Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
27 décembre 2011 2 27 /12 /décembre /2011 18:07


       

Acualutte - Par Marc Bied-Charreton sur LePlus - 26 décembre

Retards de trains, annulations, prix des billets parfois exorbitants… Les usagers connaissent bien la face noire de la SNCF, moins sa face rose : un bénéfice record en 2011, qui dépasse celui, déjà record, de 2010. Où va l’argent ? Quel est l’intérêt ? se demande Marc Bied-Charreton, ancien chercheur de l’Institut de Recherche pour le Développement.

On nous annonce le versement d’un bénéfice record de la SNCF à son actionnaire, l‘Etat, de 230 millions d’euros. Après les bénéfices de 2010 et 2009, on ne peut que s’interroger avec une certaine stupéfaction sur les raisons pour lesquelles la SNCF s’oblige à obtenir de tels résultats.

Elle ne sert pas d’actionnaires privés, du moins pas encore, alors ? Il est sans doute satisfaisant de constater que nos sociétés d’Etat sont bien gérées, mais pourquoi faire des bénéfices ?

La gare Saint Lazare à Paris (PELE GWENDAL/SIPA)

La gare Saint Lazare à Paris (PELE GWENDAL/SIPA)

Des bénéfices au détriment d’investissements

Pendant ce temps, des millions de banlieusards, pas seulement de la région Ile-de-France, et des millions de passagers notamment des lignes « ordinaires », c’est-à-dire non TGV, attendent que les trains soient à l’heure, que les locomotives ne soient pas en panne, que le matériel soit entretenu et renouvelé à temps, que le personnel soit en nombre suffisant par exemple dans les gares et aux guichets ; que le site internet soit opérationnel et le contraire d’une jungle.

Ces bénéfices sont donc obtenus au détriment du service que doit rendre notre société nationale et qui se dégrade d’année en année. L’annonce à grand frais des changements d’horaires du 11 décembre en est le témoin : la raison invoquée est le lancement de travaux d’entretien. On reste ahuri par cette annonce : pendant des années la SNCF et Réseau ferré de France n’ont donc pas fait de travaux d’entretien sur le réseau et les principales infrastructures ; et dans le même temps le ministre des Transports déclare sa satisfaction devant les bénéfices obtenus, au détriment des investissements. Quelle outrecuidance !

Et dans le même temps nos régions investissent dans du matériel roulant pour maintenir un Transilien et des réseaux de TER corrects ; à quoi bon si ces trains ne peuvent pas circuler en raison du mauvais état du réseau ? à quoi bon si les gares continuent d’être si mal équipées, par exemple en escaliers mécaniques ou ascenseurs pour les personnes âgées, les parents avec de jeunes enfants, les handicapés ?

 

Destruction du service public

Vraiment nous marchons sur la tête, nos politiques exigent de la rentabilité dans les services publics (transports publics, hôpitaux) en sachant très bien que cela nuit à la qualité de ces services. Ils vont poursuivre la mise en concurrence, ce qui aboutira à une surenchère sur les lignes supposées rentables et à l’abandon progressif des autres.

J’attends les réactions des usagers, des syndicats, des partis de gauche et des propositions d’avenir pour inverser cette spirale de destruction de nos actifs. Cela fait partie de l’attractivité de notre pays que nos gouvernants actuels sont en train de détruire tout en se lamentant de notre déclin.

Partager cet article
Repost0
27 décembre 2011 2 27 /12 /décembre /2011 17:25
| Par Joseph Confavreux et Stéphane Alliès et Hugo Vitrani
Les grands entretiens 2012 de Mediapart (2/10)

Légitimité politique européenne en berne, gouvernements élus démis sous la pression des marchés, montée des partis extrémistes, crainte de l’abstention… Les démocraties européennes sont en crise. Pourtant, ici et là, des expérimentations institutionnelles et des outils politiques repensés réactivent les liens brisés entre les représentants et les représentés, entre les gouvernants et les gouvernés.

 

Le sociologue Yves Sintomer livre ici quelques pistes pour refonder, renouveler, voire augmenter, la pratique de la démocratie. Pour ce deuxième épisode de notre série de grands entretiens en vue de la présidentielle (après l'interview d'Emmanuel Todd), nous lui avons demandé, au-delà de son analyse, d'être force de proposition.

Yves Sintomer est codirecteur du département de science politique du CRESPPA (CNRS/université de Paris-8) et chercheur associé à l’Institut de sociologie de l’université de Neuchâtel et au centre Marc Bloch (Berlin). Il a étudié de nombreuses procédures (assemblées tirées au sort, démocratie participative, conférences de consensus…), ayant pour commune ambition de redynamiser le processus démocratique et de redonner confiance en une sphère politique discréditée. Il vient de publier une Petite Histoire de l'expérimentation démocratique. Tirage au sort et politique d'Athènes à nos jours, aux éditions La Découverte, et a participé à l’ouvrage collectif dirigé par Dominique Bourg, Pour une VIe République écologique, paru chez Odile Jacob.

 

Le principe du référendum a, en ce moment, bonne presse du côté des personnes inquiètes de la crise démocratique européenne, notamment après que l’idée d’un référendum grec a été autoritairement balayée par les dirigeants européens, soucieux de la réaction des marchés. Cela n’a pourtant pas toujours été le cas, si l'on se réfère aux critiques, de gauche, du bonapartisme ou du gaullisme… Est-ce qu’un recours accru au référendum serait une piste d’amélioration démocratique ? Et faut-il, alors, distinguer les référendums d’initiative populaire et ceux organisés par des gouvernements ?

Les votations impliquant l’ensemble des citoyens, surtout quand elles ne sont pas initiées par les gouvernements, sont des instruments démocratiques importants. En France, depuis Louis Napoléon Bonaparte et le Second Empire, la tradition politique tend à lier le référendum à une démarche plébiscitaire, visant à donner quitus à un gouvernant en faisant directement appel au peuple. On ne connaît pas le référendum d’initiative populaire, qui est d’ailleurs une appellation franco-française. La Suisse, qui constitue le bastion de cette pratique, parle simplement d’initiative populaire.

Dans ce cas, des acteurs non gouvernementaux, qui ne sont pas forcément non politiques, prennent l’initiative de mener campagne pour une mesure qui sera, ensuite, refusée ou acceptée par l’ensemble du peuple. La méfiance française par rapport au référendum plébiscitaire s’étend, paradoxalement, à ces initiatives populaires pour une partie de la gauche progressiste. De nombreux conservateurs rejettent aussi l’initiative populaire avec l’idée qu’il vaut mieux ne pas laisser au peuple la possibilité de trancher directement certaines questions, mais le cantonner à l’élection des personnes chargées de décider à sa place. La procédure étriquée et inapplicable qui vient d’être discutée à l'Assemblée française est, d’ailleurs, tout autre chose que la véritable initiative populaire.

Le développement récent de ces référendums d’initiative populaire en Europe trouve, paradoxalement, son origine dans les anciens pays de l’Est, même si cela existait déjà en Suisse et en Italie. C’est souvent dans des pays où la tradition démocratique est faiblement ancrée que les pesanteurs pour mettre en place des innovations sont les moins fortes. L’Europe de l’Est a importé et adapté des méthodes venant de différents pays. L’initiative populaire a été considérée comme une procédure démocratique intéressante et a donc été largement diffusée. Par ricochet, cet outil a suscité un intérêt croissant dans les vieilles démocraties. Cela a été particulièrement sensible en Allemagne, où les Länder de l’Est ont adopté cette procédure, juste après la réunification. Puis, les Länder de l’Ouest, ne voulant pas être en reste en matière de démocratie, l’ont à leur tour adoptée.

Les “votations citoyennes” qui se sont déroulées en Italie au sujet de l'immunité pénale du chef du gouvernement ou du nucléaire civil ont-elles contribué au processus de délégitimation de Berlusconi ?

Cet épisode a été important dans l’affirmation qu’une autre politique devait être menée. En Italie, le dispositif d’initiative populaire existe uniquement à l’échelle nationale, et il peut s’utiliser seulement pour abroger des lois déjà passées, non en proposer de nouvelles. Il en va différemment en Suisse, en Californie ou dans de nombreux Länder allemands. Dans les années 1970, il y a eu des référendums d’initiative populaire très importants, notamment celui, charnière, sur le divorce. Puis l’instrument a été dévoyé par le parti radical, une petite organisation qui a multiplié les initiatives référendaires, avec un échec de pratiquement toutes les consultations. L’instrument a semblé démonétisé.

