans craindre la caricature, non pas comme une opposition entre deux conceptions du droit du travail, mais carrément comme un combat entre le XIXe et le XXIe siècles, ignorant qu’aucune loi globale du travail n’existait au XIXe siècle et que le droit du travail s’est constitué au fil des luttes du mouvement ouvrier pendant tout le XXe siècle, du Conseil national de la Résistance jusqu’à la loi sur les 35 heures.

 

Place de la Nation, mercredi 9 mars 2016 © Rachida EL Azzouzi Place de la Nation, mercredi 9 mars 2016 © Rachida EL Azzouzi

 

Quant aux mutations du travail au XXIe siècle, le projet de loi n’en dit quasiment rien. Rien sur les nouvelles trajectoires du travail et de l’emploi à l’heure du numérique, rien sur la robotisation ou les dérives du statut d’auto-entrepreneur. Depuis janvier 2016, le gouvernement avait pourtant dans ses tiroirs un rapport du Conseil national du numérique sur les nouvelles trajectoires d’emploi ouvertes par la révolution du numérique.

Nicolas Colin, l’un des experts français de l’économie numérique, proche d’Emmanuel Macron, déplora dans un article que le projet de loi ne s’intéresse pas plus aux mutations du travail engendrées par la mondialisation, les logiciels, les robots, la commutation... et qu’il ne dise presque rien d’enjeux aussi importants que les nouvelles formes de travail non salarié, le marché immobilier, et le rôle des start-up dans la création de valeur. Cet expert concluait que loin d’ouvrir la voie à un code du travail du XXIe siècle, ce projet de loi s’inscrivait dans la logique d’un règlement de comptes imposé par le patronat et propre à la vieille économie fordiste (son article, en anglais : Behind French Labor Reform, A Clash of Modernizers).

  • Frank Underwood et le Baron noir

Incapable d’engager une réflexion sérieuse et un dialogue avec la société, le gouvernement a fait la preuve de son incapacité à faire vivre la démocratie à l'ère des réseaux sociaux. Bousculé par le succès de la pétition « Loi Travail : non, merci ! » et l’explosion virale du hashtag #OnVautMieuxQueCA, le service d'information du gouvernement (SIG) créa un compte Twitter pour défendre le projet de loi.

Son premier tweet rédigé dans le style des petites annonces des sites de rencontre, loin d’apaiser la colère des opposants à la loi, déchaîna les rires et les sarcasmes : « Bonjour Twitter, je suis le projet de #LoiTravail. On parle beaucoup de moi mais on me connaît mal. Et si on faisait connaissance? » « Sur ce compte, je vous dis tout ! », enchaînaient, aguicheurs, les community managers de Matignon là où il aurait été si simple d’ouvrir un espace de dialogue et d’écoute. C’était rajouter l’infantilisation à l’humiliation.

Pierre Gattaz, le président du Medef, se chargea d’achever la campagne de Matignon en se félicitant de la création de ce compte qui renvoyait vers le « vrai » projet de loi #AlireATêteReposée. C’est ce qu’on appelle en matière de performance numérique un « epic fail ! », un échec retentissant. Loin d’éclaircir les termes du débat, le gouvernement s’embourba dans des oxymorons dignes de Orwell, affirmant que faciliter les licenciements, c'était bon pour l'emploi.

À bout d’arguments, on envoya au charbon Malek Boutih, le Frank Underwood du valssisme, faire vertu de son cynisme et se vanter de ses états de service passés en matière de manipulation : « Je sais très bien comment des politiques peuvent essayer d’instrumentaliser la jeunesse pour des débats internes. » Les « barons noirs » du PS, habitués à tirer les marrons du feu de tous les mouvements de contestation depuis 1981, en furent pour leurs frais : cette fois, le mouvement leur échappait. Ils n’en comprenaient ni la croissance exponentielle, ni les formes d’expression, ni le ressort puissant qui crevait pourtant les écrans : la dignité !

Les experts se frottaient les yeux devant ce mouvement sans leader et sans précédent, né sur Internet d’une poignée de YouTubers et d’une énième pétition, autant dire de la dernière pluie. Mais voilà : plus d’un million de signatures en quelques jours pour la pétition « Loi Travail : non, merci ! », cela fait réfléchir. On s’en remit aux métaphores éculées, aux analogies historiques (le CPE), aux habituels calculs (le calendrier des vacances)… Mais le mal était fait.

« La révolte sur les réseaux sociaux a révélé la fragilité du pouvoir », affirme Elliot Lepers, le co-initiateur de la pétition « Loi Travail : non, merci ! » avec Caroline De Haas qui, elle, souligne le caractère irréversible de la rupture avec ce gouvernement : « Ils sont allés tellement loin dans le mépris qu’ils ont franchi le seuil de l’intolérable. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de toutes les frustrations accumulées depuis le pacte de responsabilité, la loi sur l’état d’urgence, la déchéance de nationalité. »

Loin du syndicalisme de revendication, une politique acoustique

Tout est parti d’une discussion entre YouTubers, partageant un souci commun de se réapproprier le débat politique, en s’efforçant de donner du sens, de contextualiser les débats d’actualité, d’ouvrir de nouveaux espaces de discussion. L’idée était de libérer la parole, de déborder le strict agenda politicien pour engager la conversation sur Internet. Il y a Usul, ex-chroniqueur de jeux vidéo qui offre des monographies de figures intellectuelles ou de concepts, Histony, qui propose des « réflexions critiques pour comprendre pourquoi l'histoire se raconte de la façon dont on la raconte ». Depuis octobre, « Le fil d’actu » s’est lancé dans un travail d’analyse de l’actualité ainsi que « Osons causer », la chaîne YouTube qui parle politique, sociologie, économie et philosophie (notre article ici).

« Le pari, c'est toujours de rendre contagieuse une conversation à travers des cercles concentriques », analyse Ludo, l’un des trois animateurs d’Osons causer. Au départ nous nous sommes rencontrés pour créer un espace de résonance entre nos différentes chaînes. La loi travail est arrivée dans cette discussion comme une invitation : une invitation à témoigner, à raconter, à débattre sur les conditions de travail. Au cours de la discussion, l’un d’entre nous qui était en train d’énumérer la longue liste des humiliations au travail, la précarité, le harcèlement, le burnout, les heures sup' non payées, les maladies professionnelles, les accidents du travail, a répété à deux ou trois reprises : “On vaut mieux que ça !”. »

« En bon lecteur de Lacan, explique Ludo, il m’a semblé que ce hashtag résonnait bien : qui est “on” ? Le “on” ouvre un horizon, c’est un espace ouvert de projection. Le “ça”, c’est l’univers des pulsions dans lequel la société veut nous maintenir et nous ramener. C’est un espace où l’on a peur du chômage, de la crise bien sûr, mais aussi de l’autre : le patron a peur du banquier qui doit lui faire crédit, le manager du patron, le chef d’équipe du contremaître, et le salarié du contremaître. C’est une pyramide de peurs et d’humiliations… »

 

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Le hashtag : #OnVautMieuxQueCA se classait dès le premier soir au vingtième rang au niveau mondial, du jamais vu pour un hashtag français. Loin d’assener des mots d’ordre à coups de mégaphone, il libérait la parole de milliers d’internautes, plus de 200 000 tweets échangés qui dressaient un tableau effarant de la souffrance au travail. Un cri du cœur qui s’est répandu comme un virus. Une parole multiforme, alternant textes, enregistrements audio et vidéo, mêlant récits de la vie au travail, manifestes, protestations, mais aussi espoirs, savoirs acquis au travail. Un montage rap oscillant entre ironie et colère, espoir et désirs, un cahier de doléances géant : cela déborda dans la rue le 9 mars par centaines de milliers de manifestants, au nez et à la barbe d’un état d’urgence soudain suspendu.

La boucle du soi-disant « virtuel » et du prétendu « réel » était bouclée, coupant l’herbe sous les pieds de la docte ignorance médiatique qui commençait déjà à s’éclaircir la voix en s’essayant à des distinguos entre le clic et le vote, le numérique et le réel, la spontanéité et l’organisation.

 

  • Le soulèvement de la vie

C’est à cette capacité de « débordement » (contrairement aux expressions toutes faites des médias sur les violences de fin de manifestation) qu’on mesure la richesse d’un mouvement social et pas seulement au nombre de ses manifestants. À sa capacité de surprendre, de sortir du lit des négociations salariales, de déborder le cadre institutionnel, réglementaire ou intellectuel dans lequel on a l’habitude de penser les luttes, les formes d’organisation.

L’histoire du mouvement social n’est rien d’autre que ce débordement, cet écartement, ce soulèvement de la vie par lequel une société se rend visible à elle-même, dialogue avec elle-même, sort de l’ombre et de la nuit une partie d’elle-même. C’est la différence entre des lobbies qui défendent des intérêts catégoriels et négocient dans l’ombre, de manière occulte, et un mouvement social qui rend visibles non seulement ses acteurs, mais leurs expériences concrètes, leurs formes de lutte et de vie. De la grève des mineurs de Clairvaux aux manifestations de Mai-68, des occupations d’usine de 1936 à celles des places publiques de Madrid, New York, Athènes… sans oublier le printemps arabe de 2011, c’est l’histoire des luttes et des formes d’organisation qu’elles engendrent.

Cette histoire, tout autant que l’histoire de l’art, retrace les transformations du rapport au temps et à l’espace induites par les révolutions industrielles, économiques, technologiques, écologiques, mais qui sont aussi des enjeux de lutte et d’appropriation. Marches. Sit-in. Occupations des terres, des usines, des places publiques. Occupation des lieux de vie et de travail. Contrôle et réappropriation du temps : débrayage, ralentissement des cadences, grève perlée ou totale. Défendre un autre rapport au temps et à l’espace, c’est le propre d’un mouvement social.

C’est en établissant les coordonnées spatio-temporelles du mode de production capitaliste au XIXe siècle – la manufacture et la journée de travail – que Marx peut tout à la fois mettre à jour la logique de l’accumulation capitaliste et délimiter l’enjeu et le champ des luttes à venir pour le salariat. Les syndicats se sont approprié les règles du nouveau salariat en imposant des règles de négociation collective, en formalisant le contrat de travail, en pesant de toutes leurs luttes sur la valeur de la force de travail. Marx avait compris que le salariat, qui ne représentait alors guère plus que 10 % des travailleurs, allait devenir la forme majoritaire de travail aux dépens de l’artisanat et de la paysannerie. Loin de prôner un retour en arrière, il s’appuyait sur ce mode de production pour dégager les enjeux de la lutte de ce nouveau salariat : le prix et les conditions de travail.

