Rue89
Tribune 02/06/2013 à 16h43
Le 27 mai, Anand Grover, rapporteur spécial du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, présentait à Genève les résultats de sa mission de novembre dernier à Fukushima. Une fois n’est pas coutume, les Nations unies ont fait leur travail : protéger. Ou, tout au moins, émettre la ferme intention de le faire. Voici les principales conclusions de ce rapport [PDF] accablant pour le gouvernement japonais.
Anand Grover prend acte de l’ampleur de la catastrophe : la quantité de césium relâchée suite à l’accident nucléaire de Fukushima est de l’ordre de 168 fois celle relâchée lors du bombardement atomique d’Hiroshima. Sans parler du tellure, du lanthane, de l’argent et du baryum.
Le rapporteur prend également acte du fait que l’on ne peut plus appliquer à Fukushima les mêmes méthodes de maquillage de la réalité mobilisées après Tchernobyl, notamment en ce qui concerne les effets sanitaires désormais identifiés (aberrations chromosomiques, hausse de la morbidité infantile, hausse du nombre de leucémies).
Selon Anand Grover, on ne peut plus considérer comme négligeables les travaux scientifiques démontrant le lien entre une exposition durable aux faibles doses et le développement de cancers.
Le rapport critique l’absence de distribution effective à la population de tablettes d’iode. Et remet en question le système de protection sanitaire des travailleurs : l’accès aux examens médicaux n’est pas systématique (contrairement à ce que la loi prévoit) et les résultats ne sont pas transmis aux autorités ; la main-d’œuvre embauchée par les sous-traitants, majoritaire, n’accède pas à de tels examens.
Un droit à la santé non respecté
Concernant les zones, Anand Grover rappelle qu’à Tchernobyl en 1991, le seuil d’inacceptabilité a été fixé à 1 mSv (millisievert) par an pour pouvoir retourner vivre et travailler dans les zones contaminées. A Fukushima ce seuil est de 20 mSv par an, sans compter qu’entre 20 et 50 mSv, la population peut accéder librement aux zones contaminées en période diurne.
Le rapporteur critique le recours à l’analyse « coûts-bénéfices » par les autorités japonaises car une telle analyse ne respecte pas le droit de chaque individu à la santé. Selon le rapporteur, l’intérêt collectif ne peut dominer le droit individuel, notamment le droit à la santé. Aussi demande-t-il au gouvernement japonais de ramener son seuil d’autorisation au retour, et son seuil d’indemnisation et de droit à la protection sanitaire gratuite, à 1 mSv par an.
Dans le domaine éducatif, Anand Grover demande au gouvernement de cesser d’affirmer aux enfants japonais dans leurs manuels scolaires qu’en dessous de 100 mSv par an, les radiations sont inoffensives pour la santé.
Au sujet de la décontamination, le rapport regrette qu’aucun calendrier ne soit fixé au delà de 2013, ayant pour perspective un retour à des niveaux inférieurs à 1mSv.
Des sacs de déchets contenant de la terre contaminée posés sur les bords de route sans aucune signalétique particulière, à 10 km de la centrale, en novembre 2012 (Thierry Ribault)
Par ailleurs, nettoyer les cours d’école ne suffit pas : il faut décontaminer de manière beaucoup plus large notamment en se préoccupant des « points chauds », qui peuvent exister dans des zones en dessous de 20 mSv où les populations sont désormais appelées à vivre. Enfin, il critique le fait d’impliquer la population, non équipée et non informée, dans la décontamination.
Le rapporteur critique aussi le financement par l’Etat (c’est-à-dire par les contribuables) des dommages dus à Tepco (110 milliards d’euros annoncés fin 2012).
Le contre-rapport du gouvernement japonais
Le gouvernement japonais a fait savoir, dans un contre-rapport [PDF] rendu public le 27 mai à Genève, lors de la même conférence, son entière désapprobation des conclusions du rapport Grover.
Les « bases scientifiques » du rapport Grover, seraient, selon les autorités japonaises, inexistantes. Il faut ici entendre par « bases scientifiques » celles des experts de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), de l’UNSCEAR (Comité scientifique de l’ONU sur les conséquences des émissions radioactives), de la CIPR (Commission internationale de protection radiologique) et de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique). Hors de ces « bases », à leurs yeux, nulle vérité ne peut être établie.
L’UNSCEAR, cette agence de l’ONU en charge de l’estimation des conséquences sanitaires de la catastrophe de Fukushima, conclut à moins de 50 morts immédiates dues aux radiations et moins de 15 morts liées au cancer de la thyroïde à Tchernobyl, et prévoit d’ores et déjà « zéro mort », à court comme à long terme, à Fukushima.
Ne pas « accabler les riverains »
Les appels d’Anand Grover à une meilleure protection sanitaire des populations sont considérés par le gouvernement japonais comme totalement déplacés et superflus dans la mesure où rien ne prouve « scientifiquement » que les populations concernées ont un réel besoin de protection allant au-delà de celle qui leur est déjà fournie :
« Le gouvernement continuera de travailler à des mesures permettant d’apporter le soutien nécessaire aux personnes qui en ont véritablement besoin. »
Ainsi, lorsque le rapporteur Grover recommande de « ne pas limiter les contrôles sanitaires des enfants au seul examen de la thyroïde et de les étendre à l’ensemble des effets sanitaires potentiels, notamment à travers des examens urinaires et de sang », la réponse du gouvernement japonais, qui exige que ces lignes soient effacées, est la suivante :
« Le jugement d’intervention doit être fondé scientifiquement et éthiquement. Pourquoi les examens de sang et d’urine sont-ils requis ? Sur la base de la possibilité de quel type de troubles sont-ils justifiés ? L’idée est inacceptable parce que nous ne devons en aucun cas accabler les riverains en les contraignant à subir des examens médicaux injustifiés. […] Les examens de dépistage […] ne doivent pas être imposés aux habitants locaux car ils constituent un fardeau inutile. »
« Controverse sur le niveau de radiation affectant la santé »
A la demande du rapporteur spécial d’appliquer « la loi pour la protection des victimes de l’accident nucléaire votée en juin 2012, et de fournir les fonds nécessaire au relogement, à l’habitat, à l’emploi, à l’éducation et aux autres besoins fondamentaux de ceux qui ont choisi d’évacuer, de rester ou de retourner dans n’importe quelle zone où le niveau de radiation dépasse 1 mSv par an », le gouvernement japonais répond :
« Les phrases citées ci-dessus doit être effacées car elles sont fondées sur des préjugés. Comme nous l’avons déjà noté, il y a une controverse internationale sur le niveau de radiation qui affecte la santé et cette question est encore à l’étude. »
Concernant les déchets liés à la décontamination, les autorités japonaises n’hésitent pas à mentir ouvertement :
« Lorsque la terre enlevée est stockée, des mesures visant à prévenir l’impact sur la santé humaine, telles que la mise en place de films écrans protecteurs, sont prises. Aussi, la description faite par le rapport Grover, selon lequel “les déchets constituent un risque sanitaire pour les habitants”, n’est pas fondée. »
Fidèle à lui-même, le gouvernement japonais corrige l’histoire. Il sera sans doute aidé par le président de la République française, les sept ministres, les parlementaires et la délégation industrielle, en visite d’Etat au Japon du 6 au 8 juin. La livraison des dix tonnes de MOX qui ont quitté La Hague, le 17 avril dernier, l’aidera aussi.