Il est revenu sur le devant de la scène, sur la base d’un mouvement social important et en dépit d’une grande réticence d’une partie de la gauche institutionnelle quant à l’usage de cet outil et aux questions posées. Cela montre que si, dans les initiatives populaires, des militants de partis jouent souvent un rôle important, la procédure ouvre d’autres canaux et d’autres perspectives que celles de la voie parlementaire.

Reconstruire une légitimité démocratique européenne

On a vu se nouer, autour du référendum grec, une crise politique à l’échelle européenne avec des effets retour très puissants sur les politiques nationales. Peut-on encore imaginer des améliorations démocratiques au niveau national sans les penser au niveau européen ? Et comment reconstituer, alors, une légitimité démocratique du processus décisionnel européen, alors que l’intergouvernemental semble avoir pris le dessus ?

Le modèle intergouvernemental a pris de plus en plus de place dans le processus de décision européen. Pourtant, il ne fonctionne pas bien, et montre ses difficultés à réagir de façon rapide et en anticipant les questions. La prépondérance de l’échelon national constitue, aujourd’hui, un obstacle. Mais l’Europe, telle qu’elle s’est construite jusque-là, n’a pas été vécue par les citoyens européens – du moins à l’Ouest − comme une protection. Elle a été perçue davantage comme une menace. Du coup, il est difficile de se représenter un saut en avant qui permettrait une démocratie à l’échelle européenne, sur un autre mode que celui de l’intergouvernemental.

Existe-t-il des exemples où la construction d’une citoyenneté supranationale a pu se bâtir dans un contexte de crise ?

Il n’y en a pas beaucoup. Le plus important est celui des États-Unis. La construction d’un État fédéral s’est faite en trois grandes étapes. On évoque souvent la guerre d’indépendance avec l’Angleterre, et la guerre de Sécession où le Nord “conquiert” le Sud, mais le troisième moment, souvent oublié, est celui de la construction d’un État social dans les années 1930. C’est elle qui a véritablement donné corps au fédéralisme, à travers un programme de protection sociale impulsé par l’État fédéral. Si les États-Unis sont ce qu’ils sont, c’est, fondamentalement, grâce à ce pas à la fois fédéral et social, qui succédait chronologiquement à une guerre mondiale ayant renforcé la conscience d’appartenir à une même nation, dans un contexte de péril géostratégique.

Mais, à une crise économique et sociale violente, on a donc répondu par plus de fédéralisme et de politique sociale ?

Absolument. Je crois qu’aujourd’hui c’est l’enjeu principal. Ceux qui pensent que l’Europe pourrait se construire en rajoutant des couches technocratiques, sans dimension démocratique et en continuant une politique qui vise d’abord à rassurer les marchés sans rassurer les citoyens, font fausse route. Cela aboutira à une impasse et à des explosions qu’il est difficile d’imaginer aujourd’hui, mais qui ne manqueront pas, selon toute vraisemblance, d’intervenir.

 

 

On a quand même vu une différence, dans cette gestion intergouvernementale de la crise européenne, entre Angela Merkel qui a préféré geler le Conseil européen d’octobre pour attendre le vote du Bundestag et Nicolas Sarkozy qui ne s’est guère soucié du Parlement français. Comment remédier à cette faiblesse extrême du Parlement, en France, qui ne s’est prononcé ni sur la guerre en Libye, ni sur les difficultés de l’Europe ?

L’Allemagne est un exemple de vraie démocratie parlementaire – avec toutes ses limites. La défiance vis-à-vis de la classe politique est très forte, l’abstention est considérable, le nombre d’adhérents des partis politiques a été divisé par deux depuis la réunification. Mais le Parlement joue pleinement son rôle de contrôle, de contrepoids et de proposition. En France, on a un Parlement croupion, qui n’est pas lié à la majorité actuelle, mais à la Ve République.

En Allemagne, l’existence de ce contrôle joue un rôle non négligeable pour assurer une vraie cohérence aux politiques menées. On peut être en désaccord avec les politiques menées par Merkel, mais on ne peut nier qu’elles ont une vraie continuité. C’est ce que les Allemands appellent la Sachlichkeit, l’objectivité, qui n’est pas la neutralité, mais désigne une certaine cohérence entre les paroles d’abord, puis entre les paroles et les actes, enfin entre les actes et les choses qu’on peut établir ensuite, par les statistiques par exemple.

Une partie du succès de l’Allemagne vient de cette obligation pour les gouvernants de devoir répondre à des critiques qui ne sont pas de pure forme. L’absence de ce schéma, en France, contribue à favoriser une politique du coup par coup, un président du moment qui fait ce qui lui plaît, au rythme qui lui plaît.

La réhabilitation du rôle du Parlement, en France, passe-t-elle nécessairement par une réforme du mode de scrutin qui laisse durablement plus de 40% des votes (FN, Verts, Gauche radicale…) hors des arènes nationales ?


Cela contribue à rendre le Parlement moins représentatif de la diversité des opinions du pays. À l’évidence, l’introduction d’une dose de proportionnelle contribuerait à mieux refléter ce que peuvent ressentir et soutenir les Françaises et les Français. Il ne faut cependant pas se cacher que revendiquer une proportionnelle intégrale, comme l’ont fait les Verts pendant longtemps, aboutit soit à donner un pouvoir disproportionné aux petits partis charnières, soit à des alliances régulières de type «grande coalition» entre la droite et la gauche.

Mais il existe des formes atténuées de proportionnelle, comme dans le scrutin municipal français, qui assure une représentation de tous les courants politique au-delà d’une certaine barre et donne une prime telle à la majorité qu’elle peut gouverner sans avoir à passer des alliances avec de petits partis qui monnaieraient leur voix. 

"Panacher" les votes

L’abstention ou la montée des partis extrémistes en Europe viennent aussi du sentiment d’un manque de choix réel, qui surfe sur l’idée, ancienne, de “blanc bonnet et bonnet blanc”… Existe-t-il des procédures permettant d’accroître le sentiment qu’aller aux urnes procède d’un véritable choix ?

Il faut faire attention à ne pas surestimer l’impact potentiel des réformes institutionnelles, et notamment des modes de scrutin. On a affaire à une crise très profonde qui a des raisons sociales, économiques, écologiques, politiques… Tout ne se joue pas dans les institutions. L’exemple islandais montre que l’innovation démocratique fait marcher ensemble l’expérimentation institutionnelle et le mouvement social.

Ce petit pays de 320.000 habitants, à genoux du fait de la crise bancaire, s’est débarrassé de son gouvernement à la suite de manifestations monstres. Par deux fois, il a refusé, par référendum, les accords entre le nouveau gouvernement et les banques en cherchant à redimensionner le capitalisme financier. Il connaît une certaine redistribution sociale et, aujourd’hui, une croissance supérieure à celle de la zone euro. Il a confié à une assemblée tirée au sort le soin d’élaborer des valeurs à partir desquelles réformer la Constitution. Et a confié à 25 citoyens élus, mais non professionnels, le soin de rédiger un projet de Constitution…

Le contraste avec la Grèce est frappant, où le cadre institutionnel est resté en place, avec la classe politique et les règles qui avaient débouché sur la crise sociale et économique. C’est le serpent qui se mord la queue.

Cette nuance faite, changer la manière de voter permet-il d’augmenter le désir de voter ?


On constate, dans plusieurs pays européens, un mouvement qui renforce la possibilité pour les électeurs de choisir non plus seulement les partis, mais aussi les personnes. En France, cela fait penser à l’élection présidentielle, une élection de leaders plus ou moins “charismatiques” qui prétendent résoudre, à eux seuls, les problèmes d’un pays.

Mais en Allemagne, dans les élections municipales qui sont faites au scrutin de liste à la proportionnelle intégrale, il y a eu toute une série d’innovations, qui diffèrent selon les régions (celles-ci décident de la loi électorale). On constate en particulier une tendance importante à offrir aux électeurs le choix de panacher les listes pour lesquelles ils votent. On vote, d’un côté, pour une liste, mais aussi, de l’autre, pour des personnes. Que l’on peut placer dans un ordre différent de celui choisi par le parti, ou qui peuvent même venir d’autres partis.

Cela permet d’abord de prendre en compte la réalité des dynamiques à l’œuvre dans des partis qui ne sont pas homogènes. Cela permet aussi d’exprimer un choix mesuré, en donnant par exemple une partie de ses voix au PS, une partie aux Verts et une partie à l’extrême gauche… Cela permet de doser son soutien. Cela introduit donc une nouvelle dynamique, qu’il faut toutefois nuancer. Cela marche en Allemagne, dans un pays où la corruption se situe à des niveaux très faibles. Un tel mode de scrutin, qui existe au Brésil, ou existait en Italie, peut aussi être un vecteur très fort de clientélisme et de corruption du système politique.

