Entretien avec le secrétaire général de la CGT des services
Publié le 13 juin 2016
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Publié le 13 juin 2016
LE SCAN POLITIQUE/VIDÉO - Un manifestant a fait interrompre le discours du ministre de l'Économie avant d'être évacué.
Plus une sortie sans incident pour Emmanuel Macron. Après avoir été la cible de jets d'oeufs, lundi, à Montreuil, le ministre de l'Économie a été chahuté ce vendredi en marge d'un déplacement à Nancy. Alors qu'il intervenait devant les invités du Forum Mondial des matériaux, un manifestant a fait irruption dans la salle, bleu de travail à la main. «Ce n'est pas en mettant un costard qu'on travaille. C'est en mettant un bleu de travail, je vous l'offre», a crié le manifestant en brandissant le vêtement. Une référence à une altercation du ministre fin mai à Lunel (Hérault) avec deux militants de la CGT, auxquels Emmanuel Macron avait dit: «Vous n'allez pas me faire peur avec votre tee-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c'est de travailler».
Un manifestant opposé à la loi travail éjecté de la salle pendant le discours de #Macron à #Nancy.
Info reçue par mail
QUAND LE CRÉDIT FONCIER
DÉTROUSSE LES CONTRIBUABLES DE NÎMES MÉTROPOLE
DE 57,4 MILLIONS D’EUROS
Nîmes Métropole a contracté en 2008, auprès du Crédit Foncier de France (Filiale du Groupe
BPCE), un emprunt toxique de 12,5 millions d’euros dont le taux d’intérêt, indexé sur la parité
euro/franc suisse, dépasse aujourd’hui 25 % ! Afin de mettre un terme à cette situation,
le 29 mars dernier, la Métropole a décidé de rembourser cet emprunt par anticipation et de
signer un protocole avec la banque. Mais en plus des 10 millions d’euros du capital restant dû
de l’emprunt, le Crédit Foncier exige le paiement d’une indemnité colossale de 57,4 millions
d’euros ! En clair, les contribuables vont devoir rembourser près de 7 fois le montant de
l’emprunt ! Un véritable racket !
57,4 millions d’euros représentent 4 années de frais de personnel de la collectivité, plus de la
totalité des taxes foncières et d’habitation perçues annuellement, ou encore le coût prévisionnel
du Musée de la Romanité qui doit voir le jour début 2018 à Nîmes !
Or le Crédit Foncier de France n’aurait jamais dû faire souscrire à Nîmes Métropole un emprunt
dont le taux sans plafond est indexé sur la parité des monnaies, car la loi interdit aux collectivités
d’engager leurs finances dans des opérations de nature spéculative. Ainsi, au lieu d’accepter de
payer des intérêts usuraires et une indemnité léonine à la banque, la Métropole aurait dû refuser
de payer et porter l’affaire devant les tribunaux. Circonstance aggravante, le conseil
communautaire a pris sa décision sans que les élus aient été destinataires de l’information qu’ils
auraient dû recevoir.
Face au refus du président de Nîmes Métropole et de sa majorité d’opter pour cette position, le
collectif d’audit citoyen de Nîmes (CAC 30) s’est rapproché de deux élus, François Séguy et
Sylvette Fayet, ainsi que d’un contribuable de la ville, pour engager une action contre les
délibérations litigieuses, qui plus est adoptées en violation du droit à l’information des élus.
Quatre recours, dont deux en référé suspension, ont été engagés devant le tribunal administratif
de Nîmes. Le CAC 30 a également lancé une pétition pour dénoncer cette opération. Même si la
collectivité va bénéficier d’une aide de l’État (c'est-à-dire des contribuables) de 36,6 millions
d’euros, il restera à la charge de la Métropole un reliquat de 20,8 millions d’euros sur les 57,4
millions de pénalité.
Aujourd’hui, le CAC 30 et le CAC national à l’initiative de l’action ainsi que les auteurs des
recours appellent la population à soutenir et à renforcer leur combat citoyen pour faire respecter
les intérêts de la Métropole nîmoise, les intérêts de ses habitants, l’intérêt public et le droit.
Pour faire toute la lumière sur ce dossier, pièces en mains et preuves à l’appui, et répondre à
leurs questions, le CAC 30 invite les habitants de la Métropole à venir
assister à une Réunion publique le 24 juin 2016 à 19 h 30 Maison des Adolescents du Gard
(MDA 30) 34 ter rue Florian à Nîmes
Contact pour le CAC 30 : mél : cac30@auditcitoyen.org
06 81 50 86 67 ou 06 16 65 19 81
Contact pour le CAC national : Patrick Saurin, patricksaurin@wanadoo.fr 06
62 88 05 17
Nîmes, le 10 juin 2016
Fait inhabituel à Nîmes, dans une démarche impulsée par le Collectif d’audit citoyen de
la dette publique de Nîmes (CAC 30), deux élus et un contribuable local ont déposé
jeudi 26 mai devant le tribunal administratif quatre recours, dont deux en référé,
pour faire annuler deux délibérations de la Métropole nîmoise.
Quelles sont les raisons de cette procédure?
Le 29 mars dernier, le président du conseil de la Métropole, Yvan Lachaud, a fait voter deux
délibérations dont l’objet était le remboursement anticipé d’un emprunt toxique dont le taux
d’intérêt indexé sur la parité euro/franc suisse dépasse aujourd’hui 25 %.Mais pour réaliser
cette opération, la Métropole a dû accepter de payer à la banque, en plus des 10 millions
d’euros du capital restant dû de l’emprunt, une indemnité de remboursement anticipé de
57,4 millions d’euros. En clair, les contribuables vont devoir rembourser près de 7 fois le
montant de l’emprunt!
57,4 millions d’euros représentent 4 années de frais de personnel de la collectivité, plus de la
totalité des taxes foncières et d’habitation perçues annuellement, ouencore le coût prévisionnel
du Musée de la Romanité qui doit voir le jour à Nîmes début 2018 !
Même si la collectivité va bénéficier d’une aide de l’État (c’est-à-dire des contribuables) de
36,6 millionsd’euros, il restera à la charge de la Métropole un reliquat de 20,8 millions d’euros
sur les 57,4 millions. Pourtant, malgré le caractère hors norme de l’opération et l’énormité des
sommes en jeu, le conseil communautaire a pris sa décision sans disposer des éléments
indispensables pour se prononcer, qu’il s’agisse de la convention entre la Métropole et l’État,
du protocole passé avec le Crédit Foncier de France (filiale du Groupe BPCE) ou du mode de
calcul de l’indemnité. Toutes les demandes d’éclaircissement sont restées lettre morte.
Cet état de fait est d’autant plus scandaleux que la collectivité n’aurait jamais dû accepter les
conditions d’un tel protocole, au contraire,il était de son devoir d’attaquer la banque en justice,
en suivant l’exemple de nombreuses collectivités. En effet, la réglementation est formelle en cette
matière puisque selon une circulaire du 25 juin 2010, reprenant une circulaire de septembre
1992, «les collectivités territoriales ne peuvent légalement agir que pour des motifs d’intérêt
général présentant un caractère local. L’engagement des finances des collectivités locales
dans des opérations de nature spéculative ne relève ni des compétences qui leur sont
reconnues par la loi, ni de l’intérêt général précité»
Ainsi, le Crédit Foncier de France n’aurait jamais dû faire souscrire à Nîmes Métropole le contrat
spéculatif indexé sur l’euro et le franc suisse. Quant à la collectivité, au lieu d’accepter de payer
des intérêts usuraires et une indemnité léonine, elle aurait dû refuser de payer et exiger devant
les tribunaux l’annulation de la clause de taux d’intérêt du contrat pour y substituer le taux légal
(ce taux est de 1,01 % pour le 1esemestre 2016). Ce sont ces raisons qui ont amené le CAC 30
et le CAC national à se rapprocher de deux élus, François Séguy et Sylvette Fayet, ainsi que
d’un contribuable de la ville, pour engager un recours contre les délibérations litigieuses, qui
plus est adoptées en violation du droit à l’information des élus.
Aujourd’hui, le CAC 30 et le CAC national(audit-citoyen.org), à l’initiative de l’action, ainsi que les
auteurs des recours, appellent la population à soutenir et à renforcer leur combat citoyen pour
fairerespecter les intérêts de la Métropole nîmoise, les intérêts de ses habitants, l’intérêt public
et le droit. Ils invitent les habitants de la Métropole à signer la pétition sur papier ou en ligne
avec le lien
:
Le CAC 30 invite les habitants de la Métropole à venir nombreuses et nombreux assister à la
réunion publique organisée
le 24 juin 2016 à 19 h 30 à la Maison des Adolescents du Gard (MDA 30), 34 ter rue Florian à Nîmes
.
Lors de cette réunion, le dossier sera présenté dans le détail. Les citoyennes et les citoyens
pourront poser leurs questions, échanger avec les initiateurs de ces recours et voir avec eux
comment s’associer à cette action.
Contact pour le CAC 30: mél: cac30@audit-citoyen.org - 06 81 50 86 67 ou 06 16 65 19 81
Contact pour le CAC national: Patrick Saurin, patricksaurin@wanadoo.fr - 06 62 88 05 17
À Rennes, le vice-président du tribunal Nicolas Léger fait tomber les peines de prison ferme sur les militants. Il vient d'en envoyer quatre en prison : des jeunes, sans casier, venus poser des autocollants sur les tables de la terrasse de la sandwicherie Bagelstein de Rennes.
La police n’est donc pas la seule à n’avoir reçu aucune consigne de retenue. Les juges non plus. À Rennes, le vice-président du tribunal Nicolas Léger, et président de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS), réputé pour être « le plus répressif » de « tout le grand Ouest », a condamné à des peines de prison ferme, fin mai, quatre étudiants sans casier venus poser des autocollants sur les tables de la terrasse de la sandwicherie Bagelstein de Rennes, en réaction à ses publicités sexistes et homophobes. L’initiative s’était terminée en bagarre entre le patron et l’un des militants, mais – en principe – pas de quoi faire partir les quatre jeunes à la maison d’arrêt. La stratégie de tension des autorités face aux opposants de la loi sur le travail se propage, comme une onde de choc, jusqu’aux palais de justice, où s’improvise apparemment une nouvelle politique pénale.
À Rennes, vingt jeunes militants mis en examen pour « association de malfaiteurs » à la suite d’une action dans le métro ont évité de peu la détention provisoire réclamée par le procureur de la République Nicolas Jacquet. Dix-huit d’entre eux ont l’interdiction de manifester. À Lille, un jeune militant de la CGT, Antoine C., interpellé lors d’une manifestation le 17 mai, est resté trois semaines en détention provisoire pour s’être seulement débattu lors de son interpellation. Jeudi, malgré les témoignages et les vidéos – lire ici –, il a été condamné à dix mois de prison avec sursis et deux ans d'interdiction de manifester ! Le parquet avait requis deux mois de prison ferme contre lui.
