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31 octobre 2011 1 31 /10 /octobre /2011 13:13
Libération - Aujourd'hui à 0h00

Par FRANÇOIS SERGENT


Faut-il rappeler que le droit à un toit est un droit fondamental reconnu par l’ONU ? «Le droit fondamental de la personne humaine à un logement convenable est le droit de tout homme, femme, jeune et enfant d’obtenir et de conserver un logement sûr dans une communauté où il puisse vivre en paix et dans la dignité», écrivait ainsi un rapporteur spécial des Nations unies Miloon Kothari. L’organisation internationale visait les pays du Sud, mais l’Occident, ses grands centres urbains particulièrement, est aussi loin du compte. Comme le montre notre enquête, les centres-villes chassent comme jamais les jeunes, les pauvres et même les familles de la classe moyenne. Adieu la diversité et la mixité sociales. Seuls peuvent vivre dans le centre de Paris, notamment, les bourgeois, bohèmes ou non. Dans une économie libéralisée, l’immobilier est l’un des meilleurs compteurs des inégalités. En dix ans, toutes les statistiques le disent : elles se sont aggravées. La puissance publique, Etat comme municipalités, a laissé faire. Le propriétaire fait la loi, et non le législateur. Alors qu’il existe des solutions non dirigistes, qui peuvent rééquilibrer un marché malade sans créer de pénurie. Mais, seule une vraie politique de l’offre, c’est-à-dire de constructions nouvelles à tous les prix dans les centres-villes, et notamment à Paris, pourra inverser durablement les tendances néfastes de ce secteur. La construction contre la spéculation.

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31 octobre 2011 1 31 /10 /octobre /2011 13:06
Libération -Aujourd'hui à 9h12

Dans les jours qui viennent, les préfectures vont renforcer leur dispositif d'accueil des sans-abri dans le cadre du plan hivernal. Une fausse bonne solution.


Par MARIE PIQUEMAL

Des sans-abri dans un centre d'hébergement de Nanterre, en 2008. «Ce qui augmente fortement, c'est les appels de familles avec enfants», se désole Matthieu Angotti, directeur général de la Fnars. (AFP Stephane de Sakutin)

 

Combien seront-ils à dormir dans la rue cette nuit ? A Toulouse, chaque soir, 150 personnes se retrouvent sans solution, faute de places suffisantes dans les centres d'hébergement d'urgence.

A partir du 2 novembre et jusqu'à la fin mars, les préfectures vont renforcer leurs dispositifs d'accueil dans le cadre du plan hivernal. A Toulouse, 40 lits supplémentaires seront ainsi disponibles dès mercredi. «Cela ne suffira pas. On va continuer à laisser des gens dans la rue, notamment des femmes seules et des couples avec des enfants, de plus en plus nombreux à nous appeler», s'inquiète une salariée du Samu social de Toulouse.

Cet été, avec l'ensemble des personnels de l'urgence sociale, elle a manifesté pour dénoncer un système à bout de souffle et un manque de moyens criant. Face à la mobilisation et après la démission tonitruante de Xavier Emmanuelli, le 19 juillet, le fondateur du Samu social de Paris, le gouvernement a finalement reculé, abandonnant son projet de réduire de 3,3% le budget alloué par l'Etat pour l'aide aux sans-abri. Une enveloppe de 36 millions a été débloquée pour fin 2011, «ce qui nous permet de revenir à la même situation économique que l'année dernière. On s'en félicite mais cela ne règle en aucun cas le problème de fond», insiste Matthieu Angotti, le directeur général de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars) qui regrette «la gestion court termiste» du gouvernement.

Les villes moyennes touchées

On ouvre des gymnases quand les températures baissent trop, on les ferme dès que le temps se réchauffe. «Le principe même du plan hivernal n'a aucun sens. Il ne s'intègre pas du tout dans la logique d'insertion, il n'y a aucun pilotage politique derrière, aucune ambition», se désole Matthieu Angotti. L'objectif de ces plans d'urgence se limite à mettre à l'abri le plus grand nombre de personnes pour éviter les morts de froid. Pour les conditions d'habitats dignes et la possibilité d'entamer un travail d'insertion, on repassera.

Pourtant, cette année, même cet objectif de mise à l'abri a minima risque d'être difficile à tenir. Depuis un an, on enregistre une explosion du nombre d'appels au 115, le numéro d'hébergement d'urgence. La situation a toujours été tendue dans des grandes villes comme Paris — la ligne du 115 est presque toujours saturée (à écouter, ici). Elle l'est désormais dans des villes moyennes, comme Amiens, jusqu'ici épargnée. Jean-Claude Langlois, membre de la structure associative en charge du Samu social de la Somme, a encore interpellé le préfet la semaine dernière. 15 personnes restent sans solution chaque soir. Pour maintenir la pression, le quotidien Le Courrier picard publie chaque jour le nombre de personnes qui ont passé la nuit dehors. Selon une enquête de la Fnars, publiée cet été, 50% à 60% des demandes d'hébergement d'urgence n'aboutissent pas.

Une explosion des demandes

«Contrairement à ce que voudrait faire croire le gouvernement, le nombre d'appels venant de demandeurs d'asile est stable. Ce qui augmente fortement, c'est les familles avec enfants», précise Matthieu Angotti de la Fnars. Trois ans après le début de la crise, les derniers remparts ont sauté : l'épargne est à sec, les droits au chômage sont épuisés. «On le mesure bien en répondant au 115 chaque jour. De plus en plus de personnes nous appellent pour la première fois. Avant, on avait au bout du fil des gens en grande exclusion, aujourd'hui ce sont des personnes en situation de précarité. Il n'y a plus de catégorie d'âge ou de classe sociale», constate Olivia Rattier du Samu social de Paris. Elle ne sait pas encore le nombre de lits supplémentaires qui seront ouverts dans le cadre du plan hivernal. «On est dans le flou complet. Mais ce qui nous préoccupe le plus, ce sont tous ces sans-abri qui ne nous appellent même plus car ils savent qu'on n'a pas suffisamment de places à proposer. On les perd de vue, et ça, c'est très inquiétant.» Le 10 novembre, plusieurs collectifs et associations appellent à une journée d'action pour le logement.

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31 octobre 2011 1 31 /10 /octobre /2011 12:58

LEMONDE  - 31 octobre 2011

A partir de ce soir 21 heures, et jusqu’au 15 mars 2012, il est interdit d’expulser un locataire de son logement en France. Cette date fatidique du 31 octobre, Chantal Fauvette la connaissait. Peu s’en fallut pour qu’elle passe l’hiver chez elle avec sa fille cadette de 19 ans : cinq jours. Cela s'est déroulé mercredi dernier, au 223 de la rue de Stalingrad, à Saint-Pierre-des-Corps : un huissier, accompagné d’un policier en civil, d’un serrurier et d’une équipe de déménageurs, est venu frapper à sa porte du 3e étage. L’opération a duré environ trois heures. La présence sur place d’élus locaux et de militants associatifs opposés à ce type de procédure n’y a rien changé. Chantal Fauvette devait 2933,41 euros au bailleur social ICF Atlantique, soit l’équivalent de treize mois de loyers impayés. "J’ai mes torts, je le reconnais, dit-elle, mais ce n’est pas une raison d’être traités comme des chiens. Nous virer comme ça, à quelques jours de la trêve hivernale, c’est la honte. Ils se sont empressés de nous mettre dehors. Je n’ai été informée de leur venue que quelques jours avant. On n’a pas eu le temps de se retourner. " Et encore moins de prendre conscience de ce qui allait se passer : "On n’y a pas cru, c’est vrai", ajoute-t-elle.

Chantal Fauvette, dans le hall de son ancien immeuble.© Antonin Sabot / LeMonde.fr

Le drame de Chantal Fauvette, 46 ans, se lit dans les replis d’une existence dont le tournant est un divorce en 1996. Son mari la quitte cette année-là en lui laissant ses trois enfants et l'appartement familial du boulevard Thiers, dans le centre-ville de Tours. Elle exerce alors "tous les métiers du monde" pour joindre les deux bouts (gardienne d’immeuble, femme de ménage…), connaît des problèmes de santé, doit s’arrêter de travailler, puis déménage en 2003 à Saint-Pierre-des-Corps dans un type-5 appartenant au même bailleur mais au loyer moins cher. Celui-ci s’élevait ces derniers temps à 211 euros par mois, une fois retirée l’Aide personnalisée au logement (APL) qu’elle reçoit de la CAF. Bénéficiaire du RSA et d’une pension mensuelle de 80 euros de la part de son ancien mari, Chantal Fauvette a commencé à ne plus payer son loyer en 2009 : "J’ai préféré donner à manger à mes enfants", explique-t-elle.

Débute alors la spirale des lettres recommandées, des plans de redressement personnel, des demandes d’effacement de dettes et des convocations au tribunal. En juillet, alors que le tribunal d’instance de Tours ordonne provisoirement la suspension de la mesure d’expulsion qui pèse sur elle, une lecture erronée d'un document lui fait croire qu'elle a un répit "d'un an". La réalité l’a finalement rattrapée mercredi dernier à 14 h 30 quand le camion d’une entreprise de déménagement est apparu au coin de la rue.

L'immeuble dans lequel résidaient Chantal Fauvette et sa fille. © Antonin Sabot / LeMonde.fr

Dans son malheur, Chantal Fauvette a de la chance. Alors que ses effets auraient dû rejoindre un garde-meuble dont le coût aurait été à sa charge (115 euros par trimestre), l’huissier lui "a fait une fleur" en les laissant dans l’appartement vide pendant un mois et demi. C’est le temps qu’il lui reste pour retrouver un toit. En attendant, elle est hébergée par sa fille aînée et son mari à dix kilomètres de là. "Je me sens coupable envers eux, confie-t-elle. J’ai l’impression d’être un boulet et je vois bien que j’embête tout le monde." Ses démarches auprès de l’Opac ou de l’Entraide ouvrière sont trop récentes pour avoir donné quelque chose. "Il nous faut un domicile. On ne peut pas vivre comme ça", appuie-t-elle. Sa fille cadette a, elle, trouvé refuge chez les parents de son petit ami, lesquels ont également récupéré les six chats de la maisonnée.

