La ministre du Travail travaille-t-elle du chapeau ? Mercredi, Libération publiait un document montrant que son ministère étudiait des options de réforme du code du travail plus radicales – ou plus libérales – que les projets publiquement agités. Fuite désagréable pour l’autorité, mais fuite utile au débat public : il est toujours intéressant pour le citoyen de savoir ce qu’on envisage en haut lieu, au-delà de la langue de bois officielle. Jamais nous n’avons écrit que ces mesures seraient forcément mises en œuvre. Nous avons seulement indiqué que si – et seulement si – ces projets étaient suivis d’effet, nous aurions affaire à un changement considérable dans la réglementation du travail en France.

Dans un premier temps, la ministre a minimisé la révélation en déclarant qu’elle ignorait le contenu de ces études, initiées par «un fonctionnaire», qui n’engageaient en rien le gouvernement. Pourtant, il était inscrit noir sur blanc sur le document que cette exploration juridique avait été demandée par son propre cabinet. A l’entendre, elle ignorait donc ce que faisaient ses plus proches collaborateurs. Deux jours plus tard, madame Pénicaud change d’avis : le document est suffisamment important pour entraîner une poursuite judiciaire. Elle vient donc d’annoncer qu’elle porterait plainte pour «vol de document et recel», ce qui vise à la fois notre journal (pour recel), et ses sources (pour vol). Nous nous en remettrons à la justice pour apprécier le degré de pertinence de cette plainte. Ce n’est pas la première fois, loin de là, qu’un ou qu’une puissant(e) attaque Libération.

Les ministères tansformés en boîtes noires

Mais on peut d’emblée faire un commentaire. Madame Pénicaud est sans doute habituée aux us et coutumes du secteur privé, qui cherche à réprimer par tout moyen juridique ou moral ceux qui rendent publiques ses menées diverses et variées, y compris s’il s’agit d’un lanceur d’alerte. On comprend certes qu’un gouvernement souhaite étudier les différentes hypothèses qui s’offrent à lui sans encourir à l’avance la réprobation publique. Mais l’obligation d’informer qui incombe à la presse veut aussi que le citoyen soit mis au courant des projets qu’on agite, le cas échéant pour les combattre. Dans cet entre-deux, on doit choisir entre la transparence du débat public et le secret dont tout pouvoir cherche à s’entourer. La ministre a choisi. Elle exige le secret. Quitte, pour l’obtenir, à recourir immédiatement à l’arme ultime, la répression judiciaire. Si on la suit, les ministères français seront transformés en autant de boîtes noires, inaccessibles au commun des mortels, protégées par les juges et les policiers. Ainsi les détenteurs du pouvoir travailleront à l’abri de la dérangeante curiosité de l’opinion, comme le veut, dans le privé, l’establishment managérial. Par exemple chez Danone, où la ministre a longtemps officié. De toute évidence, madame Pénicaud confond Danone et la République.

Nous continuerons donc, quitte à encourir des sanctions, à rendre publiques les informations que nous mettrons au jour. Le nouveau gouvernement proclame qu’il veut rénover la vie politique. S’agit-il d’une rénovation ou d’une restauration ? La rénovation de la démocratie ou la restauration d’une République impérieuse où le pouvoir décide en secret et où l’on répond au citoyen trop curieux : «circulez, il n’y a rien à voir» ?

Laurent Joffrin directeur de la publication de Libération

 

 

Source : http://www.liberation.fr