Près de Paris, la ZAD Patates se bat contre l’urbanisation de la dernière plaine
Reportage, Montesson (Yvelines)
C’est ce qu’on peut appeler une friche résiduelle. Un espace laissé pour compte, coincé entre une voie de circulation et le parking d’une grosse enseigne vestimentaire. De l’autre côté de la route, un autre parking, une autre enseigne, l’hypermarché Carrefour de Montesson, monstre de dix-huit milles mètres carrés. Et pour parfaire le cadre, une station-service, laissée à l’abandon.
« Là, on a voulu expérimenter le trio amérindien, c’est une technique ancestrale qui repose sur la culture de trois plantes complémentaires », explique une jardinière paysagiste, qui tient à se faire appeler « Camille ». Plus qu’un pseudonyme, c’est une signature. Camille, c’est d’abord le prénom générique d’une lutte, initiée, à vol d’oiseau, à 340 kilomètres de là. Et l’utiliser, c’est une façon de décliner son identité zadiste et de signifier son affiliation à Notre-Dame-des-Landes.
Une leçon de botanique s’improvise, où l’on apprend que les tiges de maïs servent de tuteurs aux haricots, qui enrichissent le sol en azote, tandis que le feuillage de la courge permet de conserver une certaine humidité à la surface de la terre. Mais la leçon principale de ce potager, sorti de terre en avril dernier, c’est d’abord qu’un espace naturel inutilisé, quel qu’il soit, n’est jamais perdu.
« Il faut arrêter de penser que les friches ne servent à rien ou qu’elles sont juste bonnes à bâtir », prêche Jean-Pierre Bastide, militant écolo encarté chez EELV. « On a besoin de ces surfaces pour freiner l’érosion de la biodiversité, limiter le réchauffement climatique et produire de la biomasse alimentaire », renchérit Robert Levesque, ingénieur agronome, auteur de « Terre nourricière, si elle venait à nous manquer » (L’Harmattan, 2011).
Zad Patates contre Carrefour extensible
Il y a six mois, c’était un bout de terrain insignifiant. Aujourd’hui, c’est devenu le QG de l’association Plaines-Terres qui y fait pousser des légumes et germer un esprit de révolte. Baptisé « ZAD patates », ce jardin collectif est devenu en quelques mois le symbole d’une résistance à l’urbanisation, qui après avoir vampirisé la région Ile-de-France, continue de déployer son entreprise mortifère sur les terrains qui ont jusqu’à présent échappé au béton.
C’est une vitrine aussi, parce qu’ici, on n’est pas tout à fait sur la ligne de front. La zone à défendre, c’est la Plaine de Montesson, qui s’étend juste à l’arrière du Carrefour. « On aurait pu aller se perdre au milieu des champs, mais on a préféré s’installer à proximité, pour rester bien en vue, en zone passante », explique Gaby, 26 ans, ingénieur paysagiste, habitué des actions de « guerilla gardening ».
La Plaine de Montesson, c’est une superficie d’environ 370 hectares de terres agricoles, dont 270 cultivées. Un tiers des salades consommées en région parisienne sont produites ici, à moins de dix kilomètres du pôle économique de la Défense, dans cette banlieue chic du nord-est du département des Yvelines. Mais peut-être plus pour longtemps. Car même si l’Ile-de-France présente un fort déficit en terres maraîchères et en espaces verts, d’aucuns voient d’abord cet espace comme une opportunité foncière.
« A chaque fois, c’est pareil. Tout le monde prétend vouloir sauver la Plaine, mais tout le monde s’accorde quand il s’agit de convoiter ce terrain pour y bâtir quelque chose, souligne Robert Levesque. Et comme ça, on a eu le Carrefour, l’autoute A 14, le lotissements des Terres blanches... A chaque nouvel empiètement, on cherche à nous faire croire que c’est pour la bonne cause, mais que c’est la dernière fois. Sauf qu’ici, les dernières fois se suivent, se succèdent et se ressemblent ».
C’est un petit groupe de quatre personnes « moitié EELV, moitié rien du tout » qui a donné l’impulsion au printemps dernier. « C’est évident que ce qui se joue à Notre-Dame-des-Landes nous a incités à passer à l’action », confie Camille. Ils viennent des communes alentours, de Paris et d’ailleurs et ils ont décidé qu’après tout, l’avenir de cette plaine les concernait, comme ils se sentaient concernés par le dossier aéroport. Ils ont planté leurs patates en guise de ligne de défense sans savoir très bien au départ d’où viendrait la menace.
A peu près six mois se sont écoulés. En cette fin septembre, c’est jour de fête sur la ZAD. Une centaine de personnes sont venues pique-niquer, filer un coup de main pour l’entretien du potager, s’informer des enjeux de la lutte ou simplement manifester par leur présence un soutien à cette occupation. La presse locale aussi est passée. Un reportage a été diffusé, des articles ont été publiés.
Des projets "nécessaires" et "fantastiques" selon le maire UMP de Montesson
« Cette association, je ne la comprends pas. C’est bien gentil leur happening, ils ameutent toute la presse, mais ils représentent qui ? Ils représentent quoi ? Ils ne sont même pas de la ville », tempête Jean-François Bel, le maire UMP de Montesson. La plaine, c’est son affaire et certainement pas leurs oignons. « Ils sortent de leur chapeau, ils ont découvert la lune. Moi je ferai venir les gens de Nantes si on me touche à l’essentiel de la plaine. Là, je risque de faire une bataille gauchiste, pourquoi pas. Mais pas sur un mauvais sujet ».