Quand elle repense à cette funeste après-midi du 26 octobre, Chantal Fauvette revoit "un film" et un cauchemar dont "on ne se réveille pas". Consciente de sa responsabilité – elle aurait dû emménager dans un appartement plus petit il y a déjà longtemps - elle se souvient surtout du moment où elle a été raccompagnée au bas de son immeuble avec ses sacs de supermarché bourrés de vêtements. "Ils m’ont foutue dehors de chez moi et moi… je leur ai dit merci."

 -Pourquoi ?, lui demande-t-on.

-Pour être correct. Ces gens-là, ils sont plus hauts que moi."

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30 octobre 2011 7 30 /10 /octobre /2011 18:49
| Par Jordan Pouille

De notre correspondant en Chine

Le 20 septembre, Hu Fulin s'envolait précipitamment pour les Etats-Unis, et laissait trois mille ouvriers impayés sur le carreau. Avec une production de vingt millions de paires de lunettes chaque année, l'usine de cet entrepreneur jouissait d'une belle notoriété. Ses nouvelles montures étaient d'ailleurs attendues au Mondial de l'optique, tenu il y a un mois à Villepinte. C'est sans compter sur l'ardoise de 313 millions de dollars de dettes que Hu Fulin cachait derrière lui, dont la moitié en prêts souterrains. Il y a quelques jours, coup de théâtre, le patron fugitif est réapparu à Wenzhou. Il accepte de «coopérer» avec les autorités locales. Huang He, président d'une importante tannerie de Wenzhou, ou Yan Qin, propriétaire de la chaîne de cafés Portman, sont, eux, toujours en cavale.

En tout et pour tout, quatre-vingt-dix gros entrepreneurs de cette ville côtière ont quitté la Chine depuis le mois de juin, une trentaine sur le seul mois de septembre. Trois autres se sont suicidés. A Wenzhou, les plus puissants quittent le pays. Les autres baissent le rideau et font profil bas. Et ils sont très nombreux.

Zhou Dewen est le président de l'Association de développement des petites et moyennes entreprises de Wenzhou. D'après ses comptes, 90.000 PME ont ou vont faire faillite ces prochaines semaines. «30% de PME de Wenzhou ont arrêté ou diminué fortement leur production faute d'argent et la situation continue d'empirer», révélait-il vendredi à Mediapart. Cette ville portuaire de 7 millions d'habitants, capitale mondiale incontestée de la chaussure et du briquet jetable, compte 450.000 petites entreprises privées et beaucoup de nouveaux riches. Un gratte-ciel de 350 mètres de haut est actuellement en chantier: le Lucheng Plaza dépassera de trente mètres la tour Eiffel.

Wenzhou est le modèle du miracle économique chinois, ville pionnière dans le développement de l'économie de marché, allant même au-delà des réformes engagées par Deng Xiaoping à partir de 1979. Ce sont les petits entrepreneurs de Wenzhou qui ont financé eux-mêmes la construction de l'aéroport et de la gare de train rapide.

Le prêt illégal... et incontournable

 

Ouvriers sur un chantier, à Pékin  
Ouvriers sur un chantier, à Pékin© Jordan Pouille

Mais dans cette Chine qui carbure au capitalisme d'Etat, mieux vaut être une entreprise contrôlée par les autorités ou à propriété collective (mi-étatique mi-privée) pour pouvoir bénéficier des prêts à taux réduits et autres largesses des banques – elles aussi d'Etat – brassant les milliards des petits épargnants chinois.

En cas d'imprévu, les chefs de PME de Wenzhou n'ont d'autre choix que de recourir à une pratique chinoise ancestrale mais officiellement illégale: le prêt souterrain. Soit des créanciers privés, peu regardants sur la clientèle mais dont les taux d'intérêts sont beaucoup plus élevés que ceux des banques. Qui prête? «En 2007, avant la crise financière, tout le monde ici boursicotait. Depuis, ces mêmes personnes prêtent à tour de bras. Cela va du patron d'usine ayant des liquidités et qui réalise qu'il peut faire du profit bien plus vite qu'en produisant, des citoyens lambda, des petits officiels locaux ayant accès aux prêts des banques légales et qui réinjectent l'argent dans le lucratif circuit souterrain ou même les Chinois de la diaspora, originaires du Zhejiang, et dont le poids économique est aujourd'hui énorme», explique à Mediapart Li Youhuan, économiste et vice-directeur à l'Académie des sciences sociales de Canton.

Une situation qui rappelle, à certains égards, la chaîne de Ponzi si chère à Bernard Madoff, d'après Andy Xie, économiste chinois à Shanghai, «car là encore, on apporte sans cesse de l'argent neuf pour payer l'ancien».

Gao Zhang, la quarantaine, dirige une petite société de matériaux de construction à Shaoxing, tout près de Hangzhou, la capitale du Zhejiang et à deux cents kilomètres de Wenzhou à vol d'oiseau. Il fabrique du ciment et de la céramique, emploie dix personnes pour la comptabilité et les ventes. Et au moins le triple d'intérimaires, «entre 30 et 50 ouvriers selon les projets ».

Chaque année, Gao Zhang vend pour dix millions de yuans de marchandises mais il a souvent recours aux prêts illégaux. «Quand mes clients paient en retard, j'ai besoin de cash pour payer mes ouvriers et acheter de nouveaux matériaux. Comme mes demandes d'argent se font toujours au dernier moment, il m'est impossible de passer par les banques de Shaoxing qui mettent beaucoup trop de temps et il y a trop de paperasse pour des montants insuffisants», explique-t-il à Mediapart.

Quand Gao Zhang emprunte, il veut beaucoup et tout de suite. «Mais attention ! Je suis capable de rembourser très rapidement. Il s'agit d'un emprunt pour régler un problème de trésorerie immédiat et non pour investir ou spéculer.»

Eviter le coup de sang

Naturellement, notre entrepreneur s'adresse à des «amis dans la construction» de sa ville. «Le taux d'intérêt ici est entre 5% et 6%, soit le double des banques. Cette année, il m'est arrivé d'emprunter à 7% mais c'était exceptionnel. Les prêteurs à ce taux sont très rapides mais ont mauvaise réputation dans le milieu. Gare à ceux qui ne paient pas en temps et en heure. En général, j'ai besoin de 500.000 yuans tout de suite. Parfois plus d'un million de yuans.»

Que se passe-t-il en cas de pépin? «Cela arrive. Avec un prêteur honnête, d'abord on paye les intérêts et après on rembourse l'emprunt. Mais j'ai des amis qui n'ont pas réussi à rembourser. Certains ont fui avec leurs familles par peur de représailles, des kidnappings. D'autres ont dû vendre leur maison très vite.»

Gao Zhang sent déjà l'engrenage. «Cette année, les prix augmentent fortement (+6,1% d'inflation en septembre): celui de l'essence, des matières premières, des salaires des ouvriers (+21,3% du salaire de base en moyenne nationale cette année). Et mes clients paient de plus en plus souvent en retard. D'où un recours presque systématique aux prêts souterrains.» Heureusement pour Gao, son activité ne faiblit pas; rien n'interrompt le circuit. «Mes collègues souffrent davantage car leurs produits sont fabriqués pour l'étranger. Or les commandes basculent vers d'autres fournisseurs, au Viêtnam ou au Bangladesh. Moi, je travaille pour le marché local.»

Mais comme tous, Gao est à deux doigts de travailler à perte. «Car ces prêts à taux élevés siphonnent systématiquement les faibles bénéfices des entreprises. Cela ne peut que ralentir la croissance si cela devait se généraliser», conclut Li Youhan, notre économiste.

 

Ouvriers migrants Ouvriers migrants© Jordan Pouille
Premiers touchés d'une faillite d'entreprise: le patron et les salariés. Pour éviter un coup de sang – la population de Wenzhou est composée majoritairement d'ouvriers –, les autorités de Wenzhou s'empressent de payer les salaires des laissés-pour-compte, en revendant au plus vite leur outil de travail. «Grâce à la vente des machines, il s'agit d'abord de payer les ouvriers, puis les taxes pour le gouvernement et enfin les dettes pour les créanciers dits illégaux mais tolérés car indispensables à l'essor de l'économie», détaille Zhou Dewen.

Depuis février, un amendement de la loi nationale rend illégale la retenue d'un salaire si l'entreprise a les moyens – financiers et matériaux – de payer. Mais rien n'y fait. En Chine, les ouvriers des provinces industrielles sont avant tout des paysans migrants. Leur Hukou (une sorte de passeport interne) leur ouvre des droits comme l'accès aux soins, l'éducation pour leurs enfants dans le village d'origine mais aucun dans la province où ils s'installent. En cas de conflit avec le patronat, ce type de salariés, en situation de quasi-clandestinité dans son propre pays, n'a quasiment aucun recours.

«Nos caisses sont vides»

Sauf l'affrontement. Toujours au Zhejiang et à 180 km au sud de Shanghai, la ville de Huzhou a connu une semaine d'émeutes, jusqu'au déploiement vendredi de la police militaire. L'étincelle est partie d'une querelle entre un percepteur des impôts et un petit fabricant de vêtements pour enfants, révolté par une nouvelle taxe de soixante euros sur ses machines à coudre. Trente voitures ont été renversées, un fourgon de police incendié.

