Marianne - 02 décembre 2011 |
Par Martine Orange
Ce devait être le grand discours sur l'Europe. Reprenant les méthodes qui lui avaient réussi en septembre 2008 à Toulon, et qui lui avaient permis de se poser comme le grand timonier face à la crise financière, Nicolas Sarkozy entendait récidiver. En revenant trois ans plus tard dans la même ville, il espérait cette fois s'ériger en défenseur de l'euro, de l'Europe, face à la crise. Pourtant, il fallut attendre plus de quarante minutes de discours avant d'entendre prononcer pour la première fois le mot Europe.
Au moment où l'effondrement de la monnaie unique n'est plus un scénario impensable, alors que l'Elysée depuis des mois se tait, n'y avait-il pas urgence de parler enfin ?
Nicolas Sarkozy avait sans doute rêvé annoncer le premier le grand projet de réforme de l'Europe. Mais les différends entre Berlin et Paris sont si grands qu'il n'avait plus rien à annoncer. Alors, Nicolas Sarkozy s'est tu.
Le grand discours qui devait marquer la détermination des gouvernements à endiguer la crise de l'euro s'est transformé en un ressassement de mesures connues, exigées par l'Allemagne et acceptées par la France. Sous leur égide, l'Europe se décline sous son seul aspect punitif : les pays de la zone euro devront à l'avenir renoncer à tout déficit budgétaire, s'imposer la même discipline. Il y aura plus de procédures d'alerte, plus de sanctions automatiques et coûteuses. Pour quelles contreparties ?
Nicolas Sarkozy passa vite sur tous les sujets qui fâchent : du rôle de la BCE aux euro-bonds en passant par le soutien à la croissance, les allusions furent on ne peut plus brèves, voire inexistantes. La France attend la visite d'Angela Merkel lundi... « Ensemble, nous ferons des propositions », a-t-il expliqué.
Le chef de l'Etat n'ignore pas les critiques venant de tous horizons y compris de l'Allemagne, reprochant à la France son silence, son alignement systématique sur les positions du gouvernement allemand de droite. En réplique, il s'est essayé d'avancer quelques concepts, censés illustrer la politique française. Il parla de politique industrielle, de politique agricole, au détour d'une phrase. Il insista surtout sur la nécessité d'un nouveau traité européen. Projet lointain et complexe qui ne répond pas à l'urgence du moment.
Entre les lignes, Nicolas Sarkozy a, toutefois, dessiné son projet européen : la tentation autoritaire n'est jamais très loin. Pour lui, l'Europe se résume à l'Allemagne, au couple franco-allemand érigé en super directoire européen. Pas une seule fois, il n'a fait référence aux autres Etats membres de la zone euro ou de l'Union. Ou plutôt si. Il mentionna bien l'Irlande, l'Espagne, la Grèce, l'Italie le Portugal, mais juste pour souligner leur faillite. Dans un raccourci stupéfiant, ignorant tout des spécificités de chaque pays, ils furent désignés comme responsables de leurs propres tourments, pour ne pas avoir «pris assez tôt la mesure de la crise et adopté les réformes qui s'imposent ».
Sous un directoire franco-allemand
Sous la direction du couple franco-allemand, seul habilité à parler, l'Europe doit revenir sur les accords de Schengen, considérés comme trop permissifs puisqu'ils permettent une libre circulation des personnes. L'obsession sécuritaire de Nicolas Sarkozy n'a pas cédé d'un pouce, en dépit des piètres résultats enregistrés depuis dix ans.
De même, le chef de l'Etat, dans un détournement de sens, propose un renforcement démocratique, en coupant court avec toutes les institutions européennes. Légitimant le coup de force, qui a abouti au fil des années à l'exclusion de toutes les instances européennes communautaires, il préconise la reconnaissance des seuls lieux de pouvoirs démocratiques légitimes à ses yeux : le pouvoir des chefs des Etats européens. Invoquant la crise, il ne conçoit l'Europe qu'au travers d'un « intergouvernemental », de préférence sur le modèle des institutions de la Ve République qui « ont prouvé leur solidité ». Il est vrai que Nicolas Sarkozy n'a guère à s'embarrasser du Parlement dans la gestion de la crise, ni de l'opinion publique d'ailleurs.