Depuis le début des années 1980, de nombreuses études ont analysé la crise des grandes organisations bureaucratiques et hiérarchisées et l’effondrement du modèle fordiste lié au capitalisme industriel de l’après-guerre, au profit d’un nouveau modèle d’entreprises décentralisées et flexibles, structurées en réseaux et centrées sur leur cœur de métier. Soit une organisation constituée d’agents autonomes, capables de prendre des décisions et de s’adapter à un environnement incertain. La nouvelle entreprise est souvent comparée à une agence de projets, à l’instar des productions d’Hollywood, impliquant un mode de coopération limité dans le temps et dans l’espace, marqué par la logique performative des coups (que le marketing appelle « expériences ») et qui exclut la série, le statut, la carrière.

Les mythes du néolibéralisme

L’explosion des nouvelles formes de travail indépendant, la précarisation des emplois, la robotisation et les nouvelles trajectoires du travail numérique ont détruit la communauté de travail. Elle entraîne des transformations du rapport au travail bien pires que le bouleversement qu’avait entraîné l’enrôlement de la paysannerie dans la manufacture au moment de la révolution industrielle. Les carrières qui se développaient dans la même entreprise vont disparaître : on parle désormais de « post-corporate career ».

Selon Richard Sennett, la culture du nouveau capitalisme avait besoin d’« un nouveau moi, axé sur le court terme, focalisé sur le potentiel, abandonnant l’expérience passée ». Quelles valeurs et quelles pratiques peuvent souder les gens, se demandait Richard Sennett, quand les institutions dans lesquelles ils vivent se fragmentent ? Comment gérer les relations à court terme tout en migrant sans cesse d’une tâche à l’autre ? Comment acquérir les nouvelles compétences ? Car la plupart des gens ne sont pas ainsi, soulignait Richard Sennett : « Ils s’enorgueillissent de bien faire quelque chose de précis, et ils prisent les expériences qu’ils ont vécues. » Et surtout : « Ils ont besoin d’un récit de vie durable. »

 

Proposition d'affiche sur le hashtag #OnVautMieuxQueCa Proposition d'affiche sur le hashtag #OnVautMieuxQueCa

 

La révolution néolibérale va sonner le glas de toutes les mobilisations, qu’elles soient protestataires ou au contraire productives. « L’appréhension professionnelle a tout envahi, écrivait en 1996 un collaborateur du New York Times. Elle dilue l’estime de soi, fait éclater les familles, fragmente les communautés et modifie la chimie des lieux de travail. »

Si le besoin d’un récit de vie durable ne peut plus être satisfait, cela appelle donc l’adhésion à des récits nouveaux, susceptibles d’héroïser un moi flexible, libéré du temps long, ouvert à toutes les métamorphoses. Ce que le sociologue Zygmunt Bauman thématisera en 2000 avec le concept de « modernité liquide » : la vertu ne pouvait « plus résider dans la conformité aux règles – qui de toutes façons sont rares et contradictoires –, mais dans la flexibilité : l’aptitude à changer rapidement de tactiques et de style, à abandonner sans regret ses engagements et ses loyautés, à profiter des occasions dans l’ordre de ses préférences personnelles ».

Le défi dès lors n’est plus de « rester soi-même » dans un environnement changeant, mais de changer sans cesse et de s’adapter aux circonstances fluctuantes de la vie. Une obligation susceptible d’être acceptée comme une nécessité économique à condition d’apparaître aussi comme un fait culturel, une nouvelle mode ou un roman.

« Tout ce que l’on peut savoir du capital humain, écrit le philosophe Michel Feher, c’est qu’il cherche à s’apprécier, de sorte que sa vie peut être envisagée comme une stratégie visant à l’appréciation de soi ; que chacune de ses conduites et chaque événement qui l’affecte, dans n’importe quel registre existentiel, sont susceptibles de l’amener à s’apprécier ou à se déprécier ; qu’il est donc possible d’agir sur lui en lui proposant des conduites valorisantes et des modèles d’estimation de soi capables de modifier ses priorités et d’infléchir ses choix stratégiques. La condition néolibérale définit chaque individu comme un stock de compétences innées et acquises, prodiguées et conquises, actuelles et potentielles ou, mieux encore, comme un stock de compétences soucieux de s’apprécier, ou si on préfère de conjurer sa dépréciation. »

Au même moment, L’Oréal invente le slogan « Parce que je le vaux bien » – « Because I'm worth it » – traduit dans plus de quarante langues et qui deviendra la devise du sujet néolibéral. En 1999, Malcolm Gladwell affirmait dans un article du New Yorker : «“Parce que je le vaux bien” a pris un sens qui va bien au-delà de l’intention initiale. » Qui est ce sujet en effet qui prétend juger de sa valeur ? S’autoévaluer ? S’apprécier ? La formule mérite d’être qualifiée de performative au sens des théoriciens des actes de langage dans la mesure où si j’affirme « Parce que je le vaux bien », c’est que j’estime que cette proposition sera accréditée, reconnue et partagée par d’autres que moi, c’est-à-dire que s'instaure un cercle vertueux où l’estime de soi, la confiance en soi, le crédit que je me fais, d’autres vont me l’accorder et augmenter ainsi mon crédit. 

À la même époque, les conseillers du New Labour appellent à la « régénération culturelle » : un langage imprégné de religiosité et inspiré par les discours de Tony Blair, pour qui « l’art et la culture sont une source de régénération morale et spirituelle et le moyen de créer de meilleurs citoyens ». Ce discours devint la nouvelle utopie sociale, une mythologie qui puisait ses héros et ses dieux parmi les figures médiatiques de la mode et du show business, dont le succès prouvait que l’on pouvait s’en tirer, même en temps de crise, à condition d’avoir du talent. Dans le nouvel imaginaire travailliste, la « factory » d’Andy Warhol éclipsait l’« usine » de Karl Marx.

Ce glissement symbolique et sémantique allait imprégner à la fois l’analyse économique de la nouvelle équipe travailliste et sa stratégie politique. Le gourou de Tony Blair, l’économiste Charles Leadbeater, affectionnait particulièrement les métaphores cinématographiques. Selon lui, la production des entreprises obéissait aux mêmes lois que la production cinématographique : beaucoup de scénarios sont écrits, mais quelques-uns seulement aboutissent à un film ; un phénomène décrit comme une « hollywoodisation » du marché du travail. En pleine crise de récession, il invitait les jeunes Britanniques à devenir des entrepreneurs culturels « résilients », considérant la perte d’un emploi comme l’échec d’un scénario et s’empressant d’en écrire un autre qui trouverait son producteur.

La planète du discrédit

C’est cette mythologie que mettent à mal la campagne des YouTubers et le mouvement social qui est en train d’émerger. C'est une logique non pas de contestation mais de renversement et de surenchère. Au slogan de la révolution néolibérale, “Parce que je le vaux bien”, ils retournent le compliment en clamant comme le fait toute valeur boursière qui se respecte sur le marché des cotations : on vaut mieux que ça.

Loin des habituelles revendications syndicales, les insurgés du hashtag ne demandent rien, ils ne s’indignent même pas comme les Indignados de la Puerta del sol, à Madrid, ils affirment au contraire leur dignité inflexible. Une butée opposée au culte néolibéral de la performance. La dissémination virale du hashtag #OnVautMieuxQueÇa n’est pas un brillant coup de com' mais le renversement d'une idole, la mise à nu d'un idéal type : le sujet néolibéral, liquide, flexible, transformable.

 

On vaut mieux que ça © On vaut mieux que ça !

 

Loin des conservatismes stigmatisés par la presse néolibérale, ils ne réclament même pas le maintien de prétendus « avantages acquis » mais dénoncent l’archaïsme des conditions de travail et l’exploitation caricaturale des petits boulots. « Leurs récits, écrit Martine Orange (son article est ici), témoignent d’un monde du travail en miettes, d’une jungle sans loi, où règne une violence inouïe. Ils racontent leur vie en forme d’impasse, les mois de chômage rythmés par les visites à Pôle emploi, briseur d’espoir et d’énergie, les galères où s’enchaînent stages, CDD, intérim. Même en 140 caractères, ils parviennent à témoigner d'une réalité d’angoisse, parfois de désespoir, de ségrégation, une violence au travail inouïe, dont nous, journalistes, n’avons pas su donner la mesure jusque-là. »

Ce qu’a en commun cette génération, c’est un terrible apprentissage : le travail est une planète où on se fait humilier. Ils n’expriment aucune nostalgie pour un âge d’or fordiste, des statuts et un salariat que, pour la plupart, ils n’ont connu que sous la forme de CDD. Ils prennent simplement au mot le mythe néolibéral de l’auto-entrepreneur flexible pour le ramener sur terre, dans les conditions concrètes du travail précaire, là où règnent non pas la flexibilité mais la rigidité des contraintes d’horaires, non pas la mobilité mais l’arraisonnement dans le temps et dans l’espace, l’assignation au travail de nuit, la servitude des emplois précaires, l’exploitation des heures supplémentaires non payées, bref une liberté qui n’est que précarité.

En 1977, l’écrivain américain Don DeLillo imaginait dans son roman Joueurs une entreprise qu’il baptisa Grief Management Council. Son objet ? Le management de la douleur. Chez Grief Management régnait la flexibilité : « Le nombre d’employés variait, parfois radicalement, d’un mois à l’autre. Tout paraissait d’autant plus flottant que l’espace de travail était sans cesse modifié. Des ouvriers fermaient des secteurs par des cloisons, en ouvraient d’autres, emportaient des classeurs métalliques, apportaient des sièges et des bureaux. On aurait dit qu’ils avaient reçu l’ordre de régler la quantité de mobilier sur le niveau de souffrance nationale. »

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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13 mars 2016 7 13 /03 /mars /2016 17:57

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

 

"Merci patron !" censuré au "Parisien" : "La liberté de la presse est menacée"

 
 
 
 
Dans un communiqué, des syndicats de journalistes du "Parisien" dénoncent la "censure" dont a été victime selon eux le film "Merci patron !" de François Ruffin dans leurs pages. Pour le fondateur du journal "Fakir", ce nouvel épisode confirme bien que l'on a "essayé de passer le film à la trappe".
 