Le sort des quatre jeunes incarcérés à Rennes dans l’affaire du Bagelstein continue d’inquiéter. « Le caractère absolument disproportionné de la peine laisse sans voix, ont fait savoir jeudi des enseignants-chercheurs et personnels administratifs de l’UFR de philosophie de l’université de Rennes 1 dans un texte de soutien à Quentin, l’un des quatre étudiants. Quentin L. n’a ni porté de coup ni dégradé quoi que ce soit. Son casier judiciaire était vierge. Présenté comme un “activiste” par la presse, on ne lui connaît pourtant aucune affiliation à quelque groupe politique que ce soit. » Les professeurs témoignent « d’un étudiant sérieux, investi, doux, très apprécié de ses camarades, à mille lieues de la caricature d’agitateur violent que pourrait suggérer la qualification pénale des faits (“violence en réunion dans le cadre d’une manifestation”) ».
Le père de Martin est lui aussi « tombé de sa chaise comme les autres parents » : « Je connais le garçon… Il n’y a pas plus pacifiste, même s’il a des convictions. » « Je suis inquiet, poursuit-il. Je suis indigné, J’ai l’impression d’être dans un pays totalitaire. Mettre en prison des jeunes parce qu’ils sont allés discuter avec un commerçant excité des publicités de son restaurant… Ils ont mis en prison des jeunes qu’ils ne connaissent pas. Je suis assez fier du sujet que défendaient Martin et ces jeunes contre ces propos discriminants, et insultants. Je les félicite. Malheureusement, la justice n’a pas la même approche. »
Le 26 mai, les jeunes entrent sur la terrasse de la sandwicherie dans l’intention de coller des autocollants sur les tables, et de lire à haute voix les slogans de l’entreprise. Un collectif féministe de Rennes 2 avait déjà dénoncé ces publicités de la chaîne Bagelstein : « Il existe trois catégories de femmes : les putes, les salopes, et les emmerdeuses », « J’en ai marre de ces gays-là », « L’amour, c’est sportif surtout quand y en a un qui n’est pas d’accord »… Les jeunes sont interrompus par la fille du patron, puis par le patron lui-même. « Mon père a saisi le bras du plus virulent d’entre eux pour le faire sortir de la terrasse », a rapporté la jeune femme aux policiers. Une bagarre commence, un coup de poing part. « Mon père le maintenait par le col pour éviter de recevoir d’autres coups, poursuit-elle. Ils ont fait tomber toutes les tables en se débattant, et ils ont fini au sol. » Les policiers de la BAC arrivent. Pour faire bonne mesure, ils font s’aligner les étudiants contre le mur, armes pointées sur eux. Le gérant du restaurant, Patrick Q., questionné à son tour, explique que « tout s’est passé très vite ». « Nous sommes intervenus à temps, déclare-t-il, et ils n’ont pas eu le temps de coller leurs autocollants. » Il se dit incapable « d’établir le rôle précis » des autres jeunes. « Je ne pense pas avoir reçu de coups de leur part, reconnaît-il. Ils ont essayé d’intervenir pour libérer leur camarade. »
L’échange de coups a valu au gérant de la sandwicherie une ITT de deux jours… Le tribunal présidé par Nicolas Léger a condamné Quentin et Raphaël à un mois de prison ferme, Martin à deux mois, et Amaël à trois de prison ferme. Aucun d’entre eux n’avait de casier judiciaire. Tous ont fait appel, mais compte tenu de l’agenda de la cour d’appel, il faudra quelques mois avant qu’ils ne soient audiencés. Tous ont fait des demandes de remise de liberté, mais il faudra attendre jusqu’au 9 août pour qu’elles soient examinées. Quentin et Raphaël auront purgé leur peine, le 27 juin, Martin le 27 juillet. Les familles viennent seulement d’obtenir un premier parloir pour la semaine prochaine.
« Ça s’appelle faire des exemples », commente une avocate. Lors de la visite de Bernard Cazeneuve, le 15 mai, la maire de Rennes Nathalie Appéré avait enjoint à l’État de « prendre ses responsabilités » face aux dégradations commises dans le centre-ville, l’avant-veille, jour de l’expulsion des opposants à la loi sur le travail de la salle de la cité. « Il y aura d’autres convocations devant les tribunaux. Je le dis, ici à Rennes la fermeté sera totale », avait déclaré le ministre de l’intérieur. « La police et la justice mettent de l’huile sur le feu, estime le père de Martin. Ils veulent rassurer le centre-ville, mais l’effet obtenu est inverse : il y a une pétition qui a recueilli des milliers de signatures en faveur des jeunes, les manifestations se poursuivent… On ne fait qu’alimenter la tension de ces jeunes adultes. À chaque fois, on leur met la tête sous l’eau avec des décisions iniques. Ils n’ont plus du tout confiance. »
Pour le père de l’étudiant, cette politique de maintien de l’ordre « risque de faire basculer une partie de ces jeunes contre l’ordre républicain ». « Je me pose des questions sur la sortie de prison de mon fils, et sur le regard qu’il aura sur la société, conclut-il. Ça ne m’étonne pas que des jeunes se radicalisent dans ce contexte-là. »
Source : https://www.mediapart.fr
France 3 Midi-Pyrénées, 9 juin 2016 :
Les opposants albigeois à la loi travail ont trouvé une façon originale de manifester. Jeudi matin, ils ont emmailloté 80 parcmètres de la ville, les ornant de surcroît d’un appel à la manifestation du 14 juin prochain.
Dans les mouvements sociaux qui s’éternisent, il faut trouver la bonne idée pour attirer l’oeil et l’attention du grand public…
A Albi, les opposants à la loi travail (dans le cadre d’une action intersyndicale CGT, FO, FSU et Solidaires.) ne s’y sont pas trompés, en s’attaquant aux parcmètres de la ville, à l’occasion de cette nouvelle journée d’action.
80 d’entre eux ont été solidement emmaillotés dans des mètres d’adhésif, jeudi matin. Rendus inutilisables, ils ont été reconvertis en panneaux d’affichage puisque redécorés par les manifestants avec des tracts appelant à la grande manifestation nationale du 14 juin prochain pour le retrait pur et simple de la loi.
Source : https://communismeouvrier.wordpress.com
Lors de la septième journée d'audience, le procureur luxembourgeois a demandé au tribunal de condamner Antoine Deltour et Raphaël Halet, tout en se disant « pas opposé » à des peines avec sursis. Contre le journaliste Edouard Perrin, il a demandé une simple amende. Cela ne l'a pas empêché de critiquer durement ceux qui sont à l'origine de la révélation du scandale.
En apparence, le procès LuxLeaks n’aura pas fait bouger les lignes. Mardi 10 mai, au septième et avant-dernier jour des audiences où comparaissent les anciens employés de PriceWaterhouseCoopers (PwC) Antoine Deltour et Raphaël Halet aux côtés du journaliste Edouard Perrin, le procureur David Lentz a prononcé un réquisitoire implacable envers les « soi-disant lanceurs d'alerte » et le journaliste qui serait « allé trop loin ». Auparavant, ce mardi et le mercredi précédent, les avocats des prévenus s’étaient démenés pour démontrer que les actions de leurs clients, qui ont copié, transmis et diffusé des centaines d’accords fiscaux secrets entre le Luxembourg et des multinationales, n’ont répondu qu’à un souci d’intérêt général. Les avocats ont par conséquent tous demandé la relaxe de leurs clients.
La situation semble donc être restée figée à ce qu’elle était avant l’ouverture du procès. Et pourtant, le procureur paraît être moins sûr de son fait que ses mots ne l'ont laissé entendre. Aussitôt après avoir demandé 18 mois de prison pour Antoine Deltour et Raphaël Halet, il a précisé qu’il ne serait « pas opposé » à ce que ces peines soient intégralement assorties d'un sursis. On est donc loin des 10 ans de prison et du million d’euros qu’ils encouraient au maximum, pour « vol domestique », « divulgation de secrets d’affaires » et « violation du secret professionnel ». Et après avoir durement critiqué Edouard Perrin, jugeant que « la liberté d'expression journalistique ne prévaut pas sur la violation du secret professionnel » (comme l’ont rapporté les journalistes sur place, lire notre boîte noire), le procureur n’a demandé qu’une amende à son encontre, laissant le montant à l’appréciation du tribunal. Il a même conclu en félicitant Edouard Perrin « pour son travail et son opiniâtreté », et a reconnu que le scandale LuxLeaks avait contribué à mettre au jour des « pratiques fiscales douteuses ».
Pour autant, le procureur n’a pas rechigné à endosser son « rôle », celui de « protéger la société contre les abus ». « Si une infraction a été commise, il ne peut y avoir que condamnation », a-t-il déclaré, en s’appuyant sur le fait que les trois mis en cause reconnaissent la matérialité des faits qui leur sont reprochés. Le représentant du parquet luxembourgeois est allé plus loin. « La justice, ça se rend. Ça ne se vole pas », a-t-il fait valoir, extrêmement soucieux de casser l’image de justicier au service de l’intérêt général à laquelle Deltour et Halet ont été associés tout au long des audiences. Pour lui, aucun doute, le premier avait même « une volonté de nuire » à son employeur, en violant le secret des affaires.
David Lentz a expliqué que l’impunité ne pouvait être accordée aux deux hommes, car même si une loi locale existe depuis février 2011, elle ne protège que ceux qui dénoncent des agissements contraires à la loi, alors que les accords fiscaux dévoilés par le scandale LuxLeaks étaient légaux. « Pas question d'ouvrir les portes aux délateurs de tout poil », a-t-il prévenu. Quant au chef d’accusation de vol, il l’a maintenu, bien que les avocats des accusés aient plaidé que les biens immatériels n’étaient pas concernés par la loi luxembourgeoise qui définit ce délit. De fait, dans la jurisprudence du pays, une seule décision de la Cour de cassation englobe les « meubles immatériels », et elle a été contredite depuis.
Revenant sur le rôle d’Edouard Perrin, le procureur a ensuite maintenu que le journaliste avait téléguidé Raphaël Halet. Pour ce faire, il est resté arc-bouté sur les déclarations de l’ex-employé de PwC devant les policiers et la juge d’instruction, mais n’a apparemment pas tenu compte de sa déposition au procès, où il avait fermement démenti cette version. Rappelons aussi que Perrin a bénéficié d’un non-lieu pour les accusations de complicité de vol, rendu le 25 novembre dernier par la chambre du conseil du tribunal, qui décide des poursuites ou non après la conclusion de l’enquête d’un juge d’instruction. Qu’importe, le magistrat l’a jugé coupable de complicité de viol du secret professionnel et du secret des affaires. « Il y a des limites à la liberté d'expression », a-t-il assuré, faute de quoi on sombrerait « dans l'anarchie ».
