Médiapart - 05 décembre 2011 |
Par noemie rousseau Dannemarie, de notre envoyée spéciale
Ils sont encore sous le choc. À demi-mot, les représentants des 140 salariés de l'usine Peugeot-Scooters de Dannemarie (Haut-Rhin) racontent: leur usine ferme. La rumeur enflait, leur patron l'a confirmé officiellement il y a une semaine. Depuis, ils «broient du noir». La menace plane au-dessus de Dannemarie depuis dix ans. Les salariés ont eu le temps de l'apprivoiser, de s'y habituer. Et puis, un jour, c'est arrivé. «Certains sont résignés, d'autres prêts à se battre, mais la plupart ne réalisent pas», résume Paula, élue du personnel.
L'usine de Dannemarie.© (dr)
«J'ai l'impression qu'on a dramatisé ce projet à l'extrême», se défend le PDG Pierre-Louis Colin. Les salariés auraient mal compris:
«Je n'ai jamais parlé de fermeture de site et personne ne perdra son emploi.» Pierre-Louis Colin préfère le mot de
«réorganisation». Il veut rapprocher la production de moteurs (site Peugeot Scooter à Dannemarie) de l'assemblage des scooters (site de Mandeure, 650 salariés). Autrement dit, concentrer l'activité pour réduire les coûts.
Les machines déménagent, les salariés aussi, peut-être. L'usine de Dannemarie sera donc vide mais pas fermée. Quant aux salariés, ils seront «reclassés». Cent rejoindront les usines automobiles Peugeot-PSA à Mulhouse, Sochaux et Hérimoncourt. Quarante autres iront à Mandeure. Ce transfert n'a rien de rassurant, puisque ce site n'est pas plus épargné. On y fait de l'«optimisation» − comprendre: on dégraisse. 100 postes seront supprimés. Encore des salariés à recaser dans les usines automobiles du groupe. Pierre-Louis Colin est confiant: «Il y a de la place à Sochaux.» Oui, celle des «2.000 intérimaires», lui répond un employé.
Qui va aller où? Et surtout, pour combien de temps? Les couples pourront-ils rester sur le même site? Avec une heure en plus de trajet chaque soir, qui récupérera les enfants à l'école (voir la carte ci-dessous)? Est-ce que cela vaut le coup avec un mi-temps? On s'inquiète, on se «réveille la nuit en se demandant ce qu'on va devenir». Faut-il contacter la hiérarchie ou attendre d'être convoqué? L'usine frémit, pronostique, chuchote.
René, lui, espère bien n'aller nulle part. Pour ce salarié de 60 ans, l'histoire se répète. Et cette fois, ce sera sans lui. Il est entré en 1974 à la SMRH (Société mécanique du Haut-Rhin), filiale de Peugeot à Saint-Louis (Haut-Rhin). Il débarque à Dannemarie en 1987, à la suite d'une cessation d'activité destinée à concentrer la production.
Salarié reclassé de la première heure, René se souvient des navettes de bus et de la cantine que le groupe avait mises en place pour faciliter le transfert des salariés. De tout cela ne subsiste aujourd'hui qu'un four à micro-ondes. Et René a dû investir dans une voiture. 80 kilomètres aller-retour tous les jours. Il ne lui reste que deux ans avant la retraite et il aimerait que le groupe lui permette «de partir de façon élégante». «On ne sait pas à quelle sauce on va être mangés.»
«Faites attention, le jour où la fonderie s'arrête, l'usine ferme»
«On va avoir des surprises, prévient Claude Gottardi, secrétaire général adjoint de la CFTC du Haut-Rhin, le syndicat majoritaire. Plus la direction va s'atteler au reclassement, et plus elle se rendra compte que c'est compliqué, les situations individuelles sont complexes... Peugeot a la réputation de bien traiter ses salariés, on attend de voir.» Le syndicaliste se reprend aussitôt: «Malgré tout, on a bon espoir de pérenniser le site.»
À ses côtés, Paula, élue du personnel (le prénom a été changé), s'empresse d'ajouter: «On y croit.» Aborder le plan de redéploiement des emplois et des compétences (PREC), c'est déjà s'avouer vaincu, selon elle. L'heure est au combat. «Nous ne sommes pas rentables? Prouvez-le! Nous n'allons pas nous satisfaire de quelques lignes de littérature, il va falloir nous faire une démonstration détaillée, les documents qu'on nous présente sont incomplets», proteste la salariée.
Sur la chaîne de montage des moteurs.© (dr)
L'intersyndicale a obtenu qu'une expertise comptable soit réalisée, afin de connaître avec précision la situation financière de Peugeot-Scooters. Mais, parmi les salariés, certains craignent qu'en montrant les dents, Peugeot ne fuie définitivement. «Ici, Peugeot c'est la toute-puissance», résume-t-elle.