Là encore, on ne peut pas dire qu’une technique électorale résoudrait tout. Cela dépend de la société dans laquelle elle est impliquée. Si l’on regarde les leçons de l’Histoire, les grandes innovations démocratiques ont aussi été des moments d’irruption sur la scène politique du petit peuple, des dominés. C’est avec les deux jambes, sociale et institutionnelle, que la plupart des grandes conquêtes démocratiques ont été possibles. Aujourd’hui, dans une situation de crise sociale et économique intense, il est peu probable que des innovations assainissent les relations entre les citoyens et la classe politique sans l’irruption des citoyens dominés sur la scène politique. Et cela ne se décrète pas.

Des représentants vraiment représentatifs

Si la crise démocratique actuelle est largement une crise de représentation, existe-t-il des innovations institutionnelles permettant de réduire l’écart sociologique, démographique, ethnique ou de genre entre les représentants et les représentés ? Même si les représentants n’ont pas à être strictement représentatifs, un écart trop grand finit par saper les principes démocratiques. Or les parlementaires et les gouvernants demeurent majoritairement âgés, blancs, masculins et venant des classes supérieures…

Une partie au moins du sentiment d’une démocratie qui ne fonctionne pas bien vient du décalage sociologique et culturel entre la classe politique et le reste des citoyens. À l’époque où le suffrage universel masculin a été instauré, on avait un écart énorme entre les gouvernants et les gouvernés, mais un peuple majoritairement paysan qui ne se sentait pas les compétences subjectives pour l’exercice de la politique. Aujourd’hui, la dépendance personnelle n’existe plus de la même manière, le niveau d’éducation a augmenté de manière vertigineuse et l’on vit dans une société bien moins autoritaire. La domination politique ne peut plus être considérée comme “naturelle”.

En matière de différence de sexe, la volonté de corriger, en introduisant la parité pour les scrutins de liste, les écarts grotesques entre hommes et femmes a eu des effets réels, même si les femmes continuent souvent à se voir confier des responsabilités considérées classiquement comme “féminines” (santé, social…).

Pour l’âge, on a reculé, si l'on compare par exemple l’Assemblée nationale d’aujourd’hui à ce qu’elle était en 1981. Mais en l’occurrence, mettre des quotas de jeunes ne serait pas adéquat. L’interdiction du cumul des mandats et celle d’exercer plus de deux mandats consécutifs serait, sans doute, le meilleur moyen de renouveler considérablement le personnel politique dans sa structure d’âge.

Pour les minorités visibles, un travail volontariste serait important. Aux États-Unis, on a eu l’exemple des circonscriptions dites “léopard”, dessinées de manière à ce qu’il y ait une majorité noire dans la circonscription… Les sociologues avaient, en effet, fait le constat que, dans les circonscriptions à majorité blanche, les électeurs de gauche préféraient voter pour un républicain blanc que pour un démocrate noir, et que la seule manière de permettre l’élection de députés noirs était de “bidouiller” les circonscriptions. Cela a posé des problèmes constitutionnels et le projet a été partiellement invalidé.

En France, une solution de ce type n’est sans doute pas possible. Mais si la décision du Sénat de permettre le vote des étrangers était adoptée demain par l’Assemblée nationale, on peut penser qu’il y aurait, dans un certain nombre d’endroits, une mobilisation qui pourrait servir d’appât pour certains partis politiques… Au niveau local, depuis 15 ou 20 ans, par exemple en Seine-Saint-Denis, les partis prennent davantage en compte les personnes issues de l’immigration. Le rythme est lent mais on voit de plus en plus d’élus ou d’adjoints issus des minorités visibles…

Et comment éviter que les catégories populaires ne soient sous-représentées parmi ceux qui prennent les décisions politiques ?  

Deux voies, en partie complémentaires et en partie en tension, pourraient être proposées. La première réside dans la façon dont se recrute le personnel politique, qui se consacre de façon permanente ou quasi permanente à la politique. Ce personnel est aujourd’hui choisi essentiellement en fonction du parcours scolaire et universitaire, en particulier des filières de sciences politiques.

D’autres voies, qui existaient dans le passé, comme la voie syndicale pour le PC, pourraient pourtant être activées, et l’importance de la filière associative pour les Verts en est un exemple. Elle n’est cependant pas très “populaire” socialement, si l’on regarde les carrières nationales.

C’est pourquoi, au vu de la profondeur du décrochage des classes populaires par rapport à la politique, je trouverais utile de réactiver l’idée de recourir au tirage au sort. Cela augmenterait la diversité sociale des représentants qui se prononcent sur les affaires publiques du pays.

À travers l’histoire, on a fait du tirage au sort des usages très différents, que ce soit dans la cité athénienne de Périclès ou dans la Florence de la Renaissance. Les outils politiques sont créés dans un contexte qui leur donne un sens politique, et conservent souvent une partie de leur sens initial, comme Dominique Cardon l’a montré pour Internet qui est, aujourd’hui, un monde dominé par des multinationales parmi les plus puissantes du monde, mais dont l’origine, dans la contre-culture américaine, a laissé des traces qui se manifestent dans son caractère réticulaire, dans son ouverture à des acteurs “faibleset dans les principes très libres de son fonctionnement… Dans le contexte actuel, quel sens y aurait-il à réintroduire du tirage au sort ?

Le tirage au sort ne pourrait pas retrouver le sens qu’il avait à Athènes ou à Florence. Mais il porterait d’abord l’idée que les personnes tirées au sort pour parler ou décider des choses de la cité seraient plus impartiales, qu’elles n’auraient pas, comme la classe politique professionnelle, des intérêts suffisamment distincts de ceux du reste de la population pour qu’ils prennent le pas sur un examen plus équilibré des problèmes.

La deuxième vertu serait de favoriser des personnes issues d’expériences sociales diverses. Aujourd’hui, les dirigeants politiques se recrutent dans un tout petit milieu social, avec une perte énorme de la richesse de ce que les gens peuvent vivre, expérimenter, voir. Il est très plausible que, si l’on avait des décideurs venant des catégories populaires, les réponses à la crise socio-économique ne seraient pas du même type qu’aujourd’hui. Le fait de choisir systématiquement de rogner les dépenses sociales en période d’austérité, l’hésitation à augmenter les impôts des plus riches, à taxer les profits boursiers, à taxer le capital…Tout cela serait très probablement remis en cause.

Enfin, le troisième avantage de recourir, aujourd’hui, au tirage au sort, serait de réhabiliter l’idée démocratique, toute simple, selon laquelle les citoyens sont égaux pour décider des affaires publiques, qu’il n’existe pas de privilèges liés à la naissance, à l’éducation ou à la richesse qui justifieraient la monopolisation de la chose publique par certains…

 

 

Après le 6 mai, une "Chambre du Futur" tirée au sort ?

Quelles pourraient être les mesures institutionnelles mises en place par un gouvernement exigeant une VIe République, ou une Ve République “augmentée?

Elles concerneraient d’abord le fait de mieux faire fonctionner la démocratie représentative classique, en instaurant un parlementarisme plus sérieux qui s’inspirerait des exemples de nos voisins, en développant la parité, en empêchant le cumul des mandats, en transformant le mode de scrutin, en introduisant de la proportionnelle. Ce premier volet serait non négligeable.

Un deuxième axe de réforme consisterait à ouvrir des canaux permettant aux citoyens d’être inclus de façon active dans la prise de décision. Nous sommes arrivés à un moment où il est possible de rebattre les cartes et de multiplier les procédures par lesquelles des citoyens non élus pourraient jouer un rôle consultatif, mais aussi de contrôle du fonctionnement du système politique, sur certaines affaires.

L’ancien président de la République vient d’être jugé et condamné des années après les faits, après deux mandats où il était en état d’irresponsabilité juridique… Peut-être aurait-on gagné à avoir un jury d’assises “spécial président de la République” qui aurait pu se prononcer auparavant. On peut aussi penser qu’il vaudrait mieux confier la réforme du mode de scrutin à une assemblée tirée au sort, comme l’ont fait les Canadiens, en Colombie-Britannique ou en Ontario, plutôt qu’aux députés qui sont juges et parties…

Vous aviez aussi fait, avec d’autres, la proposition d’une Troisième Chambre, tirée au sort, intitulée la Chambre du Futur, qui pourrait remplacer le Conseil économique et social, notamment parce que la démocratie représentative a du mal à se saisir de certaines questions, comme l’environnement…

La démocratie représentative est scandée par des élections rapprochées qui favorisent une politique de court terme. Or, nous devons prendre des mesures radicales pour faire face à la crise écologique, au réchauffement climatique, à l’épuisement de la biosphère ou à la dégradation accélérée du milieu naturel. La décision politique court après des dégâts qui s’accroissent et ont ceci de particulier qu’ils sont irréversibles. Une idée serait donc de constituer une Troisième Chambre, qui viendrait s’ajouter à la Chambre des députés et à un Sénat réformé dans un sens plus fédéral.