« Le secret des affaires, ce n’est pas le secret de magouilles »
Le réquisitoire du procureur a dû satisfaire PwC. Lors de l’audience précédente, mercredi 4 mai, son avocat avait demandé à la justice de ne pas céder à la « stratégie de défense très efficace à l'égard de la presse », consistant à présenter Deltour et Halet comme des lanceurs d’alerte. Pour PwC, « au regard des faits », ni Deltour ni Halet n'avaient l'« animus du lanceur d'alerte », et ce statut dont ils se revendiquent serait une « invention ex post facto, concoctée pour les besoins de la défense ». Concernant Antoine Deltour, l’avocat de PwC avait particulièrement insisté sur son non-respect du secret professionnel, pourtant détaillé dans son contrat de travail. « M. Deltour n'est pas un lanceur d'alerte chimiquement pur. Il n'est pas un lanceur d'alerte du tout », avait-il lancé, assurant que, en copiant des documents de formation en plus des « rulings », son « but premier » avait été de « piller le “know how” [le savoir-faire – ndlr] de PwC ».
Le cabinet d’audit avait demandé une indemnisation d'un euro à l’égard de ses anciens employés, car il ne serait pas possible de mesurer l’impact réel de leurs actions. Pourtant, en décembre 2014, l’entreprise avait fait signer un accord de confidentialité à Halet en lui faisant reconnaître qu’elle avait perdu au moins 10 millions d’euros du fait de la fuite des seize documents dont il était l’auteur… En ne demandant qu’un euro de dommages et intérêts, « PwC ne souhaite en aucun cas montrer qu’elle n’aurait pas subi de préjudice », assurait son avocat, martelant qu’il « s’agit d’une affaire grave ».
Ce mardi, la réplique de William Bourdon, l’avocat français d’Antoine Deltour et figure emblématique de la défense des lanceurs d’alerte, a été cinglante. « Les lanceurs d'alerte ne savent pas encore qu'ils le sont lorsqu'ils agissent », a-t-il asséné, invitant le tribunal à être « au rendez-vous de l'Histoire », s’attirant les applaudissements d’une partie de la salle, où étaient réunis les soutiens des trois accusés. Le mercredi précédent, c’est Bernard Colin, l’avocat de Raphaël Halet, qui avait enthousiasmé le public, en demandant d’« appeler un chat un chat » et en dénonçant l'« évasion fiscale », et non l'« optimisation fiscale », organisée par PwC pour les multinationales. Très en verve, il avait déclaré se trouver « face à des tordus de la finance », et clamé : « Pour moi, le secret des affaires, ce n’est pas le secret de magouilles. »
Les uns après les autres, tous les avocats présents ont plaidé pour une relaxe générale, en s’appuyant notamment sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui définit la liberté d’expression et la liberté de la presse. Selon les règles européennes, qui s’imposent aux droits nationaux de chaque État membre, défendre l'intérêt général peut permettre de violer la confidentialité, dans certains cas. May Nalepa, qui défend Raphaël Halet, a notamment détaillé point par point les conditions qu’il faut remplir pour se prévaloir de cette jurisprudence, et a plaidé qu’elles étaient toutes remplies. « M. Halet a défendu les intérêts de la nation européenne », a-t-elle lancé. « Que valent les petits secrets de PwC face au droit à l'info de 500 millions d'Européens ? » a surenchéri Olivier Chappuis, avocat d’Edouard Perrin. Le procureur ne les a pas suivis sur ce point. Il leur reste un dernier droit de réplique, mercredi 11 mai, pour convaincre le tribunal que ce sont eux qui ont raison.
Le jugement devrait être connu pendant la seconde quinzaine de juin.
Source : https://www.mediapart.fr
Les violences policières lors des manifestations contre la loi sur le travail s'inscrivent dans un cycle plus large de régression démocratique qui affecte toutes les libertés fondamentales. Cette régression est la conséquence directe de la victoire du néolibéralisme. Un néolibéralisme qui ne se contente pas de limiter les contre-pouvoirs mais désactive et rend caduc le projet politique même de la démocratie. Il est l'explication de l’échec démocratique du quinquennat de François Hollande.
« Il faudrait une histoire des rapports entre répression et lexique, twittait récemment le philosophe Mathieu Potte-Bonneville. 1986, pelotons voltigeurs motocyclistes. 2016, grenade de désencerclement. » 1986 : c’est l’année des manifestations contre la loi Devaquet, c’est aussi la mort de Malik Oussekine sous les coups de CRS opérant sur des motos tout-terrain. 2016 : c’est la mobilisation contre la loi sur le travail, marquée par des violences policières sans précédent qui ont fait de nombreux blessés, dont deux grièvement.
À cette occasion, le lexique de la répression policière s’est enrichi de nombreux termes, comme Flash-Ball ou LBD, les armes utilisées contre les manifestants, mais aussi des mots nouveaux comme gazage, nasse et même d’anglicismes comme kettling, cette technique anglo-saxonne qui vise à encercler, immobiliser, couper les cortèges en deux ou trois, créer des « souricières » pour réguler le flux et noyer de gaz lacrymogènes les manifestants. L’usage des smartphones sur les lieux de manifestation a permis de documenter de nombreuses violences des forces de l’ordre que Mediapart a récemment rassemblées dans un ensemble accablant.
L’inspection générale de la police a elle-même lancé en 2013 un site « anti-bavures » dans le but de donner une bonne image des forces de l’ordre. Mais le mot même de « bavures », qui réduit la violence policière à des dérapages isolés, exclut de fait toute analyse systémique de ces violences alors que l’évolution du lexique répressif constitue un bon indicateur des changements à l’œuvre dans la stratégie de maintien de l’ordre.
Cette stratégie articule la nature des armes utilisées, le mode opératoire des forces de l’ordre, leur mise en place et leur déploiement, mais aussi la logique qui préside à l’encadrement de la foule par les forces de l’ordre, logique qui substitue au simple maintien de l’ordre le contrôle et l’occupation de l’espace public, et à la protection des manifestants, la confrontation avec eux. Les provocations incessantes de la police contre les occupants de la place de la République à Paris en sont le signe manifeste.
Cette histoire du lexique répressif devrait embrasser non seulement les techniques de répression policière et de maintien de l’ordre pendant les manifestations mais également les formes nouvelles de répression politique. Car ce phénomène de répression s’inscrit dans un cycle de régression démocratique qui affecte toutes les libertés fondamentales depuis plus d’un an : état d’urgence ou d’exception, perquisitions de jour et de nuit, assignations à résidence, projet de déchéance de nationalité, gardes à vue, notes blanches, interdictions administratives de manifester, filatures, écoutes téléphoniques, surveillance numérique, couvre-feu, interdictions de réunion, de circulation, fichage en dehors de tout cadre légal, fiches S, contrôles au faciès, reconduites aux frontières...
Le lexique se fait inventaire à la Prévert. Il désigne des interdits mais aussi des licences que s’accorde le pouvoir exécutif, usant d’un droit d’exception banalisé, des interdits d’actes mais aussi des interdits de langage, comme l’apologie du terrorisme, ou des injonctions comme celle de chanter La Marseillaise dans les écoles ou de brandir le drapeau aux fenêtres. Il s’étend par nappes de mots, redessine les frontières du licite et de l’illicite, du légitime et de l’infâme. Tous ces interdits se croisent, formant, comme le disait Foucault dans L’Ordre du discours, « une grille complexe », qui ne cesse de se resserrer sur les zones en crise : l’identité, la nation et la nationalité, la religion et son double, la laïcité…
Le débat sur la déchéance de nationalité en a été l’exemple le plus éloquent. Les applaudissements qui ont salué, lors du Congrès réuni à Versailles, cette proposition transpartisane du président de la République sont le symptôme d’une véritable « acculturation » démocratique chez ceux qui sont les garants des institutions démocratiques. Mais ce n’est pas le seul. L’arsenal législatif de lois scélérates adopté à la suite des attentats terroristes de janvier et de novembre 2015 a rendu possible une régression démocratique qui concerne toutes les libertés fondamentales.
Ainsi à la faveur de la mise en place de l’état d’urgence, héritage colonial s’il en est, les lois liberticides se retournent aujourd’hui contre des citoyens français et en dehors de tout contrôle judiciaire. Et encore cette régression démocratique déborde-t-elle les mesures de l’état d’urgence, elle participe d’un climat liberticide général. Le nouveau lexique de la répression nourrit une novlangue désormais partagée par nos élites médiatico-politiques par-delà les affiliations idéologiques ; du Front national au Parti socialiste en passant par Les Républicains. Une novlangue avec son lexique, sa sémantique et sa syntaxe.
C’est un moment crucial et à ce titre peut-être plus important que ne le fut Mai-68 : l’accouchement au forceps du néolibéralisme en France. Le néolibéralisme considéré non pas comme une simple politique économique (la politique de l’offre) mais comme une logique rationnelle générale qui vise à « reformuler » toutes les formes d’expériences et d’existences en termes purement économiques. Ce travail de réécriture, la loi El Khomry l’effectue en partie, elle en est le symbole et le test.
Mais la preuve et la signature de cette entreprise de reformulation, c’est la régression démocratique qui affecte toutes les libertés fondamentales dans ce pays. La liste des atteintes aux droits fondamentaux s’allonge, à l’abri de l’autocensure de plus en plus flagrante de médias passés aux mains de quelques milliardaires. Le licenciement politique d’Aude Lancelin, la directrice adjointe de L’Obs, en offre une image presque caricaturale.
La logique managériale néolibérale qui est celle des actionnaires de cet hebdomadaire s’impose à toute autre logique et au principe même du débat d’idées qui est l’oxygène du journalisme et de la démocratie. Les sociétés de rédacteurs du groupe Le Monde, qui appartient au même trio d’actionnaires, ne s’y sont pas trompées : elles ont dénoncé d’une seule voix cette ingérence des actionnaires dans la politique éditoriale. Les raisons managériales invoquées pour justifier ce licenciement ne sont pas le masque qu’on a voulu y voir, celui d’une éviction à l’évidence politique comme l’a démontré Mediapart ; elles sont le vrai visage de l’absolutisme néolibéral qui ignore et exclut toute autre rationalité politique ou même démocratique. Nous y reviendrons à la fin de cet article…
À l’évidence, ce licenciement participe de cette « bataille des idées » qui fait rage, selon les éditorialistes qui recyclent le vieux concept d’« hégémonie culturelle » d’Antonio Gramsci, selon lequel la victoire des idées précède toujours les victoires politiques. L’état-major de cette guerre culturelle, Gramsci le qualifiait d’« intellectuel organique ». Mais qu’en est-il aujourd’hui de l’intellectuel organique ? Où est-il donc passé après 2008 et la crise financière ? Faut-il le chercher (le repêcher) à gauche où il a sombré corps et âme avec le Mur de Berlin ? Ou bien se cache-t-il à droite, dans quelque think tank ou agence de lobbying ? On ne peut, dans le cadre limité de cet article, que formuler quelques hypothèses :
1. Première hypothèse : l’intellectuel organique n’est pas là où on le croit. D'Alain Finkielkraut à Éric Zemmour, les figures médiatiques d’une pensée de droite centrée sur les questions de l’identité nationale, de l’immigration et de la laïcité occupent les plateaux de télévision et les pages débats des journaux mais sont totalement inopérantes s’il s’agit de penser les questions de la souveraineté, du pouvoir et des formes nouvelles de gouvernance. Ces auteurs, qu’on les qualifie de philosophes, de publicistes ou d’éditorialistes, ne sont nullement une spécialité made in France. Ils participent d’un phénomène que je propose de qualifier de « trumpisation des esprits ». La « trumpisation des esprits » n’a rien à voir avec l’hégémonie culturelle et ce pour plusieurs raisons, que l’on peut décliner conformément aux hypothèses suivantes.