Bernard Arnault est le propriétaire des quotidiens "Le Parisien", "Aujourd'hui en France" et "Les Echos". DR/Sipa/montage Marianne
 
 
 

François Ruffin, journaliste et réalisateur du film Merci patron !, a vraiment bien choisi son titre. Car depuis la sortie en salle de cet Ovni cinématographique, les efforts déployés pour le censurer ont eu l'exact effet inverse. Lui garantissant au contraire un maximum de visibilité médiatique. Après l'annulation à la dernière minute de l'invitation du fondateur et rédacteur en chef du journal Fakir sur Europe 1 qui, face à l'émotion suscitée, l'avait finalement réinvité face à un Jean-Michel Aphatie remonté comme un coucou, des syndicats du journal Le Parisien ont publié ce mercredi un communiqué intitulé "Le film Merci patron ! censuré au Parisien".

Conjointement signé par le SNJ, FO, SNJ-CGT et la SDJ, le communiqué dénonce la décision "assumée" du directeur des rédactions, Stéphane Albouy, de ne pas parler du film : "Ordre a été donné aux confrères du service culture-spectacle qui avaient visionné le long métrage de ne pas le chroniquer, fût-ce en 10 lignes. De même a été repoussée plus tard une proposition de sujet du service politique sur le buzz suscité à gauche par le film sous prétexte qu’il s’agissait 'd’un sujet militant', 'et qu’il y avait d’autres sujets prioritaires ce jour-là'. L’argument est étonnant car s’il ne faut plus parler dans nos colonnes des actes militants, la rubrique politique a-t-elle encore une raison d’être ?". Plus qu'un cas de censure, les journalistes parlent "d'auto-censure" pour éviter, semble-t-il, de …Bernard Arnault. Le patron de LVMH est en effet au centre du film de François Ruffin. 

 

 

Selon les syndicats du Parisien, Stéphane Albouy aurait justifié sa décision par sa volonté de ne "pas, même en 10 lignes, faire la promotion d’un procédé déloyal, malhonnête qui a instrumentalisé les Klur", ce couple licencié par une filiale d'LVMH qu'accompagne Ruffin dans sa croisade contre Bernard Arnault. "Au final, le choix retenu est toxique : le silence pour lequel a opté le directeur de la rédaction est un message dangereux envoyé à l’actionnaire LVMH", conclut le communiqué

"Ils ne peuvent plus nier qu'ils ont essayé de passer mon film à la trappe"

"Je ne veux pas me poser en martyr des médias mais il y a un certain nombre de cas d'auto-censure dans la presse. Nous en avions l'intuition avant la sortie du film. Cela ne fait que les confirmer", analyse François Ruffin, contacté par Marianne. Et de saluer le "courage" des journalistes du Parisien d'avoir mis sur la place publique les agissements de leur directeur des rédactions. Pour le fondateur de Fakir, l'épisode d'Europe 1 suivi de ces nouvelles révélations démontrent bien que "la liberté de la presse est menacée par la détention de la propriété des moyens de production par ces grands capitalistes qui se connaissent, se côtoient… Ils ne peuvent plus nier qu'ils ont essayé de passer mon film à la trappe". Le réalisateur rapporte aussi cette anedocte au sujet d'un journaliste d'un média national qui, après avoir visionné Merci patron !, lui a confié que son film "donne envie de devenir bolchevique mais que malheureusement, il ne pourrait pas en parler au risque de faire perdre les budgets publicités à son journal".

Reste que si Ruffin remercie "chaleureusement" Largardère, Arnault & co "pour ce plan de communication" qui a permis à son film de faire le "buzz", il souhaite maintenant passer à une autre étape : "On parle beaucoup de 'Merci patron !' grâce à cette grossière censure dont il est victime. J'aimerais bien qu'on en parle sur le fond aussi, qu'il soit pris au sérieux comme un objet de débat. Ce film pose un certain nombre de questions, politiques, économiques ou sur la précarité". Des problématiques qui, fait-il remarquer, entrent en totale résonnance avec la loi El Khomri."Moi, par exemple, je suis disponible pour faire un débat avec Dominique Seux (Directeur délégué de la rédaction des Echos, également propriété de Bernard Arnault, ndlr) sur ce que soulève mon film".  L'invitation est lancée...

 

 

 

Source : http://www.marianne.net

 

 

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12 mars 2016 6 12 /03 /mars /2016 21:01

 

 

Source : http://fakirpresse.info

 

 

Nuit rouge : le 31 mars, on ne rentre pas chez nous !

par L’équipe de Fakir

 

On a besoin de vous

Le journal fakir est un journal papier, en vente dans tous les bons kiosques près de chez vous. Il ne peut réaliser des reportages que parce qu’il est acheté ou parce qu’on y est abonné !

Vous avez bien ri et applaudi à Merci patron ! Super. Mais ce film, c’est un élan, il est fait pour qu’on décolle nos derrières des fauteuils, pour qu’on se dresse avec espoir et colère.

Alors voilà : le mercredi 9 mars, on vous propose d’être dans les cortèges et de distribuer ce tract.
Pour préparer le jeudi 31 mars.
Et que, ce jour-là, au-delà de la manif, on essaie ensemble quelque chose.

Imprimez-le.
Diffusez-le dans votre ville.
Envoyez-nous des photos.

Sans vous, on ne peut rien. Avec vous, on peut beaucoup.
Et c’est pour ça qu’à la fin, c’est nous qu’on va gagner !

François Ruffin et toute l’équipe de Fakir.

PDF - 1.4 Mo
Nuit rouge : le tract

Le jeudi 31 mars : On ne rentre pas chez nous !

On a décidé ça, avec des nanas de la CGT et des gars de Solidaires, avec des intermittents et précaires, avec des lycéens et des étudiants, un collectif informel, mais avec quand même un millier de présents à la Bourse du travail :
le jeudi 31 mars, on participe à la manif nationale à Paris. Mais après le défilé, on ne rentre pas chez nous. On occupe une place, un lieu, on verra bien où. On fait une projection géante de Merci patron !, à rigoler tous en chœur. On se fait des concerts pour la bonne humeur. Et aussi, surtout : on cause. On essaie d’inventer un truc, un point de fixation des espoirs et des luttes.
Donc, vous prévoyez le sac de couchage et le bonnet !

 

Patrons malpolis : jamais un « Merci ! »

Quoi de neuf avec la loi El Khomri ? Rien : voilà trente ans que, d’un gouvernement à l’autre, ils répètent les mêmes recettes. Voilà trente ans qu’ils demandent aux salariés, et jamais au capital, de « s’adapter », de se « moderniser ». Voilà trente ans qu’ils flexibilisent, compétitivent, précarisent, tempartiellisent, allègefillonisent, ANIsent, CICEisent, etc. Avec quoi, pour résultat ? Un chômage toujours plus de masse. Et des patrons malpolis, qui ne disent jamais « merci » !
Au-delà de la dernière contre-réforme, c’est à toute cette histoire qu’il faut tourner la page.
 

La « gauche de droite », ça suffit.

 

Le samedi 12 mars : Merci patron !, la suite

Ce samedi 12 mars se tient à Amiens « le réveil des betteraves », avec la Compagnie Jolie Môme, l’Arrache fanfare, les Sapag, Frédéric Lordon (économiste) et Mickaël Wamen (délégué CGT de Goodyear).
François Ruffin (rédac’chef de Fakir) viendra y raconter la suite, pas montrée sur grand écran, de Merci patron ! : « Bernard, ses barbouzes et moi ».
Et ensemble, on viendra imaginer une suite à Merci patron ! : qu’est-ce qu’on peut faire ensemble, maintenant ?

Sans vous, on ne peut rien. Avec vous, on peut beaucoup.
Et c’est pour ça qu’à la fin, c’est nous qu’on va gagner !

Rouges et verts : tous ensemble !

Le Code du Travail et la pollution, les Goodyear et Notre-Dame-des-Landes, c’est un seul et même combat : contre l’oligarchie.
Comme on l’écrivait y a une paire d’années :

On le sait, désormais : ils iront jusqu’au bout. Ils raseront les forêts. Ils videront les mers des thons, des baleines, des sardines. Ils pressureront les roches. Ils feront fondre les pôles. Ils noirciront l’Alaska. Ils réchaufferont l’atmosphère jusqu’à ébullition. Ils nous vendront un air coté en Bourse. Ils affameront des continents. Ils sauveront les banques avec nos retraites. Ils solderont les routes, les îles, les jardins publics au plus offrant. Ils spéculeront sur nos maisons, notre santé, notre éducation. Ils mettront, à force de stress, la moitié des travailleurs sous antidépresseurs – et l’autre moitié au chômage. Ils lèveront des impôts sur nos égouts, nos chaussettes, notre haleine – plutôt que de toucher à leurs bénéfices. Le doute n’est plus permis : qu’on les laisse faire, et tout ça ils le feront. Voilà leur programme pour ne rien changer, ou si peu. Pour préserver leurs privilèges, leurs dividendes, leurs jets privés, leurs allers-retours en classes affaires. Pour se bâtir des ghettos sociaux, sécuritaires, climatiques – où les plus riches de nos enfants, les plus serviles, les plus laquais, seront admis en leur compagnie.

Mais les laissera-t-on faire ?

Depuis les cavernes…

Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France, a vu sa fortune augmenter de 9,27 milliards d’euros en 2015. C’est comme s’il gagnait 10 000 € par minute ! Les ouvrières de Poix-du-Nord (59), qui fabriquaient les costumes Kenzo, étaient payées au Smic, soit – environ – 20 000 € par an (avec les cotisations retraites, chômage, etc.). En une année de travail, elles touchaient l’équivalent de deux minutes de leur PDG ! Et il aurait fallu qu’elles cousent 463 500 ans pour accumuler autant que Bernard Arnault en douze mois. C’est-à-dire depuis l’âge du feu ! Depuis que l’ « homo erectus » a commencé à se redresser !
Ça paraît déjà hallucinant.
Mais le plus drôle, et le plus tragique, c’est que le salaire des ouvrières de Poix-du-Nord est trop élevé ! Leur usine a délocalisé en Pologne, et maintenant en Bulgarie !Et les médias, les économistes, nous le répètent tous les matins, sans humour, qu’en France « les salaires sont trop élevés » ! Nos salaires à nous, pas ceux des grands patrons...

 

 

 

Source : http://fakirpresse.info

 

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12 mars 2016 6 12 /03 /mars /2016 17:07

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

Brésil: l'«opération Kärcher» des juges sème la panique
11 mars 2016 | Par Lamia Oualalou
 
 
 
 
 

L'ancien président Lula pourrait bientôt dormir en prison, Dilma Rousseff est menacée de destitution, de grands patrons sont condamnés et l'économie est à genoux. Le Brésil vit au rythme de l'opération Lava Jato (Kärcher) lancée par le juge Sergio Moro en s'inspirant du précédent Mani pulite («Mains propres») en Italie. Tout un système liant politique et business s'effondre.

