De notre envoyé spécial au Japon. - « Ma maison est inhabitable. Elle est beaucoup trop radioactive. » Assis en tailleur sur son tatami, M. Nakano, 67 ans, ouvre son quotidien local à la page qui donne chaque jour, comme si c’était la météo, les taux de radioactivité de chaque hameau situé autour de la centrale dévastée de Fukushima Daiichi. Au feutre rouge, il a dessiné un point devant le taux de son village : 14,11 μSv/h. « C’est très élevé et très dangereux. En plus, c’est une mesure officielle, à laquelle je ne fais pas confiance. Je pense que la radioactivité y est en réalité encore plus forte. »
Dans les zones évacuées, les courtes visites sont tout de même autorisées la journée. M. Nakano s’est ainsi rendu avec sa femme, en décembre dernier, dans leur maison désertée, située dans la commune d’Okuma, pour une cérémonie et des prières à la mémoire de son père défunt. Sur des photos prises lors de la visite, le couple apparaît couvert de protections de la tête aux pieds : blouse, masque, sac plastique autour des chaussures. « Nous n’aimons pas trop y aller. La maison est abîmée, les animaux sauvages y entrent, nous avons été cambriolés. Il n’y a rien à faire, à part prier, laisser des fleurs et regarder. La dernière fois, on est restés 20 minutes, et on est repartis. »
M. et Mme Nagano vivent depuis 4 ans dans un petit deux-pièces, situé dans une barre de logements provisoires et préfabriqués, construits en urgence après l’explosion de la centrale. Au lendemain de la tragédie du 11 mars 2011, toute la commune d’Okuma, sa mairie, son administration et ses 11 500 habitants ont déménagé dans la ville d’Aizu-Wakamatsu, à 120 km du lieu de l’accident. Autour de cette cité d’accueil se sont multipliées ces barres de logements temporaires gris, sans étage et impeccablement entretenus.
Un réfugié nucléaire prie devant la tombe de sa famille morte durant le tsunami. © Toru Hanai/Reuters
Dans le salon minuscule des Nakano, une table basse, un tatami et deux télés. Sur les murs beiges où les vis sont apparentes, ils n’ont accroché que deux photos : des clichés aériens de leur grande maison abandonnée, avec la centrale en arrière-plan. De leur unique fenêtre, la vue donne sur les autres préfabriqués. « Au début, tous ces logements étaient remplis. Mais ils sont à moitié vides maintenant, soupire M. Nakano. Seuls les plus âgés, 70 ans en moyenne, sont restés. Les jeunes partent s’installer ailleurs et refont leur vie. »
Comme Yoshida Kuniyoshi, 34 ans. Cheveux long, petite barbiche, voix posée et déterminée, ce diplômé d’une université de Tokyo s’exprime en anglais. Originaire lui aussi d’Okuma, il vit dans une maison vacante d’Aizu-Wakamatsu, dont le loyer lui est payé par le gouvernement. Éditeur d’une petite revue locale, il gagne sa vie en donnant des cours de soutien scolaire dans une salle de classe improvisée, au premier étage de son domicile. « Le lendemain du tsunami, les haut-parleurs de la commune nous ont donné l’ordre d’évacuer à cause des radiations, se souvient-il. Avec mes parents, nous nous sommes enfuis à bord de camions de l’armée. Je suis très reconnaissant envers les habitants d’Aizu-Wakamatsu qui nous ont accueillis. »
Yoshida Kuniyoshi sort d’un placard son compteur Geiger, soigneusement enveloppé dans une pochette en plastique. « Quand je retourne chez moi, ça bipe comme un fou, c’est flippant. » Sur son tableau noir, à la craie, il indique les doses maximales de radioactivité, bien trop élevées selon lui, autorisées par le gouvernement dans les zones où l’ordre d’évacuation sera bientôt levé. « Je ne leur fais pas confiance. Quand ils nous disent “c’est sûr”, je les soupçonne surtout de servir les desseins de l’industrie nucléaire. »
Jeune marié, il n’a aucune envie de retourner s’installer dans sa maison irradiée, malgré la probable fin, d’ici deux ans, des indemnités et des aides financières. « Les journaux proches du gouvernement écrivent que les évacués coûtent trop cher. Il y a une pression pour mettre fin aux compensations données aux réfugiés nucléaires. Je pense que dans mon cas, elles cesseront dès 2017, comme c’est déjà prévu dans certaines zones. 2017 sera une année de combat », prévient-il, dans un petit rire amer.