2. Deuxième hypothèse : la « trumpisation des esprits » n’est pas un courant d’idées, c’est l’expression d’un ressentiment. Elle exprime un ras-le-bol indistinct qui vise aussi bien l’étranger que l’élite, le religieux comme l’athée, l’exclu et le milliardaire. Son succès dans l’opinion n’en fait pas une pensée hégémonique car elle ne vise pas à créer une nouvelle subjectivité mais se contente de faire écho à des ressentiments. En ce sens, les intellectuels « trumpistes » ne sont pas « organiques » mais « allergiques » : ils se contentent de nourrir la nostalgie du récit perdu, la grandeur de la Nation, blanche, chrétienne, uniculturelle et monolingue, sa culture, son empire et ses satellites ou colonies.
C'est une pensée réactive plutôt que réactionnaire, qui sert tout au plus d’exutoire au malaise « identitaire » qui, en effet, travaille les sociétés dans toute l’Europe et aux États-Unis. Pensée allergique mais sûrement pas régulatrice, pour rester dans la métaphore organique qu’utilisait Gramsci pour penser l’hégémonie culturelle.
3. Troisième hypothèse : l’hégémonie culturelle d’un courant de pensée ne se mesure pas seulement à son influence ou à son audience médiatique mais à sa centralité dans le fonctionnement et la légitimation du système social. L'« intellectuel organique » tel que l’avait défini Gramsci peut donc se reconnaître à sa capacité à transformer un corpus d’idées et de valeurs. Il est celui qui œuvre en faveur de la construction d’une hégémonie en produisant du discours, des concepts et des instruments de gouvernance, nous dirions aujourd’hui des récits, un nouvel « ordre » narratif capable d’inspirer et de « conduire les conduites » (Foucault).
Dans l’immédiat après-guerre, « l’intellectuel organique » en Occident était représenté par le courant keynésien qui élabora, scénarisa et répandit le grand récit fordiste du welfare state. Nous en connaissons l’intrigue et les personnages. Mais en coulisses, un autre « intellectuel organique » était en gestation : l’intellectuel organique néolibéral. La Société du Mont-Pèlerin (en anglais Mont Pèlerin Society, MPS) en fut la couveuse et l’atelier d’écriture. Fondée en 1947 par Friedrich Hayek, Karl Popper, Ludwig von Mises ou Milton Friedman, la Société du Mont-Pèlerin élabora le récit d’un nouvel ordre social, « néolibéral », qui allait s’imposer peu à peu dans les cercles du pouvoir, les médias puis le grand public, avant de triompher à la fin des années 1970 en jetant le discrédit sur le welfare state et en proposant une nouvelle intrigue et un nouvel héros : non plus le consommateur enchanté, mais « l’entrepreneur de soi ».
Cette vision nouvelle de l’homo œconomicus allait inspirer une nouvelle manière de considérer l’État, la gouvernance, les rapports sociaux et internationaux. Ce récit néolibéral allait trouver ses grands narrateurs en la personne de Ronald Reagan et Margaret Thatcher. « L’économie est le moyen, déclara cette dernière en 1988. L’objectif est de changer les âmes. » Pour l’essentiel, l’objectif est atteint. Les ingénieurs de l’âme néolibéraux ont achevé leur travail. Un nouveau sujet néolibéral s’est imposé, dont les qualités et les valeurs sont la flexibilité, l’agilité, l’adaptabilité, la capacité à changer de stratégie en fonction des circonstances, un nouveau moi volatil, axé sur le court terme et libéré du poids de l’expérience passée.
4. Quatrième hypothèse : comprendre l’hégémonie suppose donc de partir non des idées et de leur influence, mais d’une description de ce système, de ses rouages essentiels. Une récente enquête de La Revue du crieur (à lire ici sur Mediapart) dresse le portrait d’un de ces praticiens et producteurs d’idées qui fabriquent les concepts et techniques du néocapitalisme mondialisé.
L’auteur de cette enquête, le sociologue Razmig Keucheyan, a rencontré l’un d’eux : Emmanuel Gaillard. En 2014, le magazine Vanity Fair l’a classé à la seizième place des « Français les plus influents du monde », juste derrière Xavier Huillard, le PDG de Vinci (et avant l’actrice Eva Green !). Le portrait de cet « intellectuel discret au service du capitalisme » bouleverse bien des idées reçues sur l’hégémonie. Gaillard est un expert en arbitrage international. Son grand œuvre est un austère traité de théorie du droit intitulé Aspects philosophiques du droit de l’arbitrage international. Rien d’un Sartre ou d’un Foucault !
En quoi peut-il être qualifié d’« intellectuel organique » ? L’arbitrage international répond à un problème crucial du néocapitalisme : comment gérer les inévitables frictions ou conflits qui résultent de la mondialisation du capital ? Comment, plus généralement, produire un espace mondial lisse, où le capital puisse circuler sans entraves ? Gaillard est un « courtier » du capitalisme. Se faisant l’intermédiaire entre plusieurs cultures juridiques, lui et ses semblables œuvrent à la mondialisation du capital par le droit.
5. Cinquième et dernière hypothèse : l’hégémonie de l’intellectuel organique ne repose pas sur l’orthodoxie idéologique, la consistance propre à une pensée ou une idéologie mais au contraire sur l’hétérodoxie, la récupération, le braconnage conceptuel. Elle puise sa force dans une sorte de « hacking idéologique », pour reprendre une expression de Jérôme Batout dans un article récent. Il prend pour exemple le primat de l’économie sur le fonctionnement social, matrice fondamentale de la gauche marxiste mais qui a pour effet de légitimer à droite une certaine méfiance à l’égard de la politique. « Si l’infrastructure économique commande la superstructure politique, alors il en découle que la politique est une illusion. La politique n’a pas de réalité propre. »
Un autre exemple : dans ses cours au Collège de France, en 1979, Michel Foucault insistait sur le fait que le néolibéralisme n’appréhendait pas les individus comme des consommateurs, mais comme des producteurs et qu’il visait à « substituer à un homo œconomicus partenaire de l’échange, un homo œconomicus entrepreneur de lui-même ». Les idées de Foucault ont inspiré bien des théoriciens du néolibéralisme. Emmanuel Gaillard, lui, s’inspire des concepts de l’œuvre de Pierre Bourdieu ! « L’arbitrage, déclare-t-il, est devenu un véritable champ social au sens de Bourdieu ; il se caractérise par une lutte entre acteurs possédant des “capitaux” économiques, culturels et sociaux différents. »
Cet exemple de braconnage idéologique est l’un des traits d’une pensée hégémonique. Capter et mettre à profit les idées de l’autre camp permet de parvenir à un degré de compréhension et de conscience de soi supérieur, en intégrant et en « dépassant » la critique. Cela permet aussi de désamorcer ce que ces idées ont de subversif en les intégrant au bloc d’idées hégémonique.
Reste la question centrale : en quoi la régression démocratique participe-t-elle du triomphe du néolibéralisme ? C’est là que l’horizon temporel choisi par Mathieu Potte-Bonneville pour son histoire lexicale de la répression prend tout son sens : 1986-2016. Il recouvre grosso modo le cycle des trois décennies de la révolution néolibérale. L’épisode grec de l’été 2015 a mis en évidence la férocité de la lutte que mènent les néolibéraux lorsqu’il s’agit de disqualifier, d’affaiblir et finalement d’abattre tout ce qui s’oppose à la gouvernance néolibérale. Comment articuler le processus de régression démocratique et le cycle historique au cours duquel le néolibéralisme s’est imposé ? La démocratie serait-elle soluble dans le néolibéralisme ?
Le néolibéralisme n’a rien d’une politique du « laisser faire », comme le libéralisme avec lequel on le confond. C’est une politique volontariste, qui se propose de construire les conditions sociales et individuelles d’une forme de gouvernance nouvelle qui reconfigure tous les aspects de l’existence en termes économiques et financiers.
Dans un livre événement encore inédit en France, Wendy Brown décrit comment le néolibéralisme ne se contente pas de limiter les contre-pouvoirs dans l’exercice de la démocratie. Il désactive et rend caduc le projet politique même de la démocratie libérale comme forme sociale et historique autonome.
Wendy Brown faisait déjà ce constat en 2007 dans un précédent essai (Les Habits neufs de la politique mondiale, éditions Les Prairies ordinaires, 2007). « Dans les pays où domine la rationalité politique néolibérale », écrivait-elle, la tendance veut que la « classe dirigeante ne soit plus constituée d’hommes de loi mais d’hommes d’affaires, que les juges soient critiqués et les légalismes soient dénoncés comme des verrous, et que le gouvernement fasse un usage stratégique de la loi comme – pourquoi pas ? – de la transgression de la loi. »
Son nouveau livre, Undoing the Demos, va plus loin. Selon Wendy Brown, le néolibéralisme a pour effet structurel de débrancher toutes les formes de la délibération démocratique en les faisant basculer dans un registre purement économique. « La démocratie se réduit à un murmure dans les nations euro-atlantiques, affirme Wendy Brown. Alan Greenspan peut déclarer que les élections ont perdu de leur importance parce que, grâce à la mondialisation, le monde est régi par les forces du marché. Ainsi le sens de la démocratie se réduit-il à ce qu’il reste de la liberté personnelle. » Brown décrit en détail comment le néolibéralisme reformule, conformément à sa propre rationalité, tous les ingrédients de la démocratie : la jurisprudence, la gouvernance, la culture politique, les pratiques de citoyenneté, les formes du leadership, le vocabulaire et l’imaginaire démocratiques…
Son argument diffère des critiques habituelles du néolibéralisme, selon lesquelles l’argent et le marché corrompent ou dégradent la démocratie, ou qui décrivent comment les institutions démocratiques sont dominées par la finance. L’analyse de Wendy Brown, et c’est ce qui fait sa force et son originalité, se concentre sur la manière dont la raison néolibérale est en train de subvertir le caractère propre de la raison politique en la reformulant en termes économiques. Les institutions démocratiques ne peuvent survivre à cette transmutation. La modernisation néolibérale ne pourrait donc s’imposer qu’au prix d’une régression démocratique. Nul besoin de dictateurs comme Pinochet au Chili pour cela ! Le néolibéralisme y suffit quand il n’a pas recours à sa forme néoconservatrice pour précipiter le mouvement.