 

De notre correspondante à Rio de Janeiro (Brésil). – On ne dort plus à six heures du matin à Brasilia. C’est l’heure à laquelle la police fédérale lance ses opérations, et les politiques de tous bords s'attendent chaque jour à apprendre qu’un membre de leur famille politique a été touché. Quand il ne s’agit pas d’eux-mêmes. La dernière cible, la plus spectaculaire, fut l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva. Le 4 mars, la police a perquisitionné son domicile, l’Institut qui porte son nom et où il concentre ses activités depuis son départ du pouvoir fin 2010, et les résidences de son fils et de proches.

En tout, 200 policiers ont été mobilisés pour 44 mandats judiciaires. On reproche à Lula d’avoir reçu 30 millions de reais (7,2 millions d’euros) en dons et honoraires d’entreprises du bâtiment. Il aurait aussi bénéficié de la rénovation gratuite d’un appartement à Guaruja, une station balnéaire à proximité de Sao Paulo, ainsi que de celle d’une maison de campagne. Le tout financé par ces mêmes compagnies impliquées dans le scandale de corruption qui éclabousse la compagnie d’hydrocarbures Petrobras depuis deux ans.

C’est à Curitiba, une ville de province dans le sud du Brésil, que Sergio Moro, un juge spécialiste du blanchiment d’argent, a lancé cette investigation qui a pris depuis une dimension nationale. Il a prouvé que Petrobras était victime depuis des années de surfacturations au profit d’un cartel d’entreprises du bâtiment. En échange, ces dernières versaient des commissions allant de 1 % à 3 % des contrats à des cadres de Petrobras et à des dirigeants des partis de la coalition gouvernementale. Outre l’enrichissement personnel de certains, c’est surtout le financement illicite des campagnes électorales qui est en ligne de mire du magistrat. À commencer par celle qui a permis l’élection, en octobre 2014, de la présidente Dilma Rousseff.

L’enquête, baptisée « Lava Jato », littéralement « Kärcher » par une police fédérale toujours soucieuse du nom de ses opérations, a renversé la scène politique et économique brésilienne.

De hauts cadres du Parti des travailleurs (PT, la formation politique de Lula et de Dilma Rousseff) ont été appréhendés et déjà condamnés, dans un pays connu pour la lenteur de sa justice. C’est le cas du trésorier du parti, Joao Vaccari, qui a écopé de 15 ans de prison. Mais il y a plus important encore : la mise sous les verrous de patrons de grandes entreprises, les principales du pays. Au Brésil, ordinairement, les voleurs de shampoings font de la prison alors que les cols blancs y échappent. « On assiste à une véritable révolution de l’institution judiciaire et de la police fédérale », résume Stéphane Monclaire, politologue spécialiste du Brésil à l’université Sorbonne Paris-I. Il souligne la démocratisation progressive des deux corps : « Les juges et les commissaires d’aujourd’hui n’ont plus nécessairement le réflexe de classe qui les pousse à protéger l’élite », dit-il, de passage au Brésil.

 

Le juge Sergio Moro, lors de la présentation d'un ensemble de mesures de lutte contre l'impunité et pour l'efficacité de la justice, au siège de l'Association fédérale des juges du Brésil © Fabio Rodrigues Pozzebom / Agencia Brasil Le juge Sergio Moro, lors de la présentation d'un ensemble de mesures de lutte contre l'impunité et pour l'efficacité de la justice, au siège de l'Association fédérale des juges du Brésil © Fabio Rodrigues Pozzebom / Agencia Brasil

 

Plus indépendants, et, depuis les années Lula, dotés de plus de ressources tant financières qu’humaines, magistrats et policiers n’ont plus d’état d’âme. Ces dernières années, on a vu se multiplier les cassations de mandats au niveau municipal, preuve d’une moindre impunité des notables locaux. S’y ajoute la médiatisation de certains magistrats, et notamment du juge Sergio. Avec leurs manières de cow-boys, applaudies par la société, ils contraignent leurs collègues moins zélés à adopter une position plus offensive à l’égard des puissants.

Après avoir interpellé le banquier d’affaires André Esteves, l’un des hommes les plus riches du Brésil, Sergio Moro a ainsi condamné cette semaine Marcelo Odebrecht, l’héritier du géant du BTP homonyme, à 19 ans de prison. Certes, avec le régime de peines, ramenées au sixième au Brésil, il n’en passera que trois derrière les barreaux. Cela reste énorme pour une personne auparavant protégée par son statut. Le juge de Curitiba lui fait miroiter la possibilité de sortir plus vite. À condition qu’il parle. Qu’il le fasse ou non, la lourdeur de la peine a probablement déjà incité nombre de ses collègues au bavardage.

Car la délation est le principal instrument de cette instruction. Très peu utilisée au Brésil jusqu’à aujourd’hui, la pratique consistant à échanger des informations sur de gros poissons contre des remises de peine est très mal vue pas l’establishment local. Tant pis, estime Sergio Moro qui, pour en faire bon usage, multiplie jusqu’à l’absurde la prison préventive : plus d’une centaine d’occurrences dans l’affaire Lava Jato, et toujours de façon spectaculaire.

C’est que l’autre grand instrument de l’instruction est la presse. Sergio Moro a longuement étudié le cas de l’opération Mani pulite (« Mains propres ») qui, dans l’Italie des années 1990, était alimentée par les fuites organisées par le pouvoir judiciaire dans les médias afin de provoquer panique et aveux. Il revendique aujourd’hui cette stratégie qui dérange : lorsque la police débarque pour une perquisition, la presse est toujours sur place.

C’est d’ailleurs cette logique qui a inspiré le cirque entourant l’interrogatoire de Lula, qui a été emmené de force dans le commissariat de l’aéroport Congonhas, à Sao Paulo. Un épisode condamné par de nombreux magistrats, y compris de la Cour suprême : la loi brésilienne ne prévoit ce genre de pratique que lorsque le témoin refuse de coopérer. « Moro est clairement à la limite du droit, mais en bousculant Lula, il donne un coup d’accélérateur à Lava Jato, il fait comprendre à tous que personne n’est protégé, et espère ainsi faire parler plus vite les acteurs », commente Stéphane Monclaire.

L’image de la présidente reste intimement liée à celle de son prédécesseur

Pour Sergio Moro, la fin semble justifier les moyens. Et cela marche. Le Brésil vit aujourd’hui au rythme de dénonciations publiées par la presse avant même qu’on puisse en définir la sincérité, avec l’espoir d’en provoquer d’autres. La dernière en date est explosive. Elle viendrait – le conditionnel est de mise, puisque seule la presse en a pour l’heure la teneur – du sénateur Delcidio Amaral, issu du PT et ex-représentant du gouvernement au Sénat. Incarcéré deux mois avant de se voir autorisé à la prison domiciliaire, il aurait assuré que Lula comme Dilma Rousseff seraient à l’origine de la tentative d’obstruction de l’enquête Lava Jato. La campagne de la présidente aurait également directement été alimentée par des fonds illégaux en provenance des détournements de Petrobras, aurait-il assuré.

« Si ces propos sont avérés, de la part d’un sénateur qui représentait le gouvernement jusqu’en novembre dernier, la situation de Dilma Rousseff deviendrait très précaire », analyse Mauricio Santoro, professeur de sciences politiques à l’Université d’État de Rio de Janeiro. Contestée par la population, avec une popularité inférieure à 10 %, la plus basse depuis le rétablissement de la démocratie brésilienne, la présidente pensait avoir bénéficié d’un sursis fin 2015. La Cour suprême avait affirmé que le Sénat aurait le dernier mot, si sa destitution était soumise au vote, or le gouvernement bénéficie d’appuis plus sûrs dans la chambre haute.

Parallèlement, le président de l’Assemblée, Eduardo Cunha, principal partisan d’une chute de Dilma Rousseff, a vu son horizon s’assombrir. Poursuivi par le parquet brésilien pour avoir reçu des millions de dollars en pots-de-vin, dans des comptes dont les banques suisses ont confirmé l’existence, ses jours sont comptés, même si son immunité parlementaire et un indéniable talent procédurier lui ont assuré la permanence au perchoir pour l’instant. Surtout, les accusations à l’encontre de la présidente, techniquement recevables, étaient politiquement fragiles. Elle aurait volontairement maquillé les comptes publics à la veille de sa réélection en 2014, cachant l’ampleur du déficit public, révélée après le scrutin. Une pratique peu glorieuse, mais ne justifiant pas, aux yeux de la population de chasser la mandataire avant terme.

S’il était en revanche prouvé que Dilma Rousseff a bénéficié d’un financement illégal de sa campagne ou qu’elle a tenté de bloquer l’enquête, la dynamique de sa destitution serait relancée. Et plus encore si Lula se retrouvait inculpé, ou pire, derrière les barreaux. Car l’image de la présidente reste intimement liée à celle de son prédécesseur.

 

La présidente Dilma Rousseff et l'ancien président Lula, dans son appartement de São Bernardo do Campo © Ricardo Stuckert /Institut Lula La présidente Dilma Rousseff et l'ancien président Lula, dans son appartement de São Bernardo do Campo © Ricardo Stuckert /Institut Lula

 

Le mandat de Dilma pourrait être écourté de deux manières. D’une part, le Congrès pourrait, suite à l’examen par une commission parlementaire de ses « crimes de responsabilité », voter la suspension de la présidente. Il lui faudra le cas échéant réunir deux tiers des votes au Parlement puis au Sénat pour que la destitution soit effective. Dans ce cas, c’est son vice-président, Michel Temer, qui terminerait son mandat, jusqu’au 31 décembre 2018. Peu charismatique mais expert des négociations en coulisses, le président du PMDB – Parti du mouvement démocratique brésilien, une formation fourre-tout, de tous les gouvernements ces trente dernières années – a déjà pris ses distances à l’égard de la présidente. Il tente depuis de se présenter comme l’homme capable d’unir un Brésil polarisé. Une tentative gênée par l’appétit de pouvoir de ses coreligionnaires.

Parallèlement, le Tribunal supérieur électoral (TSE) se penche depuis des mois sur les comptes de campagne de la présidente, un travail qui pourrait être accéléré par les révélations de Lava Jato. En cas d’invalidation des comptes, il ne s’agit plus d’une destitution mais d’une cassation, qui concerne aussi bien la présidente que le vice-président, élus sur le même ticket. Elle pourrait même s’étendre à Aécio Neves, le candidat malheureux de l’opposition (Parti de la social-démocratie brésilienne, PSDB, conservateur), arrivé en deuxième position, en octobre 2014. Car même si le juge Moro et la presse affichent une discrétion à la limite de la complicité à son égard, le sénateur de droite n’en est pas moins cité à plusieurs reprises comme bénéficiaire de dons illicites.