Ces indemnités sont pourtant modestes : 100 000 yens par mois (725 euros), une somme qui permet à peine de survivre dans un Japon où le coût de la vie est très élevé. Leur fin programmée est l’une des mesures les plus coercitives mises en place par le gouvernement du premier ministre Shinzo Abe, arc-bouté sur sa politique pro-nucléaire, pour contraindre les populations à retourner vivre dans les zones contaminées. Un grand nombre des 120 000 réfugiés nucléaires (officiellement enregistrés comme tels) étaient propriétaires de leur maison ou de leur ferme ; or la région n’est pas riche, et beaucoup n’auront pas les moyens financiers de s’installer ailleurs.
Pour rassurer les populations déplacées sur leur retour, le gouvernement a lancé des travaux gigantesques de « décontamination » : pendant des mois, dans les zones évacuées parmi les moins irradiées, des milliers de travailleurs grattent les sols, enlèvent 5 cm de terre autour des habitations et dans les rizières, reconstruisent les routes, tentent de retirer le césium radioactif qui s’accroche aux surfaces. Ces travaux sont très onéreux, produisent des milliers de tonnes de déchets radioactifs qu’il faudra entreposer quelque part… et leur efficacité est remise en doute.
« Ce que nous observons en pratique, c’est que dans ces soi-disant “zones décontaminées”, 90 % du territoire reste contaminé. La région possède beaucoup de forêts, qui sont impossibles à nettoyer. Les gens vont donc revenir dans des zones constituées d’îlots et de couloirs décontaminés, alors que le reste est toujours irradié, accuse Jan van de Putte, expert nucléaire de Greenpeace, interviewé dans le petit bureau de l’ONG à Tokyo. Ce n’est pas un endroit où vous voulez laisser vos enfants jouer dans la nature. Nous pensons que les populations évacuées devraient au minimum avoir le droit de choisir de rentrer, ou pas. Mais le gouvernement leur impose son opinion, ce qui est totalement irresponsable. »
L’administration Abe veut à tout prix relancer une partie des 48 réacteurs à l'arrêt
Dans la plupart des pays, la dose maximale de radioactivité admissible (en dehors de la radioactivité naturelle et des doses reçues lors de traitements médicaux comme les scanners) est fixée à 1 milliSievert (mSv) par an. C’est notamment le cas en France. Pour les travailleurs du secteur nucléaire, cette dose maximale passe à 20mSv/an. Or, à Fukushima, le gouvernement entend bientôt lever l’ordre d’évacuation dans des zones fortement irradiées, où même après « décontamination », les populations seront exposées à des doses proches de 20 mSv/an, « et jusqu’à 50 mSv/ an dans les endroits non-nettoyés », avertit Jan van de Putte.
« C’est considérable. Je rappelle que c’est la norme pour les employés français du nucléaire, une norme qui sera appliquée à des enfants, à des nouveau-nés, à tout le monde ! Et il est évident que cela aura des conséquences sanitaires énormes », dénonce Cécile Asanuma-Brice, directrice adjointe du bureau du CNRS à Tokyo et chercheuse associée à la maison franco-japonaise de la capitale.
Cette sociologue considère que la politique d’incitation au retour va au-delà de la fin des subventions et des travaux d’une décontamination illusoire : elle relève de la manipulation psychologique. « Le gouvernement cherche à créer un sentiment de nostalgie par rapport au territoire d’origine. C’est extrêmement vicieux. Par exemple, alors que les enfants commençaient enfin à s’établir et à se réintégrer sur leur lieu de refuge, on a organisé des ateliers avec leurs anciens camarades de classe de Fukushima. On les replonge avec leurs anciens amis, on les fait cuisiner, en leur expliquant que les légumes viennent du jardin du grand-père, de la tante. On leur raconte des légendes fabuleuses. Et quand le gamin revient chez lui, il demande : “Maman, on rentre quand à la maison ?” Cela génère une plaie ouverte. Les gens ne peuvent jamais s’établir. Psychologiquement, c’est invivable. »
Cécile Asanuma-Brice pointe du doigt la complicité des organisations internationales du nucléaire dans cette politique de retour et dans les efforts sémantiques déployés pour dédramatiser la situation. « Par exemple, on ne parle plus de victimes, mais de “personnes affectées”. L’affect, cela renvoie à une attitude qui n’est pas rationnelle, c’est contraire à l’intellect. »
Le premier ministre Shinzo Abe participe à une récolte de riz dans la province de Fukushima, en septembre 2014.