Le livre fournit une série d’études de cas qui illustrent cette déconstruction du Dèmos. Citons-en deux. L’exemple de l’Irak : Wendy Brown montre comment l'Autorité provisoire de la coalition, dirigée par Paul Bremer, a cherché à transformer l'Irak en un paradis néolibéral. Par un simple décret, Bremer a brisé l’autosuffisance céréalière des Irakiens en imposant des restrictions à la réutilisation des semences, ouvrant ainsi la voie aux importations de Monsanto et à ses semences génétiquement modifiées.
L'arrêt Citizens United, rendu le 21 janvier 2010 par la Cour suprême des États-Unis. C'est un autre exemple de cette pénétration de la logique néolibérale dans le fonctionnement démocratique. Afin de supprimer les limitations fixées par la loi en matière de financement des campagnes électorales américaines, cette décision assimile les dons des entreprises à l’exercice du droit d’expression défini dans le premier amendement de la Constitution. Brown fait valoir qu’une telle extension du droit d’expression au financement des campagnes par les entreprises a pour effet de mettre sur un même plan le lobbying des entreprises et l’expression de la souveraineté populaire. De fait, la libre expression se trouve assimilée à une forme d’activité économique et les flux discursifs sont identifiés à des flux financiers. Les uns et les autres peuvent être alors considérés comme également légitimes, jouissant des mêmes droits. Ce qui constitue une refonte complète du concept même de Dèmos.
« Undoing the Demos est un livre pour l'âge de la résistance, affirme Costas Douzinas, directeur du Birkbeck institute for the Humanities, pour les occupants des places, pour la génération d'Occupy Wall Street. La philosophe offre une critique dévastatrice de la façon dont le néolibéralisme a évidé la démocratie. Mais la victoire de l'homo œconomicus sur l’homo politicus n’est pas irréversible. Après avoir lu Brown, seule la mauvaise foi peut justifier la tolérance à l’égard du néolibéralisme. »
Ainsi le prétendu déblocage des sociétés opéré par les néolibéraux partout dans le monde s’effectue-t-il sous les modalités concrètes d’un verrouillage brutal des droits fondamentaux. Le livre de Brown permet de comprendre, au-delà des conjonctures et des tactiques locales, comment le néolibéralisme reconditionne les lois et les formes de la démocratie. Il fournit une base solide à la réinvention de formes démocratiques nouvelles. Il permet aussi de penser l’échec démocratique du quinquennat de François Hollande autrement qu’en termes moralistes ou mélancoliques et de comprendre comment un président « normal » est devenu un président d’« exception », responsable d’un rétrécissement historique des droits et des libertés.
L’oligarchie néolibérale qui gouverne le pays serait bien ingrate de ne pas lui en savoir gré, car ce président, plus qu’aucun autre, a réussi l’impossible : discipliner la société, soumettre tout le champ social au calcul économique, faire accepter l’idée que la souveraineté populaire doit être soumise non plus seulement à une autorité politique incarnée, mais à une logique absolutiste désincarnée à laquelle le souverain est lui-même soumis. Ce n’est donc pas seulement de « trahison » qu’il faudrait accuser François Hollande (la trahison de ses promesses, de ses alliances, de son électorat…) mais aussi d’allégeance et de loyauté à l’égard de Bruxelles, du Medef, de l’Otan et surtout de soumission à la raison néolibérale, ce TINA (There is no alternative) qui les inspire et les gouverne.
C’est la leçon du quinquennat sans doute la plus révoltante. Nous sommes dominés non pas par des tyrans, mais par des fondés de pouvoir, une classe « dirigée » et non pas dirigeante, soumise à une autre rationalité que celle qui inspire la démocratie depuis les Lumières. TINA est son cogito et François Hollande, son interprète. En jouant sur les verbes « être » et « suivre », à la manière de Jacques Derrida, son slogan de campagne pourrait être : « Ce TINA que donc je suis »…
Source : https://www.mediapart.fr
Édité et parrainé par Louise Auvitu
Le soir du vendredi 29 mai, la femme de Yannick a contacté l’entrepôt car elle était sans nouvelle de son mari. Ce dernier devait aller récupérer son enfant à la sortie de l’école. Il ne s’y était pas rendu. À l’entrepôt, on lui a répondu que Yannick avait quitté son travail et qu’il ne se trouvait plus sur le site.
Au bout de quelques heures, sa femme, inquiète, a décidé de venir directement sur place. Vers une heure du matin, la pièce des compresseurs, qui était bloquée de l’intérieur, a été ouverte. Le corps de Yannick a été retrouvé. Il s’était pendu à l’aide d’une chaîne.
En solidarité, l’ensemble des travailleurs du site sont en arrêt de travail depuis lundi.
Je m’en veux de ne pas avoir pu déceler son mal-être
Ce drame a occasionné une immense souffrance. Yannick était notre collègue, tout le monde le connaissait, tout le monde l’appréciait. Pendant 10 ans, j’ai travaillé à ses côtés. C’était quelqu’un de très gentil, toujours disponible et à l’écoute des autres.
Il était déjà venu vers moi pour me dire qu’il n’allait pas bien. Il se sentait surchargé de travail et souffrait d’un manque de respect de la part de la direction. Il m’avait dit qu’il voulait quitter l’entreprise, mais ne savait pas vraiment comment s’y prendre. Je lui avais conseillé de tenter une rupture conventionnelle avec la direction. Je ne sais pas s’il avait fait la démarche.
Comme d’autres collègues, je m’en veux de ne pas avoir pu déceler son mal-être, de ne pas avoir réussi à désamorcer ses intentions. Il y avait bien quelques signes, mais comme la plupart d’entre nous.
Yannick emmagasinait le travail de 3 personnes
Le groupe LIDL a été restructuré il y a quelques années et notre site en a été directement impacté. L’entrepôt de Rousset est une vieille structure qui nécessiterait d’être repensée et rénovée. Nous sommes clairement en fin de vie.
En changeant de direction, LIDL est passé du "discount" à la supérette classique, mais le problème c’est qu’au lieu d’injecter de l’argent pour améliorer nos conditions de travail, ils ne nous ont pas pris en considération.
Yannick, comme nous autres, était surchargé de travail. Il était toujours en train de courir dans tous les sens. À lui seul, il emmagasinait le travail de deux ou trois employés. Et pour cause, notre entrepôt tourne en sous-effectif constant. La direction préfère cumuler les emplois précaires, les profils polyvalents, ce qui ne favorise pas un fonctionnement stable.
Par exemple, au pôle palettes, il est toujours très difficile de faire évacuer cartons et plastique dans le temps imparti. C’est impossible à gérer et cela entache considérablement notre productivité.
Au travail, personne ne se sent serein et en sécurité. On craint toujours un accident.
"Votre travail serait mieux fait par des enfants"
Le souci, c’est que nous n’avons personne à qui parler. Dès qu’il s’agit d’aborder les problèmes de fonctionnement de l’entreprise, la direction fait tomber un rideau de fer. Pire encore, elle nous manque de respect.
En façade, on nous dit que tout se passe bien, qu’il n’y a aucun problème et que nous faisons du bon boulot.
Mais en entretien individuel, il est fréquent qu’on lance à des jeunes de 25/35 ans que le travail qu’ils font serait mieux réalisé par des enfants de trois ans. Si vous avez le malheur de poser un arrêt maladie, on vous explique qu’il n’y a pas de problème… car de toute façon, on aura trouvé quelqu’un pour vous remplacer quand vous reviendrez.
Voici le genre de pression quotidienne que nous subissons.
Nous ne sommes pas de la matière première
Les plages horaires sont très variées car l’entrepôt est ouvert quasiment 24 heures sur 24, trois équipes tournent matin, midi et soir. On commence à 5 heures du matin, pour parfois finir à 19 heures… sans compter ceux qui travaillent la nuit.
Ce qui nous dérange, ce n’est nos conditions de travail, mais aussi le manque de considération à notre égard. Ce qui est arrivé à Yannick ne doit jamais se reproduire. Et pour cela, il faut que Lidl se remette en question, qu’il réfléchisse sérieusement à la part de responsabilité qu’ils ont dans ce terrible drame.
J’espère qu’un jour on nous écoutera, que l’entreprise appliquera cette transparence nécessaire au bon fonctionnement d’une société. Plus question d’être traité comme de la simple matière première.
Propos recueillis par Louise Auvitu
Source : http://leplus.nouvelobs.com
Le gouvernement voudrait en finir avec les grèves à l'heure où l'Euro de football commence. Mais la tension sociale ne faiblit pas. La grève dure à la SNCF, dans le traitement des ordures et elle commence à Air France.
La stratégie du gouvernement consistant à faire de l’Euro de football l’arme qui éteindrait les colères et les tensions sociales à travers le pays, et qui ressouderait grâce à la passion du ballon rond une France au bord de l’implosion, ne fonctionne décidément pas. Les grèves se poursuivent dans plusieurs secteurs, comme les déchets ou à la SNCF. D’autres s’annoncent, comme la grève des pilotes à Air France ce samedi, au grand dam de l’exécutif qui martèle que le temps de la grève est révolu. « Il faut, selon une formule célèbre, savoir arrêter une grève », avait déclaré en début de semaine dans un entretien à la Voix du Nord François Hollande. Le chef de l’État empruntait la citation à Maurice Thorez mais il la tronquait de moitié et de l’essentiel puisque le 11 juin 1936, le secrétaire général du Parti communiste français déclarait : « Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue » (lire ici l’article d’Antoine Perraud).
Michel Sapin lui a emboîté le pas jeudi, poursuivant la surenchère verbale depuis plusieurs semaines pour décrédibiliser les mouvements sociaux et monter l’opinion publique contre les grévistes, « radicaux », « inconscients », « irresponsables », « preneurs d’otage », « terroristes », etc. « Pour qu'une grève soit comprise, il faut qu'elle ait un sens. Aujourd'hui, cette grève n'a plus aucun sens. Quel est le sens de la grève des conducteurs de camions qui ramassent les ordures ? Personne n'est capable de le dire. Quel est le sens de ceux qui bloquent l'entrée de Rungis ? On est dans des manifestations qui n'ont plus aucun sens », a lancé jeudi sur les ondes de France Info le ministre des finances. Le secrétaire d'État en charge des transports, Alain Vidalies, a renchéri ce vendredi matin sur Europe 1 en pointant des grèves qui sont « une action contre la France et contre les Français ». Il a même évoqué un recours « aux réquisitions [de conducteurs de trains – ndlr] » pour acheminer les supporters de foot dans les stades. Soit la réaffirmation de ce que François Hollande et Manuel Valls ont également laissé entendre, sans toutefois prononcer le mot « réquisition ».