« Ce sont les gouvernements qui décident », soutient Nicolas Sarkozy. Il n'est ni question du parlement européen, ni des instances européennes, renvoyés aux oubliettes de l'histoire. Dans la vision de l'Elysée, il s'agit moins de sauver l'Europe et ses valeurs que l'euro et sa puissance financière. « L'Europe n'est plus un choix mais une nécessité », affirme-t-il. Quant au problème de souveraineté, tel qu'il est posé par un contrôle supranational du Parlement, il n'existe même pas. La souveraineté du peuple, telle que l'ont définie les philosophes des Lumières et la Révolution n'est pas un sujet. Il n'y a pas de contrat social. « La souveraineté ne s'exerce qu'avec les autres », dit-il, dans une définition toute personnelle.
Comme lors du premier discours de Toulon, la stratégie de la confusion règne en maître. En 2008, Nicolas Sarkozy avait affirmé sa détermination de venir à bout des puissances de l'argent, de réguler le capitalisme, d'en finir avec les paradis fiscaux. Il s'est félicité, dans son deuxième discours, d'avoir accompli sa mission. La dernière réunion de G20 à Cannes, selon lui, a acté toutes ces réalisations. Même s'il reconnaît que quelques progrès restent encore à faire.
Aujourd'hui, il réutilise les mêmes ficelles. Brouillant tous les concepts et tous les principes, il cherche à construire une Europe, sans la démocratie, sans les peuples. La peur est censée être bonne conseillère : « L'Europe peut être balayée », insiste-t-il, après avoir rappelé qu'il dit toujours la vérité. Au nom de ce danger, les peuples doivent abdiquer tout pouvoir de contrôle. Les principes constitutionnels ne sont que des obstacles encombrants en temps de crise, dont il convient de se débarrasser au nom de l'efficacité. L'ennui est que contre ce renoncement, rien de concret n'a été avancé pour enrayer la spéculation immédiate, ni construire le futur.
« Travailler plus ou gagner moins »
Le même brouillage des repères sous-tend le discours économique de Nicolas Sarkozy. Cette fois-ci, il n'osa pas citer Jaurès. Mais c'est tout comme. Sa diatribe contre le libéralisme à l'œuvre depuis les années 1970 – la dévastation engendrée par la globalisation financière, les ravages de la mondialisation – fut un modèle du genre. On en oubliait l'homme politique nous vantant les mérites du thatchérisme, ceux de l'endettement hypothécaire personnel sur le modèle des subprimes, et les bienfaits du bouclier fiscal. Non, la démonstration fut parfaite. Pour aboutir à des remèdes inattendus. Ainsi l'exonération des heures supplémentaires, l'allégement des charges sur le travail, seraient dans la droite ligne de la résistance à la financiarisation de l'économie, à suivre son discours. Tout cela pour aboutir à « une nécessaire réforme du financement du système social et du travail » que Nicolas Sarkozy entend discuter dès le mois de janvier. Pas un mot, en revanche, n'a été prononcé sur la fiscalité, considérée pourtant par tous les parlementaires comme injuste et inefficace.
Cette stratégie de la confusion conduit à une ultime question : d'où parle Nicolas Sarkozy ? Est-il président ou est-il candidat ? En s'adressant avec tous les moyens de l'Etat à un parterre composé uniquement de membres de l'UMP, arrivés par cars entiers et triés sur le volet, Nicolas Sarkozy s'est installé dans la fonction de candidat dénoncant une fois de plus la retraite à 60 ans, les 35 heures et l'immigration, et taclant dès qu'il était possible le parti socialiste. Au « travailler plus pour gagner plus », il a substitué le « travailler plus ou gagner moins ». Ce fut tout. Face au péril encouru par l'Europe, Nicolas Sarkozy, en dépit de sa gestion survoltée, de ses velléités d'autoritarisme, a surtout fait la démonstration de son impuissance.