Bon gré mal gré, les banques de Wenzhou ont obéi aux ordres des officiels du gouvernement de Zhejiang. «Nous avons pour ordre de prêter au moins 100 milliards de yuans aux entrepreneurs mais nos caisses sont déjà vides après en avoir distribué soixante», confiait un banquier au magazine d'enquête économique pékinois Caixin, le 25 octobre. Le milieu bancaire local grogne aussi contre les injonctions désormais intempestives des officiels municipaux pour ne pas relever les taux d'intérêt en cette période d'inquiétude. «C'est contraire aux règles du marché.» Dans le même temps, ces mêmes officiels poussent leur supérieur du gouvernement local à créer un fonds de stabilité financière de 60 milliards de yuans. Mais avec la forte appréciation du yuan face au dollar et la concurrence des pays voisins sur ces produits peu sophistiquées, le Zhejiang peut-il encore lutter?

Pas d'inquiétude, clament les dirigeants de la banque centrale de Chine, qui s'assoient sur un magot de 3201 milliards de dollars en réserve de change que lorgne d'ailleurs le fonds européen de stabilité financière: le drame de Wenzhou ne serait qu'un cas isolé et non pas le résultat d'un problème systémique appelé à se généraliser.

 

Usine à Dongguan Usine à Dongguan© Jordan Pouille

Ce que dément fortement Zhou Wen: «Attention, il y a Dongguan, Canton et les autres villes-usines dans le delta de la rivière des Perles où le prêt souterrain est systématique et où les faillites nous pendent au nez.» «Mais aussi beaucoup plus loin, à Ordos en Mongolie intérieure», prévient Li Youhan, l'économiste.

Depuis deux ans, Ordos est un mythe. A vingt-cinq kilomètres de la ville historique, en plein milieu du désert, la municipalité a poussé les promoteurs à construire une cité radieuse de A à Z pour permettre à ses nouveaux riches du gaz et du charbon de changer de train de vie. Mais bien que splendide, cette ville est restée fantôme, seulement une poignée d'Ordosiens ont acheté des logements et les promoteurs se retrouvent insolvables. Eux non plus n'ont pas eu accès aux prêts des banques conventionnelles, le gouvernement voulant lutter contre la spéculation immobilière. D'où le recours aux prêts souterrains.

 

Ordos, ville fantôme Ordos, ville fantôme© Jordan Pouille

Wang Fujin, un fonctionnaire du tribunal local d'Ordos devenu promoteur, avait en quelques mois amassé trente millions d'euros auprès de deux mille petits épargnants. Chaque mois, l'homme d'affaires devait rembourser 900.000 euros, rien qu'en intérêts. Il a été retrouvé mort, pendu dans les toilettes.

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30 octobre 2011 7 30 /10 /octobre /2011 13:05

30/10/2011 à 12h11

Rue89 Rue89

 

Hormis dans quelques villes, le mouvement des Indignés n'a pas essaimé en France. Pourtant, les éditeurs Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou ont vendu deux millions d'exemplaires d'« Indignez-vous ! » le livre de Stéphane Hessel à l'origine du mouvement.

Pour lancer ce petit ouvrage né de leur rencontre avec l'ancien résistant et titré avec flair par l'éditrice, le couple avait d'abord songé en imprimer huit mille. Il est vrai qu'Indigène, leur maison d'édition basée à domicile, sur les flancs de la ville de Montpellier, est loin d'être un poids lourd.

Le couple a lancé cette structure en 1996. Le nom vient de leur tropisme pour les cultures « non-industrielles » (ils ne disent pas « primitives »), de leur engagement pour la parole de ceux qu'ils appellent « les grands initiés ». Il prolonge aussi l'histoire de Sylvie, née en 1954 de parents enseignants, très vite partis aux quatre coins du monde.

En 1981, la fête dans la rue, pas le vote

Elevée au Maghreb ou au fond d'une vallée polynésienne, elle rentre en France passer le bac et préparer Normale Sup. Elle intègre l'école, mais démissionne : partie une année aux Etats-Unis rencontrer Henry Miller, elle préfère rester à Los Angeles afin de poursuivre son dialogue avec l'écrivain.

Prolonger son engagement, aussi : la politique, chez elle, se construit par sédimentation. On est en Californie, dans les années 70, en plein dans les combats féministes et des droits civiques.

Le bulletin de vote est secondaire : rentrée en France, elle ne se souvient pas avoir voté pour François Mitterrand en 1981, mais se rappelle être sortie dans les rues au soir du 10 mai. S'être promenée avec Jean-Pierre, son compagnon et celui avec qui elle fondera Indigène. Ils étaient alors « contents de voir les gens heureux ».

« Un bon politique, c'est un bon gestionnaire »

Elle restera toujours extérieure à la politique, même quand la gauche l'emportera. L'éthique est ailleurs, dit-elle :

« Je n'attends pas de la politique des réponses. Ça ne me concerne pas beaucoup. Pour moi un bon politique, c'est un bon gestionnaire. L'engagement commence par une exigence vis-à-vis de soi-même, une vigilance. »

Philippe Corcuff, maître de conférences en science politique à l'IEP de Lyon (et par ailleurs militant au NPA après 17 ans au PS), était l'invité de « Carte d'électeur » pour décrypter les nouvelles formes d'engagement. Il voit dans ce témoignage un prolongement de ce qu'il a relevé dans le mouvement des Indignés :

« L'effondrement des utopies, c'est la difficulté à s'inscrire dans un avenir qui pourrait être différent. Même les gens les plus critiques et les plus engagés, comme celle qu'on vient d'entendre, sont pris dans une forme de religion pratique de l'immédiateté [...]

Cette tentation de s'enfermer dans un présent perpétuel qui ne donne plus de moyens d'action autrement que par la satisfaction éthique d'un engagement personnel. Qui est quelque chose d'important mais pose la question : comment, à partir de soi, réussir à faire changer les choses ? »

Philippe Corcuff invité de Carte d'électeur

Sur le témoignage de Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou

 

 

Quand Sylvie Crossman vote, elle vote blanc. Sylvie se définit comme militante. Pas comme abstentionniste. Le mot fait aussi bondir Jean-Pierre Barou. Quand elle le rencontre, elle est journaliste, il démarre sa vie d'éditeur.

Fils d'ouvriers parisiens, il a un diplôme d'ingénieur, mais sa première vie s'est déroulée auprès de Jean-Paul Sartre. Barou est alors mao, militant à la Gauche prolétarienne, il rencontre l'intellectuel à « La Cause du peuple ». Il le suivra aux débuts du journal Libération, puis rejoindra les éditions du Seuil.

Jean\-Paul Sartre en 1970

Le philosophe défend La Cause du peuple en marge d'un procès

 

*POUR VOIR LA VIDEO,"Jean\-Paul Sartre en 1970 - Le philosophe défend La Cause du peuple en marge d'un procès"

APPUYER SUR LA TOUCHE "Ctrl" DE VOTRE CLAVIER ET CLIQUER SUR LINK CI-DESSOUS

link

 

De cette époque, Jean-Pierre se souvient avoir voté « au moins une fois communiste ». « Peut-être » y eut-il deux ou trois autres passages par l'isoloir, puis plus... Jean-Pierre n'est pas certain que ce soit très pertinent de parler de son rapport au vote.

« Les Indignés, un mouvement politique »

Philippe Corcuff retrouve dans ce témoignage un appétit d'engagement qu'il relève aussi sur le terrain :

« Les Indignés sont une tentative de mettre en cause cette dégénérescence de l'idéal démocratique dans les régimes représentatifs professionnalisés. Dans le cours routinier de nos régimes représentatifs modernes, on finit par s'habituer à l'idée que la démocratie c'est le pouvoir qu'on délègue à quelques professionnels. Mais le vote, c'est une des méthode dans l'idéal démocratique. »

Philippe Corcuff invité de Carte d'électeur

Sur le mouvement des Indignés

 

 

Sylvie dit que la politique ligote la pensée. Pourtant, ça la travaille. En 2012, elle ira peut-être aux urnes. Au second tour en tous cas : pour voter Hollande si ça permet d'éviter un second mandat Sarkozy. A la primaire de la gauche, elle a voté Aubry. Jean-Pierre ne s'est pas déplacé.

Son indifférence pour le jeu des appareils vient d'une démission du politique en général et de la gauche en particulier. Lui se définit « radicalement à gauche » :

« A partir des années 70, 80 on est face à un néolibéralisme sauvage. S'il se développe c'est quand même que les politiques n'ont pas réagi. On est dans une situation gravissime et les politiques n'ont pas réagi, la gauche n'a pas agi. Elle n'a pas rempli sa mission historique. Ça remonte à la Libération.

La gauche s'est enfermée dans la lutte des classes. Je ne dis pas qu'il n'y a pas quelque chose de cet ordre-là, mais où est la frontière ? Elle s'est figée dans des schémas idéologiques style “lutte des classes” [...]

On appelait les mao, les “Mao Spontex” (sous entendu, “ils n'ont pas d'idéologie”), mais j'aimais qu'on soit des jeunes gens capables d'observer, d'écouter et d'adapter les choses en fonction des circonstances. Sans quoi la politique, c'est la violence. On a méprisé la non-violence alors qu'elle m'intéresse justement beaucoup. La non-violence, ce n'est pas l'inverse d'un choix. »

Philippe Corcuff valorise le choix « libertaire et novateur » d'Olivier Besancenot de se délester du leadership au NPA, ou encore l'engagement de Philippe Poutou dans une campagne présidentielle sans quitter son emploi d'ouvrier à l'usine.