Ce dernier a décrété jeudi : « Maintenant, c’est le temps de la fête », lors d'un déplacement à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Comme si c’était au premier ministre de décider des agendas et d’imposer l’heure (le leurre) de « la fête ». Comme si la grand-messe footballistique devait et pouvait faire oublier l’état social critique de la France. Les dernières réquisitions dans l’Hexagone, qui sont légalement très encadrées, datent de l’automne 2010, lors du conflit sur la réforme des retraites. Dans les raffineries bloquées, Nicolas Sarkozy avait utilisé cette arme qui sera condamnée un an plus tard par l'Organisation internationale du travail pour atteinte au droit de grève. Fin mai, déjà, au plus fort des blocages de raffinerie, l’exécutif avait émis l’idée d’y recourir à son tour sans franchir le pas. Le fera-t-il dans les prochains jours ? L'évoquer est fou car, à la SNCF, le taux de grévistes est tombé à 8 % !
« C’est une décision lourde de responsabilités, très grave », accuse Éric Santenelli de Sud-Rail, qui dénonce « un 49.3 social après le 49.3 parlementaire ». La CGT aussi. En tête de pont dans les mouvements sociaux depuis des semaines même si elle n’est pas seule, la centrale de Montreuil n’a pas “l’esprit football” tel que l’exécutif voudrait le définir. Celle qui est encore la première force syndicale du pays n’envisage pas de bloquer l’Euro. « Ce ne serait pas une bonne image de la CGT à donner aux supporters », a réaffirmé Philippe Martinez, le secrétaire général, qui veut que l’Euro soit « une vraie fête populaire dans les stades et les fan-zones ». Mais le syndicat n’envisage pas non plus d’appeler ses troupes à cesser la contestation au prétexte d’une compétition sportive internationale. À moins que le gouvernement n’accepte d’ouvrir des négociations autour de son projet de réforme d’ici à la manifestation nationale du mardi 14 juin, à l’appel de l’intersyndicale rassemblant la CGT et six autres organisations (FO, Solidaires, FSU, Unef, FIDL, UNL).
« Notre calendrier n’est pas celui de l’Euro, mais celui de la loi sur le travail », réaffirme Fabrice Angei, du bureau national de la CGT. « Le gouvernement se place en commentateur de la situation alors qu’il en est acteur. C’est lui qui prend en otage les Français, qui joue la carte du pourrissement du conflit », déplore le syndicaliste, qui cite le sondage Ifop pour Atlantico publié vendredi, indiquant que 59 % des Français interrogés trouvent justifié le conflit social sur la réforme du code du travail. La centrale de Montreuil, qui joue gros en adoptant une ligne dure dans le dossier enflammant la France depuis quatre mois, s’étonne dans un communiqué ce vendredi que « Myriam El Khomri se soit déclarée devant la presse prête à recevoir Philippe Martinez dans la minute si cela peut permettre de lever tous les blocages dans le pays alors qu’elle a fait savoir, la veille, jeudi, que son agenda ne lui permettait pas de recevoir le numéro un de la CGT avant vendredi 17 juin », soit trois jours après la manifestation contre la réforme du code du travail. La ministre du travail, qui avait reçu la CFDT la semaine passée, a rencontré ce vendredi après-midi Jean-Claude Mailly. Si Force ouvrière est engagé dans le même bras de fer que la CGT, il n’y a jamais eu de silence radio entre lui et le pouvoir.
Dans les déchets
C’est l’une des grèves qui se fait le plus “sentir”, notamment à Paris où les déchets débordent des poubelles dans une dizaine d’arrondissements donnant, par endroits, à la capitale des airs de Naples : celle qui affecte la collecte des ordures ménagères, à l’appel de la CGT des services publics, pour peser dans le rapport de force avec le gouvernement sur la réforme du code du travail. Depuis plus de dix jours, les principaux sites de collecte et de traitement des déchets de la région parisienne sont perturbés par des grèves continues ou temporaires des personnels et agents de la Ville de Paris – éboueurs, agents territoriaux, chauffeurs de camions-bennes. Le plus important incinérateur de France (et d’Europe), Ivry-sur-Seine/Paris 13, qui traite d'habitude 1 800 tonnes d'ordures ménagères par jour pour un bassin d’1,2 million d’habitants, est en grève continue depuis douze jours (lire ici notre reportage).
Les grévistes qui bloquent cette usine d'incinération ont reconduit jeudi leur grève jusqu'à mardi 14. Si la semaine dernière, et face à l’argument sanitaire de la maire de Paris Anne Hidalgo – que les ordures ne gagnent pas la Seine du fait de la crue –, ils ont repris du service le temps du week-end, ce n’est pas le cas aujourd’hui même si, dans les garages à bennes, les grévistes ont laissé ce vendredi matin sortir les camions des chauffeurs non grévistes. « Nous ne sommes pas imperméables aux problèmes d’insalubrité qui se posent dans certains endroits. On aurait pu tout bloquer, mais on a fait ce geste pour donner de l’air à certains quartiers », explique Baptiste Talbot, le secrétaire général de la CGT des services publics. Il applaudit la prise de position de la maire de Paris Anne Hidalgo, qui s’est montrée très critique du gouvernement sur RMC et BFMTV et qui l’exhorte à ouvrir le dialogue avec les syndicats et à « réécrire » l’article 2 du projet de loi sur le travail, qui promeut les accords d’entreprise majoritaires.
Jeudi, la Ville de Paris a annoncé « redéployer » son dispositif afin de faire enlever les poubelles par des entreprises privées, qui se chargent déjà en temps normal de la moitié des arrondissements parisiens, les dix autres étant gérés en régie publique : « Dès hier soir [jeudi], nous avons pu faire sortir une cinquantaine de camions de plus pour ramasser les ordures normalement et essayer de récupérer le surplus. » « Ce matin [vendredi], nous avons trente camions de plus dans Paris. » Mais pour « revenir à une situation normale, il faut quelques jours bien évidemment », a indiqué la maire de Paris sur RMC-BFMTV. Des blocages touchent aussi Marseille (Fos-sur-Mer), l'Ariège, les Hautes-Pyrénées et viennent de gagner la ville du Havre (Seine-Maritime).
À la SNCF
Reconduite ce samedi, pour une dixième journée consécutive, par de nombreuses assemblées générales mais avec souvent des scrutins plus serrés, la grève lancée par la CGT-Cheminots (et aussi l’UNSA qui s’est très vite retirée), soutenue aussi par FO (non représentatif), a perdu de la force mais elle dure. Jeudi, la direction recensait encore 7,9 % de grévistes, tous métiers confondus, contre 17 % le 1er juin, mais ce sont les personnels roulants qui sont les plus mobilisés, d’où les incidences notables sur le trafic. Cette grève qui mêle revendications internes sur la future organisation du travail et contestation du projet de réforme du code du travail (lire ici notre article) fait enrager le gouvernement. Lui qui n’avait qu’une hantise – que les cheminots rejoignent les cortèges et paralysent les transports ferroviaires à quelques jours de l’Euro – a manœuvré en coulisses pour éviter un mouvement de grève généralisé à la SNCF. S’il avait obtenu que la CFDT-Cheminots, quatrième syndicat de l’entreprise (15 %) mais l’un des plus représentés chez les conducteurs, rentre dans le rang et se retire de la mêlée, il n’a pas réussi à la veille de l’Euro à faire cesser la grève.
Mardi, l'entreprise a annoncé un projet d'accord sur l'organisation du temps de travail, consacrant le régime de travail actuel à la SNCF. Mais pour être valable, il doit recueillir la signature de syndicats représentant au moins 30 % des voix aux dernières élections, et ne pas rencontrer d'opposition de la part d'organisations dépassant 50 %. Les organisations ont jusqu’au 14 juin pour le signer ou pas. L’UNSA et la CFDT, dépassant les 30 % requis, l’ont signé. Mais Sud-Rail (17 %) et la CGT, premier syndicat de l’entreprise (34,5 %), majoritaires à eux deux, ont la capacité de s'opposer à l’accord et de faire jouer le droit de veto, qui ferait capoter l’accord. Sud-Rail a annoncé qu’elle ne le signerait pas, jugeant l’accord mauvais, notamment l’article 49 qui offre la possibilité de déroger par établissement à ses propres dispositions. Elle l’estime contraire à l'esprit des règles de représentativité syndicale et porteur d'un risque lourd de dumping social. Elle a proposé à la CGT de faire de même en le dénonçant. Mais la CGT-Cheminots prend son temps pour se positionner, depuis près de 48 heures, certainement fracturée en interne. Officiellement, elle ne donne pas de mot d'ordre et s'en remet aux « assemblées générales souveraines » pour décider des « suites », consulte ses adhérents. Mais dans ses rangs, comme du côté de Sud, on craint qu’elle ne dépose les armes d’ici à mardi.
À Air France
« La grève la plus absurde de l’année », « Les pilotes d’Air France prennent l’Euro 2016 en otage »… la grève des pilotes annoncée à Air France pour au moins quatre jours, à compter de samedi, est très mal perçue dans les médias. Elle arrive au plus mauvais des moments pour le gouvernement et n’a rien à voir avec la contestation contre la loi sur le travail. Les pilotes d'Air France sont appelés par le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), le Syndicat des pilotes d’Air France (SPAF) et Alter – les trois syndicats de pilotes représentatifs – à défendre l'emploi et leurs conditions de rémunérations. Mais pas seulement.
Les syndicats de pilotes français réclament notamment des garanties sur l'activité de la compagnie Air France, en perte de vitesse selon eux par rapport aux autres composantes du groupe Air France-KLM (Transavia, Hop! et KLM). Après trois jours de négociations avec la direction, les trois syndicats représentants de pilotes ont rejeté à l’unanimité le nouveau protocole de sortie de crise ce jeudi.
Air France « prévoit d'assurer plus de 80 % de ses vols » samedi, au premier jour d'une grève qui mobilisera 25 % des pilotes, a indiqué la compagnie vendredi dans un communiqué. Elle annonce le maintien de « plus de 90 % » des vols long-courriers, « 90 % » des vols intérieurs et « autour de 75 % » des vols moyen-courriers de et vers Paris Charles-de-Gaulle, sans exclure « des annulations et des retards de dernière minute ». Elle estime le coût de la grève entre 5 et 6 millions d'euros par jour. En 2014, une grève unitaire des pilotes contre l'essor de la filiale low cost Transavia avait cloué au sol la moitié des vols durant deux semaines.
Source : https://www.mediapart.fr
Source : http://www.marianne.net
Samedi 11 Juin 2016 à 15:00
Avant, Marineland, c'était des orques qui effectuaient des sauts périlleux sur une musique techno assourdissante. Des dresseurs en Néoprène qui couraient autour du bassin en tapant furieusement des mains comme des GO du Club Med, ou qui faisaient du surf sur le dos des prédateurs. Mais ça, c'était avant. Ouvert au début des années 70, le parc aquatique situé à Antibes le jure, une main sur le cœur : tout a changé.
