LEMONDE.FR | 02.09.11 | 18h47
Bonjour : Quelles sont les différences de position entre la CFDT et celles de Bernard Thibault, de la CGT, sur le plan de rigueur du gouvernement et la nécessité d'appeler à la mobilisation ? Les différences avec les autres syndicats ?
Marcel Grignard : Il y a d'abord ce qui est en commun. Les pistes gouvernementales ne vont pas vers plus de justice sociale et, globalement, la politique suivie n'est pas de nature à relancer l'économie et l'emploi. Dans ce contexte, il est évident que nous avons besoin de réformes structurelles importantes. Pour autant, la CFDT considère que toute amélioration, même minime, est à faire.
C'est pourquoi nous ciblons des objectifs limités et précis. C'est une différence avec la CGT. Nous sommes aussi d'accord sur la nécessité de mobiliser les salariés. Cependant, ça ne se décrète pas, et il faut tenir compte à la fois de la situation des personnes qui craignent pour leur emploi et ont du mal à boucler leur budget et, d'autre part, d'un contexte économique préoccupant.
xx : Si l'austérité ne vous va pas, que faut-il faire ? On ne peut pas laisser déraper la dette. Que proposez-vous ?
En effet, il faut absolument maîtriser la dette publique. C'est, d'une part, la seule manière de se donner des marges d'action ; c'est aussi une condition incontournable pour sauvegarder une monnaie commune, l'euro.
Mais cette maîtrise doit s'accompagner de mesures qui relancent l'économie. Faute de croissance, la seule réduction des déficits accroît le chômage et risque de nous faire rentrer dans une spirale de déclin. Nous militons, par exemple, pour des mesures européennes qui concerneraient notamment l'efficacité énergétique, les infrastructures et qui pourraient être financées par des crédits européens. Sur le plan des économies, il faut repasser à l'analyse l'ensemble des niches fiscales en supprimant celles qui n'ont pas d'efficacité sur le plan économique et social.
A titre d'exemple, les 4 milliards liés à la défiscalisation des heures supplémentaires mais aussi les 10 milliards résultant de la déduction des intérêts d'emprunts du bénéfice des entreprises.
kiki : comment se fait-il que dans la situation sociale actuelle, les syndicats ne parviennent pas à se mettre d'accord sur les modaliés d'une manifestation ?
Probablement parce que les syndicats mettent encore trop d'énergie dans leur concurrence et restent trop dans une vision classique de l'action syndicale. Les mots d'ordre de grève de la dernière période mobilisent surtout les militants syndicaux et touchent très peu les salariés. Or, pour être entendu par les pouvoirs publics et le patronat, il faut que la très grande majorité des salariés apporte son soutien aux propositions syndicales.
cha-cha : J'ai l'impression que les Français sont fatigués et ne sont plus prêts à descendre dans la rue après l'échec des précédentes mobilisations, notamment sur les retraites…
Pour que les salariés se mobilisent, il faut d'une part qu'ils soient d'accord avec l'objectif proposé et que cet objectif soit finalement atteignable. On ne peut pas être d'accord par principe avec l'idée de descendre dans la rue, on y est si on a la conviction que cela va pouvoir changer, concrètement, sa propre situation.
JJ : Vous dites : "C'est pourquoi nous ciblons des objectifs limités et précis. C'est une différence avec la CGT." C'est quoi ces objectifs ?
Par exemple, sur la période actuelle, nous considérons que cibler l'augmentation de la taxation des complémentaires santé, qui est une mesure gouvernementale qui touche quasiment tous les Français de la même manière et qui est tout à fait inéquitable, c'est un objectif simple et compréhensible par tout le monde. C'est un bon objectif. Obtenir une remise en cause de cette mesure ne modifiera pas globalement la situation, mais évitera aux salariés une nouvelle ponction de plusieurs dizaines d'euros.
Sur la défiscalisation des heures supplémentaires, qui a pour effet d'amener des salariés qui ont un travail à augmenter la durée de celui-ci à la condition que leur employeur le leur propose. Mesure qui traite aussi différemment les salariés selon qu'ils sont imposables ou non, voilà un objectif précis qui permettrait des économies, qui privilégierait l'emploi et qui ne se laisserait pas se développer une nouvelle inégalité entre les salariés.
Carla : C'est quoi une mobilisation syndicale pas "classique" ?
Lorsqu'en 2009 et en 2010 nous avons organisé des mobilisations pendant le week-end pour permettre aux salariés qui ne pouvaient pas faire grève d'y participer, nous avons vu qu'ils étaient plus nombreux parfois que sur la semaine.
Or, quand nous avons fait cette proposition, personne n'y croyait. Pour certains, l'action syndicale, c'est obligatoirement arrêter le travail. Dans les entreprises, les salariés trouvent souvent des formes très originales d'action qui mobilisent fortement tous les salariés et pèsent sur les employeurs. Cela a été, par exemple, à Bosch Vénissieux, des salariés qui ont fait en vélo le parcours de leur entreprise jusqu'au siège, où ils ont rencontré le PDG. Et ils ont été entendus.
bruno : Comment voyez-vous la simultanéité de la rentrée sociale mouvementée et les élections professionnelles dans la fonction publique ?