Elle serait composée de citoyens tirés au sort, et d’autres sélectionnés aléatoirement au sein d’un panel très large proposé par les associations écologiques. Cette chambre pourrait avoir un pouvoir de veto constructif, pour demander de revoir une décision qui irait trop à l’encontre des générations à venir. Vu son mode de nomination, elle n’aurait pas de rôle décisionnel, mais elle pourrait peser, un peu comme dans les pays où le président de la République n’a pas de pouvoir décisionnel, mais possède un pouvoir d’interpellation et de veto important.

Ces questions d’expérimentations institutionnelles vont-elles être portées dans la prochaine campagne présidentielle ?


Cela devrait l’être, mais il est malheureusement peu probable que cela le soit. Seuls des acteurs minoritaires portent le thème, comme Montebourg au sein du PS, une partie des écologistes, et aussi le Front national… D’autres préoccupations sont sur le devant de la scène, et il y a une vraie méconnaissance des expériences pratiquées dans d’autres pays.

Je suis plus optimiste pour l’après-élection. Si Hollande est élu sur la base d’un mouvement d’opinion qui exprime la volonté qu’il ne suffit pas de changer de personne, mais qu’il faut aussi transformer les modes de fonctionnement, une phase intéressante pourrait s’ouvrir. Si la gauche, après le Sénat, gagne les législatives et les présidentielles, tout devient relativement facile en termes de réformes institutionnelles, et il sera plus difficile d’opposer des prétextes aux transformations en profondeur.

Nous ne savons pas jusqu’où va nous mener la crise économique, et elle peut pousser à des choses contradictoires. Elle peut stimuler des changements positifs, mais aussi favoriser des politiques autoritaires, allant dans des sens complètement opposés…

Lors de la campagne présidentielle de 2007, la question de la démocratie participative était présente. Aujourd’hui, alors que la crise démocratique semble beaucoup plus visible, elle n’est guère abordée par les candidats ou probables candidats : comment l’expliquer ?

L’explication est simple. L’ex-compagnon de Ségolène Royal, François Hollande, n’est pas vraiment sensible à cela. Il n’en a pas fait un thème de campagne politique. Pourtant, sur le terrain français, le nombre d’expériences et leur qualité moyenne augmentent de façon significative. Il y a, cependant, un fort découplage avec la réception de ce thème dans le débat politique.

Si l’on regarde à l’échelle internationale, les commissions participatives mises en place sur le plan fédéral par le gouvernement Lula (un peu sur le modèle du Grenelle de l’environnement en France, mais avec l’organisation d’une dynamique venant du niveau local et une pérennisation du dispositif), ont pesé de façon non négligeable sur les politiques mises en œuvre. Les résultats ont été contrastés selon les ministères, mais ces commissions participatives ont permis que certaines erreurs soient corrigées plus rapidement et qu’une partie de la législation ne soit pas élaborée par la seule classe politique.

 

 

Partager cet article
Repost0
27 décembre 2011 2 27 /12 /décembre /2011 17:12

Le texte qui suit est en large partie issu d'un livre de l'auteur "L'urgence industrielle!", à paraître le 24 janvier 2012 aux Éditions Le Bord de l'Eau

Lors d'une conférence de presse tenue le 28 octobre 1966, De Gaulle répond à une question sur les marchés financiers: "La Bourse, en 1962 était exagérément bonne. En 1966, elle est exagérément mauvaise, mais vous savez, la politique de la France ne se fait pas à la corbeille".
De Gaulle affirme ainsi qu'un gouvernement ne change pas de politique en fonction de l'humeur des agents de change, aujourd'hui celle des agences de notation.

"Tous les jours, la première chose que je regarde, c'est la différence de "spread"[1] entre la France et l'Allemagne", François Fillon (Premier ministre), 8 juin, réunion du groupe UMP de l'Assemblée nationale (rapporté par le Monde, 10 juin 2010).

La financiarisation du fonctionnement des institutions, de la vie économique et sociale en général semble avoir atteint une intensité sans précédent dans l'histoire du capitalisme. Reprenant le qualificatif employé par un sociologue[2], nous considérons que nos sociétés sont "assiégées" par la finance. Les "valeurs" de la finance semblent, partout, avoir modifié ou altéré les relations des hommes entre eux : calcul, égoïsme, court-termisme...

Comment dans ce contexte remettre la finance au service du développement, au service des activités productives ?

 

La grande erreur des économistes

La grande erreur de la plupart des économistes voulant sortir de l'emprise du capitalisme financiarisé a été de penser que la tâche prioritaire était d'imaginer de nouvelles régulations financières. Celles-ci étant trouvées, le capitalisme pourrait rependre son expansion économique et assurer des progrès supplémentaires dans le domaine social. La séquence irait donc du financier à l'économique et de l'économique au social.

Notre point de vue est opposé. Pour le résumer, nous dirons que la crise est économique et sociale avant d'être financière. Elle résulte très largement de l'affaiblissement de l'outil industriel et des capacités productives nationales. Cet affaiblissement exprime à la fois les choix opérés par les grands groupes au détriment de la base industrielle nationale et ceux des États continuant de concevoir leur politique afin de soutenir ces groupes. Ce, alors que les intérêts de ces groupes et ceux des nations sont désormais très largement disjoints. À la racine de tous ces processus, le déni du travail et des compétences, le pillage des ressources naturelles.

 

Définanciariser l'économie

Définanciariser l'économie ne se fera pas en proposant autant de réformes qu'auront été constatées de supposées dérives du capitalisme financiarisé. La définanciarisation doit répondre d'un principe général : celui d'une réarticulation de l'économique et du social. Réarticuler l'économique et le social constitue un enjeu essentiel de sortie de crise et de mutation vers une nouvelle organisation de la société contemporaine.

Cette réarticulation est un préalable nécessaire à toute régulation financière ayant une portée opératoire significative. C'est parce que l'économique et le social ont été séparés, puis opposés, que la finance s'est émancipée et a fini par imposer ses règles.

L'actuelle financiarisation obéit à un principe général qui oppose l'économique et le social en faisant dépendre le revenu des "facteurs" de leur mobilité. Le facteur le plus mobile, le capital financier, impose sa rémunération en premier à tous les autres (capital industriel, travail qualifié et moins qualifié) grâce à sa mobilité extrême, sa "volatilité". Tirant avantage de la suppression par tous les gouvernements des obstacles à la mobilité des capitaux, le capital financier se place et se déplace en fonction des rendements immédiats qu'il obtient.

La mondialisation actuelle, basée sur la concurrence de capitaux mobiles, rémunère ceux-ci en premier. Faute d'une rémunération suffisante, ceux-ci ont, en effet, le pouvoir de se (dé)placer ailleurs. L'ordre de rémunération est ainsi le suivant : le capital financier, puis le capital productif[3] et le travail qualifié. La rémunération du travail peu ou pas qualifié apparaît ainsi comme un "résidu".

Les tensions sociales (croissance des inégalités) qui découlent du principe liant vitesse de mobilité et rang de rémunération, mais aussi l'instabilité économique qui est associée à ce principe, font que dans la configuration actuelle l'élaboration des compromis et la création des institutions nécessaires à un nouveau mode de régulation sont impossibles.

Contrairement à ce que pensent de nombreux experts et hommes politiques, voire d'économistes, le terrain privilégié des choix à opérer ne réside pas dans la finance mais dans le "réel". Ce "réel" doit replacer le travail et la création de richesses au centre de la réflexion comme à celui des politiques et des stratégies.

Le "New Deal" aujourd'hui : agir sur le temps, la vitesse de mobilité

Agir sur le temps, sur la vitesse de mobilité des "facteurs" est aujourd'hui la condition indispensable pour remettre la finance à sa place (au service du développement économique et social) et réduire les inégalités.

Agir sur le temps et la vitesse de mobilité des facteurs prendra du temps. Il s'agit d'un processus qui comportera des étapes tant pour freiner la liquidité du capital financier que pour accroître la mobilité du travail.