Or le Tribunal supérieur électoral est censé examiner simultanément les comptes des deux candidats puisqu’ils ont bénéficié des largesses des mêmes entreprises aujourd’hui sur la sellette. La plus grande probabilité d’une chute de Dilma Rousseff accroît d’ailleurs les risques pour Aécio Neves : au sein du PSDB, d’autres figures, notamment l’ex-maire de Sao Paulo José Serra et le gouverneur de Sao Paulo Alckmin, voudraient briguer la présidence et pourraient livrer des secrets précieux à la presse et à la justice contre leur ancien candidat.

Une cassation du mandat de Dilma Rousseff par le TSE plongerait le Brésil dans l’inconnu. Si elle se produisait avant le 31 décembre 2016, le pouvoir reviendrait alors temporairement au président de l’Assemblée, Eduardo Cunha. Une situation surréaliste, puisque le député est celui sur lequel pèsent le plus d’accusations prouvées. Ce dernier aurait alors 90 jours pour organiser une élection au suffrage universel, et bien malin celui qui pourrait prédire aujourd’hui quel président surgira des urnes.

Dans le PT, le seul candidat naturel, Lula, risque d’être mis hors-jeu par les accusations, prouvées ou non, à son encontre. Les leaders du PMDB et du PSDB vont s’entretuer pour désigner un poulain, alors que l’écologiste Marina Silva tentera de nouveau sa chance, ainsi que de probables « outsiders ». Un ticket formé par deux députés évangéliques d’extrême droite – Jair Bolsonaro et Feliciano – vient d’ailleurs d’annoncer ses prétentions. Si la cassation était prononcée par le Tribunal électoral après le 1er janvier 2017, le Congrès élirait alors un président chargé de terminer le mandat. « Ce dernier n’aurait aucune légitimité, car si les Brésiliens sont furieux contre le pouvoir exécutif, ils détestent plus encore le Congrès », souligne Mauricio Santoro.

 

Déjà fragilisée, l’économie a alors subi l’impact dévastateur de la bombe Lava-Jato

Dans les deux cas, s’ouvre une période imprévisible détestable pour une économie brésilienne déjà à genoux. Le produit intérieur brut a reculé de 3,8 % en 2015. La récession devrait, selon les prévisions, s’approfondir encore : un recul de 3,5 % est prévu cette année. C’est la pire chute depuis 1990. Les emplois sont détruits par centaines de milliers, l’inflation, de 10 %, rogne les revenus, alors que le gouvernement envisage de limiter le salaire minimum et de faire des coupes dans les allocations sociales, rigueur oblige. Selon l’économiste Ana Maria Barufi, interrogée par le quotidien économique Valor, 3,7 millions de personnes qui s’étaient hissées au-dessus de la pauvreté après 2004 y sont déjà retombées, et le mouvement ne fait que commencer.

La crise économique s’explique par le ralentissement international, en particulier la chute du cours des matières premières, dont le Brésil est un grand exportateur, « mais c’est surtout le résultat de la politique économique du gouvernement », accuse Joao Sicsu, professeur à l’Université fédérale de Rio de Janeiro. Entre panique pour combler de gros déficits publics et volonté de séduire l’élite pour se maintenir au pouvoir, Dilma Rousseff « a préféré couper dans les investissements publics et offrir des réductions de charges aux entreprises, qui n’ont pas pour autant limité les licenciements », poursuit l’économiste.

Le ralentissement avait aussi pour objectif affirmé d’augmenter le chômage pour que les employés cessent d’exiger des hausses de salaires. Flanquée d’une politique monétaire restrictive (le taux de base a atteint 14,75 %) tuant le crédit, cette stratégie a si bien marché qu’elle a enclenché un cercle vicieux. La peur du chômage faisant plonger la consommation des ménages, qui a connu la plus grande chute en 2015 des vingt dernières années, ralentissant l’économie et faisant exploser les mesures de dégraissages des entreprises.

 

La police fédérale arrive à l'entreprise de construction Odebrecht dans le cadre de l'opération Lava Jato. © Rovena Rosa/ Agência Brasil La police fédérale arrive à l'entreprise de construction Odebrecht dans le cadre de l'opération Lava Jato. © Rovena Rosa/ Agência Brasil

 

Déjà fragilisée, l’économie a alors subi l’impact dévastateur de la bombe Lava Jato. Car en atteignant le bâtiment et le pétrole, les deux principaux moteurs de l’économie brésilienne, l’enquête a pratiquement paralysé tout l’investissement dans le pays. Impayés, les petits fournisseurs mettent la clef sous la porte. Des États fortement dépendant des royalties du pétrole, comme celui de Rio de Janeiro, ont cessé de payer leurs fonctionnaires et ferment des hôpitaux. Le secteur de la culture, qui dépendait des subventions de Petrobras, est au bord de la faillite. Et l’impossibilité de prévoir qui sera à la tête du Brésil dans quelques mois incite à l’attentisme. Sans sortie de la crise politique, la récession devrait s’approfondir, sans qu’on en aperçoive le fond.

La situation est d’autant plus confuse qu’elle semble ne plus dépendre du tout des politiques, qui ne font que réagir aux actions et annonces de la justice. « Aujourd’hui, les juges et les commissaires ont plus de poids sur l’avenir du Brésil que les députés et sénateurs », note Mauricio Santoro. « Cela donne une idée de la profondeur de la crise des institutions politiques dans le pays », dit-il, rappelant qu’en 1993, quand se débattait la possibilité de la destitution du président Collor pour cause de corruption, le processus dépendait des leaders du Congrès, qui avaient une véritable légitimité au sein de la population.

Politique et économie dépendent donc du « Parti de la justice », comme l’a surnommé le politologue André Singer, professeur de sciences politiques à l’université de Sao Paulo. En jetant pour la première fois hauts cadres de partis et d’entreprises derrière les barreaux, le « PJ » contraint le Brésil à une réflexion sur les ravages de la corruption, dans un pays où les autorités se servent de l’État pour s’enrichir ou gagner un statut. Son impact sur la vie politique interroge pourtant tant sa sélectivité choque. Il semble naturel que les condamnations au sein du PT soient majoritaires, le parti ayant un président à la tête de l’État depuis treize ans. Mais le silence de la justice quant aux dénonciations de leaders de l’opposition intrigue.

« La conduite de la justice fédérale dérange, celle des justices locales est plus problématique encore », souligne Mauricio Santoro, qui rappelle que les magistrats de Sao Paulo sont acquis à l’opposition. Pour le politologue, Lava Jato est « légitime mais ne devrait pas être au-dessus de la loi ». Mercredi 9 mars, le ministère public de l’État de Sao Paulo a dénoncé l’ex-président Lula pour corruption avant de demander le lendemain son incarcération. C’est en théorie une enquête indépendante de Lava Jato, même si la subtilité est incompréhensible par le public. Face au « Parti de la justice », Lula essaie d’actionner celui de la rue. L’ex-président prend aujourd’hui ses distances par rapport à la politique économique du gouvernement, honnie par les mouvements sociaux. Reste à savoir s’il n’est pas trop tard.

 

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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11 mars 2016 5 11 /03 /mars /2016 17:12

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

Des anciens de PSA-Aulnay obtiennent la requalification de leur licenciement
11 mars 2016 | Par Rachida El Azzouzi
 
 
 

Quelque 200 anciens ouvriers de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), emmenés par la CGT, contestaient le motif économique de leur licenciement en 2013. Les prud’hommes de Bobigny ont donné raison cette semaine à 55 d’entre eux, mais débouté les autres.

C’était en juillet 2012, l’un des plus gros plans sociaux du quinquennat Hollande. PSA Peugeot-Citroën annonçait la suppression de plusieurs milliers de postes, dont la fermeture de l’usine d’Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis qui emploie 3 000 personnes, soit la première grande usine automobile française à baisser le rideau depuis Renault Billancourt en 1989. Mediapart a largement chroniqué les dix-huit mois de conflit, dont quatre de grève dure, qui ont suivi l’annonce de cette bombe sociale dans l’un des départements les plus pauvres du pays.

Trois ans et demi plus tard, alors que le groupe a écrémé ses effectifs partout en France (11 600 suppressions de poste), un tiers seulement des ouvriers d’Aulnay sacrifiés sur l’autel de la compétitivité ont été reclassés au sein du groupe. Quand ils n’ont pas bénéficié d'un départ volontaire en retraite ou d'un "congé senior" (4 000 en deux ans à l’échelle du groupe), les autres pointent à Pôle emploi et plus d’une centaine, selon la CGT, sont en fin de droits et survivent avec les 480 euros de l’allocation de solidarité spécifique (ASS).

La lutte collective est derrière. Un très beau documentaire, en salles le 23 mars prochain, vient la raviver : Comme des lions, réalisé par Françoise Davisse et dont Mediapart est partenaire (voir ici le blog qui lui est consacré). Mais le combat se joue aujourd’hui individuellement en justice pour des centaines d’entre eux. En décembre dernier, 101 anciens d’Aulnay, adhérents pour la plupart au syndicat Sud, contestaient le motif économique de leur licenciement et obtenaient gain de cause devant le conseil des prud'hommes de Bobigny, qui requalifait leur licenciement économique en « licenciement sans cause réelle ni sérieuse ». Même démarche pour 203 anciens ouvriers, soutenus par la CGT.

55 d’entre eux ont vu leur licenciement requalifié « sans cause réelle ni sérieuse » cette semaine. PSA devra leur verser une indemnité qui s’élève, en moyenne, à six mois de salaire, soit 12 000 euros, ainsi que la prime exceptionnelle de 19 700 euros perçue lors du protocole de fin de conflit. En revanche, les prud’hommes de Bobigny ont débouté les 148 autres ex-salariés parce qu’ils avaient fait une transaction avec Citroën en signant un accord de fin de grève. « C’est un acte par lequel on renonce à aller en justice. Mais cette transaction a été imposée par la contrainte et était donc illégale à nos yeux. Pour avoir des mesures du PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) ou un accord collectif, normalement il est interdit à un employeur de faire signer un tel document », explique ici aux Inrocks le délégué CGT Philippe Julien. Leur avocate Marie-Laure Dufresne-Castets va faire appel de la décision, déplorant « un manque de cohérence ».