« Le collectif écrase l'éthique individuelle »

Mais selon lui, le NPA, pas plus que d'autres formations politiques nouvelles comme Europe écologie-Les Verts ou le Parti de gauche, n'a réussi à incarner ces exigences nouvelles vis-à-vis de la politique :

« L'offre politique ne permet pas de répondre à l'importance de l'engagement dans la construction de soi-même. Un logiciel collectiviste et l'idée du “tout collectif” a emporté la gauche et l'extrême gauche avec l'idée que le collectif écrase l'éthique individuelle [...] Le passé mort bloque la création au présent. »

Philippe Corcuff invité de Carte d'électeur

Sur l'échec de la gauche à capitaliser sur les nouveaux engagements

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30 octobre 2011 7 30 /10 /octobre /2011 12:04

LEMONDE.FR avec AFP | 30.10.11 | 10h49   •  Mis à jour le 30.10.11 | 11h05

 
 

 

François Baroin, ministre des finances, et Valérie Pécresse, ministre du budget, le 28 septembre à Paris.

François Baroin, ministre des finances, et Valérie Pécresse, ministre du budget, le 28 septembre à Paris.REUTERS/© Gonzalo Fuentes / Reuters

Le gouvernement, qui cherche 6 à 8 milliards d'euros pour réduire son déficit en 2012, planche sur plusieurs mesures destinées à augmenter les recettes. Selon le Journal du dimanche du 30 octobre, il envisagerait notamment une hausse du taux réduit de la TVA, de 5,5 % à 7 ou 9 %, dans certains domaines, tout en maîtrisant certaines dépenses.

Cette hypothèse, également évoquée par Le Monde vendredi dans le cadre d'une convergence avec l'Allemagne, prendrait ainsi le pas sur l'autre possibilité envisagée, à savoir la création d'un taux intermédiaire entre celui "normal" de 19,6 % et celui, réduit, de 5,5 %.

Selon le Journal du dimanche, qui n'identifie pas ses sources, les travaux dans les logements pour les particuliers, la restauration et les services à domicile seraient visés. Les deux premières mesures rapporteraient 1,5 milliard d'euros avec une TVA à 7 % et 3 milliards d'euros avec une taxe à 9 %.

Aussi envisagé, et quasi-décidé selon le JDD, le taux de l'impôt sur les sociétés passerait de 33 à 36 % pour les grandes entreprises (chiffre d'affaires de plus de 150 millions d'euros), soit un gain d'un peu plus d'un milliard d'euros.

LA SÉCURITÉ SOCIALE ET LE TRAIN DE VIE DE L'ETAT EN LIGNE DE MIRE

Côté dépenses, l'idée du gouvernement serait de stabiliser l'augmentation de celles des collectivités locales, actuellement de 4 % par an, soit environ 4 milliards d'euros.

Il s'agirait également de freiner les dépenses de la Sécurité sociale, en maintenant d'une part l'augmentation de celles de l'assurance-maladie à 2,5 %, contre 2,8 % prévu pour 2012, pour un gain de 500 millions d'euros, et d'autre part en agissant contre les fraudes.

Enfin, le dernier pôle d'austérité concernerait le train de vie de l'Etat, à savoir s'attaquer à certains budgets ministériels ou faire baisser les dotations aux organismes et entreprises publiques. Selon le JDD, plusieurs députés de la majorité insisteront la semaine prochaine via une lettre ouverte ou une tribune à la presse sur la nécessité de toucher aux dépenses.

Interrogé par l'AFP, un porte-parole du ministère du budget n'a pas souhaité faire de commentaires et a précisé que rien n'était décidé. Quelle que soit la décision prise, le gouvernement français devra s'en référer à Bruxelles.

>> Lire "TVA : la France devra composer avec la législation européenne"

Le nouveau plan d'austérité sera détaillé au lendemain du G20 de Cannes des 3 et 4 novembre. Il est rendu nécessaire par une perspective de croissance économique en 2012 plombée par la crise de la zone euro et revue drastiquement à la baisse, à 1 %, contre 1,75 % prévu jusque-là.

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30 octobre 2011 7 30 /10 /octobre /2011 11:48
| Par Edwy Plenel
Chacun l'a compris à l'annonce, mercredi 24 août, des mesures d'austérité gouvernementales : l'aumône demandée à une minorité de très riches n'est que l'alibi d'une rigueur pour le plus grand nombre (lire ici l'article de Laurent Mauduit sur cette austérité aux allures de Grand Guignol). Grossière, la manœuvre a été accompagnée d'une opération de diversion avec l'appel «Taxez-nous!» du Nouvel Observateur. Mais cette entourloupe dit aussi la peur qui habite cette présidence et l'oligarchie qui l'entoure, tant la crise met en évidence leurs impostures. Décryptage en forme de message d'espoir.

Car ce pouvoir qui n'a cessé de jouer sur les peurs, de les susciter et de les alimenter avec les trois « i » qui lui tiennent lieu de politique – identité, immigration, insécurité, autrement dit peur de l'avenir, peur de l'étranger et peur du quotidien –, oui, ce pouvoir est lui-même habité par la peur. Peur d'être dévoilé, confondu et démasqué. Insaisissables, incontrôlables et imprévisibles, les événements le rattrapent et risquent, à tout moment, de l'ébranler. Révolutions arabes, émeutes britanniques, crise financière et récession économique, affaires : sous le calme illusoire qu'offrent les protections présidentielles et les complaisances médiatiques, la météorologie politique est bel et bien menaçante.

Tandis qu'une brochure en forme de slogan ne cesse de donner le ton, avec le succès phénoménal de l'essai de Stéphane Hessel, Indignez-vous!, le réveil soudain des peuples arabes est une onde de choc souterraine qui fait vaciller toutes les certitudes. Elle rappelle brutalement la précarité de son sort et l'instabilité de sa condition à cette infime minorité aujourd'hui installée à demeure au cœur de la République, au croisement de l'avoir et du pouvoir, dans la confusion des intérêts privés et du bien commun. Ce pouvoir est le mieux placé pour en prendre la mesure tant il avait parié sur ces régimes déchus ou menacés, leur stabilité et leur clientèle.

L'Union pour la Méditerranée, ce grand œuvre géopolitique du quinquennat avec MM. Ben Ali, Moubarak, El-Assad et Kadhafi en alliés vedettes, voire en amis fidèles, n'était-ce pas hier, à peine ? Et les documents Takieddine dévoilés par Mediapart ne donnent-ils pas un aperçu sidérant des corruptions occultes qu'abritaient ces compromissions tapageuses ? Seuls les amnésiques peuvent croire à la fable humanitaire du zèle guerrier de Nicolas Sarkozy en Libye. Il s'agit d'abord d'effacer sous la mitraille les traces de l'idylle nouée depuis 2005 par le clan Sarkozy avec le despote de Tripoli. D'en effacer jusqu'au souvenir.

Il en va de même avec la crise qui, en s'accélérant et s'approfondissant, met en évidence les inconséquences d'un pouvoir aussi imprévoyant qu'incompétent. Des déficits creusés, des inégalités renforcées, une croissance enrayée, un chômage aggravé : tel est son bilan, sans appel. Mais, surtout, ce bilan désastreux s'accompagne du prix à payer pour l'arrogance initiale et jamais démentie, de la soirée du Fouquet's couplée au yacht de Bolloré jusqu'aux spectaculaires affaires Bettencourt et Tapie : celle du «président des riches», selon l'heureuse formule des sociologues Pinçon-Charlot (voir Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Le Président des riches, Zones, 2010). Mieux, des très riches. D'un chef de l'Etat devenu chef de bande, fondé de pouvoir d'un clan oligarchique.

Là encore, l'urgence du pouvoir est de brouiller les pistes, de conjurer le souvenir afin de devancer la révolte. Devenue l'incarnation même de l'injustice et de l'aveuglement, cette présidence cherche son grand roque sur l'échiquier de la campagne présidentielle à venir. Il lui faut fabriquer une nouvelle fiction politique qui puisse lui tenir lieu d'échappée belle ou de contre-pied tactique.

C'est ici qu'intervient l'appel lancé par Le Nouvel Observateur qui est à la fois une manœuvre de diversion et un symptôme d'inquiétude. Mais c'est aussi, à travers l'indécente complaisance d'un hebdomadaire supposé de gauche, une leçon de choses sur les pièges médiatiques qui ne cesseront de nous être tendus à mesure qu'approchera l'échéance électorale.

Le Nouvel Observateur diffuse une fiction sarkozyste

Mardi 23 août, à la veille de la communication gouvernementale, le site du Nouvel Observateur mettait donc en ligne, sous le bandeau «Exclusif» un «appel de très riches Français» intitulé «Taxez-nous !» (à retrouver intégralement ici). Tout en précisant que ce «texte minimal (...) ne reflète pas la position de l'Obs, mais celle de ces hauts dirigeants», le directeur de l'hebdomadaire, Laurent Joffrin, saluait ce «geste» par lequel «un groupe significatif de grands patrons acceptent un effort supplémentaire». «L'important est que la classe dirigeante française commence à évoluer», ajoutait-il, tout en concédant que c'est à pas d'escargot : après tout, ce geste n'est que «prudent» et «symbolique», selon Joffrin lui-même.

 

Maurice Lévy.
Maurice Lévy.© (dr)

Ces précautions signaient une capitulation. Le journalisme, du moins son indépendance et son exigence, n'avait en effet rien à faire dans cette pure opération de communication. Organisée par le patron de Publicis, groupe dont le métier est la publicité, Maurice Lévy, elle avait été annoncée le 16 août par une tribune de ce dernier dans Le Monde (dont Publicis est l'actionnaire historique de la régie publicitaire, ce que le quotidien ne précisait pas). Au nom de l'Association française des entreprises privées, l'AFEP qu'il préside, M. Lévy y déclinait sans la moindre retenue ou distance les objectifs du pouvoir (retrouver le texte intégral ici), un pouvoir dont il avait été déjà l'entremetteur sur le front du numérique lors du récent G8.

Oubliant le tour de passe-passe de 2008 où des dettes privées sont venues alourdir la dette publique, l'Etat volant au secours des banques sans contrepartie, auquel s'ajoute l'abyssal manque à gagner d'une politique fiscale favorable aux plus riches, Maurice Lévy s'en prenait vertement à l'Etat providence et à «l'assistanat» qui serait sa résultante, concluant, avec un nous bien mal approprié : «Pendant toutes ces décennies, nous avons vécu au-dessus de nos moyens.»