Le vrai sujet, selon lui, c’est le combat qu’il dit mener contre l’Etat, qui attaque son plan local d’urbanisme pour soi-disant lui coller massivement du logement social et remettre sa ville dans les quotas. Avec environ 15 % de logements sociaux, Montesson est encore loin des 25 % exigés par la loi Duflot. Son combat, pour sauver la Plaine, c’est celui-là. « C’est pour ça que tout le monde devrait soutenir le maire de Montesson ».
Mais, à ce stade de la conversation, Jean-François Bel soutient que cette bande d’arrivistes n’a rien compris à la situation et n’a pas à venir fourrer son nez dans des projets pour lesquels il se vante d’avoir obtenu l’accord de sa population.
D’un côté, il y a la création d’une nouvelle voirie départementale, déviation de la RD 121, qui va draîner une circulation automobile supplémentaire, couper la Plaine en deux et faire disparaître a minima une quinzaine d’hectares de cultures. Un ouvrage à 100 millions d’euros, intégralement financé par le conseil général des Yvelines.
L’autre amputation, d’environ huit hectares, concerne la ZAC de la Borde, un projet d’extension de l’actuelle zone commerciale autour du Carrefour, qui prévoit le rapatriement de plusieurs enseignes alentour et l’implantation de nouvelles, la création de places de parking et la réalisation de logements. « Deux projets inutiles, nuisibles et qui relèvent de l’urbanisme du siècle dernier », estiment les militants de la ZAD Patates, déterminés à les faire capoter.
Deux projets « nécessaires » et « fantastiques », estime de son côté Jean-François Bel, qui n’y voit que des avantages pour sa ville et aucun inconvénient environnemental. Et de toute façon, à l’entendre , l’affaire est pliée. La nouvelle voirie est déclarée d’utilité publique depuis belle lurette et les travaux sont en passe d’être lancés dans la Plaine. « Et concernant la ZAC de la Borde, le commissaire enquêteur m’a donné un avis favorable, j’attends maintenant la décision du Préfet. Ça ne sert à rien de s’exciter maintenant, c’est au mois de mai qu’il fallait s’exprimer ».
La fin de l’activité agricole ?
« On a participé à la dernière enquête publique, mais nos interventions n’ont pas été retenues, rétorque Bruno Bordier, secrétaire de l’association Plaines-Terres. Le commissaire enquêteur n’a pas rendu un avis factuel, il a rendu un avis politique ».
Ces militants sont peut-être arrivés sur le tard, mais ils sont persuadés d’avoir encore des raisons d’y croire. « Tant que les parcelles ne seront pas bétonnées, la partie n’est pas perdue. On sait aujourd’hui qu’il est plus important pour l’humanité de préserver des surfaces naturelles et agricoles que de les détruire au profit de surfaces commerciales inutiles, qui mettent en péril le commerce de proximité pour des logements qu’on devrait être capable de reconstruire par densification du tissu urbain existant ».
Leur priorité c’est que ce projet de ZAC ne soit pas déclaré d’utilité publique. C’est en ce sens qu’ils ont envoyé fin août un courrier au Préfet pour souligner les incohérences, les manquements et les dysfonctionnements qu’ils ont relevés. « On demande aussi un moratoire sur le projet de déviation. Cette route est une aberration, un appel à l’utilisation de la voiture, à l’heure où on est censé diminuer la consommation de pétrole et diviser par quatre le trafic routier », résume un militant.
La lettre envoyée au préfet à télécharger : ici
- « Avec ses neuf giratoires et sa section à quatre voies, cet ouvrage rompt la continuité des terres agricoles », s’insurge Bruno Bordier, qui pointe l’effet dévastateur de ces constructions, qui ne peuvent conduire qu’à l’abandon des cultures, et donc, à l’apparition de franges supplémentaires urbanisables. « Demain, nos politiques vont nous expliquer que ces friches ne servent à rien et qu’il serait tout aussi judicieux de les bétonner ».
« Ce projet affaiblit dangereusement la viabilité de la Plaine ». Cette fois, ce ne sont pas les zadistes qui le disent, mais Christian Dubreuil, directeur général de l’Agence des Espaces Verts (AEV) de la région Ile-de-France, pas franchement favorable à l’arrivée de cette nouvelle voie de circulation. Et pour cause. Le projet se trouve être en contradiction totale avec l’action menée par l’AEV.
Parmi les terrains qui doivent être goudronnés, certains ont fait l’objet en 2000 d’un périmètre régional d’intervention foncière (PRIF), censé protéger durablement l’activité agricole contre l’avancée du bitume. « On a dépensé beaucoup d’argent, d’énergie et de temps à acquérir ces hectares de terres agricoles, en vue de freiner la spéculation foncière et de garantir l’activité maraîchère du cœur de Plaine », explique-t-il. Des efforts aujourd’hui piétinés par le Conseil général, qui face au refus de l’AEV de céder ses terrains à l’amiable, a lancé à son encontre une procédure d’expropriation.
« Après un coup comme ça, il ne faut pas que nos politiques s’étonnent si aujourd’hui on a perdu toute confiance dans leurs belles promesses », lâche un opposant. Au chapitre des faux-semblants, il faut ajouter l’éventualité d’un raccordement avec l’autoroute A14, qui jusqu’à présent traverse cette boucle de la Seine, sans s’y arrêter. « C’est évident que cette route appelle une bretelle, elle doit passer à ras, pointe Jean-Pierre Bastide. Tous les élus jurent leurs grands dieux que ce n’est pas du tout l’objectif, alors que ça fait 20 ans qu’on en entend parler et qu’avec cette départementale, le projet n’a jamais été aussi près de se réaliser ».
A l’évidence, la présence d’un échangeur signerait la fin de l’activité agricole. « Il ne faut pas se leurrer. Investir ici dans une bretelle d’autoroute, ça ne sera pas pour fluidifier la circulation, mais pour construire massivement du logement ».