Paul Mumpach, le maire (sans étiquette) de Dannemarie (2.500 habitants), veut pourtant faire plier Peugeot. Il s'est plongé dans les archives de la mairie pour en ressortir des délibérations de 1986: «La commune a emprunté à l'époque 4 millions de francs pour aider Peugeot à s'installer, pour financer des infrastructures, installer les abords. Si l'usine s'en va aujourd'hui, le groupe rompt notre partenariat. Ils doivent respecter leurs engagements, c'est une nécessité!» Un commerçant voisin se mêle à la conversation. Lui se souvient que lors de la visite des bâtiments avec les élus locaux, à l'arrivée de Peugeot, les cadres «se félicitaient que les machines ne soient pas scellées au sol mais vissées... Pour être déménagées plus facilement.»
Peugeot doit dépêcher dans les jours qui viennent une équipe de spécialistes pour plancher sur une «revitalisation du site»: soit poursuivre une activité du groupe, soit en trouver une autre. Pierre-Louis Colin s'est «engagé auprès des élus alsaciens»: le PDG tient à «avoir un rôle actif dans la continuation d'activité sur le site de Dannemarie».
Peugeot-Scooter est la dernière industrie du territoire. Et le maire d'expliquer: «Jusque-là, nous avions résisté, nous restions une ville-bourg avec quelques commerces malgré un déficit d'emploi, mais je crains que le départ de Peugeot ne signe le début de la désertification», surtout si le groupe laisse derrière lui une friche industrielle de 5 hectares. Paul Mumbach prospecte tout de même auprès des industriels alentour, lançant une «opération séduction tous azimuts».
«C'est dommage. De l'aveu même de la direction de Peugeot-Scooter, les salariés de Dannemarie sont bien cotés, ils travaillent bien. Ils payent sans doute aujourd'hui leur gentillesse», soupire le maire. Le salarié, René, le reconnaît: «En 38 ans, je n'ai pas connu un seul conflit social. L'Alsacien est comme ça, il est travailleur, aux ordres, défend son entreprise, l'aime. On lui demande de venir le samedi, il râle un peu, mais il vient.» C'est ainsi qu'en 2008, les salariés ont renoncé à la moitié de leurs RTT, passant de 22 jours annuels de modulation à 11. Les temps de pause ont été réduits. Puis, il y eut la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences): l'industrie s'est délestée de la moitié de sa masse salariale, des départs volontaires.
Trois syndicats sur quatre (sauf la CGT) ont accepté de signer l'avenant aux 35 heures. C'est un sujet qui fâche à Dannemarie. «Aujourd'hui, on nous reproche de l'avoir signé, mais on l'a fait pour préserver nos emplois, justifie Paula, de la CFTC. On nous garantissait que l'usine ne fermerait pas!» À l'époque, la direction «avait promis que le GT Compact (un scooter commercialisé sous le nom de Citystar) serait produit à Mandeure», précise le PDG. Ils l'ont eu, leur scooter, il est sorti cet été. Mais ils n'auront rien eu de plus.
Ni une ni deux, la fonderie permettant de produire des pièces de métal a été arrêtée à Dannemarie. L'installation avait pourtant été rénovée quelques années auparavant, «entièrement robotisée et pas du tout obsolète». Aussi les salariés sont-ils surpris lorsqu'ils découvrent qu'elle ne tourne plus à leur retour de vacances. «Faites attention, nous disaient les anciens, le jour où la fonderie s'arrête, l'usine ferme», répète Paula.
Autour de la table, chacun énumère le nombre de postes qu'il a occupés au fil des années, les efforts déployés pour se rendre polyvalent, acquérir les compétences, installer et faire tourner les nouvelles machines. «Puis il a fallu tout donner aux Chinois: nos moteurs de 50 cm3, mais aussi notre savoir-faire», se rappelle, écœuré, un ouvrier.
en Chine.
, s'insurge la syndicaliste. Pour les anciens de l'usine, la Chine marque le début de
.
Seulement, le retard accumulé est-il rattrapable? Le constructeur italien Piaggio a sorti son scooter trois-roues dès 2006 (MP3) et la riposte de Peugeot n'est pas attendue avant fin 2012. À l'usine, beaucoup ont le sentiment de payer pour la mauvaise stratégie industrielle et commerciale de leurs dirigeants.
Peugeot accuse un retard sur le scooter haut de gamme, mais vient aussi de se faire piquer un juteux marché sur le secteur du scooter pas cher: la flotte de La Poste. L'entreprise publique a commandé 3.000 engins au constructeur taïwanais Kymco l'été dernier, soit un an après le pacte automobile qui entendait faire du maintien de l'industrie française une priorité. «La moindre des choses, c'est que le service public s'équipe français, c'est honteux, incompréhensible, réagit Paula. On laisse nos emplois partir là-bas et en plus on achète leurs produits!» De toute façon, si auparavant les postiers faisaient leur tournée en Peugeot, c'était en Ludix. Le scooter dont la production a justement été délocalisée en Chine.