Le capital financier doit voir sa mobilité (volatilité) remise en cause. Remettre en cause la volatilité du capital financier, faire en sorte que celui-ci redevienne liquide et non plus "gazeux" - c'est-à-dire admette qu'il lui faut se fixer (s'investir plutôt que se placer) -, signifie introduire des retardateurs temporels. Ceux-ci peuvent être de différentes sortes : taxe sur les transactions financières (qui trouve ici son véritable sens plutôt que celui de simple recette budgétaire nouvelle), imposition différentielle des bénéfices selon que ceux-ci sont réinvestis ou distribués sous forme de dividendes,  fiscalité différenciée des plus-values de court et très court terme, attribution proportionnelle de droit de vote associés aux titres calculés selon la durée de leur détention, etc. Le "cloisonnement" des activités financières - dont une des modalités est celle qui consiste à séparer les activités de banque d'affaires et celles de banques de dépôt[4] - relève de la même logique consistant à privilégier la liquidité relative au détriment de la volatilité absolue du capital financier.

Rendre le travail mobile par les compétences redéployables

La perspective d'accroissement de la mobilité du travail ne doit pas être comprise dans l'acception habituelle principale de mobilité spatiale. Il ne s'agit pas, en effet, d'attendre des travailleurs qui seraient peu qualifiés de se mouvoir à la recherche d'un emploi en proposant une force de travail indifférenciée entrant en concurrence avec celle d'autres travailleurs. Il s'agit de qualifier le travail, le rendre spécifique, développer l'expérience et les compétences. Le principe de mobilité n'est plus alors spatial au premier chef mais professionnel. La mobilité est alors celle de travailleurs qui changent d'affectation selon les tâches spécifiques à effectuer, les projets à réaliser.

L'industrie peut redevenir le lieu d'un emploi stable et bien rémunéré. Cette stabilité, loin de signifier l'exercice d'un emploi dont le contenu ne varierait jamais, devrait être synonyme d'une mobilité sécurisée par le caractère redéployable des compétences. Pour ce faire, une autre conception du travail et une autre conception de la nature de l'entreprise constituent des chantiers à engager sans tarder (principes 1 et 4 d'un pacte productif pour la France).

En résumé, sont suggérés une moindre mobilité du capital financier dont la liquidité serait mise au service du développement des activités productives ainsi qu'un accroissement de la qualification et des compétences redéployables des travailleurs dans le même objectif.

La mise en œuvre de cette double proposition aurait pour conséquence de contracter les différences de mobilité aujourd'hui extrêmes des différents facteurs. Ainsi, le mécanisme générateur des inégalités serait radicalement remis en cause et une nouvelle configuration de développement pourrait être envisagée dont l'industrie serait le lieu de synthèse et de concrétisation. Cette autre configuration est synonyme d'une réorientation de la production vers les besoins de la société tout en allégeant le poids des activités productives sur la nature (à suivre).

 

[1] Différence de rendement entre les obligations d'État

[2] Z. Bauman, La société assiégée, Le Rouergue/Chambon, 2005

[3] Les flux de capital productif correspondent aux investissements directs étrangers comme, par exemple, les investissements réalisés par un groupe étranger qui construit une nouvelle usine dans un pays d'accueil.

[4] La référence peut ici être faite à la fameuse loi votée en 1933 aux États-Unis, le Glass-Steagall Act, qui sépare les activités de banques de dépôt de celles de banques d'affaires.

Partager cet article
Repost0
27 décembre 2011 2 27 /12 /décembre /2011 16:59
27 Décembre 2011 Par Les invités de Mediapart

 

Marc Chesney, professeur a l'université de Zurich, dénonce «l'excessive taille et complexité des marchés financiers», qui favorisent leur «pouvoir» et leurs «profits». Selon lui, il faut «remettre la sphère financière à sa place (...) pour qu'elle puisse à nouveau jouer son rôle au service de l'économie réelle et de la société».

------------

 

La question «faut-il chercher à satisfaire les marchés financiers?» semble incongrue, tant la réponse parait évidente! Bien sûr, sinon le pire nous attendrait: insolvabilité accentuée des Etats, dégradation de leur note par les agences de notation, tout cela menant à l'instauration de plans d'austérité encore plus drastiques. C'est d'ailleurs le plus souvent la politique que tentent de suivre les gouvernements, les banques centrales et les institutions internationales comme le FMI. Il s'agit d'un véritable consensus. L'affaire semble donc être entendue. La récente réunion des chefs d'Etat de l'Union Européenne à Bruxelles le vendredi 9 décembre, confirme cette convergence de points de vue.

Il serait probablement déplacé de poser la question de l'efficacité de cette politique et de ses justifications. Osons tout de même!

Force est de constater que depuis l'éclatement de cette crise en 2007, cette stratégie n'a pas vraiment été couronnée de succès. Les autorités semblent désorientées. Elles donnent l'impression de naviguer à vue, sans visibilité et d'enchaîner en Europe les réunions et décisions «historiques». La situation ne s'est pas vraiment améliorée depuis 2007. Le système bancaire a été renfloué grâce à l'intervention des Etats, c'est‐à‐dire par le contribuable. Ceci a conduit à un endettement record des pays développés. Généralement, les plans d'austérité mis en place par les gouvernements n'ont été positivement perçus par les marchés financiers que s'ils étaient suffisamment rigoureux. Sinon, ils les ont présentés le plus souvent comme étant trop tardifs ou trop légers. On en vient à se demander s'il faudrait retourner au 19ème siècle pour satisfaire ces marchés, c'est‐à‐dire à une époque sans système de retraite, sans sécurité sociale...Paradoxalement, il arrive aussi que certains acteurs de ces marchés s'inquiètent du caractère par trop austère de ces plans d'austérité, c'est‐à‐dire de leur impact négatif sur la croissance économique et donc de l'accroissement du risque de défaut qui en résulterait pour les Etats concernés. Ces perceptions par les marchés financiers, parfois positives et assez souvent négatives ont généré des fluctuations erratiques des cours boursiers, susceptibles d'engendrer des profits importants pour les hedge‐fonds et banques d'investissement, mais qui entrainent l'économie réelle dans une spirale dangereuse.

Oser vouloir limiter l'influence des marchés financiers relèverait‐il du sacrilège? Les institutions qui s'échinent, sans beaucoup de succès d'ailleurs à vouloir satisfaire des marchés qu'elles présentent comme étant irrationnels, dès qu'ils réagissent à la baisse à de supposées bonnes nouvelles, n'ont‐elles pas elles‐mêmes de ce fait, une attitude irrationnelle? Si, comme la théorie financière moderne l'indique, les marchés financiers se comportent de manière irrationnelle à certains moments, chercher à les satisfaire serait non seulement illusoire mais encouragerait aussi leur caractère irrationnel.

Mais à propos, que sont les marchés financiers, les Dieux électroniques de l'ère moderne dont les sentences irrévocables tomberaient en temps réel sur les écrans? Plus prosaïquement, il s'agit de puissants acteurs comme les banques d'investissement et des hedge‐fonds. Avoir pour objectif de rassurer les marchés financiers, dominés par de tels acteurs, est vain car sur ces marchés où les transactions financières sont effectuées à des fréquences toujours plus élevées (jusqu'à la milliseconde pour le trading à haute fréquence), c'est la fébrilité, et non la stabilité, qui génère les profits.

L'impact sur le fonctionnement démocratique qui devrait être celui de nos sociétés est par ailleurs important. Les responsables politiques sont élus sur la base de programmes...qui sont défaits dès qu'ils ont le malheur de déplaire aux marchés financiers.

En 1966, lors d'une conférence de presse à l'Elysée, le Général De Gaule déclara: «la politique de la France ne se fait pas à la corbeille». Force est de constater qu'aujourd'hui la page est tournée. Dorénavant, ce sont les marchés électroniques qui font la politique des pays, et pas seulement la politique économique! Début novembre 2011, Georgios Papandreou, encore premier ministre grec, a eu l'audace d'envisager un référendum pour que les citoyens grecs puissent s'exprimer sur l'aide financière qui devait être apportée à leur pays et sur les plans d'austérité qui devaient l'accompagner. Quelques jours plus tard, il avait perdu le pouvoir. Il serait souhaitable, dans un cadre supposé démocratique, que les citoyens non seulement grecs mais aussi allemands, français... aient voix au chapitre sur ces questions qui les concernent directement et puissent décider de l'utilisation de fonds publics!