Ces efforts considérables déployés par le gouvernement de Shinzo Abe s’expliquent par une stratégie de normalisation : les autorités veulent faire croire qu’un retour à la normale est possible et qu’elles sont capables de gérer le désastre. L’administration Abe, soutenue par un puissant lobby nucléaire, veut à tout prix relancer une partie des 48 réacteurs nippons, tous à l’arrêt depuis plus d’un an. Avant l’explosion de Fukushima, le Japon était la 3e puissance nucléaire civile mondiale. La réticence face à l’atome d’une majorité de la population – la seule à avoir été victime d’attaques nucléaires, à Hiroshima et Nagasaki, en 1945 – n’entame pas la résolution des autorités.
Or, pour donner l’impression d’un retour à la normale, il faut que le plus grand nombre de réfugiés nucléaires acceptent de rentrer chez eux. Pas seulement les personnes âgées (moins préoccupées que les jeunes générations par les effets à long terme de la radioactivité), mais aussi les jeunes, les médecins, les commerçants… D’où ces opérations massives de « décontamination » dans les zones évacuées, alors que d’autres zones toujours habitées et contaminées (comme par exemple la ville de Fukushima) ne font l’objet d’aucune opération de nettoyage. La contamination n’est en effet pas uniforme : elle se présente plutôt sous la forme d’un patchwork, avec des « points chauds » disséminés un peu partout, certains jusque dans la banlieue de Tokyo.
Ces points chauds ne sont pourtant pas nettoyés. « Ces zones ne sont pas la priorité du gouvernement, regrette Jan van de Putte, de Greenpeace. On assiste à une concentration de moyens basée sur un agenda purement politique, et non pas sur la protection des populations. C’est une approche très cynique et scandaleuse. » Un même sentiment de colère exprimé par Cécile Asanuma-Brice : « On fait prendre le risque d’un investissement nucléaire à des populations qui ne bénéficient pas des risques pris. D’un point de vue des droits de l’homme, on marche sur la tête. »
Face à ces pressions croissantes, les 120 000 évacués nucléaires sont divisés, entre partisans au retour et les autres. Des tensions ressenties jusqu’au sein des familles : « Je vois autour de moi de nombreux cas de divorces ou de séparations, observe Mme Furukawa, 51 ans, assistante maternelle, qui vit dans l’une des barres de logements provisoires d’Aizu-Wakamatsu. Dans mon village évacué, la radioactivité est retombée à 1 μSv/h (soit 8,8 mSv/an). Je sens que nous sommes forcés d’y retourner, mais je refuse. Pas pour moi, mais pour mes trois enfants. » Et son mari ? Elle rigole : « Mon mari, il m’obéit ! »
Au début, les opposants au retour étaient très critiqués. Comme Mme Kowata, 59 ans, originaire d’Okuma, rencontrée dans la salle communale d’un lotissement provisoire. Cette toute petite dame alerte, aux yeux pétillants et au sourire communicatif, arbore une belle paire de chaussettes colorées à orteils séparés… et a fondé un réseau de femmes qui refusent de rentrer. Elle a entamé un long combat contre son maire pour que les sommes immenses perdues dans une décontamination jugée inutile soient utilisées pour construire, ailleurs, une nouvelle ville d’Okuma. « J’ai été très critiquée pour cela. Mais maintenant, quand les réfugiés voient la radioactivité toujours présente chez eux, ils refusent d’y retourner. »
« Chez moi, les tatamis et le toit sont pourris. Je pense que quelqu’un y vit : j’ai retrouvé des baguettes utilisées et des bols de nouilles instantanées. Je lui ai laissé un message : “Cette maison est dangereuse, vous allez tomber malade…” » Mme Kowata a intenté un procès contre sa mairie et accuse son maire de contraindre ses administrés au retour alors que lui-même s’est construit une maison dans une zone sûre. « Le maire nous promet de l’emploi, il dit qu’il construira des usines et une ferme d’aquaculture… »
C’est le contribuable japonais qui paie la facture de la gestion de la catastrophe
« Fin mai, une enquête, menée auprès de 16 000 réfugiés nucléaires par un professeur de l’université de Waseda à Tokyo, a révélé que 40 % d’entre eux souffraient de stress post-traumatique et “d’angoisse de mort face au nucléaire”, souligne Cécile Asanuma-Brice. Comment peut-on contraindre ces personnes à retourner vivre sur le lieu de leur traumatisme, alors que la centrale en déliquescence n’est pas stable et que les tremblements de terre sont nombreux ? »
Contrairement à une idée reçue, la crise dans la centrale de Fukushima-Daiichi est loin d’être terminée. Chaque jour, la Tokyo Electric Power Company (TEPCO), l'exploitant, y déverse 300 tonnes d’eau pour refroidir les barres de combustible. Cette eau radioactive est stockée dans d’immenses cuves à l’étanchéité remise en doute. Les cœurs de trois réacteurs – inaccessibles – ont fondu et ont traversé la première enceinte de confinement ; on ne sait pas jusqu’à quel point ces masses à très haute température ont traversé la deuxième enceinte pour atteindre le sol en béton de la centrale.
