Le nouvel observateur - Publié le 08-11-11 à 13:31 Modifié à 17:04 par Donald Hebert
Pour combler les déficits, le gouvernement prévoit de faire entrer 7 milliards d'euros dans les caisses de l'Etat et de la Sécu l'année prochaine. Qui va régler l'addition ?
(c) Reuters
Pour combler les déficits, le gouvernement prévoit un durcissement de son plan de rigueur. Objectif : faire entrer 7 milliards d'euros dans les caisses de l'Etat et de la Sécu l'année prochaine, et monter en puissance jusqu'à 17,4 milliards en 2016. Pour cela, l'exécutif opte pour des hausses d'impôts, des coupes budgétaires supplémentaires, et une réduction des prestations sociales. Qui règle l'addition ? Quelle sont les enjeux économiques de chaque mesures ? Combien rapportent-t-elles ?
Les salariés
Jusqu'au retour du déficit public en dessous de 3%, prévu en 2013, le gouvernement propose le gel du barème de l'impôt sur le revenu, de celui de l'Impôt de solidarité sur la fortune et des successions. "On va taxer les citoyens qui créent de la richesse", dénonce Jean-Marc Daniel, économiste de l'Institut de l'entreprise.
Jusqu'ici, les tranches d'imposition étaient revalorisées en fonction de l'inflation. Les bloquer revient à taxer tous les salaires qui augmentent. "Les salaires augmentent en moyenne d'environ 3% par an", souligne Vincent Drezet, porte parole du Syndicat national unifié des impôts (SNUI).
Le gel du barème ne touchera pas uniformément les salariés. "Les personnes en début de tranche sont désavantagées", explique Michel Taly, spécialiste de la fiscalité à l'Institut de l'entreprise.
Par ailleurs, des petits salaires vont devenir imposables. "Or, certains ne touchent pas la prime pour l'emploi, ou seulement partiellement", explique Vincent Drezet, porte-parole du Syndicat national unifié des impôts (SNUI), qui pointe l'injustice du dispositif : "En parallèle, la réforme de l'ISF est maintenue, alors qu'elle coûte 2 milliards d'euros!"
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Les ménages
François Fillon a annoncé un coup de rabot transversal supplémentaire sur les niches fiscales, la fin du très controversé dispositif Scellier sur l'immoblier, le recentrage du prêt à taux zéro sur le neuf, et la diminution de 20% du crédit d'impôt développement durable.
"Le dispositif Scellier était coûteux et inefficace, reconnait Jean-Marc Daniel. Bercy demande sa peau depuis longtemps". La fin du crédit d'impôt développement durable confirme en revanche la suppression de la politique verte défendue par Nicolas Sarkozy en début de mandat. "Le budget s'adapte désormais à la conjoncture. C'est une rupture avec le début du quinquennat. Il n'est plus question de dépenses d'avenir", ajoute l'économiste.
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Le consommateur
La majorité souhaite revenir - très partiellement - sur la TVA réduite, qui passerait de 5,5% à 7%, sauf pour les produits de première nécessité. Conséquence : les prix dans la restauration vont augmenter, de même que certaines prestations profitant aux plus modestes, comme les services d'avocat dans le cadre de l'aide juridictionnel.
"Cette mesure va affecter le pouvoir d'achat de personnes modestes. Par exemple les agriculteurs, certains aliments pour le bétail bénéficiant actuellement d'une TVA réduite", proteste Vincent Drezet. La hausse va aussi toucher les livres, les médicaments, les fleurs, de nombreux produits culturels, etc.
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Les futurs retraités
La majorité souhaite accélérer la réforme des retraites de 2010 en avançant d'un an le passage de l'âge légal de 60 à 62 ans. Ainsi, les personnes nées entre 1952 et 1955 et voulant partir à la retraite dès que possible devront travailler entre un et quatre mois de plus que ce qui était prévu. "Les premiers touchés sont ceux qui ont eu une carrière partielle (femme au foyer, période de chômage, etc.), ceux qui n'ont pas tout leur trimestre", souligne Michel Taly.
Plus largement, "on se sert d'une question qui concerne la société à long terme pour régler un problème à court terme : les finances publiques", dénonce Eric Heyer, économiste à l'OFCE.
