TRIBUNE. Une distribution record de dividendes et 63 000 faillites d’entreprises en France en 2015, ces deux chiffres trop rarement rapprochés diagnostiquent l’asphyxie de notre économie par le coût du capital des multinationales. La captation des richesses créées se fait au détriment de l’investissement – empêchant la modernisation de notre appareil productif –, mais aussi des salaires, provoquant ainsi une contraction de la consommation et de la demande intérieure.
Il n’y a pas de définition légale de l’entreprise. Le droit commercial ne connaît que la société de capitaux, dont l’objet social est de maximiser la rentabilité du capital investi et le droit du travail limite la responsabilité envers les salariés à l’employeur en titre. Cette carence juridique déséquilibre le système de pouvoir au sein de l’entreprise. Elle permet d’assimiler les dirigeants à de simples mandataires des actionnaires et de les intéresser au rendement du capital par un système de rémunération via des stock-options.
Une nouvelle définition juridique de l’entreprise
Nous pouvons et devons mettre en place une nouvelle définition juridique de l’entreprise, comme collectif humain créateur de richesses, reconnaître un statut au chef d’entreprise, distinct du simple mandataire désigné par les actionnaires, et instituer une règle de solidarité avec modulation de la voix des actionnaires en fonction de la durée de leur engagement.
Il s’agit également de renforcer le rôle des salariés et de restaurer le rôle contributif de l’encadrement, de façon à faire primer l’avis de celles et ceux qui défendent les intérêts de l’entreprise à moyen et long terme. Limitée à un devoir de loyauté aux directives financières, la responsabilité professionnelle doit être réhabilitée et adossée à l’intérêt général, avec un droit de refus, d’alerte et de proposition alternative pour faire primer l’éthique professionnelle.
Les comités d’entreprise doivent disposer de droits d’informations renforcés et élargis, leur permettant de connaître la situation et la stratégie des investisseurs, les pactes d’actionnaires, et la situation de l’ensemble de la chaîne de production à laquelle ils sont intégrés. Il est indispensable ensuite de protéger nos entreprises des fonds prédateurs, renforcer les droits des salarié-es en cas de cession et réformer en profondeur les tribunaux de commerce pour empêcher le clientélisme.
Droits décisionnels sur la stratégie pour les CE
Les comités d’entreprises doivent disposer de droits décisionnels sur la stratégie d’entreprise, et notamment celui de suspendre les aides publiques et les licenciements. Pourquoi ne pas instaurer, comme en Allemagne, la parité entre les salariés et les actionnaires au sein des conseils d’administrations ?
Il s’agit enfin de mettre les banques et la finance au service de l’économie en réorientant les crédits bancaires vers l’activité durable et créatrice d’emploi et en adoptant une politique résolue de lutte contre l’optimisation et la fraude fiscale.
L’entreprise ne peut plus être gérée en fonction du seul critère de la rentabilité financière, aux dépens de nos besoins économiques, sociaux et environnementaux. Il est temps de réagir pour dessiner un autre avenir à nos entreprises et notre société.
Les signataires : Claude Alphandery, président d’honneur du Labo de l’Economie Sociale et Solidaire ; Sophie Binet et Marie José Kotlicki, secrétariat général de l’UGICT-CGT ; Daniel Bachet, professeur de sociologie à l’université d’Evry ; Frédéric Boccara, économiste, Université de paris 13, membre du Conseil économique social et environnemental (CESE) ; Eric Bocquet, sénateur du Nord ; Alain Bocquet, député du Nord ; Jean-François Bolzinger, président de l’institut LEA (L’Entreprise Alternative) ; Carlos Bowles, Economiste, vice-président du syndicat des salariés de la Banque Centrale Européenne (IPSO) ; Laurent Cordonnier, économiste au CLERSE (Lille 1) ; Thomas Dallery, Maître de conférences en économie, Université du Littoral Côte d’Opale ; Caroline De Haas, cheffe d’entreprise, pétition « Loi Travail non merci » ; Josepha Dirringer, juriste, maîtresse de conférence à Rennes 1, membre du GR PACT. ; Denis Durand, économiste à la banque de France, directeur de la revue Economie et Politique ; Emmanuel Druon, Président d’une entreprise de fabrication d’enveloppes ; Anthony Gratacos, Président de la SAS Gratacos Père et Fils ; Armand Hatchuel, Blanche Segrestin et Kevin Levillain, Professeurs à l’école des Mines ParisTech ; Patrick Henriot, président du Syndicat de la Magistrature ; Liem Hoang-Ngoc, économiste, maître de conférences à l’université Paris 1 ; Jean Gadrey, économiste, ancien professeur à l’université de Lille 1 ; Florence Jany-Catrice, économiste, Université Lille 1 ; Eva Joly, députée européenne ; Hubert Landier, expert en relations sociales du travail ; Dominique Méda, professeure de sociologie à l’Université Paris-Dauphine, ; Nicolas Mérigot, Délégué général du Centre des jeunes dirigeants de l’économie sociale (CJDES) ; Michel Meunier, PDG de Janus Groupe, Président de la fondation Condorcet ; Isabelle Meyrat, juriste, maîtresse de conférence à l’université Cergy Pontoise ; Jean-Paul Milesy, Délégué général de Rencontres sociales ; Dominique Plihon, économiste, porte-parole d’Attac ; Christophe Ramaux, économiste, maître de conférences à l’université Paris 1 ; François Ruffin, journaliste, réalisateur de « Merci Patron » ; Jean Sammut, mutualiste, président de Procial ; Hervé Serieyx, Président d’honneur de la Fédération française des groupements d’employeurs de France ; Daniel Sommer, PDG de Speed Rabbit Pizza ; Henri Sterdyniak, économiste, co-animateur des Economistes atterrés ; Quentin Urban, juriste, maître de conférences à l’université de Strasbourg ; Le collectif des Economistes atterrés.
Source : http://www.lemonde.fr
via : http://www.ensemble-gard.fr