Le compromis européen trouvé hier soir représente-t-il une réponse efficace à la crise? Pour l'économiste Alexandre Delaigue (professeur à Saint-Cyr Coëtquidan, co-animateur du blog Econoclaste et chroniqueur pour Libération.fr), les chefs d'Etats et de gouvernement n'ont fait que «gagner du temps».
L'accord obtenu hier soir est-il la réponse-choc attendue, ou est-il encore insuffisant pour mettre un terme à la crise des dettes?
Réponse B: c'est un accord trop court, pas assez détaillé, plein d'effets d'annonce. Par exemple, pour la réduction de la dette grecque détenue par les banques, les 50% annoncés nécessitent encore des négociations avec celles-ci. De même, pour le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et ses 1000 milliards, reste à savoir comment on va atteindre cette somme. Enfin, le rôle de la Banque centrale européenne n'est toujours pas pris en compte.
S'ils sont insuffisants, ces résultats n'en représentent-ils pas moins une vraie avancée par rapport aux sommets précédents?
Une négociation, c'est l'art du possible. Comme dans les 14 derniers sommets, on a repoussé un peu la canette dans le caniveau, en attendant que quelque chose se passe. On a simplement gagné du temps. Il est vrai qu'une absence d'accord aurait été bien pire.
Gagné du temps avant quoi?
Avant des choix très grands et difficiles pour l'Europe, de nature institutionnelle. Va-t-on se diriger vers une véritable structure fédérale démocratique, ou aller vers un délitement plus ou moins rapide?
Revenons sur les mesures annoncées. 50% de réduction de la dette grecque détenue par les banques, c'est le bon chiffre?
Déjà faut-il que les banques acceptent de subir une perte de cette ampleur. L'International swaps and derivatives association (ISDA) va devoir décider si cette coupe représente ou non un défaut de paiement de la part de la Grèce. [Dans l'affirmative, cela déclencherait les CDS, assurances anti-défaut, avec des effets désastreux sur les marchés, ndlr.] C'est peu probable, car l'ISDA a tendance à être plutôt coulante. Par contre, il est possible qu'une agence de notation considère cette solution comme un défaut.
Et l'indispensable renforcement du FESF, n'y sommes-nous pas – grâce, notamment, à la participation des pays émergents, dont la Chine?
Ca ne coûte rien de se dire que quelques pays émergents achèteront des titres du FESF. Mais ce sont des annonces. En pratique, il n'est pas certain qu'ils le fassent. Il faudrait pour cela que la capacité d'endettement du FESF soit solidement garantie par les Etats. Hors, elle ne peut pas l'être, car plus le FESF emprunte, plus les Etats devront garantir, alors qu'ils sont en situation précaire. D'ailleurs, il est inquiétant de remarquer que la note du FESF est exactement corrélée à celle de la France. Preuve que notre pays est le dernier domino avant la débâcle générale.
Faut-il craindre de voir un jour une grande partie de la dette européenne détenue par la Chine, à l'image de la dette américaine?
La dépendance entre la Chine et l'Europe, comme entre la Chine et les Etats-Unis, serait de toute façon réciproque. Car, en cas de défaut européen, ce seraient les épargnants chinois qui en subiraient les conséquences. De la même façon que c'est pour protéger l'un de ses principaux marchés à l'exportation que la Chine vient aujourd'hui en aide à l'Europe.
Aurait-il été indispensable de permettre à la BCE de faire tourner la planche à billet pour renflouer les Etats?
Le problème de fonds est très simple: ce sont les traités, qui lui interdisent d'être prêteur en dernier ressort pour les Etats. Pourtant, une annonce en ce sens résoudrait le cas grec. Il suffirait à la BCE de dire: Je ne laisserai pas les taux sur les dettes des grands pays européens s'élever de manière inconsidérée. Alors le problème serait réglé avant même que la BCE ait eu besoin d'agir. Mais les traités ne le permettent pas. De plus, les décisions à la BCE sont prises par un conseil dont une bonne partie des membres sont persuadés que son rôle n'est pas d'être ce prêteur en dernier ressort.
L'Europe a-t-elle encore les moyens de ses ambitions?
Non, et le problème est que l'on se cherche des expédients pour cacher ce fait. Et si vous annoncez d'énormes moyens sans pouvoir assurer ensuite, le remède peut être pire que le mal. C'est comme si vous arriviez dans un bar pour arrêter une bagarre avec un pistolet, et quand vous appuyez sur la gachette, c'est un petit drapeau qui sort...
Finalement, quel aurait été l'accord idéal?
Il n'y a pas d'accord idéal. Tous les jours, des dizaines d'articles prétendent expliquer comment sauver la zone euro, en se contredisant les uns les autres. On peut imaginer plein de solutions virtuelles: que demain l'UE et l'eurozone se transforment en Etats-Unis avec un Etat central démocratique, des Etats locaux sans souveraineté et une BCE calquée sur la Banque fédérale américaine.
Mais la question n'est pas de savoir où on veut aller, mais comment on y va, dans un environnement contraint par des logiques de souveraineté divergentes. Chaque dirigeant veut que le système n'explose pas, mais aussi que ce ne soit pas son pays qui subissent les principales contraintes. Il faut trouver un nouveau mécanisme institutionnel. L'idéal serait un système dans lequel les Etats s'engagent de manière crédible à ne pas être surendettés, et où la BCE s'engage de manière crédible à être prêteur en dernier ressort.