 

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

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10 mars 2016 4 10 /03 /mars /2016 22:00

 

Source : http://www.dailymotion.com

 

 

Il a travaillé 9 ans avec Manuel Valls, et balance tout !

 

Il s'appelle ‪#‎Pascot‬, il a travaillé pendant 9 ans avec Manuel Valls, et dénonce dans son livre "Pilleur d'état" les abus légaux dont abusent les élus.

"30% des élus ont eu affaire avec la justice(...) ce sont des gens qui votent des lois pour dire que les gens qui sont au RSA on va aller fouiller sur leur compte en banque pour voir s'il dépense plus que le RSA (...) 150 députés se sont payés une maison avec l'IRFM*, est ce qu'on est allé fouiller sur leur compte en banque ?!" s'indigne Philippe Pascot.

Interviewé par JJ Bourdin, il explique entre autre pourquoi la plupart des journalistes refusent de l'inviter :

Partageons donc son message, puisqu'ils sont si peu à le faire !!!

*IRFM : c'est une indemnité touchée par chaque député et chaque sénateur en France pour couvrir leurs frais de représentation. Elle ne fait l'objet d'aucun contrôle, n'est pas imposable et peut servir à couvrir tout type de dépense : habillement, restauration, achat immobilier, voyage...
 
 
 
 
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10 mars 2016 4 10 /03 /mars /2016 21:29

 

Source : http://www.euractiv.fr

 

 

« La lâcheté de la France face à la crise migratoire est inqualifiable »

 

 

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10 mars 2016 4 10 /03 /mars /2016 18:10

 

Source : http://www.bastamag.net

 

 

Droits du travail

Licenciement abusif : une intermittente fait condamner le groupe Canal+

par

 

 

 

Voici l’histoire d’une bataille aux prud’hommes dont l’issue donne de l’espoir. Au terme de deux ans et demi de procédure judiciaire, la Cour d’appel de Versailles a condamné le 1er mars 2016, D8, la chaine TNT du groupe Canal+, dans l’affaire qui l’oppose à l’intermittente du spectacle Sophie Tissier. Le litige débute le 30 mai 2013. Sophie Tissier est alors opératrice prompteur sur la chaine D8. Ce jour-là, elle intervient en direct dans l’émission de Cyril Hanouna, Touche pas à mon poste (TPMP) pour dénoncer les baisses de salaire des intermittents de la chaîne. « Le groupe Canal, qui a racheté D8 dernièrement, nous impose une baisse de salaire. Pour ma part, c’est 25 % mais tous les intermittents sont touchés. Alors que le groupe Canal a un chiffre d’affaire de cinq milliards d’euros, je crois [1,88 milliards d’euros en fait, en 2013. Celui du groupe Vivendi, propriétaire de Canal+ est de 10,2 milliards]. On nous prend à la gorge. J’ai envie de travailler avec vous, mais j’ai envie de gagner ma vie », déclare t-elle.

 

« black listée »

Suite à cette intervention, Sophie Tissier se retrouve « black listée » des plannings de D8, Canal+ et de nombreuses productions privées. Évaluant le manque à gagner autour de 7 à 8 jours de travail par mois, elle décide d’attaquer aux prudhommes son ancien employeur. L’enjeu, explique-t-elle sur Médiapart est de « dénoncer l’injustice dans l’abus de CDD intermittent, mais aussi dévoiler la vulnérabilité face aux employeurs et la précarité que subissent les personnes en CDD ».

D’abord déboutée en première instance, la cour d’Appel de Versailles lui donne finalement raison ce 1er mars 2016. La chaine doit verser 138 000 euros de rappel de salaires et d’indemnités – l’équivalent de trois ans de salaires – pour abus de contrat à durée déterminée intermittent, licenciement sans cause réelle ni sérieuse. Le tribunal juge également légitime son intervention en direct au nom des intermittents, et illégale la baisse de salaire imposée sans négociations aux intermittents de D8. Dans une vidéo de 7 minutes réalisée avec le collectif #OnVautMieuxQueCa, Sophie Tissier revient sur cette bataille judiciaire :

 

 

Suite au verdict de la Cour d’appel, la chaine D8 peut encore se pourvoir en cassation. Mais pour Sophie Tissier, cette décision de justice constitue déjà une belle victoire. « Le message que j’aimerais faire passer est simple : c’est un message d’espoir et d’appel au courage, de ne pas se résigner, de dire haut et fort nos légitimes colères et se battre, sur tous les plans, seuls ou en collectifs, envers et contre toute forme d’injustice », écrit-elle.

A partir de son cas personnel, Sophie Tissier explique qu’avec le projet de loi de la ministre du Travail Myriam El Khomri, elle aurait gagné « deux fois moins d’indemnités aux prud’hommes » et qu’il est donc « important de se mobiliser contre cette loi ». Dans les faits, le projet de nouveau barème des indemnités prud’homales est encore plus pénalisant : pour celles et ceux qui ont entre 2 et 5 ans d’ancienneté, le plafond s’élèverait à 6 mois... quand Sophie Tissier, qui a travaillé pour D8 entre novembre 2010 et mai 2013, a pu bénéficier de 36 mois d’indemnités. Sophie Tissier bénéficierait donc de six fois moins d’indemnités, si le projet de loi est adopté en l’état. Un appel à mobilisation générale contre le projet de démantèlement du droit du travail est lancé le 9 mars dans toute la France.

 

 

Sophie Chapelle - Voir également la page facebook Touche pas à mon intermittent(e)

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10 mars 2016 4 10 /03 /mars /2016 17:14

 

Source : https://www.mediapart.fr

 

 

Loi sur le travail: des centaines de milliers de manifestants
 
 

Grosse mobilisation contre la loi sur le travail, mercredi, à Paris et dans toute la France. Pour beaucoup, cette réforme du code du travail est la loi de trop, celle qui aura réussi à les faire redescendre dans la rue.

Promis, juré, le gouvernement est à l’écoute. C’est la ministre du travail Myriam El Khomri, interrogée lors des questions au gouvernement, qui l’assure. Si c’est le cas, l’exécutif doit commencer à être préoccupé. Selon les syndicats, 500 000 personnes ont défilé dans les rues de toutes les villes de France contre la loi sur le travail ce mercredi 9 mars, dont 100 000 à Paris. Le ministère de l’intérieur, lui, en a compté 224 000 partout en France, et un peu moins de 30 000 personnes à Paris (selon l’AFP, il avait décompté 90 000 manifestants dans la capitale au plus fort de l’opposition à la réforme des retraites de François Fillon en 2010). Mais pour l’heure, le gouvernement a surtout affiché le fait qu’il ne comptait pas bouger sur le projet de loi, dont la présentation en conseil des ministres est prévue le 24 mars.

 

Place de la Nation, mercredi 9 mars 2016 © Rachida EL Azzouzi Place de la Nation, mercredi 9 mars 2016 © Rachida EL Azzouzi
 

« Bien sûr qu’on écoute le peuple », a lancé la ministre à l’Assemblée nationale, alors que la manifestation parisienne venait de partir de la place de la République. Elle venait pourtant de répéter la position gouvernementale, pour qui le projet de loi « a été conçu comme un acte de confiance dans la négociation collective et dans les syndicats »« Lorsque nous souhaitons décentraliser la négociation au niveau de l’entreprise, cela vise à redynamiser le dialogue social dans notre pays, en développant de nouvelles formes de régulations », a-t-elle déclaré, jugeant « que notre pays aujourd’hui est mûr », et « qu’il est essentiel (...) d’avancer ».

 

Surtout, ne montrer aucune nervosité. Myriam El Khomri tient la ligne, tout comme Manuel Valls, qui a reçu à 17 heures à Matignon, aux côtés de sa ministre et d’Emmanuel Macron, ministre de l’économie, les représentants du syndicat Unsa et de l’organisation patronale des artisans, l’UPA.

Pourtant, difficile de faire comme si rien ne s’était passé. À 16 h 15, lorsque la tête du cortège parisien arrive à destination place de la Nation, une heure après avoir démarré et sous les rayons du soleil, le président de l’organisation étudiante UNEF, William Martinet, se dit « très satisfait ». Deux heures plus tôt, avant que ne démarre la manif, « Da Mien » s’avouait « fasciné » de voir que « le virtuel se transforme en réel ». Ce trentenaire, militant CGT mais irrité par la mollesse des premières réactions syndicales, est l’un des trois initiateurs du premier appel, sur Facebook, à la grève le 9 mars. Comme Mediapart l’a raconté en détail, c’est cet appel qui a tout déclenché, et qui a finalement été repris par les organisations de jeunesse (Unef, Unl et Fidl pour les lycéens) et a été soutenu par les syndicats CGT, FO, FSU et Sud, et par les mouvements politiques Europe Écologie-Les Verts, le Parti de gauche, les Jeunes communistes et les Jeunes socialistes.

 

Place de la République, mercredi 9 mars © Rachida EL Azzouzi Place de la République, mercredi 9 mars © Rachida EL Azzouzi
 

« Da Mien » ne se dit « pas surpris » devant l’ampleur qu’a pris le rassemblement : « Cela fait des jours que l’on sent monter la mobilisation. Notre page Facebook qui recense la carte de toutes les mobilisations en France avait été visitée par 100 000 personnes ces dernières semaines. Elle a été vue 300 000 fois ces trois derniers jours. Le plus dur, désormais, c’est de coordonner le désordre. »

 

Leur coup de sonde sur internet a fini par rallier des manifestants partout en France. Entre 5 000 et 8 000 à Clermont-Ferrand, selon France Bleu Pays d'Auvergne, près de 4 000 à Strasbourg, selon la préfecture, entre 3 000 (selon la police) et 15 000 (selon les syndicats) à Bordeaux, près de 7 000 à Lyon (selon la préfecture), entre 4 000 et 5 000 à Tours, au moins 3 000 à Montpellier… À Nantes, ils étaient 10 000 selon la police (voir notre reportage sur place), et entre 5 000 et 15 000 à Grenoble, entre 6 000 et 7 500 à Lille (lire nos témoignages également sur place). À Poitiers, entre 2 500 et 6 000 manifestants s’étaient rassemblés (un portfolio de la journée est proposé par Marine Sentin, responsable du service abonnés de Mediapart).