Les marchés ont‐ils des vertus qui obligeraient les Etats à tenir leurs comptes? Voyons, cela relève de la supercherie. Les dérapages budgétaires de la Grèce ont en partie été camouflés en 2002 par une opération de Swap de devises réalisée précisément par un des acteurs importants de ces marchés, la banque Goldman Sachs en l'occurrence. Le montant de dette ainsi dissimulé a contribué à ce que la Grèce satisfasse en apparence les critères de Maastricht lui permettant d'intégrer la zone euro, ce qui n'aurait jamais dû être le cas. Mario Draghi, actuel président de la Banque Centrale Européenne fut de 2002 à 2005 vice‐président de Goldman Sachs Europe. Force est de constater qu'il n'a pas condamné publiquement ces opérations. Loukás Papadímos, alors gouverneur de le Banque centrale grecque et actuellement premier ministre de ce pays, était l'autre maillon clé de la transaction. Ils font actuellement partie de ce groupe de technocrates qui en Europe sont supposés remettre les comptes publics en état et limiter l'ampleur des dettes. De qui se moque‐t‐on?

Ce sont bien les banques d'investissement qui ont d'emblée critiqué les timides tentatives de régulation -Bâle II ou III‐ dont l'objectif était entre autres de limiter à la marge leur endettement gigantesque et qui actuellement poussent des cris d'Orphée en observant que les pays développés ont des endettements colossaux résultant précisément du renflouement de ces mêmes banques en 2008.

Le tabou de l'excessive taille et complexité des marchés financiers mérite aussi d'être brisé. Les produits dérivés, surtout présentés comme instruments de couverture, ont globalement une valeur nominale égale à environ 10 fois le PIB mondial. C'est complètement démesuré. Environ 4 jours de transactions sur les marchés de change correspondent au volume annuel du commerce de biens et services au niveau international. Les activités des traders durant tous les jours restants de l'année ont‐elles une utilité sociale? Il serait permis d'en douter.

La complexité quant à elle, est susceptible d'être un véritable facteur de profit et de pouvoir; de profit, car les banques d'investissement en mesure d'émettre des produits dérivés complexes excluent de fait leurs concurrentes de ce marché en espérant réaliser d'importants profits.

La complexité est aussi un facteur de pouvoir, car seul les dirigeants d'institutions comme les banques d'investissement ou les hedge‐fonds sont supposés dominer et comprendre cette complexité. Ils sont ainsi nombreux à occuper par la suite les fonctions les plus hautes au niveau politique. C'est le cas par exemple, d'anciens responsables de la banque Goldman Sachs, déjà mentionnée ci‐dessus, qui font maintenant partie de l'administration Obama (Timothy Geithner, comme secrétaire d'Etat au trésor), ou qui sont à la tête de la banque centrale européenne (Mario Draghi) ou premier ministre en Italie (Mario Monti). Ces technocrates présentés comme étant neutres, mettent en place, en réalité, des politiques favorables à ces institutions.

De fait, l'écrasante majorité de la population est exclue du débat concernant les risques associés à l'innovation financière. 

C'est inquiétant pour la démocratie en général et pour le contribuable en particulier qui, en dernière instance, supporte ces risques!

En conclusion, dans la situation actuelle, chercher à satisfaire les marchés financiers est non seulement vain mais aussi dangereux en termes sociaux et démocratiques. Il s'agit de remettre la sphère financière à sa place, c'est‐à‐dire de réduire sa taille et sa complexité pour qu'elle puisse à nouveau jouer son rôle au service de l'économie réelle et de la société.

Partager cet article
Repost0
27 décembre 2011 2 27 /12 /décembre /2011 16:17

Rue89 - Olivier Berruyer - les-crises.fr

Publié le 27/12/2011 à 04h33

 

Voici la composition et l'évolution de la dette totale de la France pour les 3 grands secteurs que sont : les ménages, les entreprises non financières et l'administration. N'est pas traité ici le cas particulier des dettes des entreprises du secteur financier (banques…)

 


Evolution de l'endettement des secteurs de la France, en % du PIB

Ce qu'on observe clairement pour notre pays :

  • Les ménages sont sur une nette tendance à l'endettement, et que la crise n'y a rien changé. Ceci est en grande partie lié au fait que la bulle immobilière n'a pas encore éclaté.
  • Les entreprises, après une période de stagnation de leur dette, l'ont vu augmenter durant la crise – le phénomène se poursuit.
  • L'Etat, après deux brèves accalmies, a vu ses efforts balayés par la crise, et sa dette exploser depuis 2008 – avec un léger répit depuis mi-2010.

Ce graphique est extrait de « Dette totale de la France » sur Les-Crises.fr, le blog d'Olivier Berruyer.

Partager cet article
Repost0
27 décembre 2011 2 27 /12 /décembre /2011 16:12

LEMONDE.FR avec AFP | 26.12.11 | 20h57   •  Mis à jour le 27.12.11 | 08h02

 
 

 

L'association en appelle à "la générosité nationale, publique et privée" afin de remplir sa mission pour l'année 2011-2012.

L'association en appelle à "la générosité nationale, publique et privée" afin de remplir sa mission pour l'année 2011-2012.AFP/JEAN-PHILIPPE KSIAZEK

Les Restos du cœur sont dans le rouge. L'association estime qu'elle aura besoin de au moins cinq millions d'euros de plus en 2011-2012 pour répondre à une demande qui ne cesse d'augmenter sous l'effet de la crise économique. Son président, Olivier Berthe, lance donc un appel à la générosité nationale.

"Les personnes qui ont besoin des Restos du cœur ou de l'aide d'autres associations humanitaires pour se nourrir et vivre correctement sont de plus en plus nombreuses" et "cette tendance risque de s'installer", a-t-il fait valoir dans un entretien donné à l'AFP.

Après une hausse de 25 % du nombre de personnes accueillies sur les trois dernières années, "nous enregistrons encore de l'ordre de 5 à 8 % de personnes supplémentaires depuis le début de notre campagne 2011-2012, avec parfois, dans certains départements, des pics pouvant atteindre jusqu'à 15 %", a souligné M. Berthe.

"Aux Restos du cœur, un repas coûte environ un euro. L'an dernier, on a servi 109 millions de repas à 860 000 bénéficiaires. Si on devait constater 5 % de personnes en plus durant toute la durée de la campagne, soit l'hypothèse basse, cela représenterait cinq millions d'euros de besoins en plus", a estimé le dirigeant de l'association fondée en 1985 par Coluche.

"LES BONS SENTIMENTS NE SUFFISENT PAS"

Or, face à ces besoins croissants, les financements stagnent, s'inquiète M. Berthe, qui en appelle à "la générosité nationale, publique et privée". Le Programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD), qui permet de financer l'aide alimentaire de 18 millions d'Européens pauvres dans 19 des 27 Etats membres, a certes été sauvé in extremis il y a quelques semaines, pour encore deux années. Mais "cette aide européenne reste au même niveau qu'il y a deux ou trois ans. Quant aux finances publiques, elles sont très mal en point", a-t-il rappelé.

 

Des bénéficiaires des Restos du cœur dans les locaux bordelais de l'association, en janvier 2004.

Des bénéficiaires des Restos du cœur dans les locaux bordelais de l'association, en janvier 2004.AFP/MICHEL GANGNE

"Conclusion : on doit faire plus avec moins", a-t-il regretté, en rappelant que les Restos du cœur, qui mobilisent cette année 60 000 bénévoles, sont financés pour un tiers par des financements publics et aux deux tiers par des apports privés (dons, legs, revenus générés par les Enfoirés). Cet appel de détresse intervient quelques jours après la visite au centre logistique des Restos du cœur à Vitry-sur-Seine,  dans le Val-de-Marne, du chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, qui a salué le "travail exceptionnel" de l'association. 

"Face à la pauvreté, la compassion et les bons sentiments ne suffisent pas", a rétorqué lundi la députée PS Marisol Touraine, chargée du pôle social dans l'équipe de campagne du candidat socialiste François Hollande. "A quelques jours de Noël, Nicolas Sarkozy avait jugé opportun de se rendre dans un centre des Restos du cœur, pour marquer sa compassion. Aujourd'hui, le président de l'association tire la sonnette d'alarme", a-t-elle commenté dans un communiqué, en assurant que "toutes les associations engagées dans la lutte contre la pauvreté dressent le même constat".

Partager cet article
Repost0
27 décembre 2011 2 27 /12 /décembre /2011 15:20

LEMONDE.FR avec Reuters | 27.12.11 | 10h39   •  Mis à jour le 27.12.11 | 12h09

 
 

Le gouvernement français espère mettre en œuvre des mesures sur l'activité partielle et les "pactes compétitivité emploi" dans les entreprises d'ici à l'élection présidentielle de 2012 afin de lutter contre la hausse du chômage, a déclaré mardi 27 décembre le ministre du travail, Xavier Bertrand.