Suivait un ordre du jour digne des plus belles heures du reaganisme américain ou du thatchérisme britannique : sacralisation de la «règle d'or» budgétaire car «il y va de l'avenir de notre pays», assaut radical contre le déficit public («une réduction brutale, immédiate (...), sans attendre une seule seconde»), guerre drastique aux coûts «de nos structures administratives et de nos systèmes sociaux», réduction sensible «des charges qui pèsent sur les salaires».

De ce programme en forme de déclaration de guerre aux salariés, Le Nouvel Observateur n'a soufflé mot à ses lecteurs, et d'autant moins que son propriétaire, l'industriel Claude Perdriel, est l'un des signataires de l'appel fabriqué par Maurice Lévy. Il suffisait pourtant d'avoir lu la tribune du patron de Publicis dans Le Monde pour comprendre que cette «contribution exceptionnelle des plus riches, des plus favorisés, des nantis» n'était que le pâté d'alouette destiné à faire passer la potion de cheval. Non seulement une contribution «exceptionnelle», mais, insistera ensuite l'appel, «dans des proportions raisonnables» qui, de plus, doit «s'inscrire dans un effort plus global de réforme», lequel «demande à tous un effort de solidarité».

Décidément, la ficelle était un grossier cordage. C'est tout le risque d'une politique réduite à la communication : son habillage la dévoile plutôt qu'il ne réussit à la masquer. Contrairement à ce qu'écrit Laurent Joffrin, l'appel « Taxez-nous ! » ne propose pas un geste des très riches, mais tente d'initier une pédagogie de l'effort et du sacrifice, de la souffrance et de la contrainte pour tous ceux qui ne le sont pas. «Payer une contribution exceptionnelle est le moyen pour les riches de se légitimer», commente à juste titre Monique Pinçon-Charlot qui souligne combien «la classe dominante sent les dangers explosifs de la situation actuelle» (lire ici son commentaire intégral).

C’est une révolution fiscale qu’il nous faut

Ce qui est explosif, c'est tout simplement la somme d'injustice sociale propre à la France et gravement alourdie depuis 2007. L'équipe de l'économiste Thomas Piketty a démontré sans appel que notre système fiscal est régressif, et non pas progressif, c'est-à-dire que les plus fortunés y payent proportionnellement beaucoup moins d'impôt que la plus grande masse des contribuables. Quand, tous prélèvements obligatoires confondus, les taux effectifs d'imposition sont en moyenne de 45% pour les 50% des Français les plus modestes et se situent entre 48 et 50% pour les 40% suivants de la pyramide des revenus, ils ne cessent de décliner pour les 5% de revenus les plus élevés, ne dépassant guère les 35% pour les 0,1% des Français les plus aisés (soit 50.000 personnes sur 50 millions).

 

Incontestable, cette démonstration savante s'est accompagnée d'un appel citoyen à une «révolution fiscale» dont un site Internet détaille les enjeux et les modalités (à consulter ici). Oui, «une révolution», insiste Thomas Piketty, tant est intenable, invivable et insupportable, une situation où «les revenus du capital, tout comme les patrimoines dont ils sont issus, ont retrouvé en ce début du XXIe siècle une prospérité que l'on n'avait pas observé depuis la Belle Epoque», soit le tout début du XXe siècle.

En opposant au coup de bluff de «Taxez-nous!» l'argumentation serrée de Pour une révolution fiscale, l'ouvrage de Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez qui soutient ce débat essentiel (Seuil, 2011), on retrouve cette nécessité (rappelée dans un précédent article, à lire ici) de prendre les problèmes à la racine, autrement dit d'être réaliste en étant radical, pragmatique parce que radical.

«Le patrimoine privé, lit-on ainsi sous leur plume paisible, représente actuellement l'équivalent de près de six années de revenu national, contre moins de quatre années dans les années 1980, et moins de trois années dans les années 1950. Il faut remonter à la Belle Epoque (1900-1910) pour retrouver une telle prospérité des fortunes françaises, avec des patrimoines privés atteignant l'équivalent de six, voire sept années de revenu national. (...) Nous sommes dans une période historique où les patrimoines (et les revenus qui en sont issus) se portent très bien et ont beaucoup progressé ces dernières décennies, alors que la production et les revenus du travail croissent à un rythme relativement faible. (...) Cela implique à tout le moins qu'un système fiscal taxant davantage le travail que le capital n'est guère adapté à notre époque et peut assez légitimement susciter de forts soupçons d'iniquité de la part de tous ceux qui n'ont que leur travail pour vivre.»

Le propos est aussi modéré qu'est implacable la réalité dont il rend compte et qu'aucune «contribution exceptionnelle» ne suffira à masquer. C'est un signe des temps que cette nouvelle exigence radicale venue de cercles intellectuels réformistes ou modérés. N'est-ce pas Pierre Rosanvallon qui, tournant résolument le dos à ses mésaventures dans la défunte Fondation Saint-Simon, évoque désormais une nécessaire «société des égaux» où l'on retrouve l'écho de Gracchus Babeuf, fidèle jusqu'au sacrifice à la constitution de 1793, celle de l'An I de la République, d'une république radicalement démocratique et sociale ?

Présentant récemment dans Libération son nouvel ouvrage (lire ici son entretien), le professeur au Collège de France citait deux chiffres, eux aussi sans appel. Alors qu'avant l'arrivée de la gauche au pouvoir, le taux marginal de l'impôt sur le revenu (soit le niveau de taxation de la tranche d'imposition la plus haute) était de 65%, il est aujourd'hui de 41%. Quant à l'échelle des rémunérations, alors que dans les années 1970 les gourous du management conseillaient aux grandes entreprises de ne pas dépasser des écarts allant de 1 à 20 (il est de 1 à 3 dans l'entreprise Mediapart), les entreprises du CAC40 présentent aujourd'hui des écarts allant de 1 à 400 !

Il faudrait encore ajouter la somme des cadeaux fiscaux offerts aux plus riches, dont on évalue le manque à gagner pour les finances publiques à 150 milliards d'euros ces dix dernières années, qui se cumulent avec le chiffre noir de la fraude et de l'évasion fiscales. N'estime-t-on pas, au bas mot, à 80 milliards d'euros les avoirs français dissimulés en Suisse ? Autant d'éclairages introuvables dans la mise en scène du Nouvel Observateur qui lançait cet appel à la manière d'une fable, sans autre élément de contexte que cet « Il était une fois » (des très riches qui veulent payer plus d'impôt) avec lequel on endort les enfants. Mais, à lire la liste des signataires, on comprend mieux cette fainéantise : elle est tellement caricaturale qu'elle s'effondre comme un château de cartes à la première curiosité.

Une liste de signataires exemplaire des abus oligarchiques

Entre indécence et inconscience, les noms rassemblés par Maurice Lévy sous la bannière d'un effort national inégalement partagé ne sont pas inconnus aux lecteurs de Mediapart. A vrai dire, on y trouve presque tous nos «clients», si l'on entend par là tous ces cas d'espèce qui, un jour ou l'autre, ont nourri nos curiosités, révélations et investigations sur les abus oligarchiques. En d'autres termes, notre publicitaire ne pouvait choisir liste plus désastreuse : la plupart de ces seize signataires sont les moins bien placés pour donner l'exemple, sinon de la vertu, du moins du sacrifice.

 

Liliane Bettencourt.
Liliane Bettencourt.© (dr)

Par un hasard malin de l'ordre alphabétique, le PDG de L'Oréal, Jean-Paul Agon, et sa principale actionnaire, Liliane Bettencourt, ouvrent le bal. Nos lecteurs se souviennent suffisamment de notre feuilleton de l'été 2010 pour n'avoir pas oublié que Mme Bettencourt cumulait une évasion fiscale massive dans des paradis fiscaux, un taux d'imposition ridiculement bas par rapport à sa fortune et une remise annuelle d'impôt de 30 millions au titre du bouclier fiscal. Le Nouvel Observateur n'a pas eu la curiosité de connaître le montant du redressement fiscal qu'auront permis nos révélations ni de savoir qui a signé à la place de la vieille dame dont la tutelle est toujours un enjeu judiciaire.

PDG d'Orange, Stéphane Richard est également signataire. Or si l'on se rappelle l'affaire Tapie, cet autre feuilleton chroniqué depuis 2008 sur Mediapart, il fut au cœur de l'action concertée au sommet de l'Etat aux seules fins d'enrichir Bernard Tapie. A l'époque directeur de cabinet de Christine Lagarde au ministère de l'économie, cet énarque et ancien conseiller de Dominique Strauss-Kahn au même ministère fit fortune au détour de son passage chez Vivendi. Réussite qui lui vaudra, en 2006, quand le ministre Nicolas Sarkozy lui remit sa Légion d'honneur, un éloge envieux de sa richesse par le futur chef de l'Etat, conclu par cette double promesse : «Un jour, nous travaillerons ensemble (...). Un jour, je serai aussi riche que toi!» (voir le livre de Renaud Dély et Didier Hassoux, Sarkozy et l'argent roi, Calmann-Lévy, 2008).

Plus discrets, Franck Riboud, PDG de Danone, et Philippe Varin, président du directoire de PSA Peugeot Citroën, sont aussi signataires. Ce sont pourtant les archives récentes du Nouvel Observateur qui témoignent de l'habileté du premier à payer le moins d'impôt possible : en janvier dernier (à lire ici), l'hebdomadaire dévoilait que ce patron parmi les dirigeants les mieux payés de France utilisait la niche fiscale des investissements outre-mer pour réduire son imposition de plusieurs centaines de milliers d'euros. Quant au second, la CGT du site de Sochaux s'est empressée de rafraîchir la mémoire des journalistes oublieux : M. Varin a multiplié sa rémunération par quatre en 2010, percevant de PSA 3,251 millions d'euros, soit 8.900 euros par jour, samedis et dimanches compris.