 

Paris, mercredi 9 mars 2016 © Rachida EL Azzouzi Paris, mercredi 9 mars 2016 © Rachida EL Azzouzi
 

À Paris, la journée a démarré avec la mobilisation des lycéens et des étudiants. Selon le ministère de l’éducation nationale, 90 lycées étaient bloqués à 11 heures. Et dans le courant de la matinée, un appel à la grève a été voté pour le 17 mars, dans de nombreuses facs partout sur le territoire. À Paris à la mi-journée, près d’un millier de lycéens ont défilé de Nation vers République, lieu du rassemblement général. La place de la Bastille s’est transformée en véritable agora, malgré les fortes pluies qui s’abattent sur la capitale. Escortés par des policiers, certains brandissent des banderoles reprenant les slogans partis du net, « Loi travail non merci » ou le désormais célèbre hashtag #OnVautMieuxQueCa, qui fédère depuis deux semaines les récits des conditions de travail des plus précaires. « Dès lundi, on s’est dit que mercredi il y aurait un blocus au lycée et ensuite une manifestation, raconte Lucien élève en terminale au lycée Maurice-Ravel (XXe arrondissement). On est ici pour le retrait ou la modification de cette loi. » « Nous sommes, nous sommes, les travailleurs de demain ! », clament les lycéens. Sous les bruits des pétards, Marius, élève en première L, dirige les troupes au mégaphone « Direction place de la République ! »

 

Côté étudiants, on prend la même direction, depuis la fac de Jussieu par exemple. L’AG à peine achevée, les étudiants et personnels se massent à l’extérieur de la fac, à 13 h 30. Un salarié cégétiste parle avec les plus jeunes de la suite à donner aux événements et plaisante : « Avec le plan vigipirate qui a réduit le nombre d’entrées, c’est encore plus facile de bloquer les lieux que pour le CPE, je dis ça en passant… » Le petit cortège s’ébranle, la bande d’étudiants syndiqués à Solidaires mène le mouvement bruyamment, un paquet de slogans anti-PS en réserve. « P comme pourri, S comme salaud », ça pose une ambiance. République apparaît au loin. Un automobilisme, arrêté à un feu, s’énerve : « Vous faites chier, on bosse ! » Les mètres aidant, l’accueil est de plus en plus courtois. Les communistes hurlent « bravo les jeunes » en les voyant arriver, et un vieil homme sous sa casquette donne des tuyaux. « J’ai un slogan pas mal pour vous : à programme ignoble, résistance ! » Les étudiants rigolent, déjà aspirés par la place.

 

"Sitting" improvisé à Charonne, Paris © Mathilde Goanec

 

Devant la statue devenue mémorial des victimes des attentats de Paris et protégée par des grilles, des grappes de lycéens et d’étudiants se forment. « On reprend des forces », dit Mélanie, 15 ans, qui bat le pavé depuis la fin de matinée et avale un sandwich sur le pouce. Un journaliste télé les interpelle, elle accepte de démonter la loi El Khomri, qu’elle fait rimer avec « loi pourrie », en déroulant les éléments glanés dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans les assemblées générales ou à table, avec ses parents, des profs en grève qui sont en route. « Cette loi, c’est un retour dans le passé. Le patronat écrase un peu plus les salariés. C’est nous, les prochaines victimes. »

Peu avant 14 heures, ces cortèges de bric et de broc seront rejoints par les bataillons, autrement structurés, des syndicats, qui ont tenu à manifester une première fois à 12 h 30, dans les environs du siège du Medef, au ministère du travail (VIIe arrondissement). Un petit kilomètre et une grosse demi-heure de parcours, mais plusieurs milliers de militants, CGT en force, suivie de FO, Sud, Unsa ou des anarchistes de la CNT.

 

 © Dan Israel
© Dan Israel

 

Le siège du Medef est barricadé derrière une double rangée de barrières et un cordon de CRS. Mais entre policiers, l’atmosphère est détendue, et pour cause : seules les sandwicheries voisines sont prises d’assaut, le cortège ne s’étant pas approché à plus de 300 mètres du siège de l’organisation patronale, et s’élançant dans l’autre direction. En tête, on trouve Mickaël Wamen et les autres militants syndicaux de Goodyear, récemment condamnés à de la prison ferme pour avoir retenu quelques heures deux cadres de l’usine de pneus d’Amiens (Somme), aujourd’hui fermée.

Juste derrière, les dirigeants de FO, Jean-Claude Mailly, et de la CGT, Philippe Martinez. « L'heure n'est pas aux propositions, mais bien au retrait, déclare le premier. La philosophie de la loi remet en cause les négociations avec les syndicats, en les décentralisant, ce qui va accroître les inégalités envers et entre les salariés. » Pour le second, « il faut que le gouvernement arrête d'écouter le Medef, et écoute enfin la jeunesse ». Il juge la mobilisation « de bon augure » pour la suite. Le leader cégétiste a un message à adresser aux militants du numérique : « Un clic, c'est bien, marcher dans la rue et faire grève, c'est mieux ! », dit le dirigeant cégétiste, qui reconnaît tout de même que « les réseaux sociaux sont un bon moyen de sensibilisation ».

Voilà qui tombe bien, les manifestants de la place de la République sont d’accord avec lui. « Vous pensiez vraiment qu’on allait rester sur Twitter ? », clame crânement une pancarte.

 

 

 

Des manifestants s’activent pour tracer avec leur corps le slogan « On vaut mieux que ça ». Iona et Maëlle, 19 et 22 ans, étudiantes à l’IUT de Créteil, prennent place dans la lettre géante C, tracée à la craie sur le sol, « pour rappeler au gouvernement que nous sommes des êtres humains », selon un jeune intermittent du spectacle. Un photographe, hissé dans une nacelle, a immortalisé la chaîne humaine avant de rester coincé dans la nacelle en panne.

 

Lycéens en colère © Rachida EL Azzouzi Lycéens en colère © Rachida EL Azzouzi


Les responsables politiques à la gauche de la gauche sont là

 

Certains responsables politiques ont décidé de ne pas rater l’occasion. Peu après 14 heures, l’aile gauche du PS s’est donné rendez-vous rue de Malte, juste derrière la place de la République. Le député Christian Paul, la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, l’ancien inspecteur du travail Gérard Filoche sont sur place. « C’est ma première manifestation depuis le début du quinquennat, si l’on excepte bien sûr celle du 11 janvier 2015, dit Christian Paul, leader des « frondeurs ». Le problème, c’est que notre modèle social est remis en cause avec cette loi, alors qu’il n’est pas du tout démontré que ça marche contre le chômage de masse. » « Ce n’est pas l’économie française qui est rigide en ce moment, c’est le premier ministre », ajoute-t-il, avant de lancer un appel : « Il y a une opération séduction du pouvoir envers la CFDT qui, j’espère, ne se fera pas prendre au piège. »

 

 © Christophe Gueugneau © Christophe Gueugneau
 

Vers 15 heures, Jean-Luc Mélenchon, fondateur du Parti de gauche et candidat en 2017, arrive sous une nuée de caméras place de la République. Visiblement satisfait du monde présent, il prend le temps de serrer les mains, discuter avec des salariés sur des questions techniques comme un problème de calcul d’heures supplémentaires. « Avec les jeunes qui se mobilisent, explique-t-il, le pouvoir va se rendre compte qu’il a affaire à des gens sérieux. » « Et comme le calendrier du gouvernement est étalé [le projet de loi arrive au Conseil des ministres seulement le 24 avril], on va avoir encore le temps d’expliquer », ajoute-t-il, prenant en exemple la réduction du nombre de jours de congés en cas de décès d’un proche (que nous avons expliquée ici) : « On se demande quel cerveau malade a pu inventer une chose pareille ! » Sur le mouvement lui-même, le fondateur du Parti de gauche affiche sa confiance : « On sent que le mouvement commence et il commence bien, on est aujourd’hui à la phase un, la jeunesse est mobilisée, les facs sont mobilisées. Mais comment François Hollande a-t-il pu se fourrer dans une histoire pareille ? » s’interroge-t-il avant de partir vers le boulevard Voltaire.

 

Un peu plus en avant dans le cortège, la députée EELV Eva Sas défile sous les drapeaux de son parti. « On a l’impression que la France se réveille après la sidération », se réjouit-elle. Elle salue Isabelle Attard, autre députée écologiste qui défile avec son confrère Philippe Noguès et l’humoriste Bruno Gaccio. « La mobilisation d’aujourd’hui, j’y crois parce que ce sont les réseaux sociaux, les jeunes, qui ont mobilisé, les syndicats et les partis ont suivi », dit Isabelle Attard dans un large sourire. « Il n’y a plus aucune limite dans ce pouvoir, depuis le début du quinquennat, on voit une vraie stratégie qui consiste à sortir tous les projets Sarkozy du tiroir au fur et à mesure », ajoute-t-elle. Philippe Noguès, député breton, abonde : « Des gens comme Macron, Hollande et Valls ont entériné le fait qu’il n’y a pas d’alternative possible, on en arrive à la caricature des choses avec la loi El Khomri. Mais cette loi peut être un déclencheur : les partis traditionnels sont à bout de souffle, alors aujourd’hui, on n'ose pas encore parler de Podemos mais bien sûr on y pense. »

Sous les drapeaux du NPA, Olivier Besancenot est tout aussi satisfait. « Visiblement, c’est gros aujourd’hui, il y a un parfum de CPE avec ce type de manifs, ces cortèges de jeunes qui débordent sur les trottoirs, ce côté intergénérationnel. » « Cette loi qui arrive juste après la déchéance de nationalité, ça montre que les politiques sont vraiment dans une bulle, c’est le propre d’une crise politique », lance-t-il. « Cette étape d’aujourd’hui peut vraiment être un déclencheur. »

 

Tête de cortège, manifestation à Paris © Mathilde Goanec Tête de cortège, manifestation à Paris © Mathilde Goanec

 

Au gré du cortège, on croisera aussi Julien Coupat et Mathieu Burnel, figures des activistes de Tarnac. Mais la masse est bien entendu anonyme… et créative. « On gattaz gratis », « Tout ça ne dit rien qui Valls », « Gattaz the blues », « On nous Trump, on nous Gattaz », « Hollande la main très visible du marché »… La brune Stéphanie et ses amis rivalisent de banderoles chocs, réalisées la veille dans un bar lors d’un atelier brainstroming. Elle est psychologue et tient une consultation de souffrance et travail, dans le cadre du réseau lancé par l’experte de la question Marie Pezé. Le projet de réforme du gouvernement la révolte : « C’est une opération de destruction des individus à très grande échelle. Les entreprises sont déjà hors la loi. Les salariés que je reçois sont déjà pressés jusqu’à la moelle et de plus en plus nombreux. »

Elle a signé tout de suite la pétition, le groupe qui l’accompagne aussi. Il y a là une avocate en droit social, deux médecins généralistes, des profs, des chômeurs et Fabrice, salarié dans une association « où il y a les mêmes problèmes que dans les PME et des conditions de travail difficiles ». Sur vingt salariés, ils étaient deux à faire grève ce mercredi. En chemin, le groupe a rencontré des syndiqués CFDT : « Il faut que la base fasse déborder les centrales. »

 

Stéphanie et sa bande d'amis, place de la République © Rachida EL Azzouzi Stéphanie et sa bande d'amis, place de la République © Rachida EL Azzouzi
 

David Ammar ne serait pas d’accord, lui qui tire comme un fou sur la corde encadrant la tête de cortège de la manifestation. « Avancez, avancez », hurle le militant, vieux briscard du monde politique et syndical, aux jeunes réquisitionnés pour le service d’ordre. Tout en avançant, il gronde contre l’Ani, la réforme des retraites, la déchéance, et cette loi « scélérate », qui ne concerne pas « que les jeunes ». Membre du PG, il ne voit qu’une seule solution : le retrait de la loi, et « Jean-Luc Méléchon en 2017 ».

