Une leçon du vieil Ouest est revenue à la mode avec le boom des gaz de schiste aux Etats-Unis : « Durant la ruée vers l’or, les seuls à être sûr de faire fortune étaient les vendeurs de pioche. » Passé de l’artisanat du tamisage des rivières à l’ère industrielle, les chercheurs d’or gris ont désormais besoin de la fracturation hydraulique et du forage horizontal pour faire cracher les schistes profonds. Mais si les méthodes ont changé, il y a toujours des quincaillers pour profiter de la manne, dont plusieurs d’entreprises françaises du Cac 40 spécialisées dans des segments clefs de ces techniques : tubage, béton, chimie, services pétroliers et eau. Au delà d’une vision « industrielle » par laquelle ils encouragent une exploitation tous azimuts des ressources énergétiques, les majors françaises défendent avec les gaz de schiste des relais de croissance pour leurs propres activités. Des retombées bien plus certaines qu’une baisse des prix de l’énergie pour les ménages.
Vallourec et Lafarge déjà leader aux Etats-Unis
D’un point de vue industriel, la fracturation hydraulique et les forages horizontaux sont des techniques intensives en matériel comme en compétence. La phase de forage mobilise trois ingrédients principaux : un « rig » (la plateforme de forage), du tubage (canalisations insérées dans le puits sur toute sa longueur), et du béton (sous forme de « manteau » coulé le long du tubage pour assurer son étanchéité et la résistance à la pression).
Sous la marque VAM USA, la société Vallourec s’est imposée comme un des leaders des tubages traités et des joints filetés qui garnissent chaque puits de gaz de schiste sur un minimum de cinq kilomètres [1]. Fin 2012, l’entreprise a inauguré une usine spécialisée à Youngstown (Ohio) d’un coût de 1,05 milliards de dollars. Une adaptation judicieuse pour l’entreprise dont le directeur des affaires industrielles espère doubler le business « dans les deux ans qui viennent ». Philippe Crouzet, le patron de l’entreprise Vallourec, est l’époux Sylvie Hubac, directrice du cabinet du président de la République. Il avait pesé publiquement, en juin dernier, pour le limogeage de la ministre de l’Ecologie Delphine Batho, jugée trop opposée aux gaz de schiste.
Pour le coffrage, la société Lafarge qui est sur les rangs : sponsors du congrès « Global WellCem » regroupant les experts du bétonnage de puits, le cimentier français dispose d’une unité de production de ciment technique à Allentown, en Pennsylvanie, livrant les forages du gisement de gaz de schiste de Marcellus.
On ne saurait bien sûr oublier Total, directement engagée dans l’exploitation du gaz de schiste aux Etats-Unis, notamment à ses parts dans la société Chesapeake.
Quant aux sociétés de services pétroliers, les maîtres d’ouvrages sont le plus souvent des multinationales (Schlumberger, Baker Hughes et Halliburton) sous-traitant l’exécution à des maîtres d’ouvrages locaux. Pour le forage pétrolier de Jouarre, c’est une foreuse de la société Cofor (filiale de Vinci) qui est utilisée par Schlumberger, chargée du chantier par la société Hess, producteur titulaire du permis. La société de certification Bureau Veritas bénéficie aussi de l’appel d’air en matière d’expertise.
Relais de croissance pour Suez et Veolia
La fracturation hydraulique, par laquelle les gaz ou huiles présents en microbulles dans la couche de schiste sont « libérés », mobilise quant à elle des grandes quantités de matériau : dix à vingt millions de litres d’eau, cinq cents tonnes de proppant (granulé chargé de « bloquer » les fissures, le plus souvent du sable) et cinquante tonnes de produits chimiques.
Camion de transport de solution liquide pour la fracturation.
Sur ce dernier volet, la société SNF capte un tiers du marché américain des polymères solubles, utilisés pour rendre l’eau plus visqueuse et à même d’amener le proppant dans les fissures. Ce segment (en hausse de 20% par an) constitue désormais 100 millions de dollars de chiffre d’affaires pour la société.
Du côté des grandes entreprises, les sociétés Arkema (issue de la branche chimie de Total) et Saint-Gobain proposent toute une gamme de produits, notamment des alternatives au sable (dont le prix explose) sous forme de billes de céramique. A l’occasion de sa journée des investisseurs du 18 septembre 2012, Arkema présentait comme facteurs clefs de croissance de son activité le secteur pétrolier et gazier via le « enhanced recovery of oil ». Un terme décrivant dans le domaine les nouvelles techniques d’extraction intensive, à commencer par le fracking.
Suez et Veolia, enfin, placent de grands espoirs dans les déchets de ce procédé : pour chaque puits 60 à 80% de l’eau utilisée pour fracturer la couche de schiste remonte à la surface, soit des millions de litres d’eau usée. Si la réglementation américaine autorise l’enfouissement dans des « puits poubelles », les normes environnementales européennes, plus strictes, ouvrent un boulevard pour le retraitement massif de ces déchets chargés de polymères, acides et autres dérivés de pétrole.
Veolia mène ainsi une expérience conjointe avec la société Chevron en Californie visant à une gestion plus efficace de l’eau dans la fracturation hydraulique et a remporté en avril dernier un contrat pour le traitement des eaux usées issues de l’exploitation des gaz de houille du bassin de Surat, en Australie, d’un montant de 650 millions d’euros. L’occasion pour son PDG Antoine Frérot de s’enthousiasmer dans le rapport annuel du groupe : « L’extraction des gaz de schiste constitue pour nous un autre secteur d’avenir. Veolia se range parmi les très rares entreprises au monde maîtrisant la chaîne des techniques nécessaires pour exploiter proprement ces gaz, sans pollution hydrique et en recyclant la totalité des volumes d’eau utilisés ».