Problème : la centrale fuit de partout et sa radioactivité contamine les nappes phréatiques et l’eau qui passe dessous pour rejoindre l’océan Pacifique. Ces fuites sont appelées à s’aggraver au fur et à mesure que les fissures s’élargissent avec le temps. C’est pour empêcher cette contamination souterraine que TEPCO a entamé la construction d’un « mur de glace » profond de 30 mètres et long de 1,5 km, une technologie incertaine qui n’a jamais été mise en œuvre à cette échelle. Autre sujet d’inquiétude : la structure de la centrale, en particulier le 4e réacteur, est très endommagée. En cas de nouveau séisme, d’autres dégagements d’intense radioactivité ne sont pas à exclure, s’alarme Jan van de Putte : « Je m’inquiète notamment de l’impact, impossible à évaluer, d’un éventuel dégagement de strontium radioactif. »
Le gouvernement et TEPCO visent 2045 pour le démantèlement complet de la centrale. « Personne n’y croit ! s’emporte Shaun Burnie, autre expert de Greenpeace, en visite au Japon. Un dirigeant de TEPCO a reconnu qu’on ne disposait pas encore des technologies nécessaires pour retirer le combustible fondu. Il a même spéculé sur un démantèlement qui prendrait 200 ans. Personne n’en sait rien. »
Entre 6 000 et 7 000 travailleurs sont employés chaque jour sur ce chantier cauchemardesque. Parmi eux, se trouve le fils de M. et Mme Nagano, le couple réfugié à Aizu-Wakamatsu. « Notre fils a besoin de gagner sa vie pour nourrir ses enfants », expliquent-ils. Sont-ils inquiets ? Haussement d’épaules : « La famille sait bien qu’il n’a pas d’autre choix. » TEPCO fait d’ailleurs face à une pénurie d’ouvriers : les plus expérimentés ne peuvent plus travailler car ils ont atteint la dose radioactive accumulée maximale.
« La majorité de ces travailleurs ne sont pas des salariés de TEPCO, rappelle Shaun Burnie. Ce sont des sous-traitants, des sous-traitants de sous-traitants. Certains ouvriers sont des sans-abri, recrutés dans la rue. Leurs conditions de travail sont terribles, leurs salaires misérables, leur retraite inexistante. Nous avons le respect le plus total pour ces hommes qui font de leur mieux dans une situation impossible. » La situation fait en tout cas le bonheur des yakuzas : les gangsters japonais sont spécialisés dans le business du recrutement de travailleurs temporaires dans des conditions douteuses. TEPCO aussi s’en sort très bien : c’est le contribuable japonais qui paie la facture de la gestion de la catastrophe. En 2014, l’entreprise a même fait des bénéfices.
Le premier ministre Shinzo Abe encourage les décontaminateurs de TEPCO, en septembre 2013.
Il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences de la catastrophe nucléaire en termes de santé publique : après l’explosion de la centrale ukrainienne de Tchernobyl, la hausse notable du nombre de cancers de la thyroïde, en particulier chez les enfants, a commencé à être observée 5 ans après la catastrophe. Au Japon, 4 ans seulement après les premières retombées radioactives, selon l’université médicale de Fukushima, sur 385 000 Japonais de moins de 18 ans, 127 ont été opérés ou sont en phase de l’être pour un cancer de la thyroïde. Soit un taux d’incidence de 330 cancers pour 1 million d’enfants, à comparer au taux de 1,8 pour 1 million observé en France (entre 1997 et 2001).
