Le Nouvel Obs - Créé le 05-01-2012 à 13h03 - Mis à jour à 13h56
Par Celine Rastello Journaliste
Après les procureurs, ils profitent de leurs vœux pour 2012 pour dénoncer une "année 2011 éprouvante" et un "étouffement général".
Tribunal de grande instance de Paris (photo d'illustration) (AFP/ Dylan Calves)
"Désenchantement", "souffrance généralisée", "pénurie dramatique de moyens" : les vœux 2012 de la Conférence Nationale des Présidents de Tribunaux de Grande Instance, qui s'exprime rarement, sont particulièrement amers, comme l'indique "Le Monde". Le conseil d'administration de la conférence, qui comprend près de 80 membres (soit la moitié des TGI), tire la sonnette d'alarme.
Ont-ils été influencés par la tout aussi peu commune prise de parole des procureurs, début décembre, qui ont notamment dénoncé un manque de moyens et d'indépendance ? "Nous n'avons pas été influencés sur le fond, car nous y réfléchissions depuis un moment" répond au "Nouvel Observateur" le président de la conférence et du tribunal de grande instance de Lyon Paul-André Breton, concédant que sur la forme, ils ont saisi "l'opportunité" des vœux pour communiquer.
"Une année 2011 éprouvante"
Le rôle des présidents de tribunaux consiste à animer et organiser les juridictions et, entre autres, à réfléchir avec les magistrats à la mise en œuvre des réformes. Mais leur bilan 2011 est trop lourd. Ils reviennent sur "une année 2011 éprouvante qui restera sans doute parmi les plus difficiles supportées par (leurs) juridictions depuis bien longtemps". La faute au "désenchantement" et à la "souffrance généralisée chez les acteurs de terrain, magistrats et fonctionnaires" qui se sont ajoutées aux "difficultés matérielles et budgétaires", écrivent les présidents (voir document en bas d'article).
"On travaille en permanence dans le retard, tout se gère à coups de priorités" commente le président. D'où un "désenchantement" aux causes multiples : l'augmentation des charges et contraintes dans un "contexte de fréquentes improvisations juridiques" qui mènent à des "choix de priorités par défaut", des méthodes inacceptables : "la réflexion (qui) devance l'action" concernant les réformes, "l'avalanche de textes dictée par des considérations électorales ou la réaction à des émotions", ou encore "l'impréparation, l'improvisation et l'imprécision." La coupe est pleine.
"Quel autre service vais-je devoir sacrifier pour faire fonctionner celui-là ?" est selon Paul-André Breton une question récurrente. Les présidents demandent des moyens humains "à la mesure des charges confiées" notamment concernant la protection des majeurs, des personnes en soins psychiatriques ou encore la réforme du tribunal correctionnel pour mineurs, applicable depuis le début de l'année. Et précise au passage qu'à ce sujet les "discours" doivent "se traduire concrètement".
"Un étouffement général"
Si les revendications "ne sont pas extrêmement nouvelles", admet le magistrat, "l'intensité du sentiment de lassitude, de fatigue, et de souffrance au travail" des professionnels s'est accrue, jusqu'à atteindre un "étouffement général." L'unanimité des revendications "au niveau de toutes les juridictions" n'y est pas non plus pour rien. Tout comme le fait de "contribuer à la prise de conscience des citoyens". Paul-André Breton reçoit chaque jour plusieurs lettres de justiciables protestant contre les délais, l'attente dans les couloirs,... "Ce n'est pas normal, et nous en sommes tous assez désolés."
Depuis l'envoi des vœux, mercredi 4 janvier, le magistrat assure avoir reçu plusieurs messages de satisfaction et de remerciement de différentes juridictions, "quelle que soit leur taille et leur appartenance ou non à la conférence." Qu'attendent à présent les présidents ? "Rien de concret dans l'immédiat, même si toute réponse prenant en compte nos préoccupations sera intéressante". Paul-André Breton se défend de "toute démarche politique", mais concède que l'approche des élections présidentielles n'est pas totalement étrangère à la démarche : "dans les 3 ou 4 prochains mois, et après, on craint notamment de nouvelles réformes tous azimuts."
Voeux de la Conférence Nationale des Présidents de TGI
Cher(e)s collègues président(e)s
Le conseil d'administration de la Conférence Nationale des Présidents de Tribunaux de Grande Instance voit s'achever une année 2011 éprouvante qui restera sans doute parmi les plus difficiles supportées par nos juridictions depuis bien longtemps.
Aux difficultés matérielles et budgétaires s'ajoutent désormais un désenchantement et une souffrance généralisés chez les acteurs de terrain, magistrats et fonctionnaires.
Notre tâche d'administration et d'animation devient impossible et la plus value que nos collègues et les fonctionnaires sont en droit d'attendre de l'exercice de nos fonctions se limite de plus en plus à la gestion d'une pénurie dramatique de moyens face à une inflation insupportable des charges dans un contexte de fréquentes improvisations juridiques qui nous conduit à des choix de priorités par défaut.
La période de fin d'année et l'approche de l'année nouvelle sont propices à l'expression des voeux et nous savons toutes et tous dans nos juridictions l'importance que revêt cette tradition, au delà des relations personnelles, dans les contacts institutionnels.