Le taux de chômage en France a augmenté de 1,1 % en novembre pour atteindre son plus haut niveau depuis novembre 1999, avec 4 244 800 demandeurs d'emploi en métropole. Le président Nicolas Sarkozy organisera le 18 janvier un sommet social avec l'ambition de proposer des solutions "d'application rapide pour contenir au maximum les effets de la crise". Le ministre du travail doit recevoir du 5 au 12 janvier les partenaires sociaux pour préparer la réunion.

"Le chômage n'est pas un problème franco-français. Il n'y a que l'Allemagne aujourd'hui qui voie son chômage reculer parce qu'ils ont fait des réformes de fond sur le marché du travail depuis dix ans et pendant dix ans", a dit ce dernier sur RTL. "Nous, nous l'avons entrepris depuis quelques années seulement. C'est la différence", a-t-il ajouté.

LE PACTE DE COMPÉTITIVITÉ D'EMPLOI, OU PLUS DE FLEXIBILITÉ

Deux mesures peuvent être mises en œuvre rapidement pour contenir les effets de la crise, a estimé le ministre. "Sur l'activité partielle, simplifier, raccourcir les délais pour y avoir davantage recours, c'est tout à fait possible", a expliqué Xavier Bertrand.

 

"Sur le pacte compétitivité emploi, s'il y a un accord des partenaires sociaux, on peut aussi aller très vite", a-t-il jugé, en résumant ainsi le principe : "Quand ça va bien, on peut augmenter la durée du travail, les rémunérations, beaucoup plus vite, beaucoup plus facilement. Quand ça va moins bien, adapter le temps de travail s'il y a des garanties pour l'emploi. C'est ce qui se fait par exemple en Allemagne." "Cette idée, elle est en train de faire son chemin avec les partenaires sociaux", a affirmé Xavier Bertrand. "Il vaut mieux garder dans l'entreprise que licencier, surtout si la crise a un caractère temporaire", a-t-il expliqué.

QUEL ARGENT POUR LE CHÔMAGE PARTIEL ?

Le secrétaire général de Force ouvrière a lui estimé que le recours au chômage partiel nécessitait de "mettre de l'argent sur la table". "On a énormément réduit les recettes fiscales ces dernières années, c'est autant d'argent en moins dont l'Etat peut disposer par exemple pour le chômage partiel", a dit Jean-Claude Mailly sur BFM TV. "Les baisses d'impôts, elles ont privilégié essentiellement les plus aisés ou en tout cas les grosses entreprises".

"Ce n'est pas plus de flexibilité (...) qui va améliorer la situation dans le domaine de l'emploi. Ce sont de 'vieilles lunes', on ressort des trucs d'avant la crise, (...) cela ne peut pas être ce genre de pistes", a jugé Jean-Claude Mailly.

Lundi soir le PS avait réagi aux chiffres du chômage par un communiqué raillant le bilan de Nicolas Sarkozy : "Un million de demandeurs d'emploi supplémentaires en une mandature !" et expliquant que "derrière les effets de manche, derrière les coups politiques, personne n'est dupe des visées électoralistes du 'sommet pour l'emploi', il est temps de s'en préoccuper à quatre mois de l'élection présidentielle !". Pour le Front national, "cette nouvelle flambée du chômage sanctionne un gouvernement qui s'est installé dans l'immobilisme" et il est urgent de revenir à un "protectionnisme intelligent". Selon Robert Rochefort, membre de l'équipe de campagne de François Bayrou, "la nouvelle augmentation du chômage n'est pas une surprise. Elle contredit toutes les annonces que le gouvernement a martelées au cours de l'année 2011."

Partager cet article
Repost0
27 décembre 2011 2 27 /12 /décembre /2011 15:16

Le Monde - 26 décembre 2011

Pour le troisième mois consécutif depuis la rentrée, le nombre des chômeurs a fortement augmenté  (+ 1,1%) en novembre dans la catégorie A, celle des sans emploi n'exerçant pas d'activité réduite, pour s'établir à 2 844 800  en France métropolitaine (+ 29 900) et à 3.080. 500 en comptant les Dom. Dans cette catégorie qui sert de baromètre officiel du chômage, on recense 90.300 chômeurs de plus (et non 91.100 comme indiqué par erreur à la suite d'une coquille) en trois mois, une détérioration marquée sans doute liée à la retombée en récession de la France.

En ajoutant aux sans emploi les demandeurs d'emploi en catégories B et C, qui exercent des activités réduites de plus ou de moins de 78 heures par mois, le nombre des personnes inscrites à Pôle emploi et tenues à des actes positifs de recherche s'élevait à 4 244 800 en France métropolitaine et 4 510 500 en France (Dom compris).

Trois caractéristiques des chiffres de novembre méritent d'être soulignées : la situation des jeunes (moins de 25 ans) sur le marché du travail se détériore à nouveau (leur chômage  augmente de  2,2% dans la catégorie A comme dans les catégories A,B,C); les entrées  à Pôle emploi accusent une forte hausse (+ 9,1%) en un mois et les motifs d'inscription au chômage ont changé avec le gonflement des licenciements.

Le chômage, qui frappait jusqu'alors essentiellement les intérimaires et les personnes en contrée à durée déterminée (CDD), commence probablement à s'étendre aux salariés en contrat à durée indéterminée.

Partager cet article
Repost0
22 décembre 2011 4 22 /12 /décembre /2011 23:03

| Par Mathilde Mathieu et Michaël Hajdenberg

L'hyper-président Sarkozy ne s'interdit rien. Non seulement il empiète sur les attributions de son gouvernement et s'accapare le pavillon de La Lanterne, la résidence historique du Premier ministre, mais on découvre qu'il a aussi mis la main, dans la plus grande discrétion, sur la «réserve» du ministre de l'Intérieur, une étrange cagnotte connue des seuls initiés, dotée de plusieurs millions d'euros par an. Un véritable «hold-up», selon le député socialiste René Dosière, spécialiste des comptes de l'Élysée.

 

C. Guéant, ministre de l'Intérieur
C. Guéant, ministre de l'Intérieur© Elysée

De quelle «réserve» s'agit-il? Chaque année, dans le budget de l'État, une ligne de crédits est allouée au ministre de l'Intérieur, camouflée dans un programme au nom abscons: «travaux divers d'intérêt local». Derrière ce jargon se cache, depuis des lustres, un formidable outil de pouvoir et d'influence: le ministre de l'Intérieur (aussi ministre des Collectivités locales) a le droit de distribuer cette manne sous forme de subventions exceptionnelles aux communes qui lui en font la demande par courrier, et qu'il choisit selon son bon vouloir. En 2012, cette tirelire contiendra au moins 19 millions d'euros, d'après le projet de loi de finances initial.

Traditionnellement, l'occupant de la place Beauvau saupoudre ici et là, vole au secours de tel ou tel élu qui n'arrive pas à boucler le financement de son nouveau clocher, de son école, de son stade, ou de n'importe quel projet local (remplissant un certain nombre de critères tout de même). L'usage de cette «réserve ministérielle» a toujours été d'une opacité totale: aucune liste des collectivités bénéficiaires n'est rendue publique. C'est le clientélisme à l'état pur, érigé en système.

Or Nicolas Sarkozy a mis la main sur une grande part de ce trésor fin 2008, sans le moindre complexe. Deux anciens ministres de l'Intérieur du gouvernement Jospin, interrogés par Mediapart, n'en reviennent pas. «C'est scandaleux!», dénonce Jean-Pierre Chevènement, aujourd'hui sénateur. «Nous assistons à un détournement de procédure», s'étrangle Daniel Vaillant (maire et député du XVIIIe arrondissement de Paris), «choqué que le président de la République se soit attribué cette réserve ministérielle». «C'est une curieuse conception de la République

L'affaire date du 23 octobre 2008. Par une lettre longtemps restée secrète (rendue publique le 15 novembre dernier par Le Monde), Nicolas Sarkozy a ordonné à Michèle Alliot-Marie, ministre de l'Intérieur à l'époque, de renoncer à l'essentiel de sa cagnotte: «Je souhaite que les deux tiers de ces crédits (...) fassent désormais l'objet d'une programmation décidée au niveau de mon cabinet», lui a indiqué le président de la République. «Les deux tiers», c'est-à-dire 12,6 millions d'euros pour 2012. 