 

 

Rémi et Guillaume, de gauche à droite, serrurier et ouvrier du bâtiment, ex-apprenti. © Mathilde Goanec Rémi et Guillaume, de gauche à droite, serrurier et ouvrier du bâtiment, ex-apprenti. © Mathilde Goanec
 

Le cortège emporte aussi son lot de novices. Cette manif est une première pour Guillaume, ouvrier de 23 ans dans le BTP à Fontainebleau. Ex-apprenti, le passage possible à la semaine de 40 heures pour ses congénères mineurs l’a poussé dans la rue. « Déjà 35 heures, c’était dur, alors 40, c’est pas possible ! » Son ami Rémi est serrurier mais cumule les missions en intérim et les CDD, faute de trouver un « vrai emploi ». Il s’insurge contre les heures supplémentaires moins payées. « L’histoire des prud’hommes » l’inquiète tout autant, même s’il n’a « jamais été licencié ».

 

Perdue entre le grand ballon des métallos et celui de cheminots, on trouve une psychologue, pas décontenancée pour deux sous. « Je suis adhérente à la CGT quand même ! » La trentaine, dix ans de CDD et autre CAE au compteur, cette jeune Franco-Grecque n’hésite pas une seconde sur les raisons de sa présence dans le cortège. « Je sais très bien ce que donne une politique libérale, dictée par Bruxelles. En Grèce, la retraite est tombée à 350 euros, le code du travail est détricoté, les cotisations des patrons, elles, n’ont pas bougé. Si on va vers ça, non merci. »

Vincent, 18 ans, autocollant du syndicat « solidaires » sur le blouson. À force, il va finir par adhérer. « Ça suffit quoi ! Ils cassent tout ce qu’ils touchent. Le code du travail, c’est le truc de trop, surtout avec une approche aussi libérale. » Le jeune homme, étudiant en sciences politiques à Paris I, ne comprend pas qu’on augmente la durée du temps de travail. « Les gens vont bosser toujours plus, et donc il y aura de moins en moins de travail pour nous les jeunes. On ne sortira jamais de la précarité avec une logique pareille. »

 

Arrivée sur la place de la Nation, escalade de la statue, Paris © Mathilde Goanec Arrivée sur la place de la Nation, escalade de la statue, Paris © Mathilde Goanec
 

Sur le trottoir, Malika dit au revoir à ses copines, qui quittent le cortège à Charonne. Malika continue encore un peu, « extrêmement touchée » de voir que beaucoup de jeunes sont au rendez-vous. « La loi a finalement un avantage, plaisante cette militante CGT, elle nous aura permis de nous replonger dans le code du travail, pour voir ce que l’on risque de perdre. » Conseillère prud’homale auprès des salariés dans des petites et moyennes entreprises, Malika ne comprend pas cette hystérie autour du verrou du licenciement. « Je suis loin d’être anti-patron, mais honnêtement, depuis le temps que je pratique, j’ai dû voir 3 ou 4 salariés qui déconnaient. Les autres ont simplement besoin d’être protégés contre le licenciement abusif. » La question sociale est loin d’être son seul moteur. Algérienne vivant en France depuis toujours, Malika a obtenu la nationalité il y a peu. Le débat sur la déchéance l’a profondément meurtrie. « Le droit de vote aux étrangers oublié en 1981, oublié en 2012, puis ça ! Quelle honte ! » Battre le pavé tant que nécessaire, voter blanc et convaincre les autres de faire de même aux prochaines élections, voilà son programme pour l’année à venir.

 

À une intersection, rue de Chanzy, des lycéens croisent des collégiens, venus en curieux. « Ne nous regardez pas, rejoignez-nous ! » hurlent les plus grands. Hystérie collégienne et pointe d’inquiétude. « Si on travaille pas plus tard, on va faire quoi, dormir dans la rue ? » demande la toute jeune Fatia.

 

 © Karl Laske © Karl Laske

 

Sur le bord du boulevard Voltaire, trois employés d'un Subway regardent passer le cortège sur le pas de porte de la sandwicherie. « On bosse de 7 h 30 à minuit 7 jours sur 7, pas le temps de penser à la politique. Vous croyez quoi ? Ici c’est l’Amérique, on travaille plus pour gagner plus ! »

Sur tout le parcours, l’ambiance est bon enfant. Les policiers sont restés invisibles, sauf en queue de manifestation. Un cortège d'« inorganisés », pour certains masqués, arrive place de la Nation, derrière une banderole « Lycéens, étudiants, contre la loi code du travail ». Après avoir discrètement vandalisé au marteau les distributeurs de banque sur le parcours du défilé, ils ont ensuite brisé quelques vitrines de banques sous des applaudissements et aux cris de « Anti, Anti, Anti-capitalistes ».

Une cinquantaine de policiers en civil se sont approchés, et ont procédé à deux interpellations, sans incident majeur. La plupart de ces « autonomes » se sont ensuite dispersés dans la foule. Ailleurs en France peu de débordements ont été signalés. À Lyon, des affrontements avec des forces de l'ordre ont éclaté vers 16 heures lorsqu'une partie des manifestants a refusé de se disperser place Macé, lieu prévu pour la fin du défilé. Selon Rue89 Lyon, trois policiers ont été blessés et trois manifestants interpellés. À Nantes, cinq interpellations ont aussi eu lieu en marge du cortège. Des individus cagoulés ont jeté des pavés et des fumigènes sur les policiers, faisant quatre blessés. Les syndicats locaux et les organisations étudiantes dénoncent des actes qui « décrédibilisent le mouvement social ».

 

Place de la Nation, mercredi 9 mars 2016 © Rachida EL Azzouzi Place de la Nation, mercredi 9 mars 2016 © Rachida EL Azzouzi
 
 
 
 
 
 
 
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9 mars 2016 3 09 /03 /mars /2016 18:07

 

Source : https://www.francebleu.fr/infos

 

 

Forte mobilisation contre la loi travail à Nîmes

Par Fabien Randrianarisoa, France Bleu Gard Lozère mercredi 9 mars 2016 à 15:58

 

 

 

 

Les manifestants cotre la loi travail devant la préfecture à 12H

Les manifestants cotre la loi travail devant la préfecture à 12H - Fabien Randrianarisoa

 

Les manifestants contre la loi travail se sont rassemblés ce matin devant la préfecture à Nîmes. Ils étaient 600 selon la préfecture, 2000 selon les syndicats.

Ce mercredi matin, un cortège de plusieurs centaines de jeunes a fait la tournée des lycées Dhuoda, Camus, Daudet, et Hemingway, pour manifester contre la loi El Khomri.

 

Thomas et Adrien, deux lycéens opposés au projet de loi El Khomri à écouter ici

 

Au cours de la matinée, Cédric, un lycéen qui tentait de placer des poubelles pour faire blocus a été interpellé, et conduit à l’hôtel de police.

Les lycéens se sont rassemblés devant le bâtiment, et le directeur de cabinet du préfet a reçu le CPE du collège de Vergèze, venu demander la libération du jeune homme. Vincent a été relâché quelques heures plus tard.

 

Organisations syndicales et lycéens ont fait front commun contre la loi travail. - Aucun(e)

 

Devant la préfecture à midi, de nombreuses organisations syndicales ont rejoint les manifestants, dans une ambiance détendue.

 

Roland Veuillet, syndicaliste SUD éducation à écouter ici

 

D'autres rassemblements auront lieu dans l'après midi,  à Alès à 16h30 rue Edgar quintet, et à 18h à Bagnols sur Cèze devant la poste du centre ville.

 

 

Source : https://www.francebleu.fr/infos

 

 

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Source : https://blogs.mediapart.fr/clement-luy

 

 

Portfolio

Lycéens et étudiant-e-s de Nîmes contre la loi travail

 

 

 

Les jeunes se mobilisent : ce matin, à l'appel de lycéen-nne-s de Nîmes, une manifestation a eu lieu dans les rues de la ville pour protester contre le projet de loi. Après des blocages de lycées interrompus par la police, un cortège s'est formé et a parcouru la ville, vers l'université et les autres lycées afin de rassembler un maximum de jeunes, dans la bonne humeur et la motivation.
  1. 09.25 : le lycée Alphonse Daudet de Nîmes est bloqué par des lycéens et lycéennes venus de nombreux lycées de la ville aux cris de "Hollande, ta loi, on n'en veut pas !"

  2. Devant le lycée, dont les portes restent fermées, un membre de SUD-Education vient nous informer sur la situation d'un camarade, arrêté le matin au cours du blocage du lycée Dhuoda. 

  3. Le cortège se reforme et prend ensuite la direction de la fac Vauban : sans grand succès car les portes nous seront aussi fermées au nez. 

  4. En direction du lycée Albert Camus. 

  5. Devant le lycée Albert Camus, pour inciter de nouveaux lycéens à rejoindre la manifestation. 

  6. Vers la préfecture. 

  7. La manifestation rejoint ensuite la préfecture du Gard, où un rassemblement organisé par les syndicats est prévu à 12.00. 

Le Club est l'espace de libre expression des abonnés de Mediapart. Ses contenus n'engagent pas la rédaction.

 

 

 

Source : https://blogs.mediapart.fr/clement-luy

 

 

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Source : http://www.citizenside.com/fr/

 

Nîmes : Manifestation contre la loi Travail devant la préfecture

 

 

 

A la une Nîmes, France - 09 mars 2016 Plusieurs centaines de personnes ont manifesté devant la préfecture du Gard, à Nîmes, le 9 mars 2016, afin de dénoncer le projet de loi de réforme du Code de travail, porté par la ministre du Travail Myriam El Khomri. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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