Fini le bling-bling, désormais Marineland est tout entier tourné vers sa mission pédagogique, résumée par un nouveau slogan chic et choc : «Apprendre, découvrir, s'amuser». Dorénavant, le show avec les orques s'intitule «Représentation sur la protection des océans». Inouk, le mâle, continue à faire coucou avec la nageoire, à dire oui et non avec la tête et à lever la queue sur commande, mais un film diffusé sur l'écran au-dessus du bassin débite des infos sur la puissance de l'animal, sa vitesse de nage et la répartition des individus (libres) sur le globe. La bande-son, aussi, a changé, passant de la discothèque de station de ski au film de Walt Disney, ambiance symphonie grandiloquente un brin tire-larmes.
Hélas, ces ajustements ne sont pas de nature à calmer les centaines de manifestants massés à l'entrée du parc. «En milieu naturel, les orques peuvent parcourir jusqu'à 160 km dans une journée. Une piscine en béton, ce n'est pas leur place, c'est tout !» assène une jeune femme habillée tout en noir. Depuis l'été dernier, tous les quinze jours ou presque, ces militants anticaptivité transforment l'entrée du parc en cimetière, plantant une croix symbolique pour chaque cétacé ayant trouvé la mort dans les bassins. «On n'insulte personne, on ne fait qu'informer les visiteurs, souligne l'une des chefs de file de la mobilisation, Christine Grandjean, fondatrice du collectif C'est assez ! Par exemple, on rappelle qu'en Europe 14 pays ont déjà interdit les delphinariums.» Avec deux autres associations, C'est assez ! a porté plainte en décembre 2015 pour «maltraitance animale». Fin mars, l'ONG Sea Shepherd leur a emboîté le pas en assignant Marineland en justice pour le même motif. Les activistes ne visent pas les soigneurs, dont l'attachement aux mammifères n'est pas remis en question, mais le principe même de la captivité.
En quelques années, le traitement que nous réservons aux animaux s'est invité dans les débats. Les parlementaires ont amendé le code civil pour leur accorder le statut d'«êtres sensibles». Les conditions d'abattage des cheptels déclenchent des polémiques nationales. L'opinion publique s'insurge lorsqu'un dentiste américain abat un lion de manière illégale au Zimbabwe. Pas de doute, notre niveau de tolérance à l'égard de la souffrance animale est en baisse. Et ni les zoos, dont Marineland fait partie, ni les cirques n'échappent à cette lame de fond. Peut-on enfermer des bêtes sauvages pour le seul plaisir de s'en distraire ? Au carrefour de l'éthique, de l'écologie et de l'économie, la question déchaîne les passions et provoque des engueulades qui atteignent le célèbre point Godwin à la vitesse de l'éclair.
En mars 2016, il a suffi que le maire de La Ciotat, Patrick Boré, annonce l'interdiction dans sa commune des cirques détenant des animaux sauvages pour qu'il soit instantanément traité de «nazillon» par Gilbert Edelstein, le PDG du cirque Pinder. «Les cirques ne peuvent offrir aux animaux sauvages un espace et des conditions de détention et de transport adaptés à leurs aptitudes et à leurs mœurs», insistait Patrick Boré dans une tribune au site LePlus. Dans la foulée, pas moins de six communes ont pris des arrêtés similaires, portant à 21 le nombre de villes refusant les cirques qui présentent des numéros avec des tigres, des lions, des éléphants, des hippopotames, des chameaux ou encore des ours.
Une sensibilité que Franck Schrafstetter, président de l'association Code animal, spécialisée dans la défense de la faune sauvage captive, voit aussi monter auprès du grand public. «Nous recevons tous les jours des demandes de citoyens qui souhaitent devenir "enquêteurs", relève le quadragénaire. Aujourd'hui, nous avons une cinquantaine de personnes sur le terrain qui nous envoient des photos ou des vidéos de ce qu'ils observent dans les cirques ou les zoos.» Sur le site, on trouve en effet des dizaines de séquences, récentes, présentant pour la plupart ce que les spécialistes appellent des «stéréotypies». Des éléphants qui balancent leur trompe de droite à gauche pendant des heures. Ou l'ours polaire de Marineland qui fait des allers-retours sur une bande de 1 m de largeur, se retournant toujours au même endroit, empruntant exactement le même trajet, encore et encore, à l'infini. «Pourquoi il fait ça depuis des heures ? s'interroge un petit garçon devant l'enclos. Il est bête ou quoi ?» Nul besoin d'être éthologue pour comprendre que cet ours, plus équipé pour la banquise que pour les températures azuréennes, a fondu les câbles. Très fréquents chez les animaux en captivité, ces gestes répétitifs sont le signe d'une frustration qui tourne à la folie.
Mais les quelques dizaines d'agitateurs qui s'appliquent à les filmer n'inquiètent nullement Raoul Gibault, directeur du cirque Medrano. «C'est une minorité d'extrémistes qui fait beaucoup de bruit, balaye-t-il. Si encore le public était contre les animaux dans les cirques, on se poserait la question ! Mais nous avons 17 millions de spectateurs par an, c'est notre chance.» Il est vrai que les Français ne sont pas dépourvus de paradoxes : sur le papier, ils se sentent concernés par le bien-être animal. Mais, alors que 23 pays interdisent déjà la présence d'animaux dans les cirques, parmi lesquels la Belgique, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, la Slovénie, la Croatie ou encore l'Inde, le public hexagonal continue à se presser sous les chapiteaux pour admirer des acrobaties sans rapport avec leurs dispositions naturelles.
àA Nice, au pied des gradins de 1 400 places du cirque Medrano, une ombre immense se dessine derrière le rideau vert. Un pachyderme fait son apparition. Puis un deuxième, un troisième, un quatrième, envahissant la piste qui tout à coup semble minuscule. On lève la tête sur ces mastodontes à la peau grise, saisi par ce qui apparaît spontanément comme une incongruité, un monstrueux contresens. L'expression populaire parle d'«éléphant dans un magasin de porcelaine» ; l'éléphant de cirque, assis sur un tabouret, ou posant ses pattes avant sur le dos de celui qui le précède, procure le même effet. Le terme «déplacé» saute à l'esprit. Le dresseur est accompagné de ses quatre fils en costume de scène bleu électrique ; le petit dernier se fait soulever par la trompe d'un des animaux. En dépit de leur envergure et de leur démarche fatiguée, les éléphants passent d'un tour à l'autre à une vitesse remarquable. On cherche du regard le fameux ankus, le crochet en métal utilisé par les dresseurs pour blesser les éléphants quand ils n'obéissent pas. Mais il semble que celui-ci n'en utilise pas. Même ses cris semblent superflus tant les bêtes agissent mécaniquement. En dix minutes, c'est bouclé, et tout le monde repart, sous les exclamations enthousiastes.
Un peu plus tard, le dresseur nous reçoit dans sa caravane. Jovial, Joy Gartner est moitié italien, moitié allemand. Il parle français avec sa femme, italien avec ses enfants, et «allemand avec les éléphants». Pendant que son épouse, Candy, prépare les cafés, il envoie un petit chercher les photos de famille. «On est dresseur de père en fils, je suis la sixième génération !» annonce-t-il fièrement. Il tourne les pages de l'album : paillettes, pachydermes, paillettes. «Moi, je suis né là-dedans. Je sais si les éléphants ont soif, s'ils ont faim, s'ils sont de mauvaise humeur. C'est une culture, on vit avec eux !» dit-il en écartant le rideau. Effectivement, la tête de Belinda est là, à moins de 1 m de la fenêtre. «Elle me cherche, sourit Joy. Il y a des cirques qui les maltraitent, c'est vrai, il y a des directeurs qui s'en foutent complètement. Mais ici, pour les bêtes, on peut dire que c'est le top du top.» Le top du top, c'est donc un coin de parking en bordure d'une voie rapide. Des bottes de foin, un peu d'eau, une tente pour s'abriter du soleil ou de la pluie. Et les tigres qui tournent en rond dans leur cage, à quelques mètres de là. Sinistre, mais légal.
Le cirque Medrano dont Joy Gartner vante les mérites a pourtant été pris en défaut. En mai 2015, les caméras de France Télévisions* ont montré que les cages extérieures réglementaires pour les fauves, d'une dimension de 30 m2, n'étaient pas systématiquement installées, condamnant les bêtes à l'espace confiné du camion. «Nos activités sont définies par un cadre juridique, se défend Raoul Gibault, directeur de Medrano. Les réglementations sanitaires sont extrêmement strictes, c'est d'ailleurs pour ça qu'il y a de moins en moins d'artistes qui travaillent avec des animaux.» En France, on estime qu'un millier d'animaux sauvages vivent dans des cirques. Deux organismes sont chargés de faire respecter la loi : les directions départementales de la protection des populations (DDPP) et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). «Nous essayons d'effectuer des visites régulièrement», nous dit-on à l'ONCFS, sans plus de détails. Comprendre : on fait comme on peut. Car, en pratique, le contrôle des cirques itinérants relève du casse-tête. «Les numéros avec des animaux sont présentés par des artistes indépendants qui travaillent tantôt dans un cirque, tantôt dans un autre, explique Eric Hansen, délégué ONCFS des régions Centre et Ile-de-France. En plus, ils ont des prête-noms, il y a au moins une dizaine de Zavatta, autant de Bouglione... On essaie de les repérer pour constituer une base de données nationale. Mais on peut très bien visiter un cirque qui est aux normes aujourd'hui, et qui ne le sera plus dans quinze jours. Il suffit qu'il embauche de nouveaux artistes.»
Autre problème : lorsque tout indique qu'il faut saisir des animaux maltraités, il arrive que les autorités ne sachent pas quoi en faire, ni ou les replacer. En 2013, en Seine-et-Marne, un éléphant échappé d'un cirque a fauché un joueur de pétanque d'un coup de trompe. L'homme, âgé de 84 ans, n'a pas survécu. Le dénouement de ce fait divers funeste laisse pantois : le directeur du cirque a été relaxé, et l'animal est toujours utilisé dans les spectacles. Lorsqu'on lui demande quel avenir il prédit aux cirques avec animaux, Eric Hansen, le délégué de l'ONCFS, brandit son joker «devoir de réserve». «C'est sûr que passer son temps sur la route, pour des espèces comme ça...» souffle-t-il sans terminer sa phrase. «Les animaux dans les cirques vont finir par être interdits, c'est une certitude, affirme pour sa part Franck Schrafstetter, le fondateur de Code animal. La seule question, c'est : quand ?» Pour l'instant, cette perspective paraît inimaginable aux quatre fils de Joy Gartner, qui lézardent sous le soleil niçois avec leurs animaux de compagnie de 5 t chacun. «Moi, si je ne peux plus travailler avec les éléphants, j'irai dans un zoo, ou j'irai en Inde, affirme Moichel, 16 ans. Sans éléphant, je suis perdu.» Bien qu'il soit conditionné, des deux côtés, par des années de cohabitation imposée, l'attachement mutuel entre l'homme et l'animal ne fait aucun doute.
