Médiapart - 01 novembre 2011 |
Par François Bonnet
Comme une ambiance de panique. L'Europe se retrouve une fois de plus sens dessus dessous, ce mardi 1er novembre, après l'annonce inopinée faite par le premier ministre grec, lundi soir, d'organiser dans son pays un référendum sur le plan de sauvetage acté par le dernier conseil européen. La France a fait savoir, dès mardi matin, sa colère face à cette initiative jugée «irrationnelle et dangereuse». L'Allemagne a fait connaître son «irritation». Nicolas Sarkozy devait se concerter ce mardi avec Angela Merkel. A Bruxelles, José Manuel Barroso, le patron de la Commission européenne, et Herman Van Rompuy, au Conseil européen, disent, dans un communiqué, avoir «(pris) note de l'intention des autorités grecques».
Georges Papandréou, lundi soir.© Reuters
Les marchés ont immédiatement décroché à l'idée de ce référendum qui pourrait être organisé en décembre ou en janvier. La Bourse d'Athènes a chuté de 6,31%. La Bourse de Paris avait perdu 3,28% en début de matinée. Les Bourses de Lisbonne et Madrid ont perdu 3% à l'ouverture. La Bourse de Londres était également en baisse. Quant aux valeurs des grandes banques européennes (et particulièrement celles lourdement engagées sur la dette grecque), elles sont massacrées : Crédit agricole, BNP et Société générale ont chuté de 10 à 12%. A Francfort, la Deutsche Bank perdait 7,66% et Commerzbank dégringolait de 9,53%. Quant à l'euro, il avait perdu 2% face au dollar à la mi-journée de mardi.
C'est tout l'édifice péniblement bâti depuis des mois qui semble ainsi sur le point de s'écrouler. L'accord intervenu jeudi dernier sur une restructuration de la dette grecque (décote de 50%, équivalent à un abandon de 100 milliards d'euros de créances et quasi-mise sous tutelle du pays par des observateurs de l'UE et du FMI) est directement menacé. Et avec lui pourraient être balayés tous les pare-feu mis en place pour éviter que l'incendie ne touche l'Italie et d'autres pays de la zone euro.
Le premier ministre grec Georges Papandréou n'avait visiblement pas informé ses partenaires européens d'un possible référendum. La décision semble avoir été prise en urgence, comme une réponse à la grogne de sa majorité, Papandréou étant menacé d'un vote de censure. «La volonté du peuple grec s'imposera à nous», a déclaré Georges Papandréou lundi au groupe parlementaire socialiste en annonçant la tenue de ce référendum alors que le Pasok avait choisi, pour sa part, un vote de confiance au Parlement qui devrait intervenir vendredi à l'issue de trois jours de débats. Le premier ministre dispose d'une majorité de 153 députés au parlement (sur 300 sièges) mais fait face à des oppositions grandissantes au sein du Pasok.
«Les Grecs veulent-ils l'adoption du nouvel accord ou le rejettent-ils ? S'ils n'en veulent pas, il ne sera pas adopté. Nous faisons confiance aux citoyens. Nous croyons en leur jugement. Nous croyons en leur discernement, a poursuivi M. Papandréou. La volonté du peuple grec s'imposera à nous», a assuré le premier ministre. En cas de victoire du «non» au référendum, la constitution impose la tenue d'élections législatives anticipées.
Mardi matin, le vice-premier ministre grec et ministre des finances était hospitalisé en urgence, pour de « sérieux maux à l'estomac », ce qui donne une idée des tensions existantes... Tensions apparues de longue date avec les grèves générales à répétition qui ont frappé le pays ces derniers mois. Vendredi encore, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes du pays pour protester contre la cure d'austérité et l'accord européen intervenu la veille.
« Une bombe »
Une très large partie de l'opinion, excédée par la succession de plans d'austérité, estime que ce plan va achever de ruiner la population et donner aux créanciers et à l'Union européenne encore plus de contrôle sur la politique budgétaire du pays. L'envoi à Athènes de délégations permanentes de l'Union européenne, de la Banque centrale européenne et du FMI, chargées de vérifier l'application effective des mesures liées à l'accord, fait craindre une perte totale de souveraineté. Selon un sondage paru ce week-end (réalisé par Kapa Research pour le journal To Vima auprès de 1.009 personnes), une majorité de Grecs (60%) jugent l'accord européen négatif, 12,6% seulement le trouvant positif.
Il y a quelques jours, Mediapart interrogeait plusieurs eurodéputés grecs. Tous se montraient extrêmement critiques à l'égard de l'Europe de 2011, conduite, dans un certain chaos, par le duo Angela Merkel/Nicolas Sarkozy. «Je me sens européen, ni "pro", ni "anti"», explique Michalis Tremopoulos, eurodéputé vert et grec. «Maintenant, si M. Barroso et Mme Merkel pensent que la prospérité est réservée à une seule catégorie de nations et de peuples qui le "mériteraient", c'est peut-être le début de la fin du projet européen. Et dans cette optique, ils sont bien plus anti-européens que moi.»
«Personne ne s'attendait à un tel référendum», dit un haut fonctionnaire de l'Union européenne cité par le Financial Times. Dans les capitales européennes, on s'inquiète d'une telle annonce qui empêchera le début de mise en œuvre de l'accord d'ici janvier et la tenue du scrutin. Il apparaît peu probable que les banques acceptent de renoncer à leurs créances si un éventuel « non » au référendum met à bas tout l'édifice et provoque une nouvelle crise de l'euro.
«C'est une bombe», commente généralement la presse grecque ce mardi matin, notant « le pari politique» du premier ministre (ici le journal Ekathimerini). Alors qu'une large partie de l'opposition de droite ainsi que le parti communiste appellent depuis des mois à des élections législatives anticipées, Georges Papandréou a rejeté ce scénario, estimant que cela ne « ferait que repousser le problème ». Il a de nouveau appelé à un consensus politique, défendant avec vigueur l'action de son gouvernement dans les négociations européennes de ces dernières semaines.
En juin, le premier ministre avait déjà organisé un vote de confiance au parlement pour faire plier les nombreux parlementaires du Pasok qui se déclaraient opposés aux plans d'austérité successifs. Il l'avait largement emporté. Cette fois, le recours au référendum serait un moyen, selon plusieurs observateurs, de contourner le Pasok.
Du côté de l'opposition de droite, diverses manœuvres sont à l'étude. «Des élections générales sont une nécessité», a répété mardi Antonis Samaras, le chef du principal parti conservateur, Nouvelle Démocratie, qui s'oppose à un référendum, une machine «à diviser» et «à chantage», estime-t-il. Il pourrait demander à l'ensemble de ses députés de démissionner du parlement, ce qui provoquerait mécaniquement la dissolution de l'Assemblée et de nouvelles élections.
En France, l'annonce du référendum a été vivement critiquée par l'UMP Christian Estrosi, député et maire de Nice, qui juge «irresponsable» une telle initiative. Au contraire, pour Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche à la présidentielle, un tel référendum constitue «un minimum de démocratie». «Il y a eu 13 grèves générales en Grèce et chacune a réclamé un référendum, Georges Papandréou savait qu'il ne pourrait pas tenir plus longtemps sans consulter le peuple grec», a-t-il souligné sur France Info.