Les prévisions de croissance étant revues à la baisse, le scénario médian du Conseil d'orientation des retraites se retrouve démenti. "Si les prévisions de croissance à moyen ou long termes sont à revoir, c'est l'ensemble du dispositif qu'il faut repenser", répond Eric Heyer.
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Les grandes entreprises
Version professionnelle de la taxe exceptionnelle sur les très hauts revenus, une majoration de 5% du montant de l'impôt sur les sociétés est instaurée pour les entreprises faisant plus de 250 millions d'euros de chiffre d'affaires.
"Une concession à l'humeur du temps", dénonce Jean-Marc Daniel. Pour l'économiste de l'Institut de l'entreprise, l'impôt sur les sociétés devrait être harmonisé au niveau européen au taux de 20%. "De toute façon, les grandes entreprises françaises peuvent facilement faire des bénéfices à l'étranger et afficher des pertes en France", précise-t-il. "La mesure étant temporaire, les grands groupes ne vont pas se réorganiser pour quelques années", tempère Michel Taly, ancien conseiller de Michel Rocard pour la fiscalité.
Appliquée jusqu'au retour du déficit en-dessous de 3%, cette mesure ne devrait pas inquiéter les grands groupes : ils pourront continuer à optimiser leur fiscalité grâce à "de nombreuses niches maintenues par le plan", regrette Vincent Drezet, porte-parole du SNUI. Par exemple, l’intégration fiscale permet à un groupe dont une filiale perd 100 et une autre gagne 100 de ne déclarer aucun bénéfice, et ainsi de ne pas payer d'impôt sur les sociétés. Grâce à ce type de dispositifs les grandes entreprises paient en moyenne un taux d'impôt sur les bénéfices bien inférieur au taux de 33,3% en vigueur.
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Les bénéficiaires de prestations sociales
Le gouvernement propose de revaloriser les allocations familiales et les aides au logement de 1%, soit moins que l'inflation. Il affirme que cette indexation correspond à la prévision de croissance pour l'année prochaine. Mais attention, cela ne signifie pas que les bénéficiaires reçoivent une part de la croissance.
"C'est une politique qui ne peut être intéressante qu'en haut de cycle", explique Eric Heyer. Selon l'économiste de l'OFCE, la réduction des dépenses sociales peut éventuellement être appliquée en période de croissance. "Mais ce n'est pas logique de réduire les stabilisateurs économiques (qui compensent le ralentissement de l'économie en venant en aide aux personnes en difficulté) en pleine crise, au moment où l'on en a le plus besoin."
La natalité est considérée comme une des conditions essentielles de la croissance dans une société vieillissante. "On touche à la politique familiale qui, bien que peu redistributive (parce qu'elle récompense la naissance d'un enfant indépendamment du revenu des parents), est une des rares choses qui fonctionnent bien en France", explique Jean-Marc Daniel.
> Gain attendu : 500 millions d'euros
Le capital
Le plan Fillon prévoit une augmentation du prélèvement forfaitaire libératoire sur les dividendes et les intérêts de 19% à 24%. Une façon d'aligner la fiscalité des dividendes sur les revenus du travail.
"La situation actuelle était un cadeau de Nicolas Sarkozy aux plus riches", explique Michel Taly, pour qui ce rétablissement est un juste retour des choses.
Outre la question de justice fiscale, taxer l'épargne est aussi un moyen de la réduire au profit de la consommation.
> Recette attendue : 600 millions d'euros
L'Etat et la Sécurité sociale
Le gouvernement souhaite alourdir de 500 millions d'euros les coupes budgétaires ce qui porte l'effort à 1,5 milliard en 2012. "Les dépenses de l'Etat ne représentent que le tiers de la dépense publique", rappelle Eric Heyer.
Or, avec la politique de non remplacement d'un fonctionnaire sur deux menée par le gouvernement, les services de l'Etat commencent à être un peu contraints. "Il aurait fallu s'interroger sur les missions de l'Etat et faire des choix", ajoute Jean-Marc Daniel. "On aurait pu, par exemple, poursuivre la réflexion sur la suppression d'un échelon administratif au niveau local."