Quoique dans des proportions moindres, les rémunérations d'autres signataires se sont elles aussi envolées, malgré l'ombre de la crise survenue en 2008 : +10% pour le PDG de L'Oréal déjà cité et +12% pour Christophe de Margerie, PDG de Total. En faisant cette autre recrue, Maurice Lévy a sans doute oublié que Total, plus grosse capitalisation du CAC40, a réussi ces dernières années à ne pas payer d'impôt sur les sociétés en France, grâce à une heureuse disposition instaurée en 2005 par un ministre de l'économie nommé Nicolas Sarkozy. Sans doute les agences de notation ne trouvent-elles rien à redire à cette habileté qui permet de ne guère contribuer à la richesse nationale...

Ces mêmes agences, qui sanctionnent les Etats au mépris de leur souveraineté et appellent à l'austérité pour les peuples, figurent parmi les signataires en la personne de Marc Ladreit de Lacharrière, président de Fimalac et principal actionnaire depuis la fin des années 1990 de Fitch Ratings, l'une des trois agences de notation qui, avec Standard&Poors et Moody's, forment une sorte d'oligopole, fermé à la concurrence et contrôlant le marché à plus de 80%. Proche de Nicolas Sarkozy, comme il le fut de Jacques Chirac, M. Ladreit de Lacharrière, ironie de l'histoire, appartient à la promotion «Robespierre» de l'ENA (1968-1970). Formé au service public sous l'égide de l'Incorruptible mais ayant offert illico ses talents au privé via le groupe L'Oréal, il a été élevé, le 31 décembre 2010, à la dignité de grand-croix de la Légion d'honneur...

Le capitalisme financier est également représenté dans cette liste par un banquier, et non des moindres, Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale, établissement le plus exposé sans doute aux jeux spéculatifs. Lequel PDG a vu, malgré les risques pris par sa banque – on se souvient des sommes folles de l'affaire Kerviel, survenue début 2008 –, suivis de son sauvetage par l'argent public, sa rémunération grimper de +152% en 2010... L'autre grand monstre financier français, BNP Paribas, a répondu à l'appel en la personne de son président, Michel Pébereau, qui soutient l'initiative mais ne signe pas. Peut-être est-ce une insigne réserve liée à son rôle de conseiller officieux du président : M. Pébereau a été adoubé par Jean-René Fourtou, président de Vivendi, dans un groupe secret, mais qui ne l'est plus, d'aide au futur candidat Nicolas Sarkozy (c'est à lire ici).

Et si la peur changeait enfin de camp ?

Bref, cet appel indécent est en quelque sorte un lapsus politique : la bonne action supposée contient l'aveu de ses turpitudes. De bout en bout, de l'initiative imaginée par Maurice Lévy jusqu'à la petite cohorte rassemblée derrière son panache, cet appel met à nu les mécanismes oligarchiques, entre mensonges partagés, privilèges cachés et liens obligés. A mille lieues du libéralisme idéologiquement professé par ces signataires, de liberté individuelle et de libre arbitre, nous les découvrons bons petits soldats d'une opération politicienne, sagement rangés au service d'un président en future campagne.

 

Warren Buffet.  
Warren Buffet.© (dr)

Devant le spectacle de ce petit monde hexagonal qui fait corps et clan dans l'âpre souci de ses intérêts, on trouverait presque subversif l'appel autrement entier du milliardaire américain Warren Buffett dont Maurice Lévy a prétendu s'inspirer. Dans une libre opinion au New York Times parue le 14 août, le financier d'Omaha (Nebraska) s'en est tenu à ses propres privilèges, sans lancer d'appel au sacrifice général (à lire intégralement ici). Déjà, en 2010, Warren Buffett, plus conséquent, avait invité les grands milliardaires américains à léguer plus de la moitié de leur fortune à une fondation philanthropique. De l'ancien patron de Microsoft au jeune PDG de Facebook, il avait reçu l'engagement ferme de soixante-neuf de ses collègues en richesse. Aucun Français sur la liste, et certainement pas Bernard Arnault, plus grande fortune non seulement de France mais d'Europe.

Intitulée « Arrêtez de couver les super-riches » (Stop Coddling the Super-Rich), la tribune de Warren Buffett ne se contentait pas de généralités, mais donnait des chiffres, les siens : expliquant avoir payé 6.938.744 dollars d'impôts sur le revenu l'an dernier, il précisait que ce n'est que 17,4% de son revenu imposable alors que les taux d'imposition des dirigeants de son groupe s'établissent en moyenne à 36%. «Si vous faites de l'argent avec de l'argent, comme le font certains de mes amis super-riches, poursuivait Warren Buffett avec une franchise rafraîchissante, votre taux d'imposition sera sans doute un peu inférieur au mien. Mais si vous tirez votre revenu d'un emploi, votre taux d'imposition dépassera sûrement le mien.» Et d'ajouter, en guise de conclusion : «Mes amis et moi avons longtemps été couvés par un Congrès bienveillant envers les milliardaires. Il est temps, pour le gouvernement, de se montrer sérieux en matière de sacrifices partagés.»

Face à la crise dont les ravages sont encore largement devant nous, la question décisive n'est donc pas celle d'un « effort », exceptionnel ou non, mais bien d'un partage : d'un nouveau partage et d'une nouvelle redistribution des richesses dont l'une des armes principales est l'impôt. Le peuple, dans sa diversité, le sait aussi bien d'instinct que d'expérience. Et il le dit déjà : bien mieux que des sondages, en témoignent le vote à gauche manifesté chez les écologistes par le choix d'Eva Joly, tout comme la dynamique rassembleuse du Front de gauche autour de Jean-Luc Mélenchon ou encore l'expression sensible d'un changement plus radical dans les rangs socialistes à travers les voix d'Arnaud Montebourg ou de Ségolène Royal à l'orée d'une primaire plus incertaine que ne le croient les pronostics médiatiques.

Leur actuel favori dans cette compétition, François Hollande, semble en avoir pris un peu conscience, alors qu'il jouait jusqu'alors une partition située à droite de la gauche plutôt que d'une gauche exigeante avec elle-même. On l'a ainsi entendu, à La Rochelle, samedi 27 août, brocarder l'appel du Nouvel Observateur et lancer, à l'attention de ses très riches signataires : « Ils prient pour être taxés enfin... Mais qu'ils nous attendent, nous arrivons ! » (à lire ici). Une petite phrase ne fait pas une grande révolution, et il faudra bien plus que cette saillie pour obtenir l'avènement d'une gauche résolue, ambitieuse et déterminée.

D'une gauche qui, après avoir subi la contrainte d'un pouvoir exploitant des peurs dont il est le premier fauteur, réussisse à redonner courage au peuple par sa dynamique rassembleuse et sa politique audacieuse. Car il faudra bien qu'un jour, la peur change de camp. Et si, par une ironique ruse de l'histoire, cet appel aussi grotesque qu'indécent était le premier signe annonciateur de ce souhaitable renversement ?

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29 octobre 2011 6 29 /10 /octobre /2011 20:39
| Par Stéphane Alliès

 

«Mettre le feu à la plaine.» L'expression revient souvent dans la bouche de Jean-Luc Mélenchon quand on lui demande comment il envisage la campagne du Front de gauche autour de sa candidature. Lors de son entretien à Mediapart, au lendemain de la primaire socialiste, le candidat à la présidentielle nous disait: «A nous de faire la démonstration que le vote utile, c'est nous. C'est tout l'enjeu de la campagne! Si j'arrive à prouver que le vote utile est celui qui assume la confrontation avec le système financier, qui veut transformer les institutions et organiser le partage des richesses, j'ai gagné. Sinon, Hollande l'emportera.»

Depuis la rentrée, les représentants des forces politiques membres du rassemblement électoral de l'autre gauche ont planché sur le meilleur dispositif pour «souffler sur les braises» et faire converger les radicalités. «Le but, c'est de retrouver la dynamique des comités du non de 2005, avec un caractère ouvert et unitaire, à la fois sur des mobilisations précises et en gardant une dimension d'éducation populaire», explique Eric Coquerel, proche de Mélenchon. Le Front de gauche multiplie donc les formes d'initiatives.

Mardi 25 octobre, c'est l'ancienne patronne du PCF Marie-George Buffet qui a lancé les festivités, depuis la gare d'Austerlitz, où cheminots et pompiers sont en grève pour des revendications salariales. Elle est en charge du «Front des luttes», visant à ce que «l'ensemble des salariés s'approprient la démarche du Front de gauche». Concrètement, explique la députée de Seine-Saint-Denis, «il s'agit de venir en soutien des salariés en lutte, mais pas seulement, l'objectif est de faire entrer le débat politique à l'intérieur des entreprises, et ne plus s'arrêter à la porte des usines». A ses côtés, l'ancien secrétaire général de la CGT cheminots, Didier Le Reste, apporte son approbation à cette relative entaille à la charte d'Amiens.

 

Eric Coquerel, Marie-George Buffet, Francis Le Reste, à la gare d'Austerlitz, le 25 octobre 2011 Eric Coquerel, Marie-George Buffet, Francis Le Reste, à la gare d'Austerlitz, le 25 octobre 2011© S.A

«Le mouvement social s'est trop éloigné du politique, ce qui s'est avéré préjudiciable à terme pour le rapport de force, car le centre de gravité de la gauche de gouvernement a dérivé vers le centre, dit l'ancien meneur des grèves à la SNCF. Il faut respecter l'indépendance des syndicats, mais aussi recréer des passerelles entre le monde de l'entreprise et la gauche.» Pour Eric Coquerel, «on est obligé d'être unis dans les luttes et dans les urnes: il n'y aura pas d'issue politique sans être majoritaire dans les urnes, et il n'y aura pas de gouvernement de gauche sans pression des luttes!»