"Les animaux dans les cirques vont finir par être interdits, c'est une certitude. La question, c'est : quand ?" le fondateur de Code animal
Cette complicité constitue d'ailleurs l'argument phare de ceux qui mettent en scène des animaux sauvages. A Marineland, la communication du parc a longtemps répété qu'on ne dressait pas les orques, et que leurs cabrioles étaient réalisées par jeu, dans le seul but de faire plaisir à leurs soigneurs. Une démonstration qui aurait du mal à convaincre les spectateurs ayant assisté, en direct, à la mise à mort de Dawn Brancheau, attaquée en plein show par l'orque dont elle s'occupait tous les jours. L'accident a eu lieu en 2010, au parc SeaWorld d'Orlando, aux Etats-Unis. Il est le point de départ du documentaire Blackfish, qui raconte en détail l'histoire de l'orque en question, Tilikum, depuis sa capture au large de l'Islande en 1983. La direction de SeaWorld a bien tenté de faire passer le carnage pour un «jeu» ayant mal tourné. Manque de bol, les documentaristes ont exhumé le rapport d'autopsie, qui évoque un corps scalpé, fracturé et disloqué, précisant pour finir que le bras de la victime n'a jamais été retrouvé. Tilikum n'a pas voulu taquiner sa soigneuse, il l'a dévorée, renouant avec un instinct de prédateur qui, en milieu naturel, se cristallise sur les phoques. La diffusion de ce film a entraîné une chute spectaculaire du nombre d'entrées à SeaWorld, qui a fini par capituler : le 17 mars dernier, le parc a non seulement annoncé qu'il arrêtait les spectacles avec les orques, mais surtout qu'il mettait fin à son programme de reproduction. Les cétacés qui vivent aujourd'hui à Orlando seront donc les derniers. Rideau.
Evidemment, cette décision radicale, saluée par C'est assez ! et les autres associations anticaptivité, a donné un sacré coup de chaud aux responsables de Marineland. Lesquels ont déjà essuyé une tempête, de celles dont le Sud cévenol a le secret, qui a ravagé les installations en octobre 2015 et provoqué la fermeture du site pendant près de six mois. Valentin, âgé de 19 ans seulement - la longévité moyenne des orques mâles à l'état naturel est de 30 ans -, est mort quelques jours après les inondations. L'année précédente, c'était sa mère, Freya, qui mourait elle aussi à un âge prématuré pour une orque. Pas de quoi arranger les rapports avec les militants qui campent à l'entrée du site. A sa réouverture en mars 2016, le parc a donc décidé de tout miser sur un axe marketing déjà testé et approuvé par les zoos traditionnels : l'argument pédagogique. Désormais, Marineland «sensibilise les visiteurs à la conservation de la nature et aux espèces marines». Sauf que, pour l'instant, les soigneurs, auxquels on a demandé d'ajouter un vernis scientifique à leur spectacle, pataugent dans la semoule. Durant la représentation intitulée «Les Missions d'un zoo moderne», les otaries marchent sur les nageoires et dansent en tournant sur elles-mêmes sur une musique de dessin animé. L'animatrice du show essaye, elle, de distiller quelques infos sérieuses : «Marineland finance une association sur place, qui va... éduquer les populations locales aux... euh... à la chasse, pour essayer de protéger et renforcer ces animaux.» On ne connaîtra ni l'association, ni où elle officie, et on n'aura pas plus de renseignements sur les «populations locales» auxquelles on apprend à chasser - et peut-être à jouer aux échecs ? Nul doute que les enfants sont sortis édifiés par cette démonstration hautement éducative.
Jean-Claude Nouët, professeur de médecine et cofondateur de La fondation droit animal (LFDA), est excédé par ce qu'il appelle la «malhonnêteté fondamentale» des zoos. «Ça ne peut pas être scientifique de donner à voir des animaux qui n'ont pas des comportements normaux. Ils s'adaptent pour survivre, mais ce ne sont pas des exemples de l'espèce !» tonne cet infatigable pourfendeur de la captivité. Selon lui, on n'apprend rien à observer un lion qui ne sait plus chasser, une orque qui n'a jamais croisé une algue, ou un éléphant qui vit seul, quand ses congénères ne se déplacent jamais sans une harde d'une dizaine d'individus. Dans les années 70, ces arguments avaient affecté l'image des zoos, qui s'étaient trouvés en sérieuse perte de vitesse. «Mais maintenant ils ont confié leur image à des agences de pub, déplore le professeur Nouët. Le zoo de Beauval, c'est l'un des pires : c'est vraiment de la communication faite pour les andouilles, ces affiches avec les gorilles et les pandas.» Outre l'astuce de faire de quelques individus des «superstars», les zoos ont aussi travaillé leur vocabulaire. Les animaux ont écopé du titre d'«ambassadeurs». Les enclos sont des «biozones». Enfin, on ne va plus au zoo, c'est «la nature qui reçoit».
Il serait pourtant malhonnête de prétendre que les conditions de détention des animaux dans les zoos ne se sont pas améliorées. La mode n'est plus aux perroquets qui ne peuvent pas voler, ni même déployer leurs ailes. Il reste bien quelques zoos du genre, comme celui de Strasbourg, où un malheureux lynx dépérit sur son trottoir. Mais les parcs modernes misent sur des enclos plus vastes, mieux «végétalisés», où les animaux peuvent se soustraire au regard des visiteurs s'ils le souhaitent. «On n'a pas la prétention de dire qu'on a recréé leur environnement naturel, mais on a essayé de coller aux comportements biologiques des espèces qu'on accueille», indique Alexis Lécu, le directeur scientifique du Parc zoologique de Paris. Plus connu sous le nom de «zoo de Vincennes», le parc célèbre pour son grand rocher artificiel en béton a rouvert ses portes en avril 2014, après six ans de fermeture et une refonte complète. Avec un succès mitigé. Dans les semaines qui ont suivi l'inauguration, les premiers visiteurs ont tiqué. Motif ? Ils ont payé - cher : 22 € l'entrée - et ils n'ont rien vu. Ou pas assez à leur goût. «Les animaux n'étaient pas encore acclimatés, ils se cachaient, reconnaît la directrice, Sophie Ferreira. Mais il y a aussi quelque chose de plus structurel : les enclos sont grands, il faut accepter que tout ne soit pas immédiat. Quitte à revenir un peu plus tard si on n'a pas pu admirer un animal.» En visitant la serre tropicale, on comprend vite à quoi Sophie Ferreira fait allusion. Collée à la vitre, cherchant désespérément un python parmi les branchages, une dame d'une soixantaine d'années râle à voix haute : «On les voit tout de même mieux au Jardin des Plantes !» Un peu plus loin, un petit garçon se montre lui aussi franchement déçu : «Ça y est, je l'ai vu, il est là. C'est un tout petit lézard de rien du tout.» Le gecko de Madagascar en prend pour son grade.
"Ce que veulent les gens, c'est retrouver un contact avec la nature, analyse Pierre Gay, qui dirige avec son fils le Bioparc de Doué-la-Fontaine, près d'Angers. Il faut susciter l'émotion, c'est la clé du tourisme, quel qu'il soit. J'essaye de rapprocher les visiteurs d'une nature qui ne soit pas trop "disneyïsée".» Pour le coup, on peut dire qu'il a fait fort. Dans ce qu'il a tenu à appeler «bioparc» et non «zoo», les primates évoluent sur des îles, sans barrière ni grillage. Un mince bras d'eau suffit à éviter qu'ils ne s'échappent. Les tigres dorment, planqués dans des bosquets ; il faut monter dans un perchoir et se contorsionner pour les apercevoir. La volière est haute de 13 m, les girafes se baladent dans une immense carrière qu'elles partagent avec des zèbres. «Etre confronté réellement à un animal, ce n'est pas la même chose que le voir dans un documentaire, ajoute Sophie Ferreira, directrice du Parc zoologique de Vincennes. Il y a une question d'échelle, il y a le bruit, l'odeur.» Mesurer sa petitesse par rapport à un rhinocéros, éprouver sa vulnérabilité face à un guépard : ces zoos new look affirment qu'ils proposent une expérience émotionnelle qui laisse des traces. «Pourquoi pas ? concède Jean-Claude Nouët, de La fondation droit animal. Mais il faut être clair sur ce que l'on fait. On ne préserve pas une espèce, on conserve des spécimens. Pour vraiment préserver les animaux, il faut préserver leurs espaces naturels, leurs biotopes. Ces animaux sont les vestiges d'une nature que l'on détruit, c'est d'une grande tristesse.»
Les parcs modernes misent sur des enclos plus vastes, mieux "végétalisés", où les animaux peuvent se soustraire au regard des visiteurs
Les réintroductions dans un milieu naturel, sur lesquelles les zoos aiment communiquer, sont rares, compliquées, et souvent vouées à l'échec. «Ça ne peut fonctionner qu'avec des animaux qui n'ont pas été trop au contact des hommes, souligne Franck Schrafstetter. Ça reste très minoritaire.» Le directeur de Code animal estime même que les zoos contribuent, indirectement au moins, à l'extinction des espèces : «Un enfant qui voit un perroquet magnifique, plein de couleurs, va dire à ses parents : "Je veux un perroquet !" C'est un oiseau qui devrait vivre dans des canopées, et qui va se retrouver dans un salon. Les zoos transforment les animaux en produits de consommation courante. Il faut sortir de cette logique.» Un ours polaire à Nice, une orque à Antibes, un éléphant en Seine-et-Marne : autant d'espèces qui n'ont rien à faire sous nos latitudes. Sollicitée par Marianne pour faire connaître sa position sur le sujet, la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, n'a pas donné suite à nos demandes répétées. Pour l'instant, les politiques ne semblent pas vraiment pressés de passer la seconde. Liberté du commerce oblige...
Car les animaux sauvages sont, encore et toujours, au centre d'un business lucratif : les cirques vendent leurs places entre 22 et 46 €, Marineland revendique pour l'année 2014 un chiffre d'affaires de 37 millions d'euros. Toujours à l'affût d'un bon coup, deux chaînes de télévision se sont emparées du filon. Le personnel du zoo de Beauval est filmé par les équipes de l'émission «Vétérinaires, leur vie en direct», diffusée le dimanche après-midi sur TF1. On y voit des professionnels dévoués, investis, qui n'hésitent pas à annuler leurs jours de congé pour prendre soin de leurs «ambassadeurs» captifs, le tout dans une mise en scène qui ne craint jamais de tirer les ficelles du pathos. Sur France 4, l'émission «Une saison au zoo» propose de suivre le quotidien des soigneurs du zoo de La Flèche, dans la Sarthe, entre acclimatation d'un tigre blanc fraîchement débarqué et «syndrome de dépérissement du ouistiti». Plus de 700 000 téléspectateurs enthousiastes ont assisté au lancement de la saison 5. Comme quoi, la nature, c'est bien, mais la nature spectacle, c'est encore mieux.
* Cirque Gruss : une tradition en danger ?, documentaire diffusé le 4 mai 2015 sur France 5.
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