La gaulliste s'est exécutée. Et depuis, des élus locaux en mal de subventions adressent leurs courriers au 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré, palais de l'Élysée. Les conseillers du Président traitent les demandes, en fonction de critères restés inconnus. Comment ne pas soupçonner un usage ultrapartisan de cet argent public, qui favoriserait l'UMP et récompenserait des opposants accommodants?

 

Mediapart n'a pu obtenir le moindre chiffre, le moindre nom. Quand on demande la liste des collectivités aidées par l'Élysée depuis octobre 2008, le conseiller communication du Président renvoie vers le ministère de l'Intérieur: «Ce sont eux qui ont les infos.» Place Beauvau, où Brice Hortefeux puis Claude Guéant ont succédé à Michèle Alliot-Marie, pas de réponse. À Bercy, même mutisme.

Mediapart a donc sollicité une vingtaine de préfectures (Hauts-de-Seine, Alpes-Maritimes, Paris, Bouches-du-Rhône, Pas-de-Calais, Corrèze, etc.): département par département, celles-ci gèrent en effet les dossiers et voient passer chaque subvention. Mais au lendemain de nos premières demandes, une consigne est tombée du ministère de l'Intérieur: bouche cousue!

La loi de 1978 sur le droit d'accès aux documents administratifs fait pourtant obligation aux préfectures de nous communiquer ces données − comme la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), autorité indépendante, a déjà eu l'occasion de le rappeler. Il s'agit, dès lors, d'une obstruction délibérée.

Sarkozy: «Heureux d'avoir pu vous aider sur ce dossier important»»

Mediapart a fini par dénicher un exemple. Le 3 mars 2011, Anne Grommerch-Brandenbourger, députée UMP de Moselle, a reçu cinq lettres signées du chef de l'État en personne, lui annonçant qu'il “arrosait” cinq villages de sa circonscription: «Vous avez bien voulu appeler mon attention sur la demande d'aide financière de la commune de KANFEN, afin de lui permettre de réaliser l'aménagement d'un parking de covoiturage, écrit notamment Nicolas Sarkozy. J'ai décidé d'accorder à cette commune une subvention (...) d'un montant de 30.000 euros. (...) Heureux d'avoir pu vous aider sur ce dossier important.»

 

25.000 euros pleuvent, le même jour, sur Zoufftgen et ses «ateliers municipaux». 50.000 euros sur Waldweistroff pour la «requalification de la place de l'Église». 150.000 euros sur Rettel et sa «caserne de gendarmerie». 30.000 euros sur Merschweiller dans la perspective de l'«aménagement de la rue des Champs et d'une placette à Kitzing». En tout, à six mois de sénatoriales ultraserrées en Moselle (et quinze mois des législatives), Nicolas Sarkozy a ainsi distribué 285.000 euros. Pour quelles raisons? La députée Anne Grommerch, sollicitée à de multiples reprises par Mediapart, n'a pas retourné nos appels.

 

Le parking de covoiturage en construction à Kanfen (Moselle) Le parking de covoiturage en construction à Kanfen (Moselle)

En général, une fois la bonne nouvelle annoncée aux édiles, l'Élysée ne s'encombre pas de la paperasse ni du suivi des dossiers, abandonnés aux fonctionnaires de l'Intérieur. «La gestion administrative (de la réserve) continuera à être assumée par votre ministère», précisait Nicolas Sarkozy dès octobre 2008, dans ses instructions à Michèle Alliot-Marie. Les avantages de la réserve, oui. Les inconvénients, pas question!

«Constitutionnellement, tout cela pose un vrai problème, peste le socialiste René Dosière. C'est une intervention directe du Président dans le champ d'action du gouvernement. En plus, je parie que Nicolas Sarkozy fait principalement des choix politiques; ça lui sert à fluidifier, comme on dit, ses relations avec les élus de la majorité. À les contrôler. Je serais curieux de savoir, par exemple, comment sont traités les villepinistes.»

Les anciens ministres de l'Intérieur, de droite comme de gauche, n'ont-ils pas procédé, eux aussi, à une répartition des fonds clientéliste? «C'est vrai que, de toute façon, c'est un peu politique comme financements», admet René Dosière.

Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur de Lionel Jospin entre 2000 et 2002, reconnaît lui aussi que «le système de la réserve n'est pas très élégant», mais il assure avoir, quand il était en fonction, réparti les fonds de manière «équitable». Faute de données publiques, c'est invérifiable. «Au ministère, il y avait alors une commission avec des fonctionnaires de la Direction générale des collectivités locales et un membre de mon cabinet, qui examinait les demandes, détaille le socialiste. Je ne décidais pas le nez au vent!»

 

D. Vaillant en février 2002 avec le Premier ministre L. Jospin  
D. Vaillant en février 2002 avec le Premier ministre L. Jospin© Reuters

À l'époque, surtout, le chef de l'État, Jacques Chirac, respectait les formes républicaines: «Quand le président Chirac voulait débloquer des subventions pour des élus de Corrèze (ndlr: son fief), il m'écrivait à moi!, relate Daniel Vaillant. Il ne s'arrogeait aucun droit.»

Daniel Vaillant plaindrait presque les ministres de l'Intérieur de Nicolas Sarkozy: «Quand je suis intervenu auprès de Brice Hortefeux pour qu'il accorde une petite subvention à la commune de Saint-André-en-Morvan dans la Nièvre (ndlr: le département de naissance de Daniel Vaillant), je comprends mieux pourquoi il m'a répondu: "Je ne peux pas, y a plus de sous"! En fait, ses crédits se raréfiaient, puisqu'ils étaient détournés par l'Élysée!»

Si Daniel Vaillant suggère que Nicolas Sarkozy rende la cagnotte, d'autres socialistes poussent plus loin la critique: «Cette réserve, qui institutionnalise le clientélisme, ne devrait même pas exister», juge le député Jean-Jacques Urvoas, qui réclame son abrogation pure et simple.

Partager cet article
Repost0
22 décembre 2011 4 22 /12 /décembre /2011 22:59
| Par Carine Fouteau

Rien n'arrête le ministre de l'intérieur, Claude Guéant. Le jour même où il envoie des CRS pour casser la grève des agents de sûreté de l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle et où il déclare que «l'État a le devoir de garantir la liberté de circulation», il brandit un nouveau chiffon rouge prenant pour cible les étrangers.

Devant les parlementaires UMP, il a évoqué, mardi 20 décembre, l'éventualité d'un texte prévoyant une interdiction du territoire pour accompagner une condamnation pénale. Alors que Nicolas Sarkozy se vante, à tort, de l'avoir supprimée, la double peine ferait ainsi son retour. Celle-ci constitue une rupture d'égalité puisqu'elle consiste à sanctionner un étranger délinquant par une peine de prison et une interdiction du territoire, tandis qu'un délinquant français n'a que la peine de prison.

Seraient concernés les étrangers arrivés depuis peu en France, «n'y ayant pas d'attache» et «s'étant rendus coupables de délits graves», selon une source citée par l'AFP.

Le ministre a aussi indiqué vouloir étendre l'application des peines planchers. Selon Europe 1, Claude Guéant souhaiterait durcir la législation «avant la fin du quinquennat Sarkozy». Une proposition de loi pourrait être déposée dès le début de l'année 2012. «On a évoqué des pistes pour améliorer la lutte contre la délinquance, notamment cette délinquance d'habitude. Ce sont des pistes pertinentes que je soutiendrai et que je suis prêt à porter à l'Assemblée nationale», a affirmé Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, spécialiste des questions de sécurité à l'UMP et membre de la Droite populaire.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Démocratie Réelle Maintenant des Indignés de Nîmes
  • : Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
  • Contact

Texte Libre

INFO IMPORTANTE

 

DEPUIS DEBUT AOÛT 2014

OVERBLOG NOUS IMPOSE ET PLACE DES PUBS

SUR NOTRE BLOG

CELA VA A L'ENCONTRE DE NOTRE ETHIQUE ET DE NOS CHOIX


NE CLIQUEZ PAS SUR CES PUBS !

Recherche

Texte Libre

ter 

Nouvelle-image.JPG

Badge

 

          Depuis le 26 Mai 2011,

        Nous nous réunissons

                 tous les soirs

      devant la maison carrée

 

       A partir du 16 Juillet 2014

            et pendant l'été

                     RV

       chaque mercredi à 18h

                et samedi à 13h

    sur le terrain de Caveirac

                Rejoignez-nous  

et venez partager ce lieu avec nous !



  Th-o indign-(1)

55

9b22