Le conseil d'administration de la Conférence Nationale des Présidents de Tribunaux de Grande Instance vous présente, cher(e)s collègues président(e)s, ses voeux les meilleurs et les plus sincères pour l'année 2012 et en particulier formule les souhaits suivants:
- qu'en matière de réformes, la réflexion devance l'action, les études d'impact précèdent leur mise en oeuvre et que les moyens soient contemporains de leur entrée en vigueur
que notamment l'année 2012 ne soit pas l'occasion d'une nouvelle avalanche de textes dictée par des considérations électorales ou la réaction à des émotions, et dont la traduction législative solliciterait de plus fort les juridictions pénales au risque d'afficher un désintérêt pour les contentieux civils dont le traitement est pourtant un des facteurs essentiels de paix sociale,
que la sécurité et la stabilité juridique soient garanties, pour le bien des justiciables et le fonctionnement efficace et pertinent de nos juridictions,
qu'en conséquence l'impréparation, l'improvisation et l'imprécision cessent de créer de charges indues comme ce fut le cas pour les élections professionnelles et la mise en oeuvre de la contribution de 35€ pour l'aide juridique,
- que les ressources humaines soient garanties à la mesure des charges confiées, à l'inverse de ce qui s'est produit en matière de protection des majeurs, en matière de protection des personnes placées en régime de soins psychiatriques sans consentement, en matière de tribunal correctionnel des mineurs, ou de transfert de compétence du traitement des situations de surendettement,
que par exemple ne soient pas proposées des solutions de facilité comme la mutualisation des tribunaux pour enfants, consommatrice de temps et donc irréaliste dans le contexte actuel
que la suppression de la juridiction de proximité et les conséquences qu'elle entraînera au sein des tribunaux d'instance pour le traitement du contentieux civil soient prises en compte,
que les discours évoquant des créations d'emplois de magistrats comme de fonctionnaires se traduisent concrètement, alors que nous constatons jusqu'à présent l'accroissement des vacances de poste et la non prise en compte du travail à temps partiel,
- que la gestion des ressources humaines pour les magistrats comme pour les fonctionnaires mérite enfin son nom, que les adjoints administratifs n'apprennent pas huit jours avant la date de leur prise de fonction leur lieu d'affectation, que les projets de nomination des magistrats s'inscrivent dans des calendriers qui permettent une réelle consultation des assemblées statutaires des juridictions tant pour le bien fondé des décisions d'organisation qui nous incombent, que pour l'adhésion qu'elles doivent recueillir pour la bonne marche des tribunaux,
- que les budgets annoncés soient effectivement alloués et non amputés en cours d'année, spécialement ceux qui stagnent comme l'accès au droit oui qui régressent comme les frais de fonctionnement,
- que les responsables politiques cessent d'instrumentaliser l'institution judiciaire, garante de l'Etat de droit , et de dénigrer l'institution et les hommes qui la servent au gré des décisions qui leur déplaisent ou nuisent à leurs intérêts partisans
Alors cher(e)s collègues président(e)s, si par extraordinaire ces voeux se réalisent, parmi d'autres que seul le souci de concision ne nous permet point de citer ici, nous pourrons nous féliciter de ce que l'année 2012 permette à la Justice, sous notre impulsion, avec le concours de chacun des magistrats et fonctionnaires de nos juridictions, de jouer le rôle qui est le sien dans une société démocratique moderne .
Bonne et Heureuse année 2012 à vos juridictions!
Le conseil d'administration de la Conférence Nationale des Présidents de Tribunaux de Grande Instance
P.A Breton
président du tribunal de grande instance de Lyon, président de la Conférence Nationale
Le Monde - 05 janvier 2012
Les vœux amers des présidents de tribunaux
Après les procureurs le 8 décembre, les présidents de tribunaux témoignent à leur tour de leur profonde inquiétude : après « une année 2011 éprouvante » et qui « restera sans doute parmi les plus difficiles supportées par nos juridictions », la conférence nationale des présidents de tribunaux grande instance a fait part mercredi 4 janvier du « désenchantement et de la souffrance » des personnels judiciaires.
« Notre tâche d’administration et d’animation devient impossible », écrit Paul-André Breton, président de la Conférence et par ailleurs du tribunal de Lyon, « nos fonctions se limitent de plus en plus à la gestion d’une pénurie dramatique de moyens face à une inflation insupportable des charges, dans un contexte de fréquentes improvisations juridiques ».
Il souhaite que soit mis fin en 2012 à « l’avalanche de textes dictée par des considérations électorales », que soient enfin alloués les moyens humains et budgétaires, et que « la gestion des ressources humaines pour les magistrats comme pour les fonctionnaires mérite enfin son nom. »
Voici le texte intégral publié par la Conférence, qui compte 80 membres. (* voir plus haut)
« On a vraiment l’impression qu’on va dans le mur, commente Paul-André Breton, on ne voit pas ce qu’on va faire pour éviter de couler complètement. J’ai des gens qui pleurent dans les bureaux, la souffrance au travail devient impossible à gérer, en raison du travail mal fait, simplement parce qu’on y arrive pas. Il y a des décisions qui attendent d’être tapées, des jugements qui attendent d’être exécutés, on n’y arrive plus, on est tous assis sur un volcan ».
Le président de Lyon approche de la soixantaine, et n’a pas le sentiment d’avoir connu un moment aussi difficile depuis trente ans. « Notre génération est aussi responsable de cette dégradation, convient le magistrat. Pendant vingt ans, on a tenté malgré tout de faire tourner la boutique. Si on n’avait pas accepté de faire ça, on en serait pas là aujourd’hui. »