Le gouvernement souhaite notamment accélérer le programme de cessions immobilières de l'Etat pour atteindre 500 millions par an. Des cessions qui ont pu poser des problèmes, comme l'illustre l'affaire de l'Hôtel de la Marine, place de la Concorde à Paris, patrimoine historique qui a failli être cédé au privé. "Le patrimoine immobilier de l'Etat est estimé entre 45 et 50 milliards d'euros. Ce n'est pas ainsi qu'on va résoudre le problème de la dette, qui est de 1600 milliards d'euros."
Côté Sécu, l'exécutif vise une baisse des dépenses de 700 millions en réduisant la progression de l'Ondam, qui fixe les dépenses de la Sécurité sociale, de 2,8% à 2,5%. "Le gouvernement s'était fixé un objectif crédible en contenant son augmentation, et il l'avait tenu. Pourra-t-il respecter cet engagement ?", s'interroge Jean-Marc Daniel. Difficile de répondre sans connaître les modalités de réduction des coûts. Est-ce que le gouvernement va opter pour des déremboursements, la réduction des prix de génériques, ou la diminution des budgets des hôpitaux ?
"La sécurité sociale représente 45% des dépenses publiques", rappelle Eric Heyer. "Mais économiser sur les dépenses maladies revient une nouvelle fois à les considérer comme du gaspillage et non comme un investissement. Or, c'est aussi parce que les salariés sont en bonne santé que la France a l'une des plus fortes productivités au monde. Et il est difficile de ne pas affecter la qualité des services lorsque l'on touche aux dépenses."
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Les politiques
Deux mesures symboliques : une baisse de la contribution publique aux partis politiques pour leur fonctionnement et leurs campagnes, et le gel des salaires des membres du gouvernement et du président de la République. Chose étonnante, ce gel est déjà effectif depuis deux ans, comme l'explique nos confrères du Monde.fr.
Le compte est bon ?
Au final, le plan de rigueur annoncé par le gouvernement vise à réduire les déficits. Afin de répondre aux demandes européennes et d'éviter une dégradation de la note de la dette française par les agences.
En révisant sa prévision de croissance de 1,75% à 1%, le gouvernement a fait un calcul simple : 0,75% de croissance revient à une perte de 15 milliards d'euros pour l'économie. Les prélèvements obligatoires étant d'environ 50%, le gouvernement doit trouver environ 8 milliards d'euros.
En additionnant les recettes et les coupes dans les dépenses prévues par le plan, le gouvernement parvient à renflouer les caisses de 7 milliards d'euros en 2012, de 11 milliards l'année suivante, jusqu'à un rythme de croisière de 17,4 milliards d'euros en 2016.
Pour Eric Heyer, c'est "une vision comptable, car cela consiste à considérer que les mesures prises aujourd'hui n'auront pas d'impact sur l'économie". En réalité, ce plan occasionnera une perte de croissance qui coutera "8 milliards d'euros au Produit intérieur brut français, soit 4 milliards d'euros de recettes en moins".
Le passage en revue des mesures d'austérité souhaitées par le gouvernement permet en effet de présager de leur impact négatif sur le pouvoir d'achat et sur l'investissement.
Il faudra alors mettre en place un autre plan de réduction de 4 milliards d'euros, qui créera à son tour une diminution de la croissance du PIB, etc. "Au total, la réduction des déficits de 8 milliards aura coûté 16 milliards d'euros", estime l'économiste.
Selon les calculs de l'OFCE, en poussant la logique comptable jusqu'au bout, il faudrait "un plan de réduction des déficits de 27 milliards d'euros pour satisfaire les agences de notation". Le résultat serait une récession.
"Les libéraux considèrent que la politique économique n'a pas vraiment d'impact sur la croissance. Mais les plans précédents ont montré le contraire", reprend Eric Heyer. Ils ont d'autant plus d'impact sur l'économie quand l'économie est en bas de cycle, quand il y a une simultanéité des plans avec d'autres pays, et lorsqu'il y a un problème de liquidité sur le marché interbancaire." Ce qui est le cas en ce moment.
Comment dans ces conditions concilier les exigences à court terme des marchés financiers et des agences de notation d'une part, et d'autre part les investissements à plus long terme, nécessaires pour un retour de la croissance ? Existe-t-il une autre solution politique qui permettrait d'assainir les finances publiques tout en créant les conditions du retour de la croissance, et cela en épargnant les classes sociales les plus touchées ? Peut-elle se faire sans la renégociation des engagements pris par les européens ?
Donald Hebert – Le Nouvel Observateur