Pour l'heure, Buffet estime à «une bonne trentaine» le nombre d'assemblées citoyennes réunies dans le Front des luttes. «Au début, ça démarre forcément là où on a des relais politiques et/ou syndicaux, explique-t-elle. A la SNCF, ça se propage. Chez les Fralib, ça se développe. Dans le secteur de l'énergie, ça démarre...»

Initiatives tous azimuts

Le Front de gauche entend également occuper le terrain via des mobilisations «agit-prop», comme le récent rassemblement d'andouillettes devant le siège parisien de l'agence de notation Moody's, sous l'impulsion notamment de Leïla Chaibi (membre de l'association Jeudi noir et ancienne du NPA). Cette dernière a également participé à l'organisation de projections publiques de l'intervention de Jean-Luc Mélenchon sur TF1, le 21 octobre dernier. «Au début, certains n'étaient pas très chaud pour ce genre d'initiative, car ça faisait vraiment présidentialiste, explique-t-elle. Et puis le soir, dans un café du XIIIe, on a vu arrivé une soixantaine de personnes, dont deux tiers n'étaient pas des militants. Dès la fin de l'émission, tout le monde se battait pour prendre la parole.»

 

Fête de l'Huma 2011 Fête de l'Huma 2011© Place au peuple (site de campagne de Mélenchon)

Mélenchon et les siens entendent enfin mobiliser autour de débats sur le programme du Front de gauche («L'humain d'abord»), édité aux éditions Librio et vendu 2 euros, notamment lors d'un «week-end de ventes militantes» qui aura lieu les 4 et 5 novembre («le vendredi à la sortie des usines et des transports en commun, le samedi sur les marchés», dit l'une des coordonnatrices nationales Danielle Obono). Quant aux assemblées citoyennes, unité militante de base de la mécanique du Front de gauche, elles seront réellement lancées à la mi-novembre, à l'occasion d'une «semaine spéciale, où le but sera d'en faire le maximum en même temps dans tout le pays», dit Coquerel. Une autre version de ces forums participatifs à la sauce Front de gauche prendra la forme d'«ateliers législatifs», supervisés par la députée et co-présidente du PG, Martine Billard, afin de «concrétiser matériellement les propositions du programme».

Outre ces dispositifs nationaux, mélenchonistes et communistes préparent également la mise en œuvre de «Fronts de gauche thématiques». Sa responsable, la militante féministe Clémentine Autain, en explique l'esprit: «Démultiplier les portes d'entrée de la campagne, et reconstituer des réseaux dormants, ou les faire vivre davantage encore. L'idée, c'est d'en faire à l'infini, selon les viviers militants au début, puis partout sur le territoire, avec l'objectif de produire de l'événement politique, sous des formes différentes appartenant à ceux qui sont sur le terrain: manif, colloque, tribune dans la presse...» Selon la responsable de la Fédération pour une alternative sociale et écologiste (FASE), «il n'y a pas de méthode, pas de chef, mais une liberté totale d'initiative. Comme lors du référendum, il faut accepter que les choses nous échappent, du moment que cela crée de la convergence. Charge à nous, depuis Paris, de rassembler toutes les actions, de mettre en contact des gens, d'aider à l'outillage, voire financièrement, certains événements. Et de voir où est-ce que le candidat peut venir donner un coup de main médiatique». Autre objectif, moins affiché: la possibilité d'attirer à soi les déçus du PS après la primaire, et notamment les partisans d'Arnaud Montebourg ou de Benoît Hamon, qui ne se satisferaient pas de la candidature de François Hollande. «Ce sont des lieux de débats et d'engagement, où il n'y a pas besoin de prendre une carte», dit Autain.

Les Fronts de gauche de la culture, des migrants, de la recherche, de l'éducation, de l'agriculture, de l'économie sociale et solidaire, ou de l'égalité homme/femme, ont déjà été créés. D'autres vont être lancés sur l'eau ou les questions LGBT. «Mais il y en aura aussi qui partiront de la base, poursuit-elle, comme le Front de gauche des professeurs d'histoire-géographie qui est en train de se créer à partir d'enseignants du Vaucluse, où celui autour des quartiers populaires en train de s'élargir depuis Montpellier.»

Les quartiers populaires, cible de reconquête de l’électorat FN

Lancé depuis la fin de l'été, sur les bases d'une association déjà existante et labellisée «Front de gauche» lors des dernières cantonales (lire notre article), le Front de gauche des quartiers populaires (FGQP) se réunit ce week-end à Montpellier pour préparer des rencontres nationales en mars prochain. L'un de ses fers de lance, Mohamed Bouklit, a été intégré dans le conseil politique national du Front de gauche, et assure avoir eu «beaucoup de retours, d'associations de quartier ou d'élus de terrain», pour l'instant surtout dans le sud de la France (Perpignan, Avignon, Nîmes, Millau). «On a aussi entamé des contacts avec des associations moins politiques, comme "Banlieue+", pour réfléchir notamment à une semaine d'inscriptions sur les listes. Il nous faut faire du temps électoral un moment de repolitisation des quartiers populaires.»

Des contacts ont aussi été pris avec le Forum social des quartiers populaires (FSQP), qui se réunit le week-end du 12 novembre à Saint-Denis, mais l'indépendance affichée de ce réseau vis-à-vis du monde politique rend peu probable une convergence (lire notre article de septembre 2009). «Nous, on tend la main à tout le monde, en respectant les spécificités de chacun, dans une démarche d'unité et de diversité, dit Bouklit. Mais si certains veulent rester dans une autonomie exclusiviste, on ne pourra rien faire ensemble, hélas.» D'autres discussions ont également lieu avec le Parti des Indigènes de la République (PIR). «La question est de savoir s'ils veulent dépasser la seule grille d'analyse coloniale, comme d'autres dépassent leur seul credo marxiste.»

Ce qui rapproche le «Front des luttes» de Marie-George Buffet et le Front de gauche des quartiers populaires de Mohamed Bouklit, c'est aussi le souhait de ne pas laisser le champ libre au FN. Ainsi, comme l'estime le syndicaliste Sud-Energie Yann Cochin (également ex-NPA), devant la gare d'Austerlitz: «Il nous faut maintenir l'unité syndicale pour affirmer que la politique est notre affaire, car c'est aussi le moyen de lutter contre les idées racistes qui s'imposent de plus en plus dans nos entreprises.»

Un souci qui partage Mohamed Bouklit, effrayé de voir des initiatives comme celle de l'Alliance éthique républicaine (ARE) d'un conseiller régional Front national, Stéphane Durbec, noir et protégé de Jean-Marie Le Pen, avec un militant associatif et secrétaire général de la plus ancienne mosquée de Marseille, Omar Djellil (lire un article de La Provence). «Il est hors de question de laisser se développer et se structurer ce genre de dynamique, s'alarme Mohamed Bouklit. Ce type d'initiative n'est possible que dans des endroits où la gauche n'est pas la vraie gauche.»

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29 octobre 2011 6 29 /10 /octobre /2011 19:22
Nicolas Sarkozy, Pinocchio fiscal

Publié le 28-10-11 à 19:44    Modifié le 29-10-11 à 12:58     par Donald Hebert     80 réactions

Le Nouvel Observateur décerne trois Pinocchios au président de la République pour son intervention sur TF1 jeudi 27 octobre.

 

La France, le pays de l'impôt

"Les Français doivent savoir que nous sommes le pays d'Europe qui a les impôts les plus élevés d'Europe ! Les plus élevés d'Europe !"

Selon les chiffres de l'OCDE, les prélèvements obligatoires représentaient 41,9% du produit intérieur brut (PIB) français en 2009, dernier chiffre disponible, contre plus de 48% au Danemark, 46,4% en Suède, etc.

Le dernier pays de l'ISF ?

"Nous sommes le dernier pays d'Europe à avoir un impôt sur la fortune ! Le dernier ! Les socialistes allemands comme les socialistes espagnols l'avaient supprimés? Nous l'avons gardé."

Premièrement, l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été supprimé en Allemagne en 1997, époque à laquelle les socialistes allemands n'étaient pas au pouvoir.

Les Espagnols ont bien supprimé l'ISF il y a trois ans, mais ils l'ont rétabli pour 2011 et 2012, pour faire face à la crise.

La réforme fiscale, une opération neutre ?

L'impôt sur la fortune a été réformé au printemps 2011 par la majorité. Une réforme "intégralement payée par ceux qui sont éligibles à l'ISF, intégralement payée", a martelé Nicolas Sarkozy. Et d'ajouter : "D'un côté, on l'a allégé de 1,7 milliard. De l'autre, on a alourdi de 2 milliards."

Dans la réforme, la diminution des recettes de l'ISF doit en effet s'accompagner de la suppression du bouclier fiscal et d'un retour en arrière sur les successions qui seront davantage taxées. Mais compte tenu du décalage de calendrier dans la collecte des impôts, quand l'ISF sera allégé, le bouclier fiscal ne sera pas encore supprimé. Un beau cadeau qui fera mal aux finances publiques en 2012.

Gepetto - Le Nouvel Observateur

Un Pinocchio = Une simple erreur, une imprécision.

Deux Pinocchios = Une erreur manifeste, un mensonge par omission

Trois Pinocchios = le mensonge prémédité, avec intention de nuire.

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29 octobre 2011 6 29 /10 /octobre /2011 19:12
Explicateur 29/10/2011 à 12h10
Pierre Haski - Rue89 Rue89
 

 

billet de 100 yuans en perles, par l'artiste Liu Zheng (P.Haski/Rue89)

L'Europe a-t-elle sacrifié son indépendance en se tournant vers la Chine pour sauver la zone euro, comme l'ont affirmé aussi bien François Hollande que François Bayrou ou Daniel Cohn-Bendit  ? La question mérite d'être posée en termes moins simplistes.

