L’Union européenne vient donc de recevoir le Prix Nobel de la Paix pour “avoir contribué depuis plus de six décennies au progrès de la paix et de la réconciliation, de la démocratie et des droits de l’homme en Europe”. Si l’on comprend bien que ce Prix a été attribué à l’UE pour l’aider à surmonter la fantastique crise de légitimité qu’elle traverse actuellement, cela n’empêche pas que cette décision est erronée.
L’UE repose en effet sur un fantasme, selon lequel la démocratie et le libre marché se renforceraient mutuellement, dans un cercle vertueux conduisant à toujours plus de libre marché et de démocratie. Or les faits sont formels : dès que l’on sort de l’idée abstraite de libre marché pour observer sa forme concrète, le capitalisme, on constate qu’il y a une tension entre capitalisme et démocratie.
Ce fait est au cœur des réflexions des économistes et des philosophes depuis que le capitalisme existe. La “question sociale” du dix-neuvième siècle était posée par l’existence de millions d’ouvriers exploités : allaient-ils renverser le système politique autoritaire de l’époque ? Si oui, pour instaurer quel régime politique ?
Et comment préserver la démocratie en période de forte crise ? C’était la question des années 1930, et l’on connaît les réponses qui lui ont été apportées : fascisme et nazisme d’un côté, grands travaux de l’autre. Dans le premier cas, la liberté politique, la démocratie, a été sacrifiée au profit de la sécurité économique, c’est-à-dire la suppression du chômage. Dans l’autre, Roosevelt a fait en sorte de préserver (et même d’approfondir) la démocratie en accroissant le rôle de l’Etat dans l’économie.
Comment parvenir au “plein-emploi dans une société libre ?” se demandait l’économiste libéral anglais William Beveridge en 1943. Dans son rapport Full Employment in a free society, il détaillait les recettes qui allaient parvenir à ce magnifique résultat : des politiques interventionnistes permettant à l’Etat d’assumer sa responsabilité face au chômage.
Si l’Europe est en paix depuis 1945, ce n’est pas grâce aux progrès du marché unique ou à l’euro. C’est parce que nos économies fonctionnent selon le meilleur type de capitalisme qui soit pour les hommes, celui où le marché est encadré, limité, par des règles collectives (droit du travail, services publics, etc.) et où d’importants mécanismes permettent de limiter les inégalités (impôts progressifs) et de faire reculer la pauvreté (aides sociales que les salariés se versent à eux-mêmes à travers les cotisations prélevées sur leurs salaires).
Initialement, ce système avait également pour but d’assurer le plein-emploi. Mais, depuis les années 1970, cette ardente obligation a été progressivement abandonnée dans la plupart des pays, à l’exception des pays scandinaves. Or le chômage de masse, c’est un recul fantastique de liberté pour les personnes concernées, qui sont exclues de la vie collective, perdent leur identité sociale et peu à peu, ne peuvent plus vivre dignement. De plus, le cancer du chômage entame la classe moyenne, soutien sans lequel toute démocratie est menacée.
A mesure que la misère et l’exclusion progresse, c’est la démocratie qui recule, au sens basique de la participation à la vie sociale. L’Europe est particulièrement bien placée pour savoir que le chômage de masse peut détruire les démocraties - puisqu’il l’a fait, sur notre sol. En réalité, la principale différence entre aujourd’hui et les années 1930, outre le fait que la récession était encore plus violente à l’époque, c’est l’existence de l’Etat social. Sans lui, les démocraties européennes seraient encore plus vacillantes qu’elles ne le sont aujourd’hui.
Tout le projet intellectuel et politique européen depuis la révolution industrielle a consisté à rendre compatibles capitalisme et démocratie. Cela s’est fait par la création d’institutions telles que les syndicats, la Sécurité sociale, les lois et règles collectives qui rendent le capitalisme supportable, et même profitable, lorsqu’elles lui garantissent une demande croissante source de profits, ainsi qu’un ordre stable évitant que les pauvres ne viennent faire les poches des financiers.
C’est ce projet que l’UE cherche méthodiquement à démolir, avec son obsession pour la “concurrence libre et non faussée” et son absence totale de référence à des droits sociaux ou au bonheur des Européens. Ainsi que le répètent à longueur de journée à peu près tous les économistes de la planète, les politiques décidées actuellement en parfaite conformité avec les règles européennes ne vont produire que misère et colère - le chômage est de l’ordre de 25% en Grèce et en Espagne - sans aucun gain économique. C’est cela, la contribution de l’UE à la démocratie dans les Etats européens.
Et puis, bien sûr, il y a le fantastique gag de l’UE comme institution, dont personne n’ose dire qu’elle fonctionne de manière démocratique. BCE volontairement mise hors de portée des citoyens, Commissaires qui vont à la soupe dans le privé avant et après leur mandat, Conseils des ministres qui méprisent leurs Parlements nationaux, traités adoptés par des députés en dépit de l’opposition très majoritaire de leurs mandants… Si ce n’était aussi triste, on serait en pleine rigolade. (Dans le monde universitaire, cela s’appelle la “post-démocratie” : joli, non ?)
Enfin, il y a évidemment la guerre de Bosnie-Herzégovine, qu’il aurait fallu évoquer en premier. Attribuer le prix Nobel de la paix a une institution qui a laissé perpétrer sur son sol une guerre que quelques milliers de soldats auraient suffit à arrêter - quand on a par contre jugé nécessaire d’intervenir dans le lointain Irak - il fallait quand même oser.
Et qui va venir chercher le prix : l’atroce Barroso ?
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J’avais posté mes félicitations sur la page où on peut féliciter le lauréat, mais elles n’ont pas été retenues (sans doute un exemple de démocratie). Il en reste tout de même quelques-uns, à lire ci-dessous :
“Use the money to bail some private bank we love so much.”
/Viliam - unhappy citizen of EU
“Self congratulatory nonsense.”
“In Greece, Portugal, Spain, and Italy we are in peace but we are poor and some are starve to death…. Congrats to EU !!!!”
/Seb
“Just remember that people can die and starve without war, if there is an economic one looming, like today. EU is responsible for this.”
/João David Fernandes
“I don’t get it. I am from Europe, and I don’t feel like the EU has contributed to the advancement of peace.”
/Diana
“You are kidding right?”
/Matus Straznicky
“It´s a joke, right? Congratulations to great PR job, EU…”
/Marianna
“if a.nobel resusitate, would die to be seen and heard as wrongheaded choice …… bad, bad, bad, bad and ……….. millon times bad”
/ROG
“I think we in EU will deserve it when we stop exporting weapons to wars and dictatorships and when we stop invading other countries.”
/Martin Smedjeback, Sweden
“Great Europe Union. You have much to learn and to improve Your democratic Work.”
/Ulrich
“Congratulations to propaganda, the true winner of this prize!”
/SugusGreat. Send the money to us: Greece.com”
/Giorgios
“Well done, you are made up of countries fighting wars and you win an award for peace!! You must be amazing!!”
/Mark Storey
Noyons la page du Nobel de commentaires pour exprimer notre indignation !!!
Et dire qu’après, il y aura le Prix Nobel d’économie… :
“And Nobel Prize in Economic Sciences goes to GREECE !!!”
/greek geek