Il est évident que les élections dans la fonction publique poussent à la concurrence entre les syndicats et peuvent donner lieu à de la surenchère. On peut souhaiter, malgré tout, que les problèmes extrêmement importants d'organisation du travail et de contenu des métiers qui touchent très largement les salariés des fonctions publiques soient la préoccupation principale des syndicats.
Yannick : Que penser de la situation des fonctionnaires, qui mobilisent. Quelles revendications ?
Il nous semble que le problème principal des fonctionnaires tient à leur situation de travail, elle-même très largement liée à la situation des effectifs et au développement de la précarité. C'est très clairement le cas dans les hôpitaux. Il y a aussi les problèmes des enseignants. Tout le monde a entendu parler de la situation créée par les modifications de la formation des enseignants, qui ne les aident pas à assurer leur fonction d'éducation.
La règle arithmétique de suppression d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ignore totalement la réalité des situations de chaque fonction publique et de chaque lieu : école, lycée, hôpital, etc. Traiter arithmétiquement et aveuglement la question des effectifs, c'est ignorer la place prépondérante des hommes et des femmes dans le fonctionnement d'un service public, comme de toute entreprise.
Nous demandons aussi de véritables espaces de négociations décentralisés pour traiter des questions d'organisation du travail : comment assure-t-on les présences et les remplacements ? Comment définit-on les formations nécessaires à des évolutions de poste de travail ? Comment organise-t-on l'évolution de carrière en lien avec l'évolution des fonctions et du travail ? Comment donne-t-on à la hiérarchie les moyens de gérer toutes ces questions de ressources humaines autrement que par l'application littérale d'un règlement ?
L'idée d'avoir des espaces décentralisés, c'est pour permettre une organisation concrète du travail qui tienne compte, d'une part, des salariés concernés, d'autre part, du contexte dans lequel ils travaillent. Les problèmes rencontrés dans un collège vont beaucoup dépendre du quartier dans lequel il est installé, de ce que sont ses élèves, de ce qu'est l'histoire du collège, des relations possibles avec les associations de parents d'élèves et la collectivité.
zed : Que pensez-vous de la réforme des allocations chômage prévues dans le projet UMP présenté par Bruno Le Maire, notamment pour les cadres à hauts revenus ?
La CFDT, depuis des années, travaille à faire évoluer l'assurance-chômage pour la rendre la plus en phase avec le monde du travail d'aujourd'hui et le besoin des demandeurs d'emploi. Nous avons encore beaucoup à faire.
Cependant, la proposition de M. Le Maire est curieuse sur deux aspects. D'une part, il intervient sur un domaine géré par les partenaires sociaux et l'Etat ne s'est pas privé, dans la dernière période, de venir prendre quelques milliards dans les caisses de l'assurance-chômage. Par ailleurs, je préférerais que M. Le Maire, plutôt que d'intervenir sur un domaine des partenaires sociaux, agisse dans le domaine de la fiscalité qui est de la responsabilité directe du gouvernement. S'il veut réduire les inégalités en visant les plus hauts revenus, il a beaucoup à faire sur, par exemple, les prestations familiales ou sur le quotient familial, qui ne tiennent aucun compte des niveaux de revenus.
jean m : L'UMP devrait proposer la fiscalisation des allocations familiales, qui seraient en contrepartie versées dès le premier enfant : vous êtes pour ?
Oui, tout à fait. Cela fait partie des pistes d'une vraie rénovation de la fiscalité. Nous avons globalement dans notre pays une politique familiale inadaptée. Quand on a des très hauts revenus, on bénéficie des mêmes aides en termes d'allocations familiales que si on a des revenus faibles. Or, nous voyons bien, par exemple, que l'augmentation de la pauvreté touche principalement des femmes en situation monoparentale pour qui la garde des enfants pose un problème financier redoutable. Pour ce qui les concerne, les partenaires sociaux ont commencé à traiter cette question en visant l'harmonisation des compléments familiaux des régimes de retraite.
Les avantages liés au nombre d'enfants étaient plus favorables pour le régime des cadres que pour celui des ouvriers. Il n'y avait aucune justification à cette différence, nous sommes dans la voie de l'harmonisation.
Romaindu26 : Avez-vous un espoir particulier pour la présidentielle ?
Ce serait que les candidats partent d'un état des lieux économique et social de notre pays et de l'Europe qui ne triche pas avec la réalité. Quel est le niveau des inégalités ? Quels sont les handicaps économiques et sociaux du pays ? Qu'est-ce que sous-tend une vraie intégration de la politique française dans la politique européenne ?
Et, à partir de cet état des lieux, de nous dire comment sur le moyen et long terme on retrouve un plein emploi et une croissance durable. Comment on parvient à réduire les inégalités et à développer des services publics qui répondent aux enjeux de notre société d'aujourd'hui. Et enfin, nous attendons d'eux qu'ils nous disent quelle place ils donneront aux partenaires sociaux et à la société civile en général pour conduire et construire les réformes dont le pays a besoin.
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