Hu Jintao, le numéro un chinois, n'a sans doute pas pu s'empêcher d'avoir un grand moment de jouissance lorsque Nicolas Sarkozy l'a appelé, jeudi, pour l'informer des résultats du sommet européen de Bruxelles.

Son objectif ? Accorder un répit à la Grèce et au delà, à la finance mondiale, en incitant son interlocuteur à investir dans le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Le même Sarkozy qui lui donnait des leçons il y a trois ans sur le Tibet, et s'affichait avec le dalaï lama, la bête noire de Pékin.

Dès jeudi soir, le président du FESF, Klaus Regling, arrivait à Pékin pour des entretiens avec les officiels chinois. Et, selon le Financial Times de vendredi, la Chine pourrait investir 35 à 70 milliards d'euros, voire plus, dans le FESF. A quel prix ?

1

Obtenir des contreparties tous azimuts

 

Les échanges publics sont polis et vagues. Mais qui peut croire que la Chine ne posera pas ses conditions, explicites et implicites, pour l'octroi de cette aide dont l'Europe, affaiblie, a cruellement besoin. On peut évoquer :

  • L'octroi du statut d'économie de marché à la Chine. Pékin doit obtenir ce statut en 2016 selon les termes de son adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), mais demande que la date soit avancée.

    L'Union européenne a jusqu'ici refusé, car ce statut offrirait de meilleures garanties d'accès aux produits chinois sur le marché européen, en les mettant à l'abri de clauses antidumping.

  • Arrêt des pressions sur la valeur du yuan, la monnaie chinoise, dont la sous-évaluation est régulièrement dénoncée à Washington comme à Bruxelles.
  • Plus de rigueur dans la gestion des économies européennes, sous contrôle du FMI.
  • Arrêt des pressions sur les sujets politiques sensibles pour Pékin comme les droits de l'homme en Chine, le Tibet, Taïwan, etc.
  • Levée de l'embargo européen sur les ventes d'armes à la Chine : promis par Jacques Chirac et Gerhard Schröder, la levée de cet embargo, héritage du massacre de Tiananmen en 1989, s'est heurté à l'absence de consensus européen. Pékin le vit comme une humiliation.

Les conclusions du sommet signalent le renversement du rapport de force mondial : la vieille Europe, berceau de l'industrialisation et des empires coloniaux, appelle désormais à la rescousse les « émergents », c'est-à-dire l'ancien monde colonisé (Inde, Brésil, Chine...) pour sauver ses économies.

Le prix à payer pour l'Europe : un rapport de force moins favorable face à la nouvelle puissance chinoise, dans les dossiers qui fâchent : importations chinoises ou conceptions divergentes de la gouvernance du monde (comme l'a montré le récent veto chinois et russe sur la Syrie au Conseil de sécurité de l'ONU).

C'est ce qu'a dit François Hollande, le candidat du PS, lors de son passage sur TF1 :

« Peut-on penser que le fait de se mettre, ne serait-ce qu'en partie, entre les mains de ces nations avec lesquelles nous avons par ailleurs à négocier sur le front monétaire et commercial nous mettra en capacité d'obtenir des résultats positifs pour l'Europe ? »

C'est ce que dénonce également l'eurodéputé Vert Daniel Cohn Bendit, qui regrette qu'au lieu de « communautariser » une partie de la dette des pays de la zone euro, on a préféré une « solution chinoise » (et russe). « Politiquement vous vous mettez dans la main de la Russie et de la Chine », a-t-il dit sur BFM-TV.

Daniel Cohn\-Bendit critique le recours à la Chine

Sujet diffusé par BFM-TV

Hubert Védrine, l'ancien ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin, explique le nouveau rapport de force au Figaro en termes plus policés :

« Dans la mondialisation, il y a les mondialisateurs et les mondialisés. Les Occidentaux ont perdu le monopole de la puissance, de la richesse, de l'influence, de la décision. Il faut partager avec d'autres. »

2

Ne pas refaire les mêmes erreurs qu'avec les Etats-Unis

 

Du point de vue chinois, les choses ne sont pas simples non plus.

La Chine a investi environ la moitié de ses 3 200 milliards de dollars de réserves en devise américaine, dont une bonne partie en bonds du Trésor américain. Elle l'a fait :

  • pour placer les liquidités dues à son colossal excédent commercial,
  • pour donner des gages aux Etats-Unis inquiets de l'émergence de la puissance chinoise, et ainsi éviter une nouvelle « guerre froide ».

Ce faisant, la Chine a financé le déficit américain, comme le Japon l'avait fait avant elle, et s'est retrouvé sans recours lorsque la crise des « subprimes » a frappé en 2008, et menacé tout l'édifice de l'économie américaine.

La Chine n'investira pas dans les mêmes conditions pour renflouer l'Europe : elle exigera un maximum de garanties sur la réduction de la dette des pays de la zone euro, et sur la réduction des déficits.

Ironiquement, Pékin a créé sa propre agence de notation, qui a déjà privé en 2010 la France de son mythique AAA...

Cet été, déjà, Pékin avait sermonné les Américains sur leur incapacité à gérer convenablement la question de leur dette, alors que la Maison Blanche et le Congrès s'opposaient sur le relèvement du plafond de la dette américaine.

Les Chinois ne supportent pas l'incertitude, et les Européens, de leur point de vue, évoluent dans une zone grise.

En 2007, la Chine avait ainsi défini sa politique de réserves :

« Nous recherchons la stabilité, la liquidité et le retour sur investissement et nous avons une politique stratégique à long terme. »

La zone euro, telle qu'elle est, répond-elle à ces critères ?

3

Ne pas alimenter la surenchère nationaliste en interne

 

C'est un fait méconnu en Europe, mais le pouvoir chinois doit faire face à une surenchère nationaliste, interne mais aussi extérieure au parti communiste, qui a lancé de vives critiques contre l'équipe dirigeante pour avoir investi en bons du trésor américains.

Très active sur le Web, cette aile nationaliste considère que la Chine doit utiliser ses ressources à régler ses problèmes de développement, plutôt qu'à financer le déficit des Américains, a fortiori celui des Européens sans enjeu stratégique.

Dans le Financial Times, Li Daokui, membre du Comité monétaire de la Banque centrale chinoise, le dit clairement :

« Le principal souci du gouvernement chinois est de savoir comment expliquer cette décision au peuple chinois. »

Le débat avait très chaud en 2007-2009, lors de la crise des subprimes. Le gouvernement a dû faire face à la surenchère d'une aile nationaliste.

En 2007, deux économistes chinois liés au parti communiste avaient semé l'effroi en menaçant d'employer « l'arme nucléaire » monétaire : mettre sur le marché les réserves chinoises en dollar.

Ils avaient très vite été désavoués par Pékin, mais leur message était passé. Des gens haut placés dans l'appareil du pouvoir chinois réfléchissent à de tels scénarios catastrophes.

Et ils ne risquent pas de se calmer lorsque le Congrès américain menace régulièrement la Chine de déclencher la guerre des monnaies, ou quand leur parvient les échos antichinois des campagnes électorales aux Etats-Unis, ou en France.

En répondant à l'appel à l'aide de l'Europe, Pékin devra en permanence vérifier si l'opinion publique – qui se fait entendre sur Internet malgré la censure –, n'y voit pas la répétition de l'« erreur du dollar ».

Un blogueur, Songhzhe, cité par le New Yorker, sonnait ainsi l'alarme sur Weibo, le site de microblogging chinois :

« Pourquoi devons-nous une nouvelle fois donner ce que nous avons gagné par le fruit de notre sang, de notre sueur et de nos larmes, à ces riches et paresseux Européens ? »

4

Accéder librement à la technologie

 

Si la Chine est prête à participer avec modération au plan européen de sauvetage de la zone euro, c'est évidemment afin de sauver le premier marché au monde pour ses produits. Mais c'est aussi pour ouvrir plus grand la porte à ses investissements.

Depuis une décennie, les entreprises chinoises tentent de rattraper leur retard à la fois en investissant plus que leurs concurrents dans la recherche et le développement, mais aussi en rachetant des entreprises disposant de technologies de pointe.

Dans la course aux brevets, Pékin s'est heurté, aux Etats-Unis, à des blocages politiques. Que ce soit dans la technologie ou dans l'énergie, les tentatives de rachat d'entreprises américaines par les Chinois ont souvent été bloquées, à l'exception notable de la branche PC d'IBM, vendue à Lenovo.

Dans ses rapports avec l'Europe, la Chine espère qu'il en ira différemment : elle sait que les Européens sont affaiblis et en ordre dispersé. Les investissements chinois, encore modestes, sont déjà en augmentation de 50% cette année, pour atteindre quelque 5,6 milliards d'euros.

Attendez-vous donc à plus de rachats d'entreprises de pointe européennes par les Chinois, sauveurs providentiels de secteurs en difficulté.

Le hasard a fait que le jour même où l'Europe se tournait vers Pékin, un consortium chinois concluait le rachat pour à peine 100 millions d'euros du constructeur automobile suédois Saab, en faillite financière mais disposant d'une marque et d'un savoir-faire reconnus. Saab rejoint l'autre suédois Volvo et le britannique Rover dans le giron d'une industrie automobile chinoise ambitieuse.

Avec l'accord de Bruxelles, la « diplomatie du carnet de chèques » chinois pourra se déployer sans entraves dans une Europe affaiblie et ouverte.

Les optimistes y verront une nouvelle étape de la mondialisation dans laquelle la Chine prendra toute sa place de grande puissance sans pour autant viser l'hégémonie. Les pessimistes, nombreux, y verront la fin de la capacité de l'Europe de peser sur un monde dans lequel elle représente pourtant l'un des pôles majeurs.

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