Cette augmentation déjà visible des maladies liées à l’irradiation s’explique en partie « par le fait que le gouvernement n’a pas toujours dévoilé les informations les plus importantes après le début de la crise », regrette le Dr Hasegawa Hiroshi. Cet agronome spécialiste de la culture bio a démissionné de son poste de fonctionnaire après l’explosion de la centrale : il s’était disputé avec son patron, qui refusait de publier des informations liées à la radioactivité.
« Les gens ne savaient pas quoi faire après l’accident : rester, ou partir ? Ils devaient prendre une décision, et je me suis dit que je pouvais les aider avec mes connaissances scientifiques. » Le Dr Hasegawa dirige désormais un « laboratoire citoyen » de mesure de la radioactivité dans la ville de Fukushima. Son labo fournit des mesures indépendantes du sol, de la nourriture et des doses accumulées par les individus. « Avec ces informations, nous donnons aux citoyens de Fukushima les moyens de prendre une décision. » Pour les enfants, les examens de mesure de la radioactivité du corps sont gratuits. Le laboratoire est financé grâce à des donations.
Certains savent qu’ils ne retourneront jamais chez eux. Comme M. et Mme Watanabe, 65 et 62 ans, agriculteurs : leur ferme, située à 3 km de la centrale, se trouve sur un futur site de stockage des déchets issus de la « décontamination ». Un site « temporaire », prévu pour durer au moins 30 ans. Ce qui ne les empêche pas de retourner chez eux tous les mois, pour nettoyer, désherber, et prendre soin des tombes. « C’est plus fort que nous. Nous ne pouvons pas nous empêcher d’y retourner pour l’entretenir. » Mme Watanabe, le visage expressif et vif, retient ses larmes en parlant de leur maison et de leur ferme, dont une grande photo encadrée orne le mur de leur chambre à coucher.
Mais les Watanabe refusent de s’apitoyer sur leur sort. Ils ont préféré éviter les logements préfabriqués et vivent dans un petit appartement d’Aizu-Wakamatsu. Lui fait du jardinage, elle travaille dans la cuisine d’un onsen, une source thermale locale. Sur le mur du salon, chacun a son calendrier, couvert d’activités et de rendez-vous. Ils sont fiers de montrer qu’ils ne restent pas inactifs, qu’ils ne sont pas des assistés. Ils demandent au gouvernement des indemnités qui leur permettraient d’acheter une ferme et de recommencer leur vie ailleurs. « Nous sommes les victimes. Pourtant, les bureaucrates nous disent : “Vos terres sont contaminées” et ce qu’ils nous offrent en échange ne nous permettra pas de nous installer ailleurs. Le Japon est-il toujours un État de droit ? »
« Avant la catastrophe, nous nous inquiétions un peu de la possibilité d’un accident nucléaire, mais jamais nous n’aurions pensé que cela puisse être si grave. Quand nous avons été évacués, nous pensions être de retour trois jours plus tard. Tous ces experts de l’industrie nucléaire nous assuraient : c’est une énergie sûre. Sûr, sûr, sûr, on entendait ce mot tout le temps. »
Yoshida Kuniyoshi, l’éditeur de revue, lance un avertissement similaire, en nous raccompagnant hors de sa petite salle de classe : « Vous, les Français, vous devriez réfléchir aux conséquences d’un accident nucléaire chez vous. Les villes que vous aimez, les souvenirs que vous chérissez… Un accident nucléaire peut tout détruire. Ici, l’industrie nucléaire a tué nos vies, et tout ce que nous ont légué nos ancêtres. »
Même écho chez les activistes de Greenpeace : « Contrairement à une idée reçue, les campagnes japonaises ne sont pas densément peuplées. À Fukushima, 230 000 personnes vivaient dans un rayon de 30 km. En Europe, la plupart des centrales nucléaires sont situées dans des régions plus peuplées. Un accident similaire en Europe aurait un impact beaucoup plus grave », remarque Jan van de Putte. Avec 73 % de son électricité produite par le nucléaire (au Japon : 28 % avant la crise, 0 % aujourd’hui), l’économie française est beaucoup plus dépendante de l’atome. Donc beaucoup plus vulnérable en cas d’accident.